Roselyne Katz est directrice de la Maison d’Emilie qui accueille une quarantaine de personnes adultes en situation de handicap mental ou déficience psychique, de façon permanente ou séjour temporaire. Dans son service, une dizaine de résidents sont concernés par la démarche de Dedici et participent à des« cabanes au fond du jardin »
Je suis directrice après avoir été cheffe de service de la Maison d’Emilie depuis 2010, c’est un établissement que je connais depuis longtemps et auquel je suis très attachée, j’ai eu un coup de cœur pour ce lieu parce que c’est un petit foyer de vie, 40, places, une petite association. La loi de 2002 qui place l’usager au centre du dispositif est au cœur de notre métier, ce n’est pas seulement une belle phrase mais cette intention est véhiculée en permanence.
29 personnes sont des résidents permanents, 11 sont accueillies de façon temporaire, avec une file active d’une centaine de personnes dans l’année. Ce sont des personnes adultes âgées de plus de 20 ans, hommes et femmes, en situation de handicap mental ou de déficience psychique.
Ce qui m’a plu dans cette structure, c’est son côté novateur.
On est agile,
notamment en raison de notre taille modeste. Dès qu’on accroche avec une philosophie, on peut y aller, de façon assez efficace, on arrive à faire bouger les lignes. On a été les premiers il y a 30 ans à proposer des places d’accueil temporaire (des séjours de répit pour les résidents qui ont à la Maison d’Emilie une vie en-dehors de leur famille, des moments de répit aussi pour les aidants qui peuvent avoir un temps pour eux). Ça a créé une vraie dynamique.
Les durées de séjour sont variables, du fait de notre souplesse, ça peut aller d’une demi-journée, quelques jours, quelques semaines à 90 jours maximum par an, voire au- delà avec dérogation.
J’étais en formation de cadre et je menais un projet autour de l’autodétermination en 2018-2019. J’ai imaginé très vite les choses de façon triangulaire. J’ai toujours été proche des familles, mais c’était plutôt dans un lien informatif que collaboratif. L’esprit de coconstruction était en marge.
On a mis en place des projets sur le pouvoir d’agir de la personne.
Mais si on travaille uniquement avec la personne accueillie et le professionnel, il manque une dimension centrale qui est l’association du proche aidant, le proche désigné par la personne accompagnée.
Longtemps, on a considéré qu’il fallait un tuteur extérieur à la famille. Mais le parent ou le proche aidant nous dit : moi je suis le proche et le tuteur, ou je ne suis plus rien.
Comment faire en sorte que les parents ou les proches aidants ne soient pas rien ?
Et c’est l’association des trois qui permet une meilleure perception des possibles, des capacités, c’est elle qui peut provoquer le mouvement. Quand le CA de l’association a demandé aux établissements (chefs de service) qui voulait s’engager dans la démarche Dedici, j’ai dit moi !
Nous avions des objectifs, Dedici est arrivé, on a décidé d’avancer conjointement.
Ce qui est intéressant, c’est que certains professionnels se sont retrouvés aussi dans la position du « défenseur ultime », parce que des résidents n’ont pas de famille, ou des liens très distendus. Actuellement, on a 10 situations, 10 « cabanes au fond du jardin ».
Qu’observez-vous depuis que la Maison d’Emilie
est engagée dans cette démarche ?
On a développé des temps informels de rencontres avec les familles, des activités qui sont un prétexte à la rencontre. Et le fait simplement de se rencontrer, de mieux faire connaissance, positionne les choses autrement. Le professionnel n’est pas dans une position haute de sachant, chacun ne sait pas tout...
Les professionnels nous disent qu’ils découvrent plein de choses. La répétition des « cabanes au fond du jardin » fluidifie et simplifie la relation.
Ces cabanes, j’aimerais le institutionnaliser, deux ou trois fois par ans,
garantir cette rencontre qui n’est pas structurée mai qui existe pour faire émerger la parole. Ce n’est pas donné du pouvoir aux familles mais de l’autodétermination à la personne accompagnée.
C’est la personne accompagnée qui choisit le lieu, ça peut être sa chambre, le foyer, le domicile parental, un café, plein d’endroits différents...
La première rencontre n’est pas simple, le professionnel n’est pas leader, c’est une situation ouverte, sans ordre du jour. Les choses se mettent en place petit à petit.
Ce que je constate, c’est que c’est un moment attendu. Je vois aussi que les familles viennent plus facilement vers nous dans des situations où elles se posent des questions, elles comprennent qu’elles seront entendues.
C’est un lien de confiance qui s’installe.
D’une certaine façon. Dans la manière de voir les choses. La Maison d’Emilie est propice à l’innovation, ici, aucun professionnel ne dit : jamais ça ne marchera, on a déjà essayé ...
On essaie,on décortique, c’est un état d’esprit. On a aussi des difficultés de ressources humaines, des salariés plutôt jeunes, peut-être moins « formatés » par des schémas anciens.
Les personnes peuvent être déstabilisées par la démarche, elles sortent de ces cabanes et disent : je ne m’attendais pas à ça, cela fait bouger les certitudes.
Propos recueillis par F.M