Escapades Tadlaouïas

AÏN ASSERDOUN

Il est inconcevable de ne pas emmener, ami.es ou famille de passage au Tadla, errer à Aïn Asserdoun. La fraîcheur du lieu, l’eau qui y cavalcade, les nouveaux aménagements (musée, aires de jeux en plein cagnard, très belle fontaine) – font rapidement oublier le caractère très policé du lieu. Terminé les pelouses envahies les samedis et dimanches dès le début de matinée par les familles élargies qui y étalaient natte, couvertures et coussins, cuisinaient dans une cocotte un tajine posé sur « petit gaz », avant de ripailler – il faut avoir pique-niquer avec des marocain.es pour visualiser la quantité d’affaires impliquées. Terminé le stationnement le long de la route où les laveurs de voitures nous guettaient avidement. La présence de toilettes agrandies permet d’assainir le lieu, de le rendre « touristique ». Reste l’incontournable photographie souvenir devant la première chute d’eau ; combien de photographies identiques aux miennes traînent sur Internet ? À l’entrée des jardins de l’Aïn Asserdoun, quatre grands panneaux présentent le site (anglais, français, amazigh et arabe). Le panneau en français conte une des légendes concernant cette résurgence de la « Californie marocaine », appellation parfaite – la Californie ayant vécue, il y a quelques années, un épisode sans pluie durant de nombreux mois. (panneau photographié puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)

LA LÉGENDE DE AÏN ASSERDOUN (SOURCE DU MULET)

Il était une fois une petite bourgade au pied d’une montagne : elle s'appelait Beni-Mellal. Les jardins y fleurissaient, les oliviers, les figuiers, les grenadiers y abondaient, les récoltes céréalières y foisonnaient. C'était un petit paradis. Un jour, un montagnard à dos de mulet, en revenant du souk, s'arrêta à la source pour se désaltérer ; il aperçut un bol coincé entre les rochers. À sa grande surprise, il reconnut son bol. Comment était-il arrivé jusque-là ? se demanda-t-il. Une fois chez lui, il demanda à sa femme de lui donner à boire dans le bol. Sa femme lui avoua l'avoir perdu dans la petite source du village en lavant la laine. Le mari se rendit auprès de la source. « J'ai compris, j'ai compris », se dit-il : « C'est donc, ce cours d’eau qui alimente la source du piémont ! » se répéta le montagnard en jubilant. Il la boucha avec de la laine et de gros cailloux. Aussitôt, la source tarit ; c'était l'été : les jardins, les vergers, les cultures se fanaient ; les animaux périssaient ; les maladies se répandaient ; les enfants et les vieillards mouraient. Seuls des puits à moitié vides aidaient la ville à survivre. Ce fut alors que le montagnard se présenta aux habitants et leur promit de faire revenir l’eau à la source, s'ils lui offraient un couffin rempli de pièces d'argent. N’ayant pas le choix, ils acceptèrent et demandèrent un délai pour pouvoir ramasser la somme exigée. Une fois chez lui, il déboucha le passage de l'eau. Les seguias regorgeaient d'eau. Les jardins, les vergers et les cultures renaissaient progressivement, tout redevenait vert. Quelque temps plus tard, le montagnard boucha de nouveau la sortie de l'eau, demanda aux habitants de la ville une nouvelle rançon. Durant des années, les habitants de la petite ville furent soumis à cet horrible chantage : de l'argent contre de l’eau. Fatigués et ruinés, ils décidèrent de monter la garde pour connaître le chemin qu’empruntait l'homme au mulet. Au moment où il déboucha le passage de l'eau, les guetteurs se ruèrent sur lui et le terrassèrent. Depuis ce jour-là, et pour ne pas oublier l’homme au mulet et cet épisode douloureux, les habitants nommèrent ce point d’eau Äayn asserdoun, « ASSERDOUN » désignant mulet en amazigh.

Notre histoire s'en est allée avec l'eau de la source et nous sommes restés avec les Hommes du bien.

Une légende, parmi d'autres versions, collectée auprès de feu Omar DOUÂAMY [?], le dernier conteur de Beni-Mellal.

extrait (page 94) du guide Maroc de la Manufacture de caoutchouc Michelin – 1950 (document personnel scanné puis reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)

TOUR DE BENI MELLAL

(durée : environ 1 heure).

Partir en auto de la place de France, gagner la R 24 vers Marrakech et tourner à gauche dans la piste touristique du tour de Beni Mellal. Au premier croisement tourner à gauche en laissant en avant une piste vers l'ancien poste militaire (beau point de vue). La piste touristique, tracée à travers le bois d’oliviers, passe à côté de la piscine (a du plan – 5 francs, cabine 10 francs ; ouverture du 15 mai au 15 octobre). Peu après se détache le sentier d'accès au ksar d'Ain Asserdoun. Quitter la voiture et prendre le sentier en lacet et en montée assez rude pour atteindre en un quart d'heure le sommet où s'élève le ksar. De là, beau panorama* sur l'immense plaine du Tadla, Beni Mellal et sa large ceinture de verdure. Reprendre la voiture. La piste atteint ensuite l'Aïn Asserdoun. Aïn Asserdoun. C'est une source vauclusienne, d’un débit moyen de 1 500 litres à la seconde, qui jaillit des rochers en formant plusieurs cascades. Sa limpidité et sa fraîcheur sont renommées. Autour de la source, curieux massifs de « tikiout » (1). Son eau, captée dans des conduits bétonnés, sert à arroser les nombreux vergers et jardins de Beni Mellal. L'endroit, aménagé en véritable jardin avec pelouses et plates-bandes fleuries, laisse au visiteur une agréable impression de fraîcheur et de calme. Quitter la voiture près de l’Aïn Asserdoun et prendre à droite un sentier qui conduit en quelques minutes à un banc d’où l'on a une belle vue sur Beni Mellal, les olivettes et la plaine du Tadla. Reprendre la voiture et continuer à suivre la piste touristique qui rejoint la R 24 en traversant la nouvelle médina. Tourner à gauche, puis pénétrer dans la ville pour regagner la place de France.

1 : le « tikiout » est une euphorbe cactoïde dont la tige renferme un suc laiteux très caustique (éviter soigneusement de se frotter les yeux après y avoir touché). On en rencontre de grands peuplements dans l’Atlas occidental et dans les régions d’Agadir et de Tiznit.

Photographies, ici

© Copyleft Q.T. 13 mai 2024

DANS LE TADLA, AU PIED DES MONTS …

texte paru dans Le Petit Marocain du 15 juin 1935 (Source gallica.bnf.fr / BnF)(reconnaissance OCR avec corrections manuelles et respect de l’orthographe des noms propres)

Dans le Tadla, au pied des monts …

Il est, au pied des monts bleuâtres, rôtis de chaleur et de gel, une vieille cité qui mire ses souvenirs dans l'eau rousse d'un large fleuve.

Comme toutes les vieilles choses, elle ne s'offre pas résolument aux regards ; elle se cache, elle se ratatine. Le voyageur, qui lui arrive des plaines humides et fraîches que frangent d'écume les vagues océanes, doit plonger résolument au sein d'une profonde vallée pour l'apercevoir, ocre et grise, adossée à la colline qui la supporte, dentelée de fines crénelures.

Cet instant le paye largement du voyage : il a découvert Kasbah-Tadla ! Et n’est-ce pas là une chose merveilleuse que l'imprévu de la découverte ? Tant de cités, jeunes ou vieilles, qui ne se livrent pas, ou n'ont pas d'âmes ; en découvrir une qui possède ce charme, tout parfumé par les siècles, est un régal qu'il faut savoir savourer.

Au pied de la colline s'arquent les arches puissantes d'un vieux pont qui vit sans doute passer maintes harkas hérissées de fusils et de poignards … Aujourd'hui, des autos le dévorent en quelques tours de roues.

Un cavalier pourtant, bien campé sur son cheval arabe, le franchit au petit trot ... comme les autos sont loin ! C'est de nouveau le pont de l'époque où la poudre parlait aussi souvent que les langues. Il n'a pas d'âge, il est comme la cité.


Pour celui qui gravit la colline, la vieille ville disparaît. Apparaissent alors les arbres, beaucoup d'arbres, qui forment, au-dessus de vous, et bientôt à votre hauteur, un grand, un délicieux jardin.

