Le PDG d'EDF a pour mission de mettre en place une transformation de l’entreprise visant à accélérer le processus de privatisation et, au final, remplir les poches des actionnaires et faire grimper la facture pour l'usager.
Ainsi, l’État projetterait de scinder le groupe, avec d’un côté tous les moyens de production d’EDF détenus par l’État, et d’un autre tout le reste qui serait placé dans une autre structure dont le capital pourrait être ouvert au privé.
Si cette solution était choisie, ce serait bel et bien un schéma de démantèlement que le gouvernement serait en train de préparer.
Par ailleurs, cette désintégration réduirait EDF à devenir un simple fournisseur d’énergie électrique, ce qui serait la fin d’une part majeure de ses missions de service public car la totalité de la production nucléaire serait mise à la disposition du privé.
Pour la CGT, l’heure n’est certainement pas à un démantèlement du modèle EDF qui fait ses preuves depuis plus de 70 ans, d’autant plus que la France a un rôle de premier plan dans le secteur de l’Energie, hautement stratégique pour l’économie et les usagers de notre pays et de toute l’Europe.
Vidéo d'un de nos secrétaires de syndicat (Énergie Lorraine) expliquant le projet HERCULE.
Devant les impasses destructrices du marché de l’énergie, “Hercule”, nom de code du projet de restructuration du groupe EDF tente une – ultime ? – adaptation risquée du service public de l’énergie. Entretien avec François Dos Santos, secrétaire du comité central d’EDF SA.
Est-ce par la presse que vous avez pris connaissance des détails du projet Hercule ?
Oui ! Emmanuel Macron avait en 2016, à l’Assemblée nationale, évoqué la possibilité de modifier la structure d’EDF. En novembre 2018, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, déclare qu’il réfléchit à la structure du groupe et qu’il fera des propositions fin 2019. Nous travaillons de notre côté sur l’analyse des notes des banques d’affaires qui planchent sur le sujet.
Et soudain, on découvre à la mi-avril, dans un article du “Parisien”, les modalités de la restructuration – le journal fournit même un schéma de la nouvelle architecture du groupe – et on apprend que l’Élysée est à la manœuvre. Sans aucune information ni concertation, on constate que le calendrier s’accélère.
Aujourd’hui, nous avons de bonnes raisons de croire que les travaux sont très engagés en vue d’entamer rapidement les négociations avec la Commission européenne, c’est le passage obligé, et rien n’augure, d’ailleurs, ni de sa position ni de ses éventuelles exigences concernant ce projet.
Que contient le projet Hercule ?
Il y a deux aspects, deux préoccupations, auxquelles le projet tente de répondre.
Un chantier de régulation du marché, via ce qu’on nomme un “corridor” des prix pour assurer à la filière énergétique plus de stabilité de ses revenus dans la durée, en échange de la disponibilité sur le marché de la production d’EDF. La bataille, médiatisée, autour de l’Arenh (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) et des volumes de production mis à disposition de la concurrence dissimule mal ce projet. Les fluctuations sur le prix du mégawattheure, quand ils sont à la baisse, pénalisent EDF, comme ce fut le cas ces trois dernières années, et quand ils sont à la hausse, le contraignent, par le mécanisme de l’Arenh, à vendre à perte un quart de sa production à la concurrence.
Donc l’objectif est, d’une part, de limiter les prix à la baisse pour ne pas grever les charges de maintenance et d’investissement de l’outil industriel et, de l’autre, de les maîtriser pour ne pas pénaliser les consommateurs – ce qu’au passage EDF et le service public étaient parvenus à réaliser depuis soixante ans.
En parallèle est prévue la réorganisation du groupe EDF en deux sociétés. La première détiendrait les actifs du nucléaire, en France et à l’étranger, et du thermique à flamme. Concernant l’hydraulique, compte tenu des exigences européennes, on reste dans le flou. Ce périmètre détenu aujourd’hui à 83 % pourrait l’être à 100 %, mais personne, ni EDF ni l’État n’a confirmé cette annonce. La seconde société détiendrait à 65 % une filiale qui comprendrait Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia et toutes les activités d’EDF dans les territoires ultramarins.
