Les ‘emprunts’ du Yochi Shiryaku à la revue

Le Tour du Monde


Résumé commenté, à partir de la traduction, par Aiko Guichet, de l’article

"Les peuples que l’on voit et ceux que l’on ne voit pas, le regard sur le Monde du Yochi Shiryaku."

Keiko Masumo, Université de WASEDA

Programme Himoji de l’Université de KANAGAWA

Symposium Report N°1- 2006 - pages 49 à 59

L’article de Keiko Masumo[1] concerne un célèbre ouvrage de géographie, publié à Tokyo, de 1871 à 1880, sous le titre YOCHI SHIRYAKU titre qui peut être traduit en français par : Brève description du Monde.

Keiko Masumo s’intéresse aux illustrations, en a recherché les origines et a établi que plus de la moitié proviennent de la revue de voyage Le Tour du Monde, éditée par Hachette. L’auteur s’interroge sur le choix des peuples représentés, ce qui explique le titre de l’article : « Les peuples que l’on voit et ceux que l’on ne voit pas. »

Au delà des interrogations de Keiko Masumo sur la perception du monde apportée par cette publication, ce travail dévoile la part importante des emprunts faits par Uchida à l’iconographie de la revue Le Tour du Monde.

Le YOCHI SHIRYAKU a fortement contribué, avec d’autres publications[2], à l’ouverture des Japonais sur le monde, en utilisant largement des représentations copiées dans des ouvrages européens. Dans le cas du Tour du Monde, il s’agit bien de copies car nous n’avons rien trouvé dans les archives Hachette (contrats, correspondance) à l’IMEC, qui mette en évidence l’existence de relations entre Masao Uchida et la Société éditrice du Tour du Monde. De plus, comme le montre Keiko Masumo, si la plupart des illustrations sont fidèlement recopiées, certaines sont quelquefois réinterprétées par les artistes japonais.

[1] L'article original n'est plus disponIble sur Internet au lien que j'avais utilisé en 2007. J'en possède une copie mais elle ets de trop mauvaise qualité pour être utilisée sur ce site.
[2] Voir à ce sujet : Takeuchi Keiichi ”How Japan learned about the outside world. The views of other countries incorporated in Japanese schools textbooks. 1868-1986.”, Hitotsubashi Journal of Social Studies, 19 (1987) p. 1-13, ISSN 0073 280X

Le résumé ci-dessous ne prétend pas être une traduction. Les notes qui ne sont pas celles du texte original ont été introduites par l’auteur du résumé. Nous souhaitons seulement faire connaître aux personnes qui s’intéressent à la revue Le Tour du Monde l’utilisation des gravures de cette revue au Japon, et son influence indirecte sur la découverte du monde par les lecteurs Japonais de l’ère Meiji.

La qualité des illustrations est médiocre et le lien vers l'article original n'est plus fonctionnel, mais cette étude sur la diffusion des images du Tour du Monde au Japon n'est reste pas moins intéressante.

Uchida Masao (1838-1876)

Uchida Masao est né à Edo. Il entre en 1857 à l’École militaire navale de Nagasaki, où il reçoit les enseignements de professeurs Hollandais. En 1862, il fait partie d’une délégation de quinze étudiants envoyés par le Bakufu[1] aux Pays-Bas pour étudier la construction navale. Il rentre au Japon en 1867 sur le cuirassé Kaiyomaru, commande du gouvernement japonais aux chantiers navals hollandais.

Après la chute du Bakufu d’Edo et l’instauration de l’ère Meiji, Uchida Masao travaille au Ministère de l’Education. Il démissionne en 1873 pour se consacrer totalement à la traduction d’ouvrages et meurt en 1876 à 39 ans.

Il semble peu intéressé par le domaine militaire et son séjour en Europe lui a surtout permis d’acquérir des connaissances dans le domaine artistique. Collectionneur, il a rapporté des tableaux et organisé une exposition de ses acquisitions au Japon. Exposition qui a eu d’autant plus de succès que les Japonais découvraient les peintures à l’huile occidentales.

Uchida est surtout connu comme auteur du YOCHI SHIRYAKU.


[1] Régime féodal remplacé en 1868 par les nouvelles institutions de Meiji.

Le YOCHI SHIRYAKU et ses gravures

Le YOCHI SHIRYAKU est un ouvrage de géographie. Cette ‘Brève description du Monde’, en treize tomes, a été publiée de 1871 à 1880. Uchida l’a rédigée à partir de livres de géographie rapportés d’Europe (MACKEY, GOLDSMITH ou KRAMERS).

C’est un des trois livres les plus lus sous l’ère Meiji.

Le travail d’Uchida, décédé après la publication du 9ème tome, a été poursuivi par son collègue Nishimura à partir de la documentation laissée par Uchida.

Les tomes 1 à 3 ont été édités par l’Université (DAIGAKU MINAMI-KU) ; les tomes 4 à 7 ont été publiés par le Ministère de l’Education. Les tomes 8 à 13 ont été publiés par la famille Uchida.

Les sept premiers tomes publiés par l’état ont été utilisés dans les Ecoles primaires et publiques sur tout le territoire.