Dans un pays de chaleur et de gel, l'arbre émeut. Il est émouvant d'abord par sa présence bienfaisance et ensuite à cause de la peine de l'homme, de celui qui l'a planté et soigné, de celui qui a voulu la douceur du vert dans tout cet ocre, dans tout ce jaune, dans tout ce rouge.

Les hommes de la jeune cité ont ressenti la volupté de l'arbre et ils s'en sont entourés. Il y a des arbres partout à Tadla, de beaux arbres : palmiers, eucalyptus aux odeurs de miel, faux-poivriers aux senteurs violentes, mûriers aux feuilles douces comme leurs fruits ... ils parent la ville, ils réjouissent les hommes.

Et puis, dans la jeune cité, il y a aussi l'hôtel ; un de ces hôtels comme on n'en trouve que dans le bled et qui ont su réunir, par un miracle très marocain, le confort propre à la ville, aux parfums culinaires et à l'atmosphère débonnaire de la bonne auberge. L'instant est doux qui me trouve perdu aux profondeurs fraîches d'un fauteuil de rotin, en tête à tête intime avec un long verre tout embué de l’haleine des glaçons, et du sein duquel la menthe odorante me lance des coups d'œil verdâtres. Quelques mouches bourdonnent dans un rayon de soleil, comme pour me rappeler qu'il fait chaud.

Au soir, quand vient l'heure charmeuse du crépuscule où tout, au pied de la montagne, est calme et fraîcheur, l'hôtel retentit de rires et de chants. Militaires, colons, ingénieurs, ouvriers et aussi les visiteurs, gagnés par l'euphorie de la nature ont l'âme joyeuse, le gosier allègre, et personne ne se gêne heureusement pour le prouver !

Ceux qui n'ont pas d'aptitudes pour le chant préfèrent se promener lentement, sous les faux-poivriers odorants, en devisant d'une voix que la nuit fait sourde, de choses agréables.

Sur la kasbah orgueilleuse, la lune lance des sourires blafards et troués de points d'ombre. Il fait vraiment bon vivre.


Derrière une porte grossière de planches mal équarries, sur plan incliné de terre battue, un tout petit veau est couché qui nous regarde avec des yeux aussi doux que ceux des gazelles. Représente-t-il le chien de garde ?

On tourne le coin du mur, et nous voici devant une porte basse qui donne dans une pièce qui n’a pas deux mètres sur trois.

C'est ici la demeure d'Itto, fille d'Akka, fille berbère aussi, de vieille race.

Itto, qui nous accueille avec la bienveillante hospitalité qu'on doit à l'hôte envoyé de Dieu, n'a rien de la jeune héroïne.

Itto est vieille, quoique son visage fané conserve encore des traces de beauté, et que son sourire un peu ébréché fasse luire des yeux où la flamme du regard brille encore avec un éclat singulièrement jeune.

Itto est malade aussi : toute la nuit elle a grelotté de fièvre et, tandis que d'une paume et de doigts agiles elle pétrit et façonne la pâte de bon blé dur qui donnera un couscous succulent, elle geint doucement, en se plaignant de la tête.

Voici les filles d'Itto. parées de robes colorées et de colliers de sequins. Elles sont jeunes, gracieuses, et composent immédiatement sur nos physionomies, une chanson qu’elles répètent en sourdine.

Dans l'atmosphère lourde de la petite pièce, nous nous sommes assis sur les belles couvertures tissées par les femmes qui nous entourent ; sur le plateau de cuivre étincelant, Itto procède aux rites précieux qui, tout à l'heure, nous donneront le divin thé à la menthe, qui trompe à la fois la soif et la faim.

Appuyé au plus doux des coussins, nous engageons une conversation qui devient tout de suite très animée. Les plaisanteries fusent, craquent, volent : Itto rit de toute sa vieille figure de pomme rainette et soudain, transportée par la joie, elle se lève et esquisse une danse du terroir.

Miracle bien féminin : Itto n'a plus mal à la tête ; Itto est guérie !


Je suis allé, dans les collines, retrouver le père des fleuves de la montagne, le majestueux Oum-er-Rebia,

Auprès d'une petite île, il m'a appelé avec tant de douceur que je n'ai même pas cherché à résister au murmure de son clapotis. Bientôt, appuyé sur ses eaux fraîches et rouges d'une nage paresseuse, je me suis laissé porter par lui, que je sentais si fort.

Au loin, les montagnes noyées d'une brume noirâtre, me regardaient de toute leur hauteur, moi, chétif, qui osais les contempler sans crainte, parce que je les savais sans colère. Les rives défilaient lentement, et partout des créatures goûtaient l'offrande du fleuve : des hommes, des chevaux, des ânes, des oiseaux se baignaient dans ses eaux profondes, au pied des collines.

Comme je me reposais sur la rive, une femme vint qui portait un couffin rempli de blé qu’elle trempa dans l'onde pour le nettoyer. Des grains s'en allèrent au fil du courant, sur la surface calme du fleuve. Et soudain, ce calme fut troublé par des jaillissements argentés, des bonds, des cabrioles folles. Comme des flèches, les poissons se ruaient sur la nourriture désirée, se disputant les grains et se souciant fort peu de la femme sur les pieds de laquelle ils passaient et repassaient sans crainte. Pourquoi avoir peur, d'ailleurs, quand on habite le père des fleuves, si calme et si fort ?

Je m'en revins, par la rive, jusqu’au pied des vieux remparts démantelés. Une brise ridait l'eau qui clapotait plus fort. Mais tout restait si calme, si apaisant. Majestueux Oum-er-Rebia, tu sais être plus beau encore, lorsque tu glisses sans bruit, d'un rythme égal, entre les collines. que lorsque tu te rues, colère et torturé, dans les gorges profondes, trop étroites pour ta vaste poitrine.


Et qui donc dira, mieux que je ne saurais le faire, le charme merveilleux de cette campagne dorée, lorsque un soleil nouveau tempère la fraîcheur d'un jeune matin ! Qui donc dira la volupté de la course rapide par les coteaux rôtis et les vallées pleines de verdure bruissante de ces hauts plateaux ! Qui décrira le geste cordial et touchant du moissonneur qui lève sa faucille en guise de salut pour l'étranger qui passe ; où celui de la petite fille, auprès du puits, qui tend le seau rempli vers vos lèvres assoiffées ? Qui parlera de la petite cantine, nichée dans la verdure, où la bière est mousseuse et la chère succulente, halte plus agréable cent fois que le palace doré et plein de morgue hautaine ?

Et quel peintre, enfin, rendra sur sa toile l'impression inoubliable ressentie par tous ceux qui sont arrivés, de bon matin, sur la dernière crête qui domine l'océan, et qui ont aperçu brusquement, à leurs pieds, une ville toute rose, vêtue d'une brume légère, et si pure et si blanche qu'elle en paraissait irréelle.

Tout cela est à nous : notre Maroc nous l'offre sur toutes ses routes, sur tous ses sentiers, dans ses montagnes et sur sa plaine. Il a pour nous mille visages aimables et mille cours d'eau pour les refléter. Sachons le découvrir : l'aimer ne sera plus qu'un jeu.

Jean E BERTALOT.

Commentaires : texte d’un lyrisme exacerbé qui est loin de beaucoup de stéréotypes passés et actuels. Tadla ville verte, arborée ! L’auteur fasciné par les couleurs, les ambiances, ne zappent pas les habitants. Belle invitation à flâner, à se laisser porter vers l’ailleurs sans attentes particulières. L’auteur montre bien que la campagne marocaine palpite de vie, contrairement aux campagnes européennes qui certes sont plus vertes mais souvent vides de présence humaine. L’hôtel évoqué est-il l’Hôtel des Alliés ?

Les faux-poivriers très âgés, au tronc creux, ont quasiment disparu ; les eucalyptus se raréfient. On notera les efforts constants de la municipalité et d’associations pour verdir la ville : pelouses, plantations d’arbres et leur arrosage régulier.

Photographies ici

© Copyleft Q.T. 20 décembre 2023 modifié le 29/12/2023

DU TADLA AU SAHARA PAR IMILCHIL

Le Sud marocain, 23 mars 1938, Source gallica.bnf.fr (reconnaissance OCR du texte puis corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)

Automobile-Club Marocain - Section de Marrakech

EXCURSION DE PÂQUES AU PLATEAU DES LACS

La section régionale de Marrakech de l'Automobile Club Marocain organise, pour les fêtes de Pâques, et à l'intention exclusive de ses membres actifs et adhérents, une excursion au Plateau des Lacs avec retour par les gorges du Todgha.

