Doctorant, Université de Perpignan via Domitia en France, Directeur du patrimoine culturel, Burkina Faso
Dans les traditions des sociétés précoloniales, préchrétiennes et préislamiques, l’eau (en tant que ressource naturelle) revêt un ensemble de significations et de fonctions culturelles voire cultuelles à côté de ses usages domestiques. Les sociétés précoloniales du Burkina Faso, bien avant leur contact avec l’Occident et le monde arabe ainsi que les différentes influences qui en ont découlé, n’en font pas exception. Dans ces sociétés, plusieurs études ont déjà montré les relations qu’il y a entre l’homme et son milieu naturel. Ainsi, des mécanismes avaient été générés au sein de ces sociétés pour maintenir une certaine harmonie entre l’homme et son environnement dans le but de garantir la pérennité et le renouvellement des espèces et ressources naturelles au sein desquelles l’eau occupe une place importante. Cette gouvernance traditionnelle était assurée par les systèmes politiques mis en place dans le cadre de l’organisation générale de la communauté, et où le chef de terre occupait un important rôle. C’est par exemple le cas avec les communautés nuni du sud du Burkina Faso. Si plusieurs auteurs avant nous ont déjà proposé des études sur la (re)connaissance de ces savoirs, il peut être aussi intéressant de se demander en quoi il serait utile pour les institutions en charge de la culture et du patrimoine en particulier de procéder à leur inventaire, comme outil méthodologique de connaissance du patrimoine et dans un but didactique. Ainsi inventoriés, on pourrait dans le même temps se demander dans quelle (s) mesure (s) ces savoirs ont été intégrés dans les dispositifs modernes de gestion de l’eau. Cette proposition vise donc à analyser, dans une étude comparative, la gestion publique des ressources en eau à la lumière des savoirs traditionnels, tout en dégageant les bonnes pratiques, ici et là. Pour ce faire, nous nous utiliserons les données collectées dans le cadre de notre thèse qui fournit déjà une synthèse sur la question.
Conseiller technique de Gouverneur de région chargé des questions culturelles à Kaya, Burkina Fas
La présente communication est le résultat d’une étude élaborée à partir d’une consultation d’archives nationales et des investigations bibliographiques. L’étude est réalisée au Burkina Faso, un pays situé au cœur de l’Afrique occidentale, faisant frontière avec la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Togo, le Niger et le Mali. Elle se veut une contribution à la connaissance du processus de prise en compte des hydronymes locaux dans la dynamique d’organisation du territoire national burkinabè. La communication s’attèle d’abord à décrire les cours d’eau dont des provinces portent des noms. Elle présente ensuite l’historique du transfert des hydronymes locaux au territoires. Elle analyse enfin les mutations et enjeux liés à cette patrimonialisation.
Vingt-quatre provinces sur les quarante-cinq que compte le Burkina Faso doivent leurs noms à des cours d’eau. Parmi ces cours d’eau, il y a ceux qui relèvent du réseau hydrographique national. Les cours d’eau qui composent ce réseau sont les bassins versants nationaux et leurs affluents. Le Mouhoun est le plus grand bassin national, s’étendant sur 91036 kilomètres carrés. Ses affluents sont le Balé, la Bougouriba, le Sourou, le Nayala, la Kossi, le Noumbiel et le Tuy. Le bassin du Niger avec 83442 kilomètres carrées d’étendue est alimenté par les rivières Tapoa, Koulpélogo, Kompienga, Gnagna (encore appelé Sirba) et Komandjari. Le bassin du Nakanbé occupe 81932 kilomètres carrés avec des sous-bassins comme la Sissili et le Ziro. Dans ce bassin se trouve aussi le lac Bam, la plus importante retenue d'eau de surface naturelle du pays. Le bassin de la Comoé avec ses 17590 kilomètres carrés compte en son sein la Comoé et la Léraba.
Les autres ressources qui ont donné leurs noms aux provinces ne sont pas présentes dans le réseau hydrographique national mais constituent des signifiants locaux pour les communautés qui les abritent. Il s’agit de retenues d’eau de moindre envergure notamment, des rivières, des marigots et des puits. Au titre des rivières, il y a le Bazèga à Toécé et le Kadiogo à Ouagadougou. Dans le chapitre des marigots, il y a le Poni à Gaoua et le Houet à Bobo Dioulasso. En ce qui concerne les puits, il y a le Boulkiemdé à Koudougou.
L’usage de ces hydronymes dans le vocabulaire officiel burkinabè est un processus qui couvre la période de 1983 à 1996. Au lendemain de l’Indépendance et surtout durant la période révolutionnaire (1983-1987), l’État a entrepris des transformations profondes pour rompre avec son passé colonial. Des mesures fortes sont prises pour opérer et rendre visible cette mutation à travers un vaste mouvement de patrimonialisation des ressources endogènes à travers leur appellation. L’une des actions les plus symboliques est le changement du nom du pays. La Haute-Volta devient Burkina Faso (patrie des Hommes intègres). Outre cela, les trois principaux fleuves du pays que sont la Volta noire, la Volta blanche et la Volta rouge sont respectivement consacrés sous les appellations Mouhoun, Nakanbé et Nazinon. Dans la même dynamique et en lien avec la réorganisation du territoire national, certains hydronymes endogènes sont convoqués pour la construction des identités territoriales, à côté des noms de grandes figures historiques des peuples et de référents naturels comme les collines et les montagnes. En 1983, pour la première fois dans l’histoire du pays, il est créé vingt-cinq provinces. Douze parmi elles portent des noms de cours d’eau. Ce sont les provinces du Bam, de la Bougouriba, de la Comoé, de la Gnagna, du Gourma, du Houet, du Mouhoun, du Poni, du Sourou, de la Kossi, de la Sissili et de la Tapoa. En 1984, cinq nouvelles provinces sont créées. Trois portent des noms de cours d'eau. Ce sont celles du Bazèga, du Boulkiemdé et du Kadiogo. En 1996, il est créé quinze nouvelles autres provinces au nombre desquelles neuf portent des noms de cours d’eau : le Balé, la Komandjari, la Kompienga, le Tuy, le Koulpélogo, la Léraba, le Nayala, le Noumbiel et le Ziro.
La valorisation des hydronymes endogènes dans le processus de l’organisation du territoire national a engendré des mutations de sens et de valeur les concernant. En effet, ce qui renvoyait à des cours d’eau est désormais relatif à des circonscriptions administratives notamment, des provinces. En outre, des appellations qui n’avaient de portée que locale ont acquis un rayonnement national voire international, du fait de l’importance de certains cours d’eau dans le réseau hydrographique national et celui de la sous-région. Cette valorisation a aussi conféré des nouveaux enjeux à la gestion de certains cours d’eau surtout les fleuves et rivières. À l’origine, ces cours d’eau n’avaient que des enjeux d’ordre économique. Ils constituent une ressource naturelle desquelles dépendent des millions de personnes. Ils permettent l’exercice de diverses activités économiques dont l’agriculture, l’élevage, la pêche, la sylviculture, le commerce, l’artisanat, le tourisme, la production d’énergie, etc. Une fois les hydronymes intégrés dans le vocabulaire officiel à travers la création des provinces, il est désormais associé un enjeu politique à ces cours d’eau. Il en est ainsi du fait que les provinces sont des commandements politiques dans la chaîne de l’administration du territoire de même que des circonscriptions électorales au titre des élections présidentielles et législatives.
La valorisation des hydronymes endogènes a été une belle occasion de promotion des langues nationales qui leur sont associées. L’usage entre autres des langues notamment, le bwamu, le marka, le lobiri, le gulmacema, le mooré, le nouna, le bambara, le bobo-mandarè, le sonraï, dans lesquelles ces hydronymes sont exprimés, a renforcé le sentiment d’identité vis-à-vis des cours d’eau et constitue désormais un facteur de mobilisation sociale dans les territoires concernés.
Consultant National chargé des Communications auprès de l’ONU Femmes, Burundi
La géologie du Burundi en général et du lac Tanganyika en particulier est liée aux grands mouvements tectoniques qui ont modelé le relief de l’Est de l’Afrique et surtout à la grande fracturation du continent qui, à la fin du tertiaire, a individualisé le fossé de ce lac.
En 1967, le dépôt des premiers sédiments lacustres et fluviatiles dans le fond du Graben semble remonter à la fin du Tertiaire. A cette époque, le lac Tanganyika occupait une superficie bien plus importante qu’à l’heure actuelle et son rivage nord atteignait au moins le barrage de basaltes issu des coulées de laves des volcans du Kivu.
