PREAMBULE

René Guénon avait des conceptions très particulières sur l’ésotérisme des templiers et l’origine de la rose-croix.

Dans certains ouvrages, il parle notamment d’une mystérieuse Massenie du Saint Graal qui serait une des sources de la Rose-Croix et de la franc-maçonnerie.

Ces idées sont apparemment dénuées de tout fondement historique. Mais, il se trouve que la curieuse aventure intérieure arrivée à une femme habitant la région de Provins, qui fut mise en relation par le biais de rêves avec un lointain passé, confirme de façon très étonnante les idées de René Guénon.

C’est ce que montre ce petit ouvrage après avoir posé le problème de l’ésotérisme chrétien et celui de l’existence d’une hiérarchie secrète à l’intérieur de l’Ordre du Temple.

LA ROSE CROIX

...Apparemment, il reprend une idée d’Eliphas Lévy et il fait coïncider la destruction de l’Ordre du Temple avec l’apparition presque simultanée de textes au contenu manifestement initiatique comme le Roman de la Rose et de groupements ésotériques secrets « qui devaient porter plus tard le nom de tradition rosicrucienne » (L’ésotérisme de Dante, P.35), et cela bien avant la légende de Christian Rosencreutz.

Il ajoute que cette « tradition hermétique » était conservée et véhiculée par des organisations comme la Fede Santa ou la Massenie du Saint Graal, toutes issues de l’Ordre du Temple.

D’après René Guénon, la Fede Santa était un Tiers-Ordre d’origine templière dont Dante était peut-être l’un des chefs. C’est pour cela qu’il prendra Saint Bernard, qui fut étroitement lié à la fondation de l’Ordre du Temple, comme guide à la fin de son voyage céleste.

En ce qui concerne la Massenie du Saint Graal, René Guénon s’appuie sur ce qu’en dit l’historien Henri Martin. Ce dernier en parle à propos des romans de chevalerie dans son histoire de France. Il affirme que Wolfram Von Eshenbach, un des auteurs des romans du Graal, a puisé son inspiration et ses connaissances chez les templiers du midi de la France. La Chevalerie du Graal (les templiers), devint la Massenie du Saint Graal, « c’est-à-dire une franc-maçonnerie ascétique ».

L’auteur ajoute d’ailleurs que la franc-maçonnerie moderne trouve son origine dans cette Massenie du Saint Graal.

A ce propos, René Guénon précise que l’origine réelle de la maçonnerie est « extrêmement complexe ». Mais selon lui, la Massenie du Saint Graal serait bien « une des origines réelles de la franc-maçonnerie » (L’ésotérisme de Dante, P.37).

Henri Martin raconte que Perceval finit par transporter le Graal et rebâtir le Temple en Inde. Il y aurait donc aussi une relation réelle ou mythique avec l’Inde que l’on retrouve d’ailleurs dans un texte de la Rose-Croix d’Or du XVIIIe siècle signé Sincérus Rénatus et qui affirme que la doctrine des Rose-Croix vient de l’Inde et que les derniers frères se sont retirés dans ce pays « afin d’y vivre dans une plus grande paix ». Une information que René Guénon reprendra dans plusieurs de ses études.

Ce terme de Massenie du Saint Graal se retrouve chez Eugène Aroux (1793-1859), député monarchiste sous Louis-Philippe. Dans un ouvrage intitulé Mystère de la Chevalerie et de l’Amour platonique au Moyen-Age (1858), il prétend qu’il existait une chevalerie albigeoise appelée la Massénie du Saint Graal. Elle se serait perpétuée dans la franc-maçonnerie.

Eugène Aroux faisait sans doute partie de la Rose-Croix de Toulouse, et ses idées viennent peut-être de documents détenus par cette société secrète fondée par le Vicomte de Lapasse. Il tenait lui-même ses connaissances (notamment en spagyrie) d’un mystérieux prince Balbiani qu’il aurait connu en Italie lorsqu’il vivait à Naples.

Quant au Graal, selon la légende, il est la coupe qui aurait servi à Joseph d’Arimathie pour recueillir le sang du Christ ouvert par la lance du centurion sur la croix.

Il aurait été taillé par les anges dans une émeraude tombée du front de Lucifer lors de la chute. Adam en hérita, mais il la perdit lorsqu’il dut partir du jardin de l’Eden.

Finalement elle fut transportée par Joseph d’Arimathie et Nicodème en Grande-Bretagne où elle fera l’objet de la quête des Chevaliers de la Table Ronde.

René Guénon identifie le Graal qui reçoit le sang du Christ avec le cœur et avec la rose.

Il y a donc un lien évident avec la Rose-Croix, la rose au centre de la croix étant équivalente à la coupe du Graal. Guénon fait d’ailleurs remarquer que cette relation entre la coupe et le cœur se retrouve déjà chez les anciens égyptiens.

Comme souvent, les propos de René Guénon sont troublants parce que contraires à l’opinion des historiens. Il semble utiliser des auteurs comme Eliphas Levy, Henri Martin, ou Eugène Aroux, pour illustrer une vérité qu’il connaît par une toute autre source. Il donne l’impression de se diriger dans une direction déterminée connue d’avance avec certitude. Et certains universitaires lui ont bien souvent reproché de ne pas vraiment « citer ses sources » ou de ne pas s’appuyer sur des « documents sérieux et irréfutables », bref, d’errer dans les marges de la connaissance. Mais, dans ce cas précis, ses idées sur l’origine de la Rose-Croix et de la maçonnerie trouvent une confirmation inattendue dans une étrange histoire arrivée à une femme qui habitait un petit village près de Provins.

Erik Sablé