La concentration aura lieu le Samedi 16 avril dans l'après-midi, à Kasba Tadla, où les participants dîneront et coucheront.

Le départ aura lieu le dimanche matin à 6 heures 15 pour Ksiba et le lac Isli, au bord duquel on déjeunera en pique nique. La caravane se dirigera ensuite, par les admirables gorges du Todgha sur Tinghir et Bou Maln où aura lieu le dîner et le coucher (une partie en camping).

Le lendemain lundi 18 avril départ de Bou Maln pour Ouarzazate par Skoura. Déjeuner à Ouarzazate où se disloquera la caravane.

Cette excursion est une des plus belles qui puisse être faite au Maroc. Les points pittoresques y sont nombreux : Ksiba, Plateforme Maginot, Tizi n'Isli (vue sur Azararfal (1)), Tassent (monument commémoratif de Bab n'Ayad ; à 3 kilomètres de ce point stèle du Lieutenant Fromentin, tué le 1er juin 1935), débouché sur le Plateau des Lacs, Casbah d'Imilchil, Tizi Tigherrouzine (2700 m), gorges du Todgha, etc.

Au départ de Bou Maln, les excursionnistes voulant partir 2 heures plus tôt pourront pousser une pointe aux gorges du Dadès, qui méritent cette visite.

Un dépanneur suivra l'excursion de bout en bout.

Par suite des difficultés de couchage le nombre des voitures est limité à 20 et le nombre des excursionnistes à 60.

Date extrême des inscriptions : 5 avril à 18 heures.

10 numéros sont réservés à la section de Marrakech et 10 aux autres sociétaires. Les numéros non affectés le 5 pourront être attribués à cette date aux demandes qui n'auraient pu recevoir satisfaction lors de leur réception.

Les conditions de la participation à l'excursion sont les suivantes :

Par voiture, droit d'inscription 25 francs (ce droit reste acquit à l'A.C.M. dans tous les cas sauf si, pour cause de force majeure, l'excursion ne pouvait avoir lieu).

Par personne : 125 francs comprenant les frais de repas du samedi soir à Casbah Tadla, du dîner le dimanche à Bou Maln et du déjeuner le lundi à Ouarzazate, ainsi que le coucher à Casbah Tadla et à Bou Maln.

Le prix des petits déjeuners ainsi que du pique-nique au lac d'Isli (dont chacun devra être muni au départ de Tadla) ne sont pas compris.

Les conducteurs prenant part à cette excursion devront être confirmés, suivant les conditions parues dans la Revue de l'A.C.M. Le payement des droits d'inscription et des frais de participation s'effectuera à l'inscription.

Les voitures recevront un numéro d'ordre à coller sur le pare-brise ; elles partiront dans l'ordre des numéros affectés et ne devront pas se dépasser. Des voitures de commissaires, en tête et au centre régleront l'allure.

Concours photographique

Un concours photographique doté de prix sera organisé à l'occasion de cette excursion.

Les vues devront se rapporter exclusivement à l'excursion faite en commun de Casbah Tadla à Ouarzazate.

Les épreuves seront remises en 3 exemplaires avec au dos une simple devise, laquelle devra être reproduite sur une feuille qui portera également le nom du concurrent, et enfermée dans une enveloppe.

Les personnes prenant part au concours s'engagent, par le seul fait de leur participation, à autoriser les organisateurs à reproduire sans droits dans la presse, les épreuves qu'ils jugeraient digne d'intérêt. Ils s'engagent également à remettre aux organisateurs les clichés qui leur seraient demandés, en vue d'agrandissement, clichés qui seront rendus par la suite.

Les épreuves devront parvenir à l'A.C.M. - section de Marrakech - le 30 avril au plus tard.

Tous renseignements au Secrétariat de l'A.C.M. à Marrakech.

Commentaire :

1 : Azararfal serait un fort situé au Sud-Est de Tizi n-Isly, à proximité de la RP3214 en direction d'Aghbala ; 1449 mètres d'altitude (sources, mapcarta.com/fr et fr.getamap.net) avec un sérieux doute sur l'authenticité de ces sources et l'existence même d'un fort ; le nom est indiqué sur les cartes au 1/50 000° (feuilles Tizi n-Isly et Aghbala, 1977) avec l'orthographe Azagh Arfal ; sur les images satellitaires le fort (si ce fort exista) ou ce qu'il en resterait ne me semble pas visible. Sur gallica.bnf.fr, l'occurrence Azararfal donne deux résultats : le journal, Le Sud marocain et la revue, Hespéris de 1927 qui évoque ce lieu à propos de l'hivernage des troupeaux des Aït Abdi, nulle mention de fort.

Le Sud marocain, 18 mai 1938, Source gallica.bnf.fr (reconnaissance OCR du texte puis corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)

Nous avons fait un beau voyage !

Pâques, excursions, pique-niques. L'automobile à donné à chacun des possibilités de rayonnement immense.

Organiser une excursion permettant, sans trop de difficultés de découvrir des horizons nouveaux, voilà pourtant ce que l'Automobile-Club Marocain a offert à 73 membres privilégiés, sur l'initiative de la section de Marrakech.

La concentration à Tadla, samedi soir, s'est faite très régulièrement, dans une atmosphère de veille de course. Le dîner, bien servi, avait un air banquet de village. Au dessert, le vaillant chef de file du Colombier, avec sa franchise habituelle, fit pour le lendemain de sages recommandations : discipline de route, prudence.

Faire passer 25 voitures sur 300 kilomètres de pistes détrempées, en franchissant l'Atlas à 2700 mètres d'altitude, dans une région de pacification récente, nécessite quelques précautions. Les organisateurs de Marrakech ont osé concevoir et su réussir.

Dimanche, six heures, messe par l'aumônier militaire. Le ciel est chargé. La pluie tant désirée depuis des mois va-t-elle compromettre les vacances ? L'autorité militaire, hier encore indécise, autorise le départ. Des équipes ont travaillé toute la nuit à dégager la piste des éboulis de la veille.

La colonne motorisée franchit Oum Er Rbia, fleuve qui longtemps coupa le Maroc en deux ; geste symbolique de la conquête, qui nécessita naguère tant d'héroïsme, rappelé par la grande stèle (1) qui domine la plaine du Tadla.

Insensiblement, la route monte entre de belles cultures, crochet à droite, les moteurs accusent maintenant la montée dans une vallée boisée, qui, par sa fraîcheur rappelle les Pyrénées.

Mais voici le petit village berbère de Ksiba (Altitude 1230 m) dont la mosquée aux tuiles vertes nous rappelle que nous sommes au Maroc.

Première halte, quelques capots se lèvent, on vérifie les bidons, plus de cantine, plus d'essence plus de civils avant 300 kilomètres.

La piste s'accroche tout de suite au flanc de la montagne, les vallées s'enchevêtrent, on passe de l'une à l'autre. Les pitons sont garnis de buissons verts, des ruisseaux coulent dans tous les creux.

Les nuages sont noirs, va-t-il pleuvoir ? La descente est glissante comme un toboggan, et le précipice est là, sur la droite. Il faudrait atteindre Azararfal. Une voiture est signalée en panne, et bien que la « voiture balai » soit pilotée par le camarade Pierre, sur qui l'on peut compter, une inquiétude est dans l'air. Il faut poursuivre. Nous roulons, maintenant, sur un plateau où l'herbe et la mousse rappellent « la prairie » du Far-West américain.

La barrière de l'Atlas est toujours devant nous, la piste s'enfonce dans un pays tourmenté, voici l'orage, pluie neige fondue, et la dernière offensive de l'hiver en cette saison, nous explique ces arbres renversés ; la forêt semble avoir subi un intense bombardement. Qui peut vivre en ces régions ? Personne. C'est pourquoi les derniers bandits en avaient fait leur repère.

Mais, voici au détour de la piste, des uniformes bariolés, c'est Tassent. Devant le poste, une bande joyeuse de sous-officiers est alignée pour nous voir passer. Ces hommes jeunes et gais, assurent avec les troupes supplétives la sécurité de notre promenade.

La piste, taillée dans le rocher, monte à l'assaut d'une falaise, et la « première » est de rigueur pour les voitures qui viennent se ranger en haut du défilé que domine la stèle dressée à la mémoire des combattants morts pour la France. En face, la montagne de pierre fauve, semble une immense galette de titan, dont des feuillets sur champ se sont écartés dans le choc d'un tremblement de terre.