Au Burundi, les plages sablonneuses dominent à raison de 78%, avec 4% pour les substrats rocheux, 8% pour les substrats mixtes et 10% pour les substrats vaseux (Coenen et al., 1993). Le système pédologique de la partie Nord-est du lac Tanganyika est essentiellement alluvionnaire sous l’influence à la fois lacustre et fluviatile.
Plus de 300 espèces de poissons se développent dans les habitats côtiers et sont ciblés par les pêcheurs du littoral qui utilisent une large gamme d’engins de pêche. Actuellement, la valeur de la production de poissons pour l’ensemble du Lac est de 180 millions de dollars (sur les rives). Toutefois, si l’on permet aux petits poissons de grandir, et si d’autres moyens sont utilisés pour arrêter les prises de poissons de taille illégale, le rendement net pourrait atteindre jusqu’à 300 millions de dollars par an sur le site de débarquement. Cela équivaut à une production de l’ordre de 160 000 à 200 000 tonnes par an. Pour le moment, les débarquements annuels de poissons au Burundi sont estimés entre 10 000 et 11 000 tonnes ; en Zambie, de 10 000 à 11 000 tonnes, en Tanzanie de 34 000 à 37 800 tonnes, et de 60 000 tonnes en RDC. Le total pour les quatre pays serait ainsi de 114 000 à 120 000 tonnes chaque année (Van der Knaap et. al. 2013).
Pour la période de 1931 à 1960, la hausse annuelle moyenne de l’eau a été de 80,3 cm; pour la période de 1960 à 1967, la hausse annuelle moyenne a été de 96,7 cm, et la baisse de 73,1 cm. Le niveau moyen du lac, pour la période de 1961 à 1990 a été de 775,09 m d’altitude. On relève que les hausses de 1961-1962, 1962-1963, 1963-1964, sont consécutives à une pluviométrie très supérieure à la normale pendant trois années de suite sur l’ensemble du bassin versant, dont on a les données au Burundi pour les stations de Mparambo et Gisozi.
De 1993 à 1997, les hausses et les baisses annuelles ont été respectivement de 87 cm et 80 cm. Les hausses sont corrélées positivement avec les précipitations sur le bassin versant, tandis que les baisses sont essentiellement en rapport avec l’évaporation. L’effet de ces oscillations du niveau du plan d’eau se manifeste par l’extension horizontale du lac. Le niveau moyen actuel du lac indiqué est à 773 m. Quand le niveau monte jusqu’à 776 m, près de 80% des écosystèmes du delta, toute la terrasse inférieure de la ville de Bujumbura se trouvent sous eaux.
Les experts tirent sur la sonnette d’alarme. Les eaux du lac atteignent des niveaux records avec les récentes précipitations. De quoi inquiéter les riverains qui vivent la peur au ventre avec les inondations récurrentes dans le littoral du lac Tanganyika. Selon les projections des experts, le niveau sera le plus élevé jamais enregistré pour frôler les 777 m. Les populations riveraines doivent se préparer au pire.
De la vie géologique, une vie alimentaire se caractérise bien avec les communautés qui sont sur le littoral. De la vie de pêche à la vie du petit commerce, il y a un commerce sur les sites débarquement s’est frôlé et souvent, exerçait par des femmes. Elles sont les clients potentiels des pêcheurs, au moment où la femme est interdite de faire de la pêche, interdiction liée à la culture et les croyances morales. Ces femmes sont ravies du fait qu’elles contribuent au développement de leurs ménages. La raison à cela est que les pêcheurs sont leurs clients potentiels. Sans eux, leurs activités seraient à l’arrêt.
La pêche dans le lac Tanganyika contribue à l’amélioration des conditions de vie des femmes qui mènent leurs vies de commerce autour du littoral de ce réservoir d’eau douce. « Dalila est mère de cinq enfants. Elle est commerçante de beignets et de bouillie au site de débarquement situé
au chef-lieu de la province de Rumonge. En janvier 2022, elle a fait savoir qu’elle se réveille à 5 h du matin pour leur préparer la bouillie et les beignets » précise-t-elle. « Avec un capital de 10 000 FBu, je parviens à engranger un bénéfice variant entre 2000 FBu et 4000 FBu par jour », fait remarquer Dalila. Elle se réjouit du fait qu’elle parvient à prendre en charge ses enfants. De surcroît, elle s’achète ce dont elle a besoin comme les habits, la nourriture etc. Dalila, commerçante de la bouillie et des beignets au site de débarquement de Rumonge : « Mes clients potentiels sont les pêcheurs ».
Mariam, la mère de Dalila âgée de plus de soixante ans est ravie. Elle fait savoir qu’elle est fière du fait que sa fille a retroussé les manches pour contribuer au développement de sa famille sans attendre l’apport de son mari. Selon cette sexagénaire, la vie est devenue chère. Les femmes doivent sortir des maisons pour appuyer leurs maris dans le développement de leurs ménages. Elle précise que les pêcheurs constituent une manne pour toutes les femmes qui exercent le petit commerce à ce site de débarquement. Leur absence constituerait un calvaire pour elles et leurs ménages, car elles ne trouveraient pas de clients.
Directeur du laboratoire LCSE, Algérie
Le Sahara algérien abrite l'un des plus anciens systèmes d'irrigation et d'alimentation d'eau au monde, nommé Foggara. Il peut être classé non seulement comme un patrimoine hydraulique et culturel national, mais plutôt mondial. La foggara est une galerie souterraine légèrement inclinée qui capte et transporte les eaux souterraines vers les jardins. La foggara ; une découverte qui a révolutionné l’hydraulique traditionnelle et s’est propagée sur une cinquantaine de pays de la planète. La foggara s'est adaptée dans les milieux arides et désertiques. C’est ainsi que la foggara porte plusieurs appellations à savoir le qanât en Iran, Ngoula en Tunisie, khettara au Maroc, falej au Sultanat d'Oman, karez au Pakistan, Afghanistan et en Chine, les minas d'Espagne. On trouve aussi des adductions similaires en Azerbaïdjan, en Arménie et dans l’ancienne Égypte. Selon les historiens, la première Foggara a été créée en Iran au XIe siècle. Il est à noter que patrimoine mondial de l'eau constitue le premier système planétaire à s'adapter au réchauffement climatique, puisqu’il a assuré à la fois la sécurité hydrique, la sécurité alimentaire et la sécurité énergétique dans un écosystème oasien sans nuire à l'environnement. En outre, ce système hydrotechnique traditionnel offre une eau d’une qualité exceptionnelle invariable dans le temps et dans l’espace. Ce papier est le fruit d’un long travail qui s’est basé sur des enquêtes menées au niveau des oasis par des auteurs algériens, notamment Remini B., le père de la Foggara algérienne. Cette étude utilise des informations anciennes et actuelles pour fournir un aperçu sur l'état actuel des foggaras du Sahara algérien. C’est en Algérie que la spécificité de ce patrimoine hydraulique mondial est la plus répandue. La foggara est une technologie associée à un système social de travail collectif, juridique et économique, animé par un conseil de sages appelé la Djemaa, dont le rôle est d’orienter la gouvernance de l’eau et de superviser l'entretien de la foggara et la distribution de son eau. Remini B. a identifié sept types de foggaras dans le Sahara algérien, qui ne ressemblent à aucune autre connue sur la planète. Les 52 pays possédant les foggaras recensées par Remini B. sont situés dans les régions arides. Sur les deux modes de partage (volumétrique et horaire) mis en évidence par Remini B., seule l’Algérie possède les deux modes. En plus, la foggara volumétrique est la plus sociale à cause de son mode de partage. Ce système hydraulique ancestral a été mis en œuvre sous les formes de concertation et de participation depuis plus de 20 siècles de fonctionnement dans un climat aride. Une valorisation du savoir-faire de ces technologies très anciennes des foggaras est hautement recommandé pour réfléchir à des solutions adaptées au contexte de ce nouveau climat.
L’article identifie différentes questions scientifiques s’intéressent au mécanisme et au fonctionnement du système foggaras. D’ores et déjà des questions se posent sur le secret de la durabilité de ce système ingénieux afin de tirer profit et de proposer des techniques qui peuvent être les solutions pour les défis de la gestion actuelle. Mêmes les acteurs locaux peuvent proposer la mise en place de dispositifs pilotes de gestion des eaux souterraines. Ainsi ils peuvent organiser une réflexion sur les modèles de gestion socio -économique que pourraient tester de tels dispositifs pilotes. Mais nous attirons votre attention qu’aujourd’hui, ces foggaras sont menacées face aux nouvelles techniques d’exploitation des eaux souterraines, au risque de la destruction de tout un écosystème écologique mais aussi économique et social. Enfin, nous proposons des recommandations pour sauvegarder et protéger ce système hydraulique millénaire et un bien commun de l’humanité.
