La logique du logement


Aux dires du secrétaire d’État Julien Denormandie, la région Île-de-France abriterait une grosse cinquantaine d’hommes isolés sans logement… Aucune référence aux femmes et enfants isolés, il n’y en n’a probablement pas dans un pays aussi développé et prestigieux que la France… Pourtant, chaque Francilien a l’étrange impression d’avoir l’intégralité de ces cinquante SDF vivant dans un rayon de 2km autour de son logement. Ces sans-logis ont-ils développé le don d’ubiquité pour maximiser leurs profits avec la mendicité (rien n’arrête le progrès !), ou les chiffres du gouvernement sont-ils légèrement sous-évalués ? Au-delà de la polémique sur le nombre de sans-logis, c’est sur la politique du logement même qu’il est urgent de s’interroger.


Objectif zéro SDF encore et toujours

Emmanuel Macron s’était engagé à ce que plus personne ne dorme dans les rues avant la fin 2017. « C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi ». La promesse était d’autant plus belle qu’elle est reprise en chœur par l’ensemble des candidats depuis les années 80, pour des résultats qu’on peut qualifier de discutables, sauf à valider la théorie des SDF qui peuvent se démultiplier. La pression migratoire n’aidant pas, le président de la République a reconnu son échec ; il a au moins l’honnêteté de le faire. Dans le pays de la fraternité, c’est donc la société civile qui s’organise, et l’État est bien content de se reposer sur elle pour en faire le moins possible. C’est peut-être aussi pour le mieux, car les solutions proposées jusqu’ici par les pouvoirs publics, à coup de locations dans des hôtels à la limite et parfois au-delà de l’insalubrité, sont coûteuses aux niveaux financiers et humains, en plus de faire les affaires des marchands de sommeil. En effet, pour reloger, encore faut-il avoir des logements...


Dormir au bureau

Xavier Lépine, président du directoire de La Française, un important gestionnaire d’actifs immobiliers, réunissait en novembre dernier des acteurs tels que Bouygues, EDF, Vinci ou Unibail, pour leur expliquer comment faciliter la transformation de bureaux en logements. En effet, près de 5 millions de mètres carrés de bureau restent vacants aujourd’hui en région parisienne... 70 000 logements potentiels vides ou squattés car les investisseurs et les responsables politiques locaux ont multiplié les constructions de bureaux au détriment du logement depuis plus de 20 ans. La logique étant que des bureaux ce sont des revenus, des logements ce sont des dépenses sociales (écoles, crèches...). Cette vision court-termiste qui domine la réflexion politique depuis de nombreuses années a mené à une situation de tension extrême du marché du logement en Île-de-France mais aussi dans certains grands centres régionaux. La promesse du gouvernement d’inonder le marché de nouvelles constructions est louable mais elle prendra du temps, et on peut s’interroger sur la répartition des efforts qui seront demandés afin de rattraper tant de retard.


Studette 15 m² : 800 euros (hors charges)

La promulgation de la loi ALUR, dont les agences immobilières se foutent royalement, n’a rien changé à la donne ou presque. Les dépenses pour le logement continuent de flamber à Paris et en petite couronne et la gentrification (terme politiquement correct pour « virer les pauvres ») s’étend de plus en plus. Si la réalisation du réseau Grand Paris Express pourrait apporter un nouveau souffle à la construction, pour le moment, on constate surtout qu’elle fait exploser les loyers des zones proches des futures stations de métro à des niveaux équivalents à ceux de Paris. Et plus les constructions tarderont plus les prix s’envoleront dans ces zones, amplifiant encore le phénomène de rejet des classes populaires et même moyennes vers la périphérie de la région. Ceci devrait préoccuper grandement les décideurs politiques, car cela impact de nombreux domaines, au premier rang desquels les transports, dont le flux augmente en raison de l’éloignement moyen toujours plus grand entre le domicile et le lieu de travail. Les entreprises aussi sont concernées, car il est compliqué d’attirer des employés lorsque les loyers à proximité du lieu de travail sont prohibitifs.



La politique du logement en France est comme la majorité des politiques menées depuis des décennies. Elle est incompréhensible…, ou plutôt elle va à l’encontre de la logique et de l’intérêt général. Malgré des loyers de bureau en Île-de-France qui s’effondraient le rapport est longtemps resté à 70 % de construction de bureau pour 30 % de logement. Dans le même temps, les loyers augmentaient de manière vertigineuse dans le parc privé. Selon le calcul de Xavier Lépine. « Avant, on consacrait 25% de son revenu à rembourser son logement. Autrement dit, sur vingt ans de vie, il fallait cinq ans pour payer son logement. Aujourd’hui, c’est huit ou dix ans dans les zones tendues. » Sans une intervention de l’État, rien ne semble laisser penser que la tendance s’arrêtera. Que cela passe par la construction ou la régulation des loyers est un autre débat.

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