Le soleil monte toujours sur l'horizon, il faut atteindre à l'heure de midi le point fixé pour le pique-nique. Les voitures repartent, saluées respectueusement au passage par les guerriers berbères aux accoutrements les plus divers. Ces montagnards égrenés sur tout notre parcours apparaissent tantôt au pied d'un buisson, tantôt perchés sur un rocher en nid d'Aigle.

Les Affaires Indigènes ont tendu un réseau « ténu » (2) mais solide, on sent que l'Armée française a pris le pays en charge.

Descente, virage, et nous avons devant les yeux un cirque de montagnes brunes ; à nos pieds un lac aux eaux bleues de turquoise, dont le vent moire le miroir.

Au loin, un nuage de poussière nous intrigue. Une auto arrive en sens inverse. C'est le capitaine Martin qui, de Bou Maln, vient faire la liaison. Le fil d'Ariane est décidément bien tissé.

Les nuages sont bas, ou plutôt nous avons fait une ascension de 2300 mètres, pour les rejoindre. Nous abandonnons à regret le petit Lac de Tislit, pour atteindre son grand frère, le lac Iseli. Les voitures se rangent sur la grève, les provisions sortent des coffres, mais chacun renonce bien vite au déjeuner sur l'herbe, tant le froid est vif. La brume s'accroche à toutes les aspérités de ce sol couleur de chocolat, qui semble fumer comme un volcan prêt de s'éteindre.

Le plafond s'élève ; réconfortés par le déjeuner, des groupes se forment, les amateurs de photos tentent leur chance, et le Président fait aux dames la surprise d'une distribution d'œufs de Pâques et de rubans qui, pour la plupart, vont orner les bouchons de radiateur.

Il faut respecter l'horaire : en route. C'est avec plaisir que nous longeons à nouveau le petit lac bleu, au-delà duquel s'élève une petite montagne sombre et régulière qui semble placée là pour lui donner la réplique dans l'immensité d'un décor dont les horizons reculent de plus en plus.

« La route pierreuse » (3) devient grise, mais sa monotonie est brusquement rompue par l'apparition des kasbahs d'Imilchil. Aux beautés de la nature succède une œuvre humaine à l'échelle de ce qui nous entoure depuis le matin. Ces kasbahs restaurées auraient mérité un arrêt, leur grâce altière n'a d'égale que la douceur de leur couleur beige.

Il faut forcer l'allure, sur les cailloux tranchants ; l'œil s'accroche en hâte aux grandes bâtisses imprévues hors desquelles la curiosité a poussé femmes et enfants. Ici, quatre gamins présentent les armes, avec des roseaux en guise de fusils. Jouer au soldat n'est pas ici panacher, mais servir.

Le capitaine qui maintenant nous guide, file bon train, et la colonne s'est égaillée lorsque les premières voitures s'arrêtent au col de Tigherrauzine qui, de 2700 mètres domine à perte de vue des chaînes de montagnes noires et rouges. La descente rapide, mais bien tracée, nous fait à nouveau évoluer au milieu de terrains rocheux, dont les plissements tordus et comme rebrisés après leur soulèvement, se sont immobilisés sous les inclinaisons les plus variées qu'a mis en relief le travail de l'érosion.

Nous évoluons dans l'ocre jaune, la muraille se rapproche de la piste, elle est percée d'énormes trous des fleuves qui autrefois roulèrent sous la terre. C'est entre deux falaises verticales que nous sommes maintenant inéluctablement entraînés dans une impressionnante descente aux enfers.

La piste se confond avec le lit de l'Oued desséché. Les récits du pays de la peur reviennent à la mémoire, le nom même de Todghra influerait-il sur l'imagination ? Pourtant, maintenant je marche au bord de la rivière, brusquement sortie de la parois rocheuse, je devrais être rassuré par l'arrivée des autres voitures, et je reste saisi d'étonnement devant cette formidable cassure en haut de laquelle, à plus de cent cinquante mètres, apparaît à peine un peu de bleu du ciel.

Toutes les voitures sont arrivées, c'est vraiment un beau résultat. Les petits joujoux mécaniques qu'un caillou un peu gros éventrerait, se sont faufilés à travers le plus fantastique des paysages, en un temps record : ils sont si petits, l'œil n'est pas choqué par leur présence, dans ce chaos grandiose.

Les gorges s'élargissent, et nous découvrons des kasbahs, dans la verdure, nous sommes au milieu des palmes, la piste serpente dans les jardins, l'eau s'étale en plaques bleues, les maisons de terre se pressent les unes contre les autres, chaque piton est couronné d'un château, nous arrivons à Tinghir.

Les officiers nous accueillent, le soleil va disparaître ... et le Commandant du peste nous invite à assister à la cérémonie journalière de l'amenée des couleurs. Drapeaux français et chérifiens claquent au vent, à l'entrée du poste. Les goumiers en armes sortent à cheval. Garde à vous ! Les hommes se dressent sur les étriers. Présentez armes ! Les mousquetons s'alignent. Au drapeau ! Tandis que sonne le clairon, lentement descendent les deux drapeaux.

Cérémonie simple, mais toujours émouvante, qui se déroule chaque jour, en même temps, sur tous les points de notre empire, si vaste que les seules forces matérielles ne parviendraient pas à le garder.

Tous les Français présents ont, en ce jour de Pâques, à cette minute, communié sans le savoir peut-être, dans une même pensée.

Visite du poste. Un mirador nous permet de découvrir à nos pieds une palmeraie immense, le sol couvert de cultures, forme un tapis uniforme, barré seulement par les arabesques des canaux d'irrigation. La lumière du couchant grandit les silhouettes des kasbahs qui se profilent sur l'horizon.

La moitié de notre caravane, après ravitaillement en essence, poursuit sa route sur Bou Maln. Bonne piste de plaine. Au loin, toujours des montagnes que semblent de cuivre rouge, patiné par les ans. Elles s'éloignent toujours, impression du sud, où les distances ne se jugent pas comme ailleurs.

La nuit descend, nous filons vers l'ouest, et le contre-jour transforme monts et nuages en une tragique forêt qui recule.

Nos phares nous font découvrir Bou Maln. Le cantonnement est préparé, dîner joyeux à la cantine qui, selon la tradition est tenue par un soukhier grec, robuste et habile.

Bien que le départ fût fixé à 9 heures seulement, les moteurs ronflaient déjà deux heures plus tôt. Le désir de voir le Dadès l'emportait sur le besoin de repos. Beaucoup d'entre nous n'avaient pas l'intention de pousser une pointe aux gorges.

Mais à peine étions nous sortis de Bou Maln, que nous découvrions derrière un éperon, la vallée enchanteresse, et nous y engagions.

Des centaines de kasbahs en dentelle de terre, se dressent comme des monuments jaillis du sol, dont elles ont la couleur variée, suivant la nature du terrain. Il semble que quelque sculpteur géant ait modelé là, par fantaisie, des palais pour une féerie des mille et une nuits.

La profusion de verdure est exaltée par l'ocre rouge. Les trembles bruissent sous le vent, le vert pâle de leurs feuilles se mêle à celui plus sombre des figuiers, dont les branches d'un blanc argenté se détachent sur le vert des blés en épis.

Pas un bruit : serions-nous parvenus à quelques immenses nécropoles ? Non, plutôt au paradis terrestre.

On aperçoit dans les jardins des groupes humains. Partout, les mains se lèvent, pour un salut fraternel. Femmes, enfants évoluent doucement dans cette nature de rêve, à laquelle ils sont incorporés, comme les plantes qu'ils regardent pousser.

Où sommes-nous, au Thibet ; en quel siècle avons-nous brusquement reculé ?

Maroc, pays des contrastes ; non pays de l'invraisemblable et du merveilleux.

Les splendeurs de la haute Égypte me reviennent à la mémoire, là-bas, comme ici, hors de la vallée, c'est la désolation, les falaises de terre et de roc fendues verticalement, enserrent les joyaux, mais la grâce ici l'emporte.

L'air est léger, la température idéale, nous filons maintenant vers Ouarzazate, et c'est un émerveillement sans fin.

Des kasbahs ont fondu, leurs ruines se dressent à côté des nouvelles demeures qui s'élancent vers le ciel, comme un chant d'allégresse ; par centaines, on les découvre.

La piste quitte la vallée qui s'élargit. Au loin, les palmiers plus sévères font des taches sombres.