Professeur d'histoire du droit, Centre de Droit Maritime et Océanique “CDMO”, Nantes Université, France
À partir de la moitié du XIXe siècle, l’eau se sécularise en Afrique. Réservé jusque-là à la sphère de l’invisible et du sacré, l’eau passe dans le domaine de la technique moderne. Les XIXe et XXe siècles représentent en effet une période de rencontres et affrontements entre deux manières de concevoir à la fois la ressource en eau et la relation entre l’homme et le vivant aquatique. C’est la période de la colonisation et de la domination. Le besoin de produire de nouvelles richesses conduit à une maîtrise absolue de l’intégralité des eaux douces. Justifiant l’accaparement de la ressource sur plusieurs motifs d’ordre géographique, économique et historique, le colonisateur étend la domanialité publique sur les eaux de l’ensemble des colonies et des territoires soumis à son pouvoir. Ce régime juridique, propre au monde ultramarin et différent de celui existant en métropole, conduit non seulement à la négation des droits africains préexistants, mais oblige également les usagers à obtenir une autorisation administrative préalable. Cette nouvelle maîtrise des eaux va très vite modifier le paysage hydraulique africain, divisant les communautés et provoquant des violents conflits opposant les « traditionnalistes » aux « modernistes ». Les indépendances reproduiront le même schéma juridique colonial. Dans un contexte de pluralisme juridique, le droit national souffrira d’effectivité et les droits endogènes africains continueront de s’appliquer en dépit de toute reconnaissance formelle.
Cette contribution, inscrite dans les recherches actuelles en histoire du droit colonial, vise à développer deux points principaux. D’une part, à travers l’analyse de l’extension de la domanialité publique, sera étudiée la manière dont le colonisateur met en place un régime juridique des « eaux coloniales » spécifique et différent du droit français métropolitain. D’autre part, examinant l’action du colonisateur s’attachant à disqualifier les droits originellement africains, on présentera la nature de ces droits et leur singularité notamment dans le contexte actuel de changement climatique. Valorisant une démarche historique et anthropologique du droit, cette réflexion se concentrera sur l’Afrique occidentale.
Le cadre thématique choisi n° 2, sur « La place de l’eau : Comment définir la place de l’eau dans le patrimoine culturel africain à travers ses multiples représentations ? », permettra enfin de montrer la pertinence de la gestion endogène de l’eau dans les systèmes juridiques africains contemporains et la nécessité, voir l’urgence, d’une reconnaissance formelle.
Directeur du centre d’écrit et des écritures, Bibliotheca Alexandrina, Égypte
Les anciens Egyptiens pouvaient aborder plusieurs lieux lointains soit par route terrestres soit par routes maritime. Absolument, l’Afrique « est » était une destination favorable chez eux, puisqu’ils cherchaient les marchandises commerciales nécessaires pour leur vie quotidienne et religieuses. En plus, les anciens Egyptiens étaient occupés de découvrir les sources de Nil, aussi bien de les contrôler.
La pénétration égyptienne en Afrique s’était effectuée par des caravanes terrestres comme les voyages de Herkhouf de la 6eme dynastie. Aussi bien que, ils ont navigué au Nil et en mer Rouge. On doit avouer que la navigation au Nil était plus facile, sécurisé, favorable et habitué par les anciens Egyptiens, mais, au contraire celle en mer Rouge ou Méditerranéenne n’était pas assez facile. Généralement, la navigation en mer remportait de plusieurs risques et accidents.
Sous la demande permanente de marchandise africaines, notamment l’encens, les anciens Egyptiens étaient obliges de construire/découvrir de nouveaux moyens pour pénétrer plus loin en Afrique, et la solution s’était la mer Rouge. Tout au long du littoral de la mer Rouge, il y a une série ports « naturels », la plupart des implantations maritimes des anciens Egyptiens ont pu être identifiées, ce qui nous aide à jeter un éclairage nouveau sur le patrimoine de la navigation en mer Rouge vers l’Afrique.
Grace aux travaux du pionnier, l’archéologue égyptien AbdelMoniem AbdelHalim Sayed, sur la mer Rouge, on a pu découvert le site côtier de Mersa Gaouasis, d’où les voyages maritimes ver l’Afrique étaient embarqué. Le site a été fouillé partiellement lors de deux campagnes menées en 1976 et 1977 pour le compte de l’Université d’Alexandrie. Les résultats de ces travaux marquèrent la fonction de ses installations qui démontraient par la présence, dans certaines d’entre elles, d’inscriptions commémorant le passage d’expéditions ayant transité par ce point de la côte à l’époque du Moyen Empire égyptien. Le grand nombre de renseignements disponibles permet maintenant d’entamer une réflexion plus générale sur les conditions mêmes de l’utilisation de cette mer par les Égyptiens.
En outre, les missions françaises, travaillant, dans les sites archéologiques de la mer Rouge : Wadi Jarf et Ayn el-Soukhna, sous la direction de Pierre Tallet et Claire Somalingo, respectivement, ont bien élaborés les conditions de travail, permettant de découvrir les activités et le patrimoine maritime des anciens Egyptiens en mer Rouge. En effet, les missions ont largement mis à jour nos savoirs des processus générales des expéditions égyptiennes provenant de la vallée du Nil a la mer rouge, et puis en direction de l’Afrique.
Mais la question qui se pose : comment l’Egyptien ancien a désigné l’Afrique et les africains dans les textes, littérature et scènes. Le plus célèbre mot qu’on connait pour un pays africain c’est le pays de Pount, qui occupe dans la documentation égyptienne une place très particulière.
Ce papier vise à jeter la lumière sur quelques exemples du patrimoine épigraphique et iconographique, trouvé soit sur la côte de la mer rouge soit dans la vallée du Nil, reflétant les témoignages sur la culture maritime et les relations Egypto-Africaines, en contrant sur le rôle de la mer rouge dans cet échange. Par exemple, les textes épigraphiques des expéditions de turquoises ont désigné plusieurs personnes d’origine africaine comme Nby, qui était le Mayor de la ville de Tjaru (Tel el-Habua) au delta du Nil.
Gestionnaire du patrimoine culturel, Sénégal
Le Sénégal se situe à l’extrémité ouest du continent africain. Ses 700 km de côte offrent des paysages variés et sont irrégulièrement peuplés. De l’embouchure du fleuve Sénégal à la presqu’île du Cap-Vert, la côte est sablonneuse et rectiligne : c’est la Grande Côte. Sur la presqu’île du Cap-Vert, les activités volcaniques du quaternaire ont donné une côte rocheuse.
Ensuite s’étire la Petite Côte, du Sud de Dakar jusqu’à la Pointe de Sangomar. En Casamance, la côte est marécageuse.
Les plus fortes concentrations humaines du littoral se trouvent sur l’embouchure du fleuve Sénégal (Saint-Louis), la presqu’île du Cap-Vert (Dakar) et le long de la Petite-Côte. Les similitudes notées dans les croyances cosmologiques des peuples de pêcheurs s’expliquent par l’omniprésence de l’océan Atlantique qui joue un rôle prépondérant dans la vie des communautés rattachées à des génies protecteurs.
Les habitants de Saint-Louis ont pour génie Maam Kumba Bang, la fille de l’eau. Plus au Sud vers la presqu’île du Cap-Vert, nous avons Maam Kumba Lamba protectrice du Diander, de Rufisque et ses environs. Kumba Kastel règne sur les villages de Mbao, Caroy, jusqu’à l’île de Gorée. Ndakaru revient à Lëk Daawur Mbay et Yoff à Maam Njare.
Tous ces génies ont des liens de parenté et leurs descendants constituent les principales ramifications de la grande famille des Lebu. Les familles qui dirigent les cérémonies de culte et d’offrandes qui leur sont dédiées, sont identifiées comme étant les petits-fils du génie.
Devant les dégâts du fleuve et de l’océan, la présence de génies maîtres des eaux, atténue le choc provoqué par les pertes en vies humaines. La générosité des divinités qui peuplent les cours d’eau fait souvent place à des accès de colères qu’il faut calmer à l’approche de la saison des pluies à travers des offrandes déversées directement dans la mer ou dans le fleuve, leurs habitats. Des pêcheurs de Yoff soutiennent avoir eu à faire face à un génie qui se transforme en oiseau pour enlever les pêcheurs. A Saint-Louis, en plus des cultes, les dépositaires sont chargés de repêcher du fleuve les corps des victimes de noyade qui sont plus nombreux pendant la saison des pluies.6
Les rites et les manifestions folkloriques sont tournés directement ou indirectement vers l’océan. Ainsi, l’ensemble du patrimoine culturel immatériel est influencé par la mer, principale source de nourriture des populations.
