A toi valeureux témoin

A toi valeureux témoin, à toi !

Poème long (3:45) sur le massage, en ligne sur Youtube.com.


A toi valeureux témoin, appends que masser n'est pas une fin mais l'origine d'un mythe hermétique dont l'ombre se propage, de clés en clés, à chaque fois qu'une main s'aventure dans cette serrure millénaire que constitue tout corps allongé. Pour chaque doigt, un cran, pour chaque pression, une combinaison. Ce n'est qu'à la fin de ta vie de féal insignifiant que la porte s'ouvre et que tu découvres, haletant, la place qui aura été la tienne, élu ou mécanisme.


Personnellement, je peux bien en être la plus infime de ces pièces, quel que soit le plan, je reste dans mon art perinde ac cadaver « à la manière d'un cadavre » comme disaient les moines au IVe siècle pour signifier leur obéissance absolue au dessein. Je suis un de ces Jorge de Burgos, bibliothécaire émérite de l’immense abbaye des nudités. Même sur l’étranger, l’incrédule aux passes légères, abbé Jean de Lycopolis, j’arrose mon bâton mort parce qu’il ne peut en être qu’ainsi. L’ordre, l’ordre est de masser coûte que coûte, infini goûte-à-goûte métallique du temps.


Ego sum qui sum célestiel, « je suis celui qui est ». J’ai étudié toutes les constitutions, milles grimoires tégumentaires, jeunes et pourtant si anciens véhicules rhizomiques, contemplatifs, apathiques, j’y ai vu le temps, le chagrin et l’oubli de ceux qui viennent chercher sur nos hôtels le repos des morts, l’art des chanoines, l’éros de Charon et ses fleurs thanatiques ; la promenade en barque risque d’être longue. Peut-être lirons-nous en étalant nos huiles quelques prédictions ensorcelées, quelques présages pérégrins, une joie peut-être comme si ces mains mi mortes, mi savantes, ces doigts sans globes aux écrouelles de l’apostat pouvaient autrement dire ce qui ne se dit pas. Vous êtes le produit même de ce qui va finir inexorablement par s’annuler sur nos éventaires de légistes enjoués. Je vous vends votre propre chair selon les bons comptes d’un boulier détaché des chevilles de notre condition d’esclave. La pénombre de ces heures en fond de cales arracheuses d’Afrique sont les dernières libertés de celui qui se permet encore le rêve du nègre. Vous m’enfantez de vos joies, je vous avorte de vos peines, éternels parturients d’un destin quelconque.


Jetons des perles aux pourceaux, qu’ils se gavent de nacre, qu’ils en deviennent des suidés de conchyoline, qu’est-ce que ça changera ?


Masseurs ou Charon, passeurs nous passons.

Fleurs ou chardon, ramasseurs nous vous ramasserons.



Alain Cabello-Mosnier ⚣

jeudi 23 mars 2017