Heureusement, un coude du fleuve nous ramène pour quelques minutes au pays du rêve, N'Gouna, bâtie sur les rochers, part vers le ciel, comme un flambeau, tandis que sur notre droite scintille l'Atlas saupoudré des neiges de la nuit.

En approchant du Drâa, le paysage devient désertique ... Quelques convois de faméliques bleus s'écoulent lentement. Nous sommes redevenus des touristes qui passent. C'est en vitesse que nous traversons Skoura, à l'aspect déjà Saharien.

La tristesse qui s'en dégage, malgré l'animation du marché ajoute à nos regrets des jardins de Bou Maln.

Ouarzazate nous apparaît comme un carrefour trop fréquenté ; la route goudronnée commence au pied de la kasbah. Des pompes à essence, des boutiques, nous rappellent la civilisation moderne.

L'atmosphère du dernier déjeuner en commun fait pressentir une prochaine dislocation. Le beau voyage serait-il déjà fini ?

Pas encore, à vive allure, nous repartons individuellement vers Marrakech ; à gauche, la vallée du Drâa nous est un rappel modeste du Dadès ; à droite des collines aux teintes vert de gris évoquent le voisinage du Siroua.

La route s'enfonce dans la montagne, sur les pitons rougeâtres, s'épinglent à nouveau les buissons ; nous allons retrouver le Maroc qui connaît la pluie.

Les nuages, bas mais légers, laissent apparaître les sommets couverts de neige. Allègrement, nous atteignons le col du Tichka. Spectacle différent, mais non moins grandiose, nous nous trouvons au cœur de la grande montagne ; les à pics sont impressionnants, mais la route est remarquablement tracée.

Nous ne résistons pas au plaisir d'une bataille de boules de neige, gaminerie qui pouvait finir tragiquement, comme tant de jeux d'enfants. Pardon, du Colombier, pour ce pare-brise cassé, par une main sans malice.

La vitesse nous emporte, nous dominons la plaine, Marrakech nous appelle, il faut être au rendez-vous fixé par les organisateurs de l'Automobile - Club Marocain.

Réception empreinte de la meilleure camaraderie, au cours de laquelle nous pouvons enfin remercier ceux à qui nous devons tant de belles émotions, merci aussi aux officiers, à leurs hommes, à tous ceux grâce auxquels ce qui aurait pu être un raid dangereux fut une splendide promenade.

PIERRE GAMBIER

(extrait de la Revue de l'Automobile - Club Marocain)

Commentaires :

1 : le « monument », c'est à dire les quatre colonnes qui se dressent au sud de la ville, rive gauche de l'Oum er-Rbia ; avec un peu d'attention on constatera l'alignement, quasi parfait, suivant : porte principale du Camp Nord, ancienne place de France, « monument » [note de Q.T.]

2 : « tenu » dans le texte du journal [note de Q.T.]

3 : texte reconstitué, l'exemplaire de la BnF étant très pâle voire effacé à certains endroits [note de Q.T.]

Texte très lyrique. Un éloge à la nature sauvage, aux paysages traversés, même si les comparaisons (Pyrénées, Far West, Tibet, etc.) restent classiques et inutiles (sauf à montrer l'emprise des clichés sur le fonctionnement cérébral) - comparaisons qui perdurent ad nauseam -, même si l'orthographe des noms propres varient selon les paragraphes, même si la glorification de la « pacification » française affleure.

Traversée rapide, très rapide, qui laisse peu de temps aux rencontres ; traversée encadrée, organisée, chronométrée, le hasard n'a pas, ici, sa place. Marocaines et Marocains, à peine évoqués, se fondent dans le paysage comme les kasbahs, réduits à des éléments du paysage, « Femmes, enfants évoluent doucement dans cette nature de rêve, à laquelle ils sont incorporés, comme les plantes qu'ils regardent pousser. »

Je n'ai pas trouvé l'exemplaire de la Revue de l'Automobile-club Marocain dont vient cet article. Le site de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (https://www.bnrm.ma) propose plusieurs numéros de cette revue, dont celui de juin 1938 (numéro 49) qui montre les photographies primées lors de cette excursion.


Le Petit Marocain, 24 avril 1938 Source gallica.bnf.fr (reconnaissance OCR du texte puis corrections manuelles, orthographe des noms propres respectée)

L'Automobile-Club au Plateau des Lacs

L'excursion pascale au Plateau des Lacs sur l'itinéraire Tadla, Ksiba, Tassent, Imilchil, Tinderir, Boumaln, Ouarzazat, Marrakech, montée par la section locale de l'A.C.M. a remporté un succès considérable.

Quatorze voitures de Casablanca et huit voitures de Marrakech quittaient Tadla dimanche à 7 heures du matin pour pique-niquer à midi au Lac Iseli à plus de 2 000 mètres d'altitude et arriver le soir à Tinderir.

Malgré le temps incertain, malgré des averses et une petite tempête de neige, tout le monde arriva à bon port et à l'heure.

Ce fut d'abord la région verdoyante de Ksiba où, après une montée impressionnante, les excursionnistes eurent à réaliser une délicate descente dans une boue glissante particulièrement traîtresse ; puis la caravane se regroupa au Tizi N'isli, d'où s'étend une vue splendide sur la large vallée d'Azarafal. Ensuite la piste se développa tout au long de vallées pittoresques et, malgré de fortes averses, la caravane atteignit vers onze heures le poste de Tassent au pied d'une montée aux lacets fantastiques qui domine une gorge splendide,

A midi, toutes les voitures étaient au lac Iseli dans un paysage presque désertique. Un vent soufflant en tempête accompagné de neige glaciale obligea les excursionnistes à déjeuner dans les voitures ; mais bientôt le temps se levait et permettait au galant président général Gillet de distribuer à chaque dame un œuf en chocolat délicieusement garni.

Après le repas, ce fut Imilchil aux kasbahs délicatement ciselées, puis le triste poste d'Agoudal, enfin le Tizi Tigherrouzine dont l'altitude atteint 2 700 mètres.

La fatigue commençait à être générale, mais bientôt, après Aït Ani, où eut lieu un ultime regroupement, ce fut l'arrivée féerique sur Tinderir par les gorges du Todghra qui restent certainement le joyau touristique du Maroc avancé.

Lundi, les excursionnistes, qui avaient dû se répartir pour passer la nuit entre Tinderir et Boumaln se regroupèrent dans ce dernier poste pour déjeuner à Ouarzazat et se retrouver le soir dans les salons de l'A.C.M. à Marrakech où la section locale offrait un cordial apéritif. Tout le monde tint à y assister malgré la fatigue accumulée au cours de ces deux journées certes un peu dures, mais que les excursionnistes n'oublieront pas de sitôt.

Félicitons d'abord les organisateurs, mais aussi les commandants. de région qui ont bien voulu autoriser, cette visite à des régions jamais encore ouvertes aux civils et surtout admirons nos officiers de renseignements qui ont réussi à assurer une hospitalité parfaite à une caravane de 73 personnes dans des postes démunis de toute ressource comme Tinderir et Boumaln.

En dehors du président de l'A.C.M., M. Gillet et d'un des présidents d'honneur, M. Cruel, nous avons noté dans la caravane : MM. Chantrel, Doverchies, Gambier, Lainnet, Gregh, de Laborie, Mme Péronne, Colonel Petit de Mirbeck, Dr Bienvenue. MM. Duhesme, Lejeune, Barbey-Boissier, Hustache, Getaz, Jouhaux, Capitaine Plateau, M. Merlin et les tout dévoués organisateurs de la section de Marrakech, MM. Pierre, président, qui pilotait la voiture balai, M. du Colombier, qui tenait le volant de la voiture pilote, enfin MM. Guillaume, Poisson et Mérillon, commissaires.

Encore bravo pour la section marrakchie de l'A.C.M., pour son initiative et pour son impeccable organisation.