Ces filiales ont le grand avantage, aux yeux des marchés financiers, d’avoir des activités régulées, très administrées et donc des revenus garantis : Enedis, via les Turpe (tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité) ; EDF Renouvelables, par des contrats d’achat sur vingt ans ; Dalkia par délégation de service public, comme le chauffage urbain, par exemple. Dans cette restructuration, la branche commerce avec ses 8 500 salariés, dont 5 000 conseillers clientèle, tous basés en France, et 350 conseillers solidarité, serait très fragilisée.
L’idée est déréguler le marché “aval” (transport, distribution, commercialisation et renouvelables) et ouvrir “en même temps” à la finance les nouveaux marchés. Et de réguler le marché amont (production) pour avoir des prix garantis.
Au final, Hercule construit deux secteurs, que le projet colorie en bleu et en vert ?
Oui. L’idée sous-jacente du projet Hercule, qui doit être “présentable” devant la Commission européenne, c’est de réaliser un deal : déréguler le marché “aval” (transport, distribution, commercialisation et renouvelables) et ouvrir “en même temps” à la finance les nouveaux marchés. Et de réguler le marché amont (production) pour avoir des prix garantis. Hercule est en fait la énième tentative d’adaptation à une déréglementation sans tête. On organise le transfert de la rente créée par le service public et celui des parts de marché en échange d’un peu de stabilité des marchés de gros, stabilité qui n’est même pas garantie.
Beaucoup de commentateurs mettent en avant la dette d’EDF comme ressort de cette restructuration. Qu’en pensez-vous ?
Si on regarde les dix dernières années, les charges de maintenance, d’exploitation et les coûts sont relativement constants. Par contre, les recettes fluctuent énormément : EDF dit souvent, à raison, que quand les prix du marché baissent ou augmentent de trois euros, c’est un milliard d’excédent brut d’exploitation dans les comptes de l’entreprise.
Quels sont les risques sociaux d’un tel projet ?
Il ne suffit pas que les directions disent “on ne touchera pas au statut” pour que tout soit dit. On garde le statut, mais en fait il est remis en cause ligne par ligne. Qui dit filialisation, dit extinction de tous les accords collectifs dans ces entreprises. Les salariés se souviennent de ce qui s’est passé chez Enedis en 2008. Les salariés d’EDF Renouvelables et Dalkia ne sont pas au statut.
Les fédérations syndicales ont donc raison d’organiser dès maintenant la mobilisation des salariés. Et les Activités Sociales vont dans cette période être plus que jamais des ferments de solidarité et de ciment de la communauté des salariés, qu’ils soient sous statut ou non.
Les tracts et documents sur le projet HERCULE :
Pourquoi la scission est une mauvaise idée ?
Scission et nouveau modèle de régulation ne vont pas de pair
La principale difficulté rencontrée par EDF concerne l’exposition aux marchés de gros provient des incertitudes à long terme sur le prix de l’électricité sur le marché. C’est ce qui lui permet -ou pas- de s’engager sur des investissements longs, avec un coût d’entrée important mais une durée de vie supérieure à quarante ans.
Le fait de procéder à l’isolement des activités nucléaires d’EDF ne lui apporte aucune garantie de prix, alors qu’il s’agit pourtant de la première urgence pour l’industrie électrique.
Avec une entité nucléaire isolée, comme dans le scénario UBS, «old EDF» devrait tout de même porter sur son propre bilan le renouvellement du parc nucléaire d’EDF ainsi que sa prolongation. En l’absence de garantie de recettes, cela signifie que l’endettement repartira inévitablement à la hausse. La situation serait au moins identique, sinon meilleure, dans le cadre d’un groupe EDF intégré. La scission n’est donc pas gage d’un meilleur financement des activités d’EDF, ni d’une meilleure structure financière pour les activités de production.
L’intégration des activités d’EDF lui permet d’ailleurs de ne pas être exposée totalement à ce risque par la diversification de ses activités (commercialisation, distribution…). Isoler les activités nucléaires au sein d’une entité distincte lui donne un profil de risque plus élevé.
Enfin, l’hypothèse d’une séparation des activités de commercialisation et de production signifie que la totalité de la production d’EDF serait soumise au prix de gros. Sur 444 TWh produits en 2017, 310 TWh sont commercialisés directement par EDF, dont 145 au tarif règlementé.
Jusqu’à 100 TWh peuvent par ailleurs être cédés via l’ARENH. Ainsi, dans l’hypothèse où l’entité qui produit l’électricité et celle qui la commercialise sont séparées, il est probable que le commercialisateur ne bénéficie plus d’un accès privilégié à la production du parc d’EDF.
