À l’école ou ailleurs, la diversité est peut-être un fait, peut-être une valeur, à coup sûr une cause à double tranchant. Car si chaque élève est unique, nous les instruisons ensemble en vertu de leur droit et de leur devoir de s’affilier : de s’inscrire dans le langage, la culture, les savoirs, les mœurs et les règles démocratiques, tout ce qui rend possible de nouer des liens et d’en discuter. Comment l’enseignement compose-t-il entre respect des différences et impératif de rassembler ? Nous savons que l’instruction publique est historiquement fondée sur un contrat entre l’État central et chacun de ses administrés : les élèves ont tous droit à l’éducation et à l’attention du corps enseignant ; mais l’école leur assigne en échange le devoir de se soumettre aux règles et aux programmes conçus à leur intention. À la limite, les deux termes de l’équation peuvent entrer en contradiction : la valeur de protection plaide pour « le droit à l’inclusion » ; celle de responsabilité pour « le devoir de s’intégrer ». D’un côté, l’idéal d’une harmonie sans barrière ni rivalité, de l’autre les pratiques de hiérarchisation des mérites et des distinctions individualisés. C’est ainsi que cohabitent l’injonction de prendre en compte chaque besoin particulier et celle d’établir des classements signifiant l’inégalité des capacités. La recherche montre que les milieux sociaux ne sont pas égaux devant ce paradoxe, et qu’ils peuvent militer pour diverses conceptions de la diversité : car plus un groupe est économiquement et culturellement dominant, plus il peut imposer ses droits et minimiser ses devoirs, en exigeant l’inverse des milieux dominés. Des exemples tirés des pratiques pédagogiques et de l’organisation du travail dans les établissements serviront à poser ce problème et peut-être à trancher entre les différentes causes défendues, consciemment ou non, par diverses manières ordinaires de différencier.
Olivier Maulini est professeur associé à l’Université de Genève (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation) dans le domaine « Analyse du métier d'enseignant ». Il est responsable du Laboratoire de recherche Innovation-Formation-Éducation (LIFE) et actuellement vice-président de la Section des sciences de l’éducation. Il intervient dans la formation des enseignants primaires et secondaires, des directeurs d'établissement et des formateurs d'enseignants. Ses recherches portent sur les pratiques pédagogiques et les institutions scolaires, le travail, le métier et la formation des enseignants, les rapports entre savoirs, école et société. Parmi ses ouvrages récents, publiés en nom propre ou en co-édition : Les directeurs au travail : une enquête au cœur des établissements scolaires et socio-sanitaires (Lang, 2016). Questionner et valoriser le métier d’enseignant : une double contrainte en formation (De Boeck, 2019). Eduquer entre engagement et lucidité (ESF, 2019).
Darwin, l'archétype même des personnes de science, a consacré des pages fameuses de son autobiographie à son incapacité à trouver sa place à l'école ainsi que, plus tard, à l'université. Que ce soit avec Darwin ou avec des profils similaires de notre temps, nous explorerons la question de la présence de la variation ou de la variabilité, deux termes chers à l'illustre savant, au sein du projet scolaire.
A cette aune sera interrogée la notion de programme par distinction avec l'imprévisibilité de la biodiversité humaine, ainsi que les diverses approches envisagées. Parmi celles-ci figurera le point, rarement évoqué, de l'appel à des professionnels eux-mêmes issus de la large palette des possibles.
Enfin, l'actualité de l'épidémie de 2020 et les bouleversements pédagogiques qu'elle implique sera abordée sous l'angle de l'apport qu'elle peut constituer pour la prise en compte de la différence.
Josef Schovanec, saltimbanque de l'autisme et de la biodiversité humaine, se rêve guide touristique de son pays natal, l'Autistan. Chroniqueur radio, auteur, il travaille actuellement à l'Université de Louvain (Belgique).