Nous avons effectué cette traversée, pour la première fois, durant la deuxième quinzaine de juin 1982 : piste défoncée, gués profonds, longues sections boueuses ; quelques mois plus tard, fin septembre 1982, la piste remise en état, nous permit d'atteindre rapidement le Moussem d'Imilchil, à propos duquel je cite seulement un article, non signé, paru, peut-être, dans le Figaro Magazine dans les années 1980 « Chez les Berbères, une fiancée vaut un quart de chameau » (document personnel photographié, puis reconnaissance OCR avec correction manuelles) :

Chez les Berbères, une fiancée vaut un quart de chameau 

POUR se marier dans ce coin du Maroc, il faut être à la hauteur ... des montagnes de l'Atlas au moins. Car, depuis la nuit des temps, il n'y a qu'ici, au bout d'une piste pentue et désolée, sur le marché le plus singulier de la planète que les fiancés berbères peuvent espérer, se passer la bague au doigt. Suivons Mahjoubi, un jeune marchand de tapis de vingt-cinq ans qui veut y trouver femme. Le voici en route pour la première fois à travers les aridités du Moyen Atlas vers cette Mecque des épousailles, située à 2 500 m d'altitude (1), près des lacs Tislit et Isli. Mahjoubi n'est pas seul. Vingt mille autres jeunes hommes de sa race (2) se sont lancés à l'assaut de ce village niché au cœur du Maroc. Les prétendants les plus pauvres vont à pied, les autres à dos d'âne, à cheval, à dromadaire, quand ils ne s'entassent pas dans des camions 4 X 4, seuls capables de faire la route (3).

Éreintés, les voici enfin tous rendus sur un grand emplacement dénudé à la lisière du village (4) où la fête va durer trois jours. Entre la multitude des tentes, dans les venelles étroites de l'antique petite cité (4), les badauds s'écrasent dans le flot des ânes, des chèvres et des moutons, parmi les senteurs de thé à la menthe, d'amandes (5) et de friture. Mais le point de mire c'est le lieu de campement des petites jeunes femmes berbères. (6)

Dans leurs amples houppelandes de laine rayées, toutes richement parées, elles sont assises devant le « marabout », la tombe sainte. Voyez comme elles bavardent entre elles avec fièvre : cela doit faire comprendre aux hommes qu'elles sont encore libres. Pour capter les regards, leur visage est constellé de points carminés et les joues, les cils et sourcils ont été passés au khôl. Pour qui veut en savoir plus, il suffit de regarder la forme du bonnet : pointus pour les divorcées, ronds pour les jeunes filles et tous ornés de nattes de laine où des centaines de piécettes d'argent tintent joyeusement (7). Aujourd'hui, premier jour du marché, c'est le jour ... des séparations. Ceux dont le mariage de l'année précédente a sombré dans les sables du désert sont divorcés par le kadi au terme d'un « procès » qui ne dure que quelques minutes. Sur cent couples qu'il va bénir cette année, soixante divorceront l'an prochain. Le deuxième jour est voué à l'exposition des femmes. Mahjoubi, le marchand de tapis aisé, doit, lui aussi, marchander, car la demande est beaucoup plus importante que l'offre (8). Comme la plupart de ses concurrents, il est flanqué de son homme de confiance, un ami qui l'aide à trouver le bon parti, et qui réglera toutes les formalités d'argent.

Avec Lafatina aux yeux de nuit, a-t-il fait le bon choix ?

- Je l'espère ! Soupire-t-il, sinon je divorcerai ici même dès l'année prochaine !

- Mais n'est-ce pas trop coûteux ?

- Non ! dit-il. Je ne perdrai que l'argent que j'ai payé à la famille. C'est-à-dire 1 500 dirhams (1800 francs) ... le prix de deux dromadaires ! (9)

Commentaires :

1 : l'altitude d'Imilchil est de 2 160 mètres [note de Q.T.]

2 : « Vingt mille autres jeunes hommes de sa race ». Quand on parle de « race » à propos des Humains, il faut avoir le courage de la nommée explicitement, pour afficher ainsi sa stupidité [note de Q.T.]

3 : « des camions 4 X 4, seuls capables de faire la route. » Les camions 4 X 4 s'appellent des Bedford avec une cabine rouge, ou des Berliet avec leur cabine jaune ; ce ne sont pas des 4 X 4, seulement des véhicules haut sur roues, assez puissants pour franchir les obstacles des pistes en quasiment toutes saisons [note de Q.T.]

4 : « un grand emplacement dénudé à la lisière du village », « dans les venelles étroites de l'antique petite cité ». le moussem se déroule à plusieurs kilomètres au-delà d'Imilchil en venant de Kasba-Tadla, au niveau du marabout de Sidi Ahmed ou Lmerghini, et les tentes ne sont pas installées dans les rues d'une antique petite cité, qui n'était, dans les années 1980, qu'un village « carrefour » et lieu de souk (le samedi) [note de Q.T.]

5 : « le flot des ânes, des chèvres et des moutons, parmi les senteurs de thé à la menthe, d'amandes ». Quiconque a fréquenté un moussem, un souk, s'aperçoit de la stricte séparation Humains - Animaux ; à chaque fois que je rentre dans un souk la fragrance des amandes me saisit et me met à quia [note de Q.T.]

6 : « le lieu de campement des petites jeunes femmes berbères ». Comme si ces jeunes femmes venaient sans leur famille au moussem, qui avant d'être la « Mecque des épousailles », est le dernier moment de rencontres, d'achats, de ventes, avant l'arrivée de l'hiver qui, pour beaucoup d'habitants de l'Atlas, annoncera une période d'isolement plus ou moins longue avec des déplacements impossibles, ou très limités. L'autrice ou l'auteur, d'une ignorance crasse, devrait savoir que lors de ce moussem, seules les veuves ou divorcées - en aucun cas les jeunes filles - peuvent se fiancer. La revue Sindbad, en 1984 (numéro 38/39 de novembre/décembre, document personnel), consacra au moussem d'Imilchil un bel article de Ghislaine Guessous, démystifiant bien des clichés [note de Q.T.]

7 : « nattes de laine où des centaines de piécettes d'argent tintent joyeusement ». Ces piécettes d'argent sont de vulgaires rondelles de métal brillant qui finissent par rouiller. L'auteur ou l'autrice acheta probablement au Tichka des cristaux barbouillés en vert éclatant pensant que c'étaient des émeraudes [note de Q.T.]

8 : « à l'exposition des femmes », « la demande est beaucoup plus importante que l'offre ». L'autrice ou l'auteur a probablement en tête Le Marché d'esclaves de Jean-Léon Gérôme, pour écrire ainsi [note de Q.T.]

9 : Dans le titre une fiancée vaut un quart de chameau, et dans le texte le prix de deux dromadaires, donc un chameau vaut huit dromadaires [note de Q.T.]

L'auteur ou l'autrice délire, imagine, fanfaronne, attire par des formules claquantes, n'a jamais été à Imilchil.

Après un passage à pied (venant de Tounfite - texte et photographies à venir), en août 1983, nous attendrons l'arrivée du goudron pour retrouver le plateau des lacs plusieurs fois au début des années 2000 pour y passer plusieurs jours, sous la tente, avec des amis, au bord du lac Tislit.

Photographies des journaux (Le Sud marocain, 18 mai 1938) (Revue de l'Automobile-club Marocain, juin 1938) : ici

Moussem d'Imilchil septembre1982 (photographies personnelles) : ici

Talda - Imilchil juin 1982 (photographies de J.G.) : ici

© Copyleft Q.T. 09 août 2022 modifié le 22 août 2023

PISTE ENTRE OUAOUIZERTH ET AÏT M'HAMMED

Les gens changent, le monde se défait, mais moi je reste la même et c'est ça qui me fait souffrir. Sophie Divry - L'Agrandirox, nouvelle confinée, Les éditions Noir et Blanc, 2021

Il avait de la peine à s'arracher à l'hospitalité généreuse de ces gens simples. Il ne trouverait plus cette spontanéité des rapports humains dans la vieille Europe, empêtrée dans ses principes ridicules de bienséance.

Lorsque la Jeep du caïd commença à rouler sur le goudron, il sut que la fête était bien terminée. Il quittait cet ancien monde et ses habitants, vivant hors du temps, soumis à une nature qui les asservissait. Le combat était inégal et un jour ces gens disparaîtraient !

Michel Septfontaine - Meurtre au soleil, Éditions Sisyphes, 2012

Au cours de recherches sur le « tueur du Tadla » je trouve un livre au format PDF téléchargeable, Meurtre au soleil de Michel Septfontaine, Éditions Sisyphes, 2012. Un moment s'écoule entre le téléchargement et la lecture pénible sur tablette. Ce livre paru précédemment sous un autre titre et avec des photographies intéressantes, La Scierie, Le forestier de la Cathédrale, Éditions Thélès, 2008 (également disponible sur Internet au format PDF téléchargeable) ; deux versions d'une même histoire, dans Meurtre au soleil le forestier se nomme Samuel Rodriguez, dans La Scierie, Le forestier de la Cathédrale, il s'appelle André Courbet.

