Les sévices du service public

Face au premier mouvement social d’ampleur depuis son élection, le Président Macron a fait le choix de la fermeté en annonçant d’ores et déjà qu’il irait jusqu’au bout dans le projet de réforme de la SNCF, quitte à passer par des ordonnances. Après l’affront subi à Notre-Dame-des-Landes, l’heure n’est donc plus au dialogue, mais à la démonstration de force, et tant pis s’il faut noircir le tableau volontairement. « Entreprise en faillite » ou « loi dictée par Bruxelles », partisans et opposant s’affrontent à coups de comparaison avec la Deutsche Bahn ou s’écharpent sur la question du maintien du service public. Et comme souvent, la réalité est bien moins manichéenne, tout comme le regard des Français sur cette mobilisation.

Oui, la SNCF traîne derrière elle une dette de plus de 50 milliards, principalement en raison de la politique du tout TGV, mais aussi, et il est juste de le rappeler, parce qu’elle a hérité des dettes des compagnies privées nationalisées en 1937 (environ 20 milliards d’euros… c’est cocasse). Là-dessus se sont ajoutés des coûts de construction des lignes à grande vitesse dont l’évolution a, semblerait-il, défié les lois économiques de l’inflation : 5 millions d’euros par kilomètre en 1981 pour Paris-Lyon, contre 23 millions en 2015 pour Tours-Bordeaux… Ces dépenses pharaoniques ont inévitablement impacté le réseau secondaire, qui s’est vu privé de tout investissement voire même d’entretien dans certaines zones (mais les géants du BTP, eux se sont régalés). La situation semble donc catastrophique, mais la SNCF est-elle vraiment à l’agonie ?

Pour la fin de l’année 2017, la fréquentation est à la hausse, aussi bien dans les TGV (+7,3%) les Intercités (+6,6%), les TER (+4,8%), que les RER et trains de banlieue franciliens (+3%). On est loin du radeau de la méduse… Et non, ce ne sont pas les avantages discutables des cheminots qui plombent les comptes de la SNCF, mais bien sa dette. Dès lors, la seule question que devrait se poser le gouvernement est de reprendre ou non cette dette. Or le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne la reprendrait pas dans son intégralité et ne le ferait qu’en échange de contreparties. En réalité, le problème fondamental de la reprise de la dette est qu’il vient contrarier le retour de la France dans les clous budgétaires européens. Pourtant il en va de l’un des devoirs d’un État envers ses citoyens : assurer un service public d’offre de transports partout dans le pays.

La dette de la SNCF, au-delà d’une mauvaise gestion nous interroge sur le rôle que nous attendons de notre État. Quels services estimons-nous entrer dans le giron de la solidarité nationale ? Si on attend évidement de l’État qu’il utilise le plus judicieusement les fonds publics, il ne faut pas oublier que les services publics n’ont pas vocation à être bénéficiaires. Leur rentabilité se trouve dans la redistribution qu’ils offrent à la société, et toute coupe de budget dans les transports, l’éducation ou la santé réduit d’autant leurs effets bénéfiques. On constate tous les jours combien la logique financière brise littéralement le système de santé français pourtant envié par le monde entier. Il est facile d’accuser l’état-providence d’être dispendieux, mais alors on ne peut plus lui reprocher les déserts médicaux ou des établissements hospitaliers en décrépitude...

Les Français sont profondément attachés aux services publics, car ils sont les garants du pilier sociétal qu’est la solidarité nationale. Ainsi, sur la grève des cheminots, on perçoit deux niveaux de lecture, qui, s’ils diffèrent largement, ne sont ni incompatibles ni exclusifs. La première lecture est assez simple, puisqu’elle oppose les usagers qui subissent les grèves aux cheminots qui veulent conserver des avantages anachroniques. Simple, basique… Toutefois, une portion de la population voit dans le combat des cheminots, une défense des services publics qui reculent toujours plus dans un monde qui en a de plus en plus besoin.

Alors bien sûr, il est une vérité absolue, rabâchée et au-dessus de toute contestation : l’État ne sait pas gérer l’argent public, il vaut mieux laisser les intérêts privés aux commandes… Oui l’État engloutit des sommes folles dans des projets pas toujours indispensables ou mal ficelés (surtout lors des partenariats avec le privé bizarrement...). Mais s’il est évident qu’un même service peut être fourni par l’État et par une société privée pour un coût inférieur, il ne faut pas oublier que là où l’un a pour objectif le bien-être d’une population, l’autre n’a que les bénéfices en tête, en témoigne la privatisation des autoroutes, que les usagers payent plein pot. On est donc en droit de s’interroger sur les intérêts de ceux qui clament l’incapacité de l’État à être un bon gestionnaire. Aucune loi physique ne l’en empêche. D’ailleurs, plutôt que d’accuser l’État et affaiblir l’institution et les services publics, il serait bon de s’interroger sur les hommes qui l’ont dirigé, sur les décisions qu’ils ont prises et sur ceux qu’elles ont favorisés...

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