Un rapport du Ministère de l’Education fait état d’un nombre d’exemplaires imprimés de 150000 à 200000 en 1874 et 1875.

Ce document présente la particularité de comporter de nombreuses gravures (environ une toutes les cinq pages, hors cartes) illustrant les cultures et mœurs des peuples du Monde entier. Jusqu’au tome 7 inclus il s’agit de gravures sur bois dessinées par le peintre Kawakami. Les tomes 8 et 9 sont illustrés de gravures sur cuivre, les tomes suivants présentent des gravures sur bois et des lithographies. Les cuivres sont l’œuvre de l’atelier Gengendo et Danichokoku, très connu dès l’époque EDO.

Utilisant ces trois techniques, l’ouvrage veut présenter la réalité des paysages et des modes de vie des pays étrangers, ce qui contribue à son charme, et est une des raisons de son succès.

On trouvera dans le tableau I en annexe, établi à partir de l’énumération des pages 50-51 et du tableau de la page 53 du document original, le plan de l’ouvrage et le nombre de gravures et de cartes de chacun des treize tomes.

Uchida dit avoir, pendant son séjour en Europe, collectionné 3000[1] gravures et dessins extraits de la revue Le Tour du Monde. Ikeda Atsushi qui a étudié 21 volumes de la revue Le Tour du Monde, de l’époque Meiji, déposés à la Bibliothèque Nationale du Japon, a confirmé qu’ils avaient bien appartenus à Uchida.

On connaissait l’origine d’une trentaine d’illustrations, dont 25 copies de gravures du Tour du Monde, sur un total d’environ 400. Les recherches de Keiko Masumo lui ont permis d’attribuer au Tour du Monde l’origine de plus de la moitié des illustrations du YOCHI SHIRYAKU.

[ L’auteur, se référant à mon site Internet consultable à l'époque de son étude (référence obsolète), donne des informations, sur la revue Le tour du Monde et son directeur Edouard Charton, que nous ne reproduisons pas.]


[1] Le Tour du Monde présente en moyenne une gravure pour deux pages, soit environ 400 gravures par an. Ce chiffre est donc tout à fait vraisemblable.

Uchida a séjourné aux Pays-Bas de 1863 à 1866 mais il n’a laissé aucune note concernant ses voyages. L’auteur de l’article n’évoque pas de voyage aux Etats Unis, contrairement à ce qu’on lit parfois dans les commentaires de vendeurs décrivant le tome 4, consacré à ce continent et publié en 1877, après la mort de l’auteur.

On suppose qu’il a lu des journaux anglais, tel l’Illustrated London News et des magazines européens.

Sur 376 illustrations du YOCHI SHIRYAKU, 195, soit plus de 51 % proviennent du Tour du Monde. Elles sont extraites des premières années, publiées avant et pendant son séjour en Europe. Leur répartition dans les différents tomes a été détaillée dans le tableau I donné en annexe. L’auteur se livre à une comparaison de quelques gravures originales et de leurs reproductions en prenant un exemple dans chaque continent.

Nous donnons en référence la page de l’article et le numéro des illustrations. Nous avons complété, en italique, lorsqu’il y avait lieu, les informations concernant l’original et la référence du Tour du Monde. Les numéros de dessins sont suivis de l’indication YS pour le document japonais et TDM pour l’illustration parue dans la revue française. Nous conservons la mise en page des gravures, à gauche la copie, à droite l'original.

Page 54 (article) 1 YS 2 TDM

Dessin 1(YS) : Us et coutumes des Mandchoux – Dessin 2 (TDM) : Types Mandchoux (sic) et Toungouses, dessin de Marchal de Lunéville et Timbowski[1]. Les personnages sont identiques mais plantés dans un décor plus japonisant.

TDM 1860, vol 1, page 109, in Voyage d’hiver le long de l’Amour, de l’embouchure du fleuve au confluent de la Chilka et de l’Argoun, exécuté en 1856-1857 par M. Pargachefski, pages 105 à 112.

page 54 (article) 3YS 4TDM

Dessin 3 (YS) : Quartier de Venise – Dessin 4 (TDM) : Le petit canal San Bernardo, dessin de Karl Girardet, d’après M. A. de Beaumont[1].

TDM 1862, vol 2, page 20, in Venise par M. Adalbert de Beaumont, pages 1 à 38.

La majorité des illustrations de l’édition japonaise reproduisent fidèlement l’original[1], mais Keiko Masumo a détecté un exemple de montage empruntant des personnages à trois dessins différents pour la représentation d'Africains.

[1] Note AL, avec quelquefois une interprétation du paysage par l’artiste japonais

Page 55 (article) 5 YS 6 TDM 7TDM 8TDM

dessin 5 (YS) : montage empruntant des personnages à trois dessins différents

dessin 6 (TDM) : Le Roi Kinger et sa famille[2] dessin de A. Gilbert d’après une photographie de M. Cauvin, médecin de la marine ; dessin 7 (TDM) : Jeune femme de la tribu des Pahouins[3], dessin d’Emile Bayard d’après d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnois ; dessin 8 (TDM) : Femmes de la tribu des Pahouins[4], dessin de Castelli d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnois.