Ce livre n'est pas un grand objet littéraire mais nous projette dans une époque charnière de l'Histoire du Maroc, autour de l'indépendance avec des réflexions « philosophiques », politiques, sur l'engagement et la colonisation ; texte que certain.e.s classent dans « récits d'initiation » ; on est très loin des récits de vie auto-édités et auto-centrés qui abondent aujourd'hui ; l'auteur ne « macrone » pas au sens ukrainien du verbe macroner, « parler pour ne rien dire ».

La scierie située au pied de la Cathédrale de Rocher, Mastfrane, le long de l'oued Ahançal, Assif-n-Ouhançal, permet de « rouler » sur la piste entre Ouaouizerth (ou Ouaouizeght ou Ouaouizarth ou Wawizaght) et Tamga en passant par Tillouguit (Tilougguit dans le livre, ce qui correspond à l'orthographe de la carte au 1/50 000° publiée en 1977). L'auteur qui travailla en tant que géologue au Maroc au début des années 1980, cite des acteurs de la région : André Fougerolles, la construction du barrage de Bin el-Ouidane, le café/hôtel de Paris à Beni Mellal (alcool et prostituées).

Au début des années 1980, un mellali m'avait parlé d'un géologue suisse, qui aurait commencé l'ouverture d'une voie dans une grande paroi rouge au dessus de Tagzirt, était-ce Michel Septfontaine ? Ce livre remua quelques souvenirs sédimentés depuis longtemps, fut prétexte à mettre en ligne quelques photographies.

Nous avons parcouru cette piste de nombreuses fois, la première fois probablement les 27 et 28 mars 1982, trajet durant lequel les photographies furent prises avec un bivouac au niveau de la scierie ; venant à pied de Tounfite, nous fîmes le trajet entre la Cathédrale et Ouaouizarth de nuit, en camion, les 23 et 24 août 1983 (texte et photographies à venir) ; nous repartîmes le 26 août 1983 sur cette piste pour aller randonner quelques jours à Taghia (texte et photographies à venir) ; le 02 juillet 1986 un Bedford rouge nous monta à la maison forestière à proximité de Imi-n-Warg pour poursuivre la traversée de l'Atlas vers la Tessaout (texte et photographies à venir) ; enfin, en 2016, le 05 août nous retrouvâmes avec émotion la Cathédrale, échappant ainsi au torride Tadla quelques temps, mais regrettant la commercialisation du lieu.

Album photos 1982, ici

Album photos 2016, ici

© Copyleft Q.T. 16 juin 2022

ESTIVAGE TADLAOUI au VALLON D'EL KSIBA

La Vigie marocaine, 08 et 09 octobre 1947 (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) (reconnaissance OCR avec corrections manuelles, respect de l'orthographe des noms propres)

NOS ENQUÊTES et REPORTAGES, AVEC CEUX QUI NE SONT PAS ALLÉS EN FRANCE

LE VALLON D'EL KSIBA a été cette année l'heureux séjour de vacances de nombreux estivants (De notre envoyé spécial Robert HANTZBERG) (08 octobre 1947)

Le Tadla jouit d'une solide réputation de pays torride. « Le four crématoire du Maroc », comme l'appellent les Tadlaouis, la justifie d'ailleurs sans effort pendant les mois d'été. Pendant que le mercure du thermomètre bat des records impressionnants, les habitants de Kasba-Tadla et d'Oued-Zem s'épongent le front, se mettent à l'ombre et se séparent de leurs enfants qu'il faut à tout prix envoyer vers la côte au climat plus clément. C'était, tout au moins, ce qui se passait avant que soit découvert ce qu'on appelle maintenant « le camping ».

Un petit coin de France perdu dans les arbres

En 1938 sept campeurs s'installaient près d'El Ksiba sur les bords d'un petit oued qui, à 1 200 mètres d'altitude gazouille dans un charmant vallon. La fraîcheur des nuits et la vivacité de l'air rosirent les joues des enfants tout en détendant les nerfs de leurs parents. On ne vit peut-être pas d'un très bon œil au début ces intrus qui s'installaient dans la zone d'insécurité mais la certitude de posséder un lieu d'estivage convenable qui ne fut qu'à une trentaine de kilomètres de Kasba-Tadla stimula le zèle et l'obstination des campeurs. Chaque année, ils se retrouvaient de plus en plus nombreux pour atteindre en 1947 le chiffre de 200 familles et de quelques isolés, en tout, près de 2000 campeurs.

Une route excellente conduit jusqu'à l'emplacement même du camping où en 1943 le colonel Rousset commandant le Territoire, fit ériger quelques chalets en bois destinés aux familles des goums. À son tour, l'armée organisait par la suite un centre d'estivage militaire constitué essentiellement par une série de petites constructions « en dur ».

Quelques plantations d'arbres de différentes essences, des aménagements sommaires sur les emplacements du « camping » modifièrent heureusement l'aspect de la petite cité de toile qui s'élève chaque année.

La construction d'une piscine alimentée par les eaux fraîches de l'oued - on a envie d'écrire ruisseau - rendit encore plus confortable le long estivage des Tadlaouis qui, sans se séparer de leurs enfants, pouvaient passer la saison chaude en continuant de s'occuper de leurs affaires « en bas ».

Le paradis des enfants

Sous le signe d'une liberté nullement exclusive, d'une discipline assez souple, garçons et filles passent près d'El Ksiba des vacances dont ils ressentiront pendant toute l'année les bienfaisants effets. Ceux qui ne sont pas accompagnés par leurs parents sont les hôtes de deux colonies de vacances organisées par la Manutention Marocaine et par l'œuvre des Enfants à la Montagne du Tadla. Cette année, délaissant Ifrane, 30 (1) filles et garçons, enfants des employés de la Manutention Marocaine ont passé d'inoubliables vacances à El Ksiba. Sous la direction affectueuse de M. Ascensio, leur « cornac », ils se sont baignés, ont joué et surtout ont mangé de façon à montrer à leurs parents des courbes de poids impressionnantes. Avant la rentrée, la plupart d'entre eux ont fait des réserves de force qui les rendent aptes aux plus grands efforts scolaires. N'est-ce pas Dédé, Toto et autres Paul ? Vous l'avez promis au retour de ces passionnantes promenades dans la montagne d'où vos reveniez heureux, fourbus et pleins de bonnes résolutions.

La veillée

Quand le soir tombe sur le Vallon heureux, parents et enfants se réunissent autour de la piste cimentée qui leur sert d'aire de jeu. On rit et l'on danse à la lumière de l'électricité donnée par un moteur. M. Ascencio, qui n'a pas oublié le ring dont il fut l'un des plus beaux champions, organise des combats entre ses jeunes poulains à qui il a communiqué sa flamme.

Les plus jeunes vont sagement se coucher dès que la nuit se fait plus épaisse, mais les grands garçons et les jeunes filles tournoient encore pendant longtemps au son d'un phono essoufflé dont la voix est couverte peu à peu par les chacals qui, à cent mètres du camp, viennent quêter quelque nourriture. - R. H.


El Ksiba est appelée à devenir un des centres du tourisme marocain (09 octobre 1947)

A 227 kilomètres de Casablanca seulement, El Ksiba offre aux visiteurs la fraîcheur de ses eaux limpides qui ruissellent de toutes parts et le charme sauvage de ses promenades en montagne dans un pays que le touriste n'a pas encore découvert. Le hasard seul conduit, de temps à autre un voyageur égaré au cœur de cette région qui pourrait devenir un des centres du tourisme marocain. Certes, une dispersion des efforts n'est ni souhaitable ni prévue et l'intérêt que les pouvoirs publics témoignent à l'égard d'Ifrane. par exemple, ne peut pas être en ce moment reporté sur d'autres projets.

Cependant, les centres d'estivage sont encore trop rares au Maroc où le développement continu de la population rendra bientôt nécessaire l'établissement d'un réseau touristique et climatique plus dense. Cette partie du Moyen-Atlas semble, en raison de sa facilité d'accès et de la beauté de son site, parfaitement en mesure de jouer le rôle qu'ont pressenti il y a bientôt dix ans les campeurs de Kasba Tadla.

