Chapitre 0

Introduction générale - Le raisonnement mathématique

Dans ce chapitre préliminaire, qui n'est pas absolument indispensable à la compréhension de la suite du cours, on évoque de façon très sommaire les liens entre la logique et la théorie des ensembles. On profite alors de l'occasion pour introduire les premières notations standard du vocabulaire de la logique, avant de dresser une liste des différents types de raisonnements qu'on est amenés à utiliser de par la pratique mathématique courante. Pour des raisons élémentaires de lisibilité, cette liste a été découpée artificiellement en 14 formes de raisonnements, mais il faut bien comprendre qu'elle n'est en aucun cas exhaustive, et encore moins académique. On a essayé de l'illustrer, de façon plus ou moins ludique, à l'aide d'exemples simples, dont certains relèvent de la vie courante, d'autres d'une expérience mathématique très élémentaire. Pour terminer cet exposé totalement informel, on explique très brièvement comment et pourquoi ces raisonnements types vont nous servir en partie de fil conducteur dans notre axiomatisation future de la logique et de la théorie des ensembles.

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Avertissement au lecteur

On va beaucoup parler, dans les premiers chapitres de cet ouvrage, des différences entre la théorie naïve des ensembles et la théorie axiomatique. Autant la notion de théorie axiomatique pourra être définie "à peu près proprement" au Chapitre 4, autant il paraît difficile de donner une définition formelle de ce qu'on appelle exactement la théorie naïve. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'en glisser un mot ici.

La théorie naïve des ensembles consiste à considérer un ensemble comme une collection arbitraire d'objets, mathématiques ou non, même si ce concept en lui-même a eu bien du mal à s'imposer dans le contexte historique. Quand on fait des mathématiques élémentaires, on est amenés à utiliser des ensembles naïfs, appelés aussi ensembles intuitifs : par exemple l'ensemble des élèves d'une classe, ou l'ensemble des combinaisons possibles au loto, ou encore l'ensemble N des nombres entiers naturels, dont on a une perception intuitive. Jamais on ne se pose la question, dans ce cas, de ce qu'est la définition d'un ensemble, ou de "ce que doivent vérifier les ensembles dans leur généralité".

Pourtant, le mot "ensemble" apparaît à tous les niveaux. Par exemple, tout cours de probabilités de niveau lycée commence par un exposé plus ou moins informel dans lequel on explique que toute expérience aléatoire se solde par un résultat, et que pour des raisons de commodité on appelle univers des possibles l'ensemble, généralement noté Ω, de toutes les issues possibles de cette expérience. Mais l'ensemble en question peut atteindre différents niveaux de complexité. Si on joue à pile ou face, Ω comporte deux éléments, si on joue au loto il en comporte quelques dizaines de millions, mais si un joueur joue aux fléchettes sur une cible de rayon 10 cm et si le résultat de l'expérience consiste à mesurer la distance entre le centre de la cible et le point d'impact de la flèche, l'univers Ω possède une infinité d'éléments - autant qu'il y a de nombres réels dans l'intervalle [0;10]. Et tous ces ensembles sont présentés comme des ensembles naïfs.

On peut aller assez loin et raconter des choses très intéressantes tout en restant dans le domaine de la théorie naïve. Mais il s'avère (et c'est précisément ce que nous allons nous employer à démontrer dans les Chapitres 1, 2 et 3) que quelle que soit la méthode utilisée, on finit invariablement par tomber sur des impasses : il existe en effet certaines collections particulières qui, dès l'instant qu'on leur confère le statut d'ensemble, provoquent des contradictions dans la théorie. La conclusion en est qu'il faut, soit arrêter de faire de la théorie des ensembles, soit restreindre de façon drastique la notion d'ensemble. C'est bien entendu cette dernière option qui a été retenue ici. Et c'est là que les choses se compliquent, car, la notion d'ensemble étant primitive, il est impossible d'en donner une définition ex abrupto. A défaut de définir proprement ce qu'est un ensemble, on est alors obligés de cerner les ensembles en général par ce qui semble être leurs propriétés. Et c'est cette démarche qu'on appelle la méthode axiomatique. En théorie axiomatique on va étudier ce qu'on appelle l'univers. L'univers est une immense collection, munie d'une relation binaire qu'on appelle la relation d'appartenance, et on appelle ensemble tout élément de cet univers. Quant aux axiomes, ils sont là pour expliquer comment se comportent les ensembles vis-à-vis de la relation d'appartenance.

On verra que, au prix d'un effort considérable on pourrait "presque" se passer de la théorie naïve. Mais on a choisi de la présenter malgré tout, le but étant d'éviter de "parachuter" les définitions et axiomes de façon un peu trop brutale. Le lecteur ayant déjà de bonnes connaissances en théorie naïve (diverses notions d'infini, dénombrabilité, théorème de Cantor-Bernstein etc) pourra se rendre directement au Chapitre 3, où on explique la nécessité, et surtout les difficultés, de la méthode axiomatique.