Dessin 6 TDM 1865, vol 2, page 292, in Le Gabon par le Docteur Griffon du Bellay, médecin de la Marine (1861-1864), pages 273 à 320. Dessin 7 TDM 1865, vol 2, page 309, id. Dessin 8 TDM 1865, vol 2, page 312, id

Page 56 (article) 9YS 10TDM

Dessin 9 (YS) - Dessin 10 (TDM) : Lavage [de minerais d’or] par la méthode hydraulique, dessin de Chassevent d’après une gravure californienne.

TDM 1862, vol 2, page 255, in Voyage en Californie par M. Simonin (1859), pages 1 à 48.

Page 57 (article) 11YS 12TDM

Dessin 11(YS) : panorama des Andes - Dessin 12 (TDM) : Panorama des Andes, entre le lac supérieur Titicaca et le lac inférieur de Panhuanacocha, dessin de Riou d’après les croquis de Marcoy. L’original, gravure sur bois a été reproduit en lithographie.

TDM 1862, vol 2, page 255, in Voyage de l’Océan Atlantique à l’Océan Pacifique à travers l’Amérique du Sud par M. Paul Marcoy (1848-1860), pages 81 à 112 et 242 à 288.

Le nombre de gravures, prises dans le Tour du Monde, diffère selon les continents : 70% pour l’Asie et l’Afrique contre seulement 20% pour l’Europe.

Keiko Masumo considère que cette différence ne peut pas s’expliquer par la répartition des articles publiés dans la revue française, car tous les pays européens, sans exception y sont traités. Il s’agirait d’un choix délibéré d’Uchida.

Le YOCHI SHIRYAKU est rédigé en classant les populations en quatre catégories : les ‘sauvages’, les ‘semi-sauvages’, les ‘semi-civilisés’ et les ‘civilisés’. On y présente les pays et leurs modes de vie en fonction de ces catégories.

Chaque volume comporte une trentaine d’illustrations dont la majorité représente des paysages, mais il y a, dans les tomes consacrés à l’Asie et à l’Afrique, des images des populations et de leurs coutumes. On choisit pour l’Europe des monuments ou des paysages au détriment des représentations des habitants. Pour Keiko Masumo, Uchida respectait le regard des Européens et adhérait à leur représentation du Monde. Montrer des Européens n’est pas nécessaire. L’Europe, région ‘civilisée’ où l’on écrit et publie des ouvrages de géographie est considérée comme le centre du Monde. Par contre, le dessin est incontournable pour décrire les habitants et les coutumes des zones ‘non civilisées’.

Uchida, considérant que c’est ce qui est nécessaire pour l’information des Japonais, choisit de montrer, en Europe, de grandes capitales bien aménagées, des musées, des statues, des monuments et des ponts, symboles de la civilisation.

Keiko Masumo explique l’absence d’illustrations représentant des Japonais : Á une époque où le Japon prend modèle sur l’Europe, Uchida ne considère pas que le Japon soit un pays civilisé, d’ailleurs, il ne le place dans aucune des quatre catégories ci-dessus mentionnées. Il précise timidement que le Japon progresse. Le Tour du Monde a bien publié des récits de voyageurs, étrangers, au Japon, on peut y voir des représentations des mœurs et coutumes des Japonais à la fin de BAKUFU et au début de MEIJI. Ces images choisies par les étrangers sont celles d’un pays non-civilisé, elles ne sont jamais utilisées pour le YOCHI SHIRYAKU. Uchida souhaitait l’évolution du Japon mais il ne pouvait pas montrer ces images d’un Japon archaïque.

Ces conclusions de l’auteur s’inscrivent dans le programme de l’Université de Kanagawa sur l’utilisation de sources non écrites dans l’étude des sociétés humaines. Mais on peut aussi penser que le nombre élevé d’illustrations empruntées au Tour du Monde, pour l’Asie et l’Afrique s’explique par la rareté des sources. Le Tour du Monde, avec une gravure toutes les deux pages et plus de 800 pages par an, constitue certainement une source d’images de l’Afrique et de certaines régions, peu connues, d’Asie, incontournable à cette époque.

Keiko Masumo a choisi de nous montrer un exemple par continent et de reproduire sept des 195 gravures du Tour du Monde utilisées dans le YOCHI SHIRYAKU. L’étude du corpus des illustrations et des commentaires qui les accompagnent éventuellement, permettrait sans doute de mieux appréhender les critères de choix d’Uchida, et la façon dont il a tiré parti, non seulement des illustrations, mais peut-être aussi du texte, de cette grande revue de récits de voyages pour contribuer à l’éducation des Japonais et à l’ouverture du Japon sur le monde.

Annexe 1 Tableau comparatif du nombre total de gravures et du nombre de gravures empruntées au Tour du Monde, réparties par volumes du Yochi Shiryaku et regroupées par zones géographiques.

Colonne Gravures :*** D'après la liste de l'article page 50, il s'agit du nombre total de gravures + illustrations.

Colonne % TDM *** ou plutôt 22 % ??