La scission accentuerait donc l’exposition d’EDF aux prix de marché, alors que l’urgence est précisément de faire l’inverse.
Le scénario Natixis, pour sa part, régule le prix du nucléaire tout en actant la disparition du tarif réglementé. C’est donc un nouveau coup porté au consommateur.
Quelle que soit la solution finalement retenue, il est certain que la commission européenne souhaitera profiter d’une opération de scission pour rediscuter toute l’ouverture du marché en France, alors que les contentieux antérieurs ont été clos par la mise en place de l’AREHN (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) et la suppression des tarifs réglementés jaunes et verts. Un exemple d’actualité le démontre : s’agissant de la mise en concurrence des concessions hydroélectriques, deux Ministres avaient ouvert la brèche (Jean-Louis Borloo en 2010 puis Ségolène Royal en 2015), dans laquelle la commission européenne s’est empressée de s’engouffrer pour exiger l’ouverture immédiate et totale à la concurrence des concessions hydroélectriques.
Ainsi, à défaut de nouveau modèle de régulation, notamment sur les prix, le risque est surtout une accentuation de la dérégulation du marché de l’électricité en France.
L’autre motivation, en particulier du scénario UBS, est de démanteler EDF pour en faire un produit plus «bankable». Mettre tous les actifs dont les prix sont garantis (Enedis, EDF EN, Dalkia dans une moindre mesure) dans une entité dite «new EDF» et en céder 20 % à la bourse. Il va sans dire que ce type d’actifs, régulés, attirent les appétits des financiers qui voient une aubaine d’avoir des revenus totalement garantis, un dividende récurent et un coût d’endettement en nette baisse Dans le scénario Natixis, si le modèle de scission.. n’est pas le même, il s’agit bien de vendre également 8 % du capital d’EDF à la bourse. Accroitre l’ouverture du capital d’EDF et «rendre la mariée plus belle» avant une telle opération pour remplir les caisses de l’Etat pourraient être une motivation.
Alors, pourquoi une scission : s’agit-t-il de renforcer le service public ou de maximiser la valeur financière d’EDF ?
L’ensemble de ces scénarios ne répondent pas aux besoins du service public de l’électricité. Ils ne sont d’ailleurs pas aboutis loin de là. Les modalités de transfert du parc nucléaire dans le scénario Natixis n’est pas décrit. Côté UBS, rien n’indique comment le parc se finance ou se refinance dans les décennies à venir, alors même qu’il intervient dans un marché davantage dérégulé.
La question du développement concret de l’entreprise est toujours posée dans ces scénarios. L’avenir de l’ingénierie, les activités internationales et en particulier l’entité qui porterait les projets nucléaires neufs à l’étranger ne sont pas traités.
Un démembrement d’EDF aurait également un coût certain (désorganisation, refonte des systèmes d’information, déménagements, reconstitution d’équipes en particulier pour les fonctions mutualisées).
EDF a déjà vécu ce type de désoptimisation lors de la création du RTE, la séparation avec Gaz de France ou la naissance d’Enedis. Le coût total de ces trois opérations successives n’a jamais été chiffré par les pouvoirs publics. En 2013, pour les seuls systèmes informatiques, la CRE a estimé que la duplication de ceux-ci avait couté 84 millions d’euros.
Un autre sujet d’importance, d’ordre organisationnel est également posé : de nombreuses entités d’EDF travaillent simultanément pour toutes les activités : fonctions supports (RH, achats, comptabilité, système d’information), ingénierie, recherche et développement, planification et gestion du périmètre d’équilibre (DOAAT). Des complémentarités techniques existent également entre l’hydraulique et le nucléaire (refroidissement des eaux, renvoi de tension) ou encore le rôle d’ajustement essentiel du thermique à flamme. Démanteler, c’est fragiliser ces coopérations indispensables pour assurer la continuité de l’approvisionnement.
La FNME CGT considère en conséquence que ces projets de scission sont extrêmement dangereux. L’exercice de simulation réalisé par les banques d’affaires montre bien le caractère complexe et inabouti de tels projets. Ils créent davantage de problèmes qu’ils prétendent en résoudre. Le renforcement du service public doit être la seule boussole du gouvernement !