Il était une frappe #2

Hinschberger, pointe d'acier

11 mai 1984. Finale de la Coupe de France. Dans un Parc des Princes acquis au blason à la Croix de Lorraine, Philippe Hinschberger va mener, d'un pointu opportuniste, le FC Metz vers son premier trophée national. Les Grenats renversent l'AS Monaco et se dirigent vers une victoire aussi retentissante sportivement que socialement. L'acier lorrain vivra, encore, pour un temps.

Seul un supporter messin pourra vous répondre "La Coupe de France" si vous lui demandez une victoire historique au Parc des Princes en 1984. Deux mois avant la bande à Hidalgo, c'est bien Metz qui veut devenir la vedette du football français. Mais face aux Grenats, c'est Monaco qui se dresse et qui fait office de légitime favori à la levée du trophée. L'AS Monaco, c'est en effet à l'époque l'équipe d'Ettorri, Puel, Amoros, Genghini, Bellone ou encore Daniel Bravo. Metz, en face, s'arme d'un collectif habité par son épopée et d'un peuple grenat, uni derrière lui aussi bien grâce à cette épopée lumineuse que la symbolique sociale qu'il représente.

« Il n'y aura pas de secteur condamné, qu'il s'agisse, dans votre région, de la sidérurgie qu'il nous faut sauvegarder, développer, ou des mines de fer, dont l'exploitation doit être poursuivie...»

François Mitterrand à Longwy, octobre 1981

Les années quatre-vingt, c'est la gauche au pouvoir et donc l'espoir pour le bassin houiller de voir le gouvernement Mitterand sauver les bastions de la sidérurgie française, en déclin ces dernières années. Sous les nombreuses cheminées des vallées usinières triment des milliers de supporters messins qui voient donc en Mitterand l'espoir de préserver leur emploi. Preuve en est, dans la troisième circonscription de Moselle, haut lieu de la sidérugie qui s'étend de Fontoy à Fameck, le candidat socialiste sera plébiscité à 65%, l'un de ses meilleurs scores toute circonscription confondue, au second tour face à Giscard.

Mais les promesses électorales laisseront place en quelques années à la triste réalité du jeu politique. En 1984, le gouvernement Mitterand-Mauroy dévoile son deuxième Plan Acier et annonce la suppression de 20 à 25 000 emplois dans le secteur sidérurgique. Qualifiée d' "erreur tragique" par le député communiste George Marchais, cette mesure menace un travailleur sur quatre en Lorraine, et un sur deux à Longwy selon Lutte Ouvrière. Le « Texas français » n'est plus, et après avoir vu marcher 50 000 personnes en faveur des sidérurgistes en avril, l'éxécutif français voit débarquer 10 000 supporters lorrains au Parc des Princes pour un match aussi politique que sportif. Carlo Molinari l'annonce d'ailleurs en préambule du match : "Quelquefois, le travail et le courage ont raison du capital..."

Quand Mitterrand évite la huée

Comme le veut la tradition, le Président de la République assiste à la finale de la Coupe de France. Mais, soucieux de son image et sentant que le public est loin d'être acquis à sa cause, il établit avec son équipe un stratagème malin pour éviter la bronca. Deux hommes de l'équipe du Président, armés d'un talkie-walkie, et placés, pour l'un, devant l'entrée des joueurs et pour l'autre en tribune présidentielle, feront entrer François Mitterrand en même temps que les deux équipes acclamées sur le terrain, ce qui lui vaudra une entrée discrète qui évitera toute huée du virage mosellan.


Une anecdote racontée dans l'ouvrage "L'Élysée de Mitterrand: Secrets de la maison du prince" de Michel Sarazin et Michel Schifres.

Le président du FC Metz se permet d'ailleurs de glisser un mot au Chef de l’État au sujet de ceux qui, en tribunes, voient des années de galère se profiler : « Regardez nos supporteurs. Ils chantent mais ils ont peur pour leur emploi ». Mitterrand lui répondra un simple : « Je vais voir ce que je peux faire. » .