Premiers efforts

À El Ksiba où ne se trouvent que les services des Affaires Indigènes, une hostellerie a été ouverte à l'enseigne du Roi Henri IV. Le Vert Galant ne se trouverait d'ailleurs nullement dépaysé dans cette auberge de campagne, simple mais coquette, qui justifie son titre d'hostellerie par son cadre et la chaleur de l'accueil que l'on y reçoit.

La région, riche en beautés touristiques mal connues et quelquefois même non identifiées, est pourvue d'un réseau de pistes en excellent état dont une grande partie se trouve malheureusement derrière les chaînes qui interdisent le passage à la limite de la zone dite d'insécurité.

Les légionnaires ont tracé les premiers chemins dans un pays qui fut le théâtre d'opérations extrêmement actives. De nombreux vestiges de forts dominent d'ailleurs encore les principaux pitons rocheux donnant quelquefois à la montagne un aspect médiéval inattendu. Dans la cluse de Tassent notamment, la route qui fut taillée dans le roc à flanc de montagne domine un abîme de plusieurs centaines de mètres. Les légionnaires durent être assurés par leurs camarades et c'est suspendus au bout de cordages qu'ils purent exécuter un travail gigantesque permettant aujourd'hui l'accès à une fort belle région.

Après les militaires, l'administration des Eaux-et-Forêts a ouvert à son tour de nombreuses pistes. La plus récente vient d'être tracée vers Bou-Noual, Naour, Taourirt. Elle est tout entière située en altitude et atteint son point culminant à Booboo (2) où elle passe à 2 200 mètres.

Plus loin vers l'Est se trouve le désertique plateau des Lacs où, dans un paysage d'une grandeur désolée, s'étendent les purs miroirs de deux lacs de montagne dont les eaux noires chargées de mystère sont riches en poissons, attendant impatiemment le pêcheur qui viendra mettre fin à l'horrible tourment dont ils souffrent. En effet, la rareté de la vie animale et végétale affame les poissons qui se précipitent sur tout ce qui tombe à l'eau.

Paradis des chasseurs

On n'a pas le droit de se promener avec une arme dans la zone d'insécurité où le règlement fait bon ménage avec le paradoxe. Le gibier qui lit certainement les textes officiels, se promène sur les routes, regarde passer les rares voitures et, éventuellement se dérange pour peu qu'on l'en prie. Les perdreaux qui se dissimulent sur les accotements de la route s'envolent exceptionnellement. Les sangliers, qui sont nombreux, n'hésitent pas à venir se désaltérer à proximité du « camping ». Il nous faut bien reconnaître que, parfois, il arrive malheur à quelque bête trop audacieuse.

Les singes constituent des troupeaux nombreux, en perpétuel déplacement le long des falaises où ils exercent leur souplesse. Chacun se garde bien de leur donner la chasse et se contente d'apprécier cette présence inoffensive et charmante. Mais les singes supporteront-ils longtemps encore le voisinage de l'homme ?

Robert Hantzberg

Commentaires :

(1) 30 ou 80, chiffre en partie effacé [note de Q.T.]

(2) non localisé [note de Q.T.]

Un reportage intéressant par les détails qu'il donne et la façon dont les tadlaouis tentaient d'échapper à la chaleur torride qui s'abat sur le Tadla dès le printemps ; aujourd'hui encore le vallon de Taghbalout N'Ouhlima reste apprécié des locaux en fin de journée ou les week-end, malgré les déchets, l'absence de sanitaires et une certaine promiscuité.

La guerre de « pacification » se termina en 1934 mais certains lieux proches de Kasba-Tadla restent « zone d'insécurité », sur la carte Michelin 170 de 1948 figure toujours la ligne bleue de cette « zone d'insécurité », alors que sur l'édition de 1950 de la même carte elle a disparu.

Photographie A : EL KSIBA - Hostellerie Henri IV (Molina Edmond - 4 Rue Chenier - Casablanca) ; carte écrite à El Ksiba le 25 janvier 1953 « Chère ... Venue retrouver mon Loulou en tournée dans la région, nous vous adressons cette petite vue d'El Ksiba, coin charmant et très pittoresque, au cœur de la montagne et rappelant un peu la Savoie. Dans la plaine très riche, car il y a beaucoup d'eau, les champs de blés, immenses, alternent avec les orangers qui attendent la cueillette. Nous sommes à 30 kms de Kasba-tadla, à 1100 m d'altitude et à 227 kms de Casa. L'air est ici très pur et nous change du mauvais climat de Casa. Mon Loulou se joint à moi pour vous embrasser tous trois bien affectueusement »

© Copyleft Q.T. 08 février 2022

SUR LA ROUTE DE TADLA

La Vigie marocaine, 12 avril 1949, (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France) (reconnaissance OCR avec corrections manuelles, respect de l'orthographe des noms propres)

LE BILLET DU JOUR --- Sur la route de Tadla

Les petits oiseaux à huppe qui sautillent sur la route, entre un champ vert et un champ rouge, s'envolent lentement au passage de l'auto. Agiles comme leurs sœurs de la région de Mogador qui grimpent aux arganiers, les chèvres noires se regroupent près du berger, ou de la bergère, tandis que, dans le lointain, une procession d'enfants, accompagnée de fquihs, chante pour demander qu'Allah fasse enfin tomber la pluie.

Presque toujours droite, la route du Tadla s'enfonce dans l'intérieur du Maroc jusqu'à ce qu'elle se heurte à la muraille du Moyen-Atlas. Devant les montagnes bleues qui, dans l'air chaud, semblent irréelles, évoquant la chaîne savoyarde des Aravis, elle se sépare en deux tronçons : l'un descend vers le sud par Beni-Mellal, l'autre monte vers le nord en direction de Meknès. Hiératique et solitaire, le monument élevé à la mémoire des pacificateurs domine à la fois le carrefour et la ville de Kasba-Tadla, dont les habitants déjà vivent cachés dans l'ombre de leurs demeures, volets clos, comme à Tarascon en plein été.

Pour goûter un peu de fraîcheur, on boit quelques verres d'orangeade dans l'obscurité, et on les savoure comme un fruit rare, car on sait déjà que la glace sera rationnée à Tadla pendant la saison chaude. On commente les départs qui ont commencé. L'école peu à peu se vide, en même temps qu'on prépare la fête de fin d'année qui évoquera dans la fournaise d'une après-midi de mai les danses et les chants des vieilles provinces françaises. Peut-être obtiendra-t-on cette année que les élèves soient officiellement en vacances à partir du 15 juin, comme la chaleur et le bon sens semblent l'exiger.

Ainsi rêvent les Tadlaouis en cette après-midi dominicale, ceux du moins qui n'ont pas pris la route de Ksiba - Ksiba, oasis de verdure, suprême espoir et suprême pensée de ceux qui n'iront pas en France, Ksiba, qui, par sa fraîcheur et sa propreté (il n'y a pas d'autre mot) ressemble à un coin de Suisse placé par les dieux secourables à 30 kilomètres du four crématoire du Maroc. - J.S.

Commentaires : la chaleur estivale du Tadla est bien évoquée ; les comparaisons systématiques avec la France, la Suisse, sont déjà dans les têtes, colonisant l'imaginaire (j'ai lu dans un livre consacré à l'Atlas, une comparaison avec les paysages de l'Arizona, l'auteur enseigna l'anglais à la faculté de Rabat) ; je ne sais pas si en 1949, parler de Kasba-Tadla comme étant le « four crématoire » du Maroc est heureux, mais cela semble être l'expression consacrée, déjà utilisée avant la guerre, pour marquer les esprits sur la chaleur liquéfiante qui s'abat sur le Tadla, l'été. Nous sommes en avril, il fait chaud et la pluie attendue ; le journaliste parle de chants alors que le coran ne se chante pas, il se psalmodie ; le 03 février 2022, le ministère des Habous et des Affaires Islamiques demanda, pour le lendemain, que les fidèles, dans le respect des règles liées à l'épidémie de covid-19, effectuent des prières surérogatoires pour qu'enfin la pluie tombe.

Photographie A : El Ksiba - Le Bureau des A.I. (Photo Reportage Verdy - Casablanca) - carte postée à El Ksiba le 04 mai 1951, avec le texte suivant « le ... ? (j'ai oublié) Cher fils, Je suis à Ksiba depuis lundi. C'est à 1100 m d'altitude, aussi l'air y est frais et les arbres sont presque les mêmes qu'en France. Nous samedi matin - in cha Allah ! - et j'ai hâte d'être chez moi ... Gros baisers Papy »

© Copyleft Q.T. 08 février 2022 modifié le 22 août 2023