Les génies Maam Bossé et Maam Mindiss, qui règnent sur les berges des bras de mer le Saalum et Siin, n’ont pas autant de prégnance sur les populations que ceux des Lébous de la presqu’île du Cap-Vert.
Les manifestations de la divinité chez les peuples du littoral sont différentes de celles de l’intérieur du continent, même si les principes demeurent les mêmes. Loin des côtes, l’habitat du génie, souvent familial, renvoie à un arbre tel que le baobab ou un sanctuaire artificiel.
Enseignant-chercheur, Laboratoire Mémoires, Métiers et Territoires, Université Cheikh Anta DIOP, Sénégal
L'eau occupe une position centrale dans la culture des Thioubalo de Matam, se manifestant à travers des cérémonies, des mythes et des symboles riches en significations. Cette étude vise à explorer en profondeur ces éléments culturels pour mieux comprendre le lien entre les Thioubalo et l'eau. Les cérémonies rituelles, les mythes et les symboles associés à l'eau chez les Thioubalo révèlent une relation profonde entre ce peuple et l'élément vital qu'est l'eau.
Les Thioubalo, une communauté ethnique sénégalaise, accordent une importance particulière à l'eau, la considérant comme une ressource essentielle à leur survie et un élément sacré imprégné de significations culturelles et spirituelles. Les cérémonies rituelles des Thioubalo intègrent des pratiques liées à l'eau symbolisant la purification, la fertilité et la régénération, renforçant ainsi les liens communautaires et transmettant des valeurs culturelles profondes.
Les mythes et légendes des Thioubalo mettent en lumière l'importance symbolique de l'eau dans leur cosmogonie et leur vision du monde, associant souvent l'eau à des divinités, des ancêtres ou des esprits protecteurs. Les symboles de l'eau chez les Thioubalo reflètent une riche symbolique culturelle où l'eau représente la vie, la pureté, la fécondité, la transformation et la régénération, témoignant de leur profond respect et de leur connexion spirituelle avec cet élément.
Pour mener à bien cette étude sur la relation entre les Thioubalo de Matam et l'eau, une approche qualitative a été privilégiée. Des entretiens semi-structurés ont été menés avec des membres de la communauté Thioubalo, des chefs traditionnels, des conteurs et des spécialistes de la culture locale. Des observations participatives ont également été réalisées lors de cérémonies et de rituels impliquant l'eau. L'analyse documentaire des mythes, des légendes et des pratiques culturelles liées à l'eau chez les Thioubalo a également été effectuée pour compléter les données recueillies sur le terrain.
Les résultats de cette étude révèlent que l'eau occupe effectivement une place centrale dans la culture des Thioubalo de Matam. Par exemple, lors des cérémonies de baptême, l'eau est utilisée pour symboliser la purification et le renouveau spirituel. De même, les mariages traditionnels intègrent des rituels d'aspersion d'eau pour représenter la fertilité et la prospérité.
Les mythes et légendes recueillis mettent en lumière l'importance symbolique de l'eau dans la cosmogonie Thioubalo. L'eau est souvent associée à des divinités protectrices et à des ancêtres, incarnant des forces naturelles et spirituelles qui régissent l'univers et la vie de cette communauté.
En conclusion, l'analyse approfondie des cérémonies, des mythes et des symboles liés à l'eau chez les Thioubalo de Matam révèle une dimension essentielle de leur identité culturelle et spirituelle, mettant en lumière la complexité et la richesse des relations entre l'homme, l'eau et le sacré au sein de cette communauté ethnique sénégalaise.
Doctorant en Géographie/ Transport urbain à l’Université de Lomé, Togo
Parmi représentations sociales dont bénéficie l’eau, se trouvent les symboles d’identité et de fécondité qui fondent la vie et la nature humaine associant croyances, religion et spiritualité pour se définir dans la sphère culturelle d’un peuple ou d’une société donnée. Le symbolisme universel de l’élément eau, revêt des formes variées selon les sociétés et leurs configurations culturelles et religieuses soulignées et développées par sociologues, anthropologues, historiens et philosophes à partir de quelques directions essentielles du symbolisme aquatique à savoir l’eau germinale et fécondante, celle de l’eau médicale, source miraculeuse ou boisson d’éternité, celle de l’eau lustrale et baptismale. Elément incubateur de l’identité et de la fécondité chez les Guin, l’eau, de par sa force mystique endogène, insinue la mise en exergue des différentes catégories de couches sociales suivant leur perception sociale de ce bien commun.
Milieu de préservation et de conservation du patrimoine culturel par excellence, la localité Guin dont l’eau demeure omniprésente dans les rites, est contigüe à la côte maritime dans la commune des Lacs au Sud-Est du Togo. Cette recherche vise à identifier au prime à bord les différentes couches sociales s’identifiant aux diverses catégories d’eau existantes et à déterminer la place de l’eau dans le mystère de fécondité aussi bien des êtres humains que des êtres vivants dans la culture Guin. Au second plan, elle se charge d’analyser les représentations sociales liées à l’eau dans la construction identitaire et de fécondité de ces différentes couches sociales qui composent l’ensemble du peuple Guin. La méthodologie adoptée a consisté en un couplage de techniques quantitatives et qualitatives. Les données ont été collectées par questionnaires et entretiens semi-directifs dans cinq localités de la préfecture des Lacs que sont Avévé, Sakpové, Hlandé, Azimè Dossou, Amedehoevé sur un échantillon de 207 individus avec l’illustration de 08 types d’eau à savoir l’eau des clans, l’eau des totems, traditions et dieux, l’eau de pluie et de tonnerre, l’eau des terres coutumières, l’eau des fleuves et rivière, l’eau de la mer, l’eau pure, l’eau du sol ou de puits.
L’approche théorique prisée est la théorie des représentations sociales de S. Moscovisci (1960) et reprise par D. Jodelet dans son postulat comme étant une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. Cette théorie est sous-tendue par deux autres théories subsidiaires pour comprendre et expliquer davantage les rapports entre l’eau et l’Homme. Il s’agit de la théorie de la construction identitaire de G. Bajoit qui stipule que les individus se donnent une identité personnelle et la réalisation parmi les autres, logique qui amène à comprendre comment ils construisent le lien social, comment ils produisent la société ; et enfin la théorie du lien social d’E. Durkheim. Il ressort de l’analyse des données collectées, que la représentation sociale de l’eau en milieu Guin est sacrée et symbolique.
Cette perception de la ressource ‘’eau’’ traduit et renvoie l’être humain dans les pouvoirs d’identité et de fécondité qu’elle lui offre.
Enseignant-chercheur en littérature africaine, Université Assane Seck, Sénégal
Notre proposition se veut une réflexion sur un espace particulier, le fleuve, et ses différentes manifestations dans le texte de l’écrivain sénégalais Sada Weïndé Ndiaye. Le fleuve y est un espace mythique, symbolique à plus d’un titre. Sur ses berges, les images égrènent les joies et les coutumes d’un peuple, les fêtes et les drames qui rythment l’existence des pêcheurs, commerçants, voyageurs, toute une communauté en quête de lumière et de dignité. Contrairement aux espaces clos où les personnages étouffent et sont presque privés de bonheur, le fleuve est un espace ouvert, un univers de pleine liberté où les riverains se donnent à coeur à diverses activités. Endroit partagé entre le visible et l’invisible, le fleuve se présente à la fois comme un symbole de silence et de mystères.
La métaphore du « carrefour », dans son sens premier d’ « endroit où se croisent plusieurs voies» et de « croisement d’influences », est de grande signification dans le roman. Le pont quant à lui, est un lien qui unit ce qui était séparé et permet ainsi de surmonter et vaincre des obstacles qui étaient à l’origine de la division, permettant la rencontre avec l’Autre.
Le récit de Sada Weinde Ndiaye, on s’en doute, relate les douloureux événements survenus en 1989 entre les riverains du fleuve Sénégal que sont les Mauritaniens et les Sénégalais minés par des conflits frontaliers et des revendications territoriales.
Il s’agit donc d’une tentative de réponses aux questions suivantes : Quelle place occupe l’espace du fleuve dans l’imaginaire de l’écrivain sénégalais ? De quelle(s) manière(s) le fleuve joue-t-il le rôle d’espace de mémoire ? Quelle est la réalité de cet espace dans la volonté d’intégration des peuples sénégalais et mauritanien ? C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre dans cette contribution.