La composition messine : Ettorre - Thys (puis Sonor), Colombo, Zappia, Barraja - Rohr (puis Cangini), Bracigliano, Bernad - Hinschberger, Pécout, Kurbos

Entraîneur : Henryk Kasperczack

La galère, elle se profile également sur le terrain. Le FC Metz n'a pas fait une saison brillantissime, est sorti du Top 10 de D1 et doit son salut à la Coupe de France. Monaco, de son côté a manqué le titre au goal-average et cela se ressent sur le terrain. Pot de terre contre pot de fer. La moindre percée lorraine est acclamée par la foule tandis que les monégasques contrôlent les débats, plus techniques et plus vifs.

Mais le FC Metz n'a pas éliminé le grand FC Nantes pour rien. Solides défensivement, les Lorrains peuvent compter sur l'assurance d'un Michel Ettore impérial ce soir-là et bien aidé par sa défense. Les messins emmènent Monaco en prolongations et c'est déjà une petite victoire au vue de la physionomie du match.

30 minutes de bonheur en plus que les Lorrains vont s'approprier par leur force de caractère. Le Virage Auteuil, cette fois-ci rempli de grenat, pousse ses avants messins et sent que la décision peut se forcer.

Plus la prolongation avance, plus les Grenats sont entreprenants. A la 102ème minute, la sacro-sainte règle de la passe en retrait au gardien n'existant pas, Ettori coupe l'attaque monégasque et relance sur le flanc droit, où les messins sont en surnombre. Bracigliano sert de suite Jean-Paul Bernad qui remonte jusqu'aux 35 mètres. Le numéro 10 grenat, qui endosse parfaitement le rôle de chef d'orchestre derrière les fusées offensives, lance Kurbos dans le dos de la défense. Les monégasques ont du mal à suivre et Kurbos remise à merveille en retrait pour Bernad, totalement esseulé à l'entrée de la surface, plein axe.

Bernad aurait pu être le héros de cet épisode d'Il était une frappe, mais son tir, trop écrasé ou trop altruiste selon les versions, atterrit dans les pieds de Hinschberger. Couvert par Puel, l'attaquant emblématique du FC Metz prend le dessus sur le futur coach des Verts et s'arrache pour tromper Ettorri d'un pointu peu académique, mais ô combien libérateur.

C'est la délivrance. Hinschberger court vers son banc les bras au ciel et s'effondre sous les accolades de ses coéquipiers. Le FC Metz va inscrire la première grande ligne de son palmarès, quarante-six ans après sa dernière finale de Coupe ! D'un but de raccroc, bien moins beau que celui qu'il avait inscrit en demi contre Nantes, Philippe Hinschberger écrit les premières lettres d'or du club qui l'a amené au monde professionnel, sous les yeux de milliers de messins venu garnir le Parc pour faire entendre la voix d'une région fier de ses ambassadeurs.

Les messins seront métamorphosés suite à ce but et iront tuer le match cinq minutes plus tard sur une merveille de une-deux sur 40 mètres entre Hinschberger et Kurbos. L'attaquant slovène crucifiera Ettorri pour marquer le 2-0.

Philippe Hinschberger avec le FC Metz

25 saisons consécutives au club

483 matches disputés dont 430 de Division 1

74 buts - Deuxième meilleur buteur de l'histoire du club

Cette frappe est la conclusion de l'épopée messine jusqu'à à Paris. Elle est surtout le symbole de cette région qui s'arrache pour écrire son histoire, au nez et à la barbe des favoris et des hauts placés. Personne n'aurait vu le FC Metz remporter cette Coupe de France, mais à force de courage et de détermination, les Grenats sont allés chercher le premier trophée du club, au nez et à la barbe des riches et talentueux monégasques. Comme avec ses métallos un mois avant, la Moselle s'empare de la capitale pour faire entendre sa voix. Cette fois-ci, c'est celle d'un peuple uni et fier dans la joie.