Architecte-archéologue, Centre d’études alexandrines, Égypte
Entourée par les eaux de la Méditerranée au nord et du lac Mariout au sud, Alexandrie n’en est pas moins une ville où l’eau potable est une denrée rare. Ainsi, dès sa fondation en 332 av. J.-C., la ville côtière fut reliée au Nil par un canal qui assurait son approvisionnement en eau. Véritable artère vitale, ce canal fut entretenu pendant des siècles jusqu’à son recouvrement récent.
L’eau du Nil alimentait de nombreuses structures de stockage aménagées dans le sous-sol de la ville. À l’ère ptolémaïque, on se servait de longues galeries pratiquées dans les fissures naturelles du substrat rocheux, appelées hyponomes. Dès l’époque romaine, on se mit à construire des cuves souterraines, enduites d’un mortier hydraulique pour assurer leur étanchéité. Au fil des siècles, les bâtisseurs médiévaux érigèrent des citernes de plus en plus grandes, voire à plusieurs étages, grâce à un ingénieux système porteur constitué de colonnes et d’arcs entrecroisés, une ossature à la fois légère et résistante. Divers puits profonds permettaient d’extraire l’eau et de descendre au moment du curage de la citerne. Pour le puisage d’eau, on se servait d’une saqieh, c’est-à-dire une machine à grosses roues permettant de tracter un chapelet de godets.
Source de fréquentes maladies hydriques, les citernes d’Alexandrie furent substituées par un réseau moderne d’adductions d’eau à la fin du 19e siècle, et la Municipalité interdit formellement leur usage. La plupart des réservoirs furent remblayés, servirent de dépotoir ou s’effondrèrent ; certains furent cependant classés comme patrimoine bâti ou réaménagés en abris antiaériens lors de la 2e Guerre mondiale. De nos jours, uniquement une vingtaine de citernes restent accessibles, mais grâce aux documents historiques et aux fouilles archéologiques, le CEAlex a pu en localiser 144 intra et extra muros. Au milieu du 19e siècle en revanche, les cartographes ne recensèrent pas moins de 700 citernes à Alexandrie, grandes et petites.
Enseignant-chercheur, Université Chouaib Doukkali d’El Jadida, Maroc
À l’instar de plusieurs écrivains francophones, Amadou Hampâté Bâ, le griot peul, incarne un esprit engagé et militant en portant un regard critique sur les vices de la nature humaine. Dans ses différents écrits, il aborde des thèmes tels que la colonisation, la préservation de la culture africaine, la coexistence religieuse et les défis sociaux auxquels sont confrontées les sociétés africaines. En mettant en lumière ces sujets avec subtilité et profondeur, Hampâté Bâ encourage la réflexion et l’action pour un changement positif dans la société.
Cette volonté de stigmatiser les injustices et de promouvoir l’évolution sociale trouve également un écho dans l’utilisation métaphorique et / ou parabolique du lac dans ses contes. De fait, le lac, en tant que motif récurrent chargé de symbolisme, représente la connaissance cachée, la sagesse spirituelle et la fertilité dans les sociétés traditionnelles africaines.
Dans le conte « La mare aux guenons ou la vérité n’appartient à personne » d’Amadou Hampâté Bâ, objet de notre étude, les rives du lac sont représentées comme un lieu de rencontre pour des personnages anthropomorphiques, où des échanges importants ont lieu. Ainsi, le lac devient un symbole de la communauté et de la connexion entre les individus. De surcroît, cet endroit est représenté comme un lieu de transition entre le monde matériel et le monde spirituel. Bref, il contribue à enrichir la texture narrative du conte et à explorer des thèmes universels tels que l’identité, le fanatisme et la recherche de sens dans la vie humaine.
À la lumière de ce qui a été exposé précédemment, nous tenterons dans cette intervention de répondre à la question centrale suivante : Dans quelle mesure le lac symbolise-t-il la transmission du savoir et de la sagesse dans le conte d’Amadou Hampâté Bâ ?
Maître de conférences, Université d’Abomey-Calavi, Bénin
Dans le monde entier et particulièrement en Afrique, les ressources naturelles telles que la terre, les forêts sacrées, les plans d’eau, etc. reposent souvent sur des constructions sociales, des normes et rationalités locales de gouvernance, des représentations sociales, des mythes et légendes, etc. qui structurent les cadres de vie et les pratiques permanentes des acteurs. En s’intéressant au lac Toho, un plan d’eau situé au Sud-ouest du Bénin et partagé par les communes d’Athiémé, de Lokossa et de Houéyogbé, la présente recherche ambitionne de faire la recension et l’analyse des mythes qui le structurent ; le postulat fondamental étant que l’existence de la ressource en question serait l’œuvre des divinités comme le pensent et le disent les acteurs approchés pendant les entretiens exploratoires. A priori, il est paradoxal de constater qu’une ressource naturelle comme le lac Toho glisse du domaine de la nature pour être une création des divinités selon les différents mythes qui l’entourent. Mais les actions des autochtones et des personnes étrangères qui accèdent au lac Toho s’insèrent dans les mythes y associés.
Pour recueillir les différents mythes sur lesquels repose le lac Toho, la démarche qualitative en sciences de l’homme et de la société a été utilisée. Ainsi, à l’aide de l’entretien individuel semi-structuré et du récit de vie, quinze (15) acteurs sélectionnés au moyen du choix raisonné ont été entretenus. Il s’agit des chefs religieux, des pêcheurs et des femmes mareyeuses qui accèdent au lac Toho. Ces techniques de collecte de données ont été choisies en vue d’approfondir les informations qui renseignent sur les mythes. Recours est également fait à l’observation directe pour décrire le mieux possible les divinités associées à la création et à la gestion du lac Toho. Le traitement des données a été fait grâce à la méthode de la triangulation et de l’analyse de contenu. La triangulation a permis de croiser et de confronter les informations recueillies auprès des différents acteurs en vue d’éviter la falsification de l’histoire du lac Toho. L’analyse de contenu a contribué à catégoriser les données collectées en fonction des mythes recensés. Pour conforter l’analyse des résultats, la théorie des représentations sociales a été utilisée en ce sens que les mythes relèvent d’une manière ou d’une autre de l’imaginaire populaire, de la pensée collective. Cette théorie a permis de se rendre à l’évidence que les mythes qui structurent le lac Toho sont internalisés par les populations riveraines.
De l’analyse des données, il ressort que le lac Toho repose sur plusieurs mythes. Le premier qui est un mythe fondateur montre que le lac est la création de la divinité serpent appelée "DANKO" en langue Talla. Cette divinité de brousse se trouvant au bord du lac a son répondant dans la communauté. Celle-ci appelée "Houinyèhoué" aurait pour fonction d’augmenter les eaux du lac. Le second mythe est régulateur en ce sens qu’il définit les règles d’accès au lac, ce que tous les usagers respectent. En dehors de ces mythes, un récit fait état de ce que ce sont les divinités qui enrichissent le lac en espèces halieutiques. Dans cette perspective, pour continuer par bénéficier des grâces des divinités, il est organisé chaque année une cérémonie de mise en quarantaine du lac dont l’ouverture est sanctionnée par des rites sacrificiels et des offrandes. L’accès au lac est strictement interdit tous les vendredis qui, selon l’imaginaire populaire, constituent des jours de repos des divinités. Tous les récits construits autour du lac Toho contribuent à sa préservation. Cependant, en raison des mutations sociales, on pourrait s’interroger sur leur sauvegarde.
Doctorant en linguistique, Université du Québec à Montréal, Canada
La source à laquelle s'abreuvent le plus les chanteurs demeure cependant le terroir, avec ses réalités socioculturelles et son environnement naturel immédiat où le fleuve Congo occupe une place importante. (Moukouamou Mouendo 2021 :172)
Dans une perspective sociolinguistique et d’anthropologie musicale, ce travail veut mettre en évidence la contribution des peuples de l’eau du fleuve Congo et de son bassin dans le patrimoine culturel africain à travers la rumba congolaise par le truchement du lingala, la lingua franca des peuples Riverains du bassin du Congo.
Aussi appelée Rumba on the river (Stuart 2003) ou lingala music, cette musique a comme principale source d’inspiration le monde du fleuve Congo ainsi que le patrimoine culturel des Riverains. Classée comme Patrimoine culturel et immatériel de l’humanité de l’UNESCO, la rumba congolaise est également qualifiée de music franca of much of sub-Saharan Africa’ (White 1999 :156). Selon Fabian (1998 : 86), « la rumba est probablement le cadeau le plus riche et le plus précieux que le Zaïre ait pu donner à l’Afrique et au monde ».
Ce que nous désignons ici par peuples de l’eau s’agit des populations des pêcheurs des cours d’eau du Nord de deux Congo et du sud-ouest de la Centrafrique, aussi nommés dans la littérature sous les noms Gens d’eau, Riverains ou Bangala.
Dans ce travail, nous allons démontrer : 1) que la richesse lexicale, sémantique et poétique de la rumba congolaise est directement reliée à son appartenance au bassin du fleuve Congo, c’est-à-dire, à la culture, aux traditions et croyances des peuples de l’eau; 2) que plusieurs de ses chansons sont des reproductions totales ou partielles des chants traditionnels des Riverains, mais aussi que cette musique a toujours bénéficié de la contribution des artistes provenant de chez les Riverains (Mimpongo 2024a; Wilson 2020; Stewart 2003), et 3) comment le lingala, par son langage figuratif, ses expressions poétiques et idiomatiques reliées au monde des Riverains a facilité, mais aussi mis en valeur, l’expression des traditions, récits, mythes et légendes de cette communauté.
Ce travail s’organise comme suit : Dans la première section, nous commencerons par nous introduire à la sociolinguistique historique du lingala, aussi appelée «la langue du fleuve » (De Boeck 1904 :32; Jacquot 1971 :356), « la langue du Haut-Congo » (Coquilhat 1888), « river patois » (Samarin 1986 : 150) qui est le véhicule, par excellence, de cette culture des peuples de l’eau du bassin du Congo. Ce lingala, qui à l’origine, était seulement la langue des pêcheurs et commerçants Bobangi qui contrôlaient le commerce dans le fleuve Congo et ses affluents à l’époque précoloniale (Hanssens 1884; Whitehead 1899; Harms 1978, 1979, 1981, 2019, Vansina 1990; Ndinga-Mbo 2006, Bobutaka 2013; 2018; Meeuwis 2023) est, par la suite, devenue la lingua franca des cours d’eau du bassin du Congo (Coquilhat 1888; De Boeck 1904; Weeks 1913; Bruel 1930; Hulstaert 1950, 1989; Harms 1981; Samarin 1986).
Dans la deuxième, nous présenterons d’abord les origines de cette musique née dans les années 1930 entre Kinshasa et Brazzaville sur les bords du fleuve Congo, pour ensuite aborder la question de sa relation culturelle et identitaire avec le lingala.
Cette relation entre le lingala, « la lingua latina de la musique biriveraine » (Chavez 2015 : 10), et la rumba aussi appelée Lingala, Lingala music, Lingala-sung music ou rumba lingala ou soukous lingala a déjà été soulevée dans les études reliées à cette musique (Roberts 1972; White 1999, 2008; Fabian 1998; Gondola 1997, 1999; Pauwels-Boon 1979; Bemba 1984; Waterman 1990; Trapido 2010, 2016; Manuel 1988; Salter 2007). Elle est également bien documentée par les linguistes dans la sociolinguistique du lingala (Bwantsa-Kafungu 1970, 1982; Bokamba 1977, 2009, 2012, 2019; Dzokanga 1979; Bokula 1983; Büscher et al. 2013; Meeuwis, 1997, 2001, 2020, 2021; Kasanga 2019; Mimpongo 2024a, 2024b).
Dans la troisième section, premièrement, nous démontrerons comment les artistes de la rumba se nourrissent des référents culturels des milieux d’origines du lingala, par des mots, expressions, symboles, proverbes et divers référents reliés au monde des Riverains.
Deuxièmement, nous verrons comment dans la chanson, les mots reliés au monde aquatique comme poisson, pirogue, pagaie, bateau, port, vague, brouillards, navigation, îles, etc., reçoivent souvent une interprétation non lexicale, c’est-à-dire, renvoient à une interprétation extralinguistique reliée aux croyances et traditions des Riverains. À cela s’ajoutent les références aux éléments naturels comme les tourbillons, rapides, chutes, considérés comme des génies sous-marins. Sans oublier les références aux animaux-totems comme caïmans, hippopotames, mais aussi aux animaux ou êtres mythiques des mondes subaquatiques.
Troisièmement, nous soulignerons l’emploi des récits, mythes et légendes des peuples de l’eau comme la référence aux esprits subaquatiques, à l’exemple de Monama qui détient les secrets de l’amour ou Mami-wata qui détient le pouvoir de la beauté.
Dans la quatrième, pour illustration, nous analyserons trois chansons :
1) Wendo alongwe Kinshasa. Une chanson dans laquelle Wendo ne fait que citer les noms des rivières, villes et villages riverains (deux Congo et la RCA) tout en mentionnant leurs des surnoms ‘affectueux’. Ces ‘surnoms’ ont souvent une signification particulière dans la culture des peuples d’eau.
2) Monama Elima : La chanteuse demande à Monama un Esprit des eaux de lui montrer le chemin pour retrouver l’amour dans les mondes sous-marin.
3) Ebale ya Zaïre (le fleuve Zaïre) : Le chanteur impuissant accuse le mythique fleuve avec ses complices (bateau, courant, poissons, ports, vagues, etc.) d’avoir volé son amoureuse.
Dans la dernière section, nous apporterons comme conclusion : La rumba a choisi le fleuve comme source principale d’inspiration. Les effets de ce choix sont maximisés par l’usage du lingala, une langue qui a comme fond lexical et sémantique les traditions et croyances des Riverains. Cette musique est ainsi devenue l’expression, la manifestation, mais surtout est le porte-étendard du patrimoine culturel des peuples de l’eau du bassin du Congo.
Professeur, Institut Supérieur de Statistique de Kinshasa, RD Congo
Cette réflexion s’inscrit dans la thématique : La place de l’eau : Comment définir la place de l’eau dans le patrimoine culturel africain à travers ses multiples représentations ?
En Afrique précoloniale, coloniale et postcoloniale, l’eau a toujours joué un rôle essentiel pour la survie et la socialisation de l’Africain. Particulièrement, pendant les travaux de la Conférence de Berlin ayant donné naissance à l’Acte de Berlin (1885), les fleuves Congo et Niger ont été les atouts majeurs pour cartographier stratégiquement l’Afrique.
Le Congo est un fleuve d’Afrique centrale prenant sa source au Katanga, à 1.740 mètres d'altitude sur un plateau marécageux près du village de Mufosi, proche de la frontière zambienne sur les hauts plateaux à la limite de l'Afrique australe. Drainant de nombreux pays dont majoritairement la République Démocratique du Congo et se jette dans l'océan Atlantique. Il sert de frontière naturelle entre la RD Congo et la République du Congo et la République d’Angola.
Son cours supérieur est appelé Lwalaba ou Lualaba, et entre les années 1970 et 1990 ce fleuve était appelé Zaïre à l'époque de la République du Zaïre.
Reconnu universellement lorsque son embouchure du Congo fut explorée en 1482 par le Diogo Cão lors de ses premiers contacts avec le royaume Kongo. Alors baptisé par le portugais Rio de Pedrão (la Rivière du Pilier), les autochtones du royaume désignaient eux le cours d’eau sous le terme de Nzadi (le fleuve) ou dialectalement Nzaï. Ce mot sera traduit au XVIe siècle par les Portugais en Zaïre, nom que Mobutu utilise pour renommer au Congo-Kinshasa et le fleuve lui-même de 1971 à 1997.
Certes, il est important de rappeler que si Diego Cao a exploré l’embouchure du fleuve Congo, c’est David Livingston a mis en évidence sa source dans l'espoir d'y trouver les sources du fleuve Nil. C’est Henri Morton Stanley qui a été le premier à parcourir ce fleuve de sa source jusqu’en son embouchure.
Pour ce faire, on retient que, de son vrai nom John Rowlands, En 1868, Henry Morton Stanley est engagé par le New York Herald pour couvrir les opérations militaires britanniques contre le chef Theodoros en Abyssinie. Ces reportages lui valent une grande renommée. En 1869, Gordon Bennett, le propriétaire et éditeur du New York Herald, lui propose d’aller en Afrique pour retrouver le missionnaire explorateur David Livingstone dont on était sans nouvelles. Il débarque à Zanzibar en janvier 1871 et après un voyage de 10 mois, retrouve Livingstone à Udjiji. Il rentre en Europe en mai 1872.
Et entre 1874 et 1877, il dirige la troisième expédition africaine financée par le New York Herald et le Daily Telegraph qui vise à résoudre la question qui préoccupait Livingstone avant sa mort, celle de l’origine du fleuve qu’il avait aperçu à Nyangwe. L’expédition traverse l'Afrique centrale d'Est en Ouest en descendant le cours du Lualaba jusqu'à l'embouchure du fleuve Congo et parvient à Boma.
Quant au second fleuve qui a fait l’objet d’intenses échanges et débats lors de la Conférence de Berlin, c’est le Niger. Appelé aussi le Djoliba en mandingue, est un fleuve d'Afrique occidentale, le troisième du continent par sa longueur, après le Nil et le Congo. le fleuve Niger prend sa source entre la Sierra Leone et la Guinée à 800 m d'altitude au pied des monts Tingi pour, après une grande boucle aux confins du Sahara occidental, se jeter dans l'océan Atlantique, au Nigéria. Son cours traverse six États, à savoir : la Sierra Leone, la Guinée, le Mali, le Niger, le Bénin et le Nigéria. Deux pays tirent leur nom directement du fleuve, il s’agit de Niger et du Nigéria.
Sur la carte hollandaise de 1660, le Niger apparaît comme identique au fleuve Sénégal (rio senega) qu'il prolonge après Tombouctou prenant alors le nom de fluvius Niger. Du latin Niger (noir) l'étymon du fleuve, mais les Portugais, premiers explorateurs et colonisateurs des côtes africaines, ont laissé, sans avoir recours au latin, un Rio Negro. De plus, les eaux du fleuve ne sont pas noires (ce qui explique le plus souvent l'appellation de rio negro).
Les éléments en rapport avec ces deux fleuves ont fait l’objet de nos recherches effectuées et publiées dans nos trois livres exploités dans la bibliographie.
S’agissant de la prise en charge de ces fleuves dans la politisation stratégique de l’Afrique, nous avons noté qu’en date du 26 février 1885, la conférence qui réunit à Berlin les représentants de 13 pays européens et les Etats-Unis d’Amérique, de novembre 1884 à février 1885, a pour objet de régler pacifiquement les litiges relatifs aux conquêtes coloniales en Afrique. L'Allemagne joue les médiateurs et plaide en faveur de la liberté du commerce et de la navigation, notamment dans le bassin du Congo et celui du Niger.
De six chapitres de l’Acte de Berlin, il y a eu trois déclarations sur le fleuve Congo et son bassin enrichi avec de deux actes de navigation du Congo et du Niger.
Avec ces éléments, on peut se rendre compte que les fleuves Congo et Niger constituent l’expression justificative de la place de l’eau dans le patrimoine stratégique et culturel africain.
Doctorant, Université du Québec à Montréal, Chercheur à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain et au CELAT, Canada
De nombreux chercheurs décoloniaux et postcoloniaux ont démontré la domination de la pensée occidentale sur le patrimoine et patrimonialisation en Afrique (Sarmento, 2023). Cela s’est encore renforcé avec les organismes spécialisés tels que l’UNESCO et l’ICOMOS dont la logique universaliste (philosophie des Lumières) tend à être de type colonial (Drouin et al., 2019). Cette domination idéologique et épistémologique a eu comme conséquence une définition du patrimoine culturel qui suivait la trajectoire et les évolutions d’ailleurs. Toutefois, cette ère contemporaine du “tout-patrimoine” et de la “patrimondialisation” donne une occasion de penser le patrimoine et la patrimonialisation de manière endogène et ainsi faire émerger de “nouveaux patrimoines” (Maria Gravari-Barbas, 2011 ; Djaman-Tran, 2015 ; Coëffé et Morice, 2017 ; Ngono, 2022). De ces nouveaux patrimoines se dégage l’eau - avec ses dimensions culturelles et naturelles - pour qui de nombreuses recherches ont été consacrées. Ces travaux ont porté sur la préservation, la réutilisation et la transformation de ce patrimoine (Hein, 2020). D’autres ont interrogé la reconnaissance de l’eau comme patrimoine culturel, son pouvoir intégrateur (dans le paysage) et unificateur (Gundogdu, 2023), mais également la gestion des ressources et la résilience climatique (Corten, 2023 ; Morel et al., 2023 ; Rajabi, 2023). L’une de ces réflexions sur la patrimonialisation de l’eau est incontestablement sa désignation comme lieu de mémoire et plus spécifiquement la mémoire de la traite négrière (Cosker, 2023). Cette patrimonialisation de l’eau relève principalement d’un besoin de rétablir une forme de vérité mémorielle (Clavaron et Gannier, 2022). Néanmoins, ces travaux et les cas d’étude restent dans leur majorité loin du contexte africain.
En outre, la relance du projet de la “route des esclaves” (projet emblématique de l’UNESCO) en Côte d’Ivoire a permis de reconnaître après des études la rivière Bodo comme faisant partie des lieux de mémoire de la traite des esclaves. Depuis, elle fait la réputation du village de Kanga-Nianzê, du fait de nombreux touristes, dont des afrodescendants qui y affluent. Cette nouvelle vie du village de Kanga-Nanzê et de la rivière Bodo révèle l’impact de la patrimonialisation et particulièrement celle d’un cours d’eau. Ainsi, selon David Harvey (2001 cité par Deschepper, 2021), le patrimoine “ce n’est pas un nom, c’est un verbe”. Cette affirmation d’Harvey rejoint cette célèbre citation de Lucie K. Morisset “le patrimoine change l’état de ce qu’il désigne” ; ceci pour apprécier le pouvoir que confère le statut de patrimoine.
À travers notre proposition de communication, nous abordons la place l’eau dans le patrimoine culturel africain comme catalyseur de l’attractivité touristique d’un espace rural en déclin. Nous tenterons à partir du cas de la rivière Bodo, de porter une réflexion sur les effets de la patrimonialisation et la reconnaissance d’un cours d’eau comme lieu de mémoire natinal et international.
Attaché de recherche, Musée national du Mali
Au septième mois lunaire de chaque année, lors de la deuxième quinzaine de juin et avant les semailles, les populations de San et des villages voisins commémorent par des manifestations, la découverte de ses trois lieux sacrés : l’arbre Santoro, le puits d’eau douce Karantéla et la mare poissonneuse Sanké. Cette cérémonie, qui d’après les traditions orales a été inaugurée au XVIIe siècle, est toujours observée.
Ces rites, qui visent à obtenir paix, bonne santé, une pluviométrie favorable, de bonnes récoltes et de manière générale la prospérité pour la population, sont collectivement désignés par le terme Sanké-mò (littéralement : pêche de la mare Sanké). Ils sont un facteur majeur de la cohésion sociale et présentent un grand intérêt historique, culturel, éducatif, patrimonial et économique.
La ville de San aurait été fondée au XIVe siècle par un chasseur de l’ethnie marka jalan (population d’origine soninké mais parlant le mandingue) au cours d’une randonnée de chasse. Elle fut placée sous l’autorité de l’ancien royaume de Dâ, puis au XVIIIe siècle, de l’empire de Ségou.
San, actuellement 18ème Région du Mali depuis 2023 avec une population d’environ 125 000 personnes, est situé au centre-est du pays, entre Ségou, Koutiala et Mopti. La langue majoritaire est le bambara (parler marka jalan). On rencontre aussi les langues bomou, minianka, foulfouldé et songhay. La population est, depuis plusieurs décennies au moins, en majorité musulmane. Les activités principales sont l’agriculture, l’élevage, la cueillette des produits naturels, le commerce et la pêche.
Au nord de San, une partie de la plaine, inondée pendant la saison des pluies, garde l’eau toute l’année, formant un étang alimenté par la rivière Bani en passant par deux de ses cours d’eau secondaires, Tènèniba en aval et Diamba en amont : c’est ce qu’on appelle le « Sanké ». L’eau qui provient du premier est considérée comme de bonne augure, alors que celle du second serait annonciatrice des calamités. C’est pourquoi le gardien coutumier de la mare est tenu de surveiller, nuit et jour, l’arrivée des eaux, de manière à pouvoir effectuer les offrandes appropriées à l’intention des génies. Selon la croyance, le puits sacré de Karantéla et la mare Sanké communiquent.
Autrefois, les femmes se rendaient au Sanké, s’y baignaient et se frottaient le visage et le corps avec la boue de la mare comme rite de fécondité. Les jeunes filles effectuaient un rite semblable dans l’espoir d’obtenir un mari la même année. D’autres encore demandent longévité et prospérité. Autrefois, le Sanké servait également de port pour les petites pirogues.
La pêche du Sanké ou « Sanké-mô », patrimoine sannois, est attendue avec beaucoup d’impatience. Le jour de la pêche est toujours fixé par le chef de quartier, qui fait office en même temps de gardien de la mare. La pêche a toujours lieu un jeudi, mais les manifestations commencent le mercredi soir à Tèrèkogo et Parana, deux villages Bwa voisins de San. Dans la ville de San, les jeunes organisent une sorte de carnaval. Ils circulent partout dans la ville – en moto, en vélo ou à pied – en buvant du jus de prunier (kunaji).
Le jeudi matin, les jeunes sont armés de sabres, des casse-têtes, des arcs et des flèches, ou encore des fusils, comme s’ils formaient une expédition guerrière. Tambours et balafons entrainent les danseurs. Ils passent d’abord auprès de l’arbre Santoro, puis dansent autour du puits sacré Karantéla, où l’épouse du chef de quartier (autrefois chef de Canton) les offre une sorte de crème préparée avec du mil écrasé (mugu fara). A seize heures, la foule se dirige vers la mare Sanké, en chantant et en dansant. Après avoir prononcé des incantations, le gardien de la mare donne le signal, et c’est alors qu’une foule évaluée à plusieurs milliers de personnes massées depuis le début de l’après-midi sur les bords de la mare passe à l’action. Certains sont munis de filets de pêche (jò), d’autres d’harpons (nyagi), des paniers ou de calebasses de pêche. La pêche continue jusqu’à 18h00 (environ une heure avant le crépuscule). Le fait de prendre une silure est considéré comme un bon signe, alors que la prise d’un poisson aux piquants (kôkô, synodontis nombranaceus) est considérée comme un mauvais présage. Le produit de la pêche n’est jamais vendu ; il est réparti entre parents et connaissances ou bien fumé ou séché pour être consommé pendant les mois suivants.
La pratique du Sanké-mô fait revivre aux jeunes Sannois d’aujourd’hui l’une des cérémonies de leurs ancêtres et favorise la préservation des valeurs morales, culturelles et esthétiques traditionnelles. Depuis 1976 des programmes officiels étaient dressés par les autorités administratives de San pour le déroulement de la cérémonie. C’est vers les années 2006 que le Ministère de la Culture du Mali reconnaît toute son importance en participant aux dépenses de la cérémonie, en envoyant des observateurs et en organisant la retransmission de certaines séquences à la télévision nationale. Cela a donc abouti en 2011 à son classement au patrimoine culturel national et son inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO nécessitant une sauvegarde urgente la même année.
Spécialiste en management culturel, Mali
Gestionnaire du patrimoine culturel, Sénégal
L'eau est plus qu'une ressource naturelle en Afrique ; elle est un élément central de nombreux rituels, mythes et légendes, symbolisant la vie, la purification et la spiritualité. Les pratiques séculaire de l’eau en Afrique, sont présentées comme une tradition ancestrale. Elles sont est un vecteur de transmission culturelle et un moment de partage communautaire. L’eau, à travers la pratique de la pêche collective, devient un élément patrimonial. Sanké mô, exemple emblématique de cette patrimonialisation en Afrique de l’Ouest.
Le Sanké Mô, est une pratique culture qui trouve ses origines au XIVe siècle, lors de la fondation de la ville de San. Selon la légende, la ville a été fondée par des pêcheurs qui ont été guidés par des esprits de l'eau. Le rituel commence par des sacrifices de coqs et de chèvres, suivis de pêches collectives et la danse des masques. La pêche se fait à l'aide de filets à larges et à petites mailles, et dure environ quinze heures. La danse masquée qui suit est exécutée par des danseurs Buwa de San et des villages environnants, portant des costumes traditionnels décorés de cauris et de plumes. Le Sanké Mô a eu ses 624ème édition en juin 2024.
La pêche collective et la patrimonialisation de l’eau sont des éléments clés du patrimoine culturel en Afrique de l’Ouest. Le cas de Sanké mô au Mali montre comment ces pratiques peuvent contribuer à la préservation des ressources naturelles et au renforcement des liens sociaux.
Il est essentiel de continuer à valoriser et à protéger ces traditions pour les générations futures.
Etudiant en Management des entreprises culturelles, Université Senghor, Égypte
Etudiant en Management des entreprises culturelles, Université Senghor, Égypte
Le Cameroun est un pays de l’Afrique centrale ayant aujourd’hui une population de plus de 33 millions (2023) et une mosaïque impressionnante de 212 ethnies se côtoyant et continuant à véhiculer leurs langues et croyances traditionnelles. Parmi les communautés autochtones du Cameroun, on retrouve les peuples Sawa, terme regroupant un ensemble d’ethnies vivant le long du littoral camerounais pour qui l’eau imprègne très fortement leurs traditions et cultures. Pour ces peuples, les cours d’eau ont toujours joué un rôle important dans le façonnement de leurs pratiques cosmogoniques dont la plus significative est le festival Ngondo. Ce festival est célébré sur les rives du fleuve Wouri et regroupe tous les dignitaires, princes et héritiers Sawa pour la célébration de leurs coutumes et traditions au niveau local et national. La messe de l’eau constitue le clou de la fête, avec l’immersion du vase sacré sur les berges du fleuve Wouri, pour établir une relation profonde entre le monde invisible et le Peuple de l’eau. Le Ngondo, ciment et marqueur identitaire de la communauté Sawa, est le cordon ombilical qui relie les Sawa de toutes origines, situations géographiques, catégories sociales, classes d’âge, religions et appartenances politiques confondues, à leur mère nourricière l’eau, résidence de leurs divinités. L’objet de notre communication est de montrer l’interaction qu’il y a entre le festival ngondo et l’eau. De plus, nous allons mettre en évidence la place de l’eau dans comme substrat matériel d’un rituel traditionnel et son importance dans la transmission de l’héritage immatériel à la jeune génération. Une méthodologie interdisciplinaire a été utilisée, combinant des approches scientifiques et ethnographiques. Des recherches sur le terrain ont été menées au Cameroun, incluant la participation au festival Ngondo et des interviews. Des documents scientifiques et ethnographiques sur le Ngondo ont également été analysés.
Doctorante, Université de Douala, Cameroun
L’eau en Afrique a une représentation multiforme selon les coutumes, les usages, les cultures et la zone géographique. Le premier regard que l’on porte sur l’eau en Afrique repose sur les vecteurs idéel et métaphorique : lorsqu’on reçoit un invité par exemple, on ne lui dira pas on t’a réservé de quoi manger mais plutôt, on t’a gardé un verre d’eau. Outre cette façon d’accueillir son invité, l’eau est en Afrique synonyme de fertilité pour les sols et de fécondité des femmes et des choses. L’eau est aussi perçue comme un moyen de purification relativement aux différents rites d’initiations, elle enlève toute impureté, chasse les énergies négatives enfin de purifier, tout en emportant la protection et la bénédiction. C’est également une source nourricière pour les communautés qui vivent essentiellement de la pêche. En clair, l’eau qu’elle soit de : pluie, rivière, source, lac, mare, recueillie dans le creux d’un arbre, rosée, mer ou océan est investie d’une signification spéciale. Mais de toutes ces définitions, la plus significative qui parfois selon les pratiques rassemble tout le reste, est le culte dédié à l’eau. En fait, certain peuple considère l’eau comme une force naturelle au-dessus des ancêtres dont le pouvoir impacte toutes les dimensions de la vie réelle. Autrement dit, l’eau se fonde sur un pouvoir religieux de groupe, de pouvoir surnaturel qui sont les attributs des génies aquatiques dont l’autel est forcément un cours d’eau. La ressource hydrique peut ainsi avoir plusieurs connotations logées dans les proverbes et les contes. Seulement, cette ressource naturelle autrefois inépuisable, obéit aujourd’hui aux infrastructures de nouvelles techniques d’exploitation, de traitement, de production et d’approvisionnement aux populations qui, eux, ne s’accommodent pas toujours aux considérations socio-culturel des sociétés africaines. Alors, le besoin en ressource hydriques surtout dans les grandes villes tend parfois à ignorer les considérations culturelles. Ce clivage met en disparate les piliers du développement durable. En effet, la production économique, la protection de l’environnement la satisfaction des besoins sociaux et le point de vue de la culture qui semble de nos jours plus proche du pilier environnemental, l’eau au milieu de ces discours ne peut rester unidimensionnelle. Cependant, l’importance de l’eau est indéniable, mais sa consécration est une nécessité ultime d’où la préoccupation de savoir : comment définir la place de l’eau dans le patrimoine culturel africain à travers ses multiples représentations ? La réponse à cette interrogation que cette étude va apporter s’intéresse davantage au culte de l’eau une pratique religieuse qu’on retrouve très généralement dans la zone côtière africaine. Cette dernière nous intéresse dans la mesure où ce sont des espaces complexes, vulnérables et le siège où on a l’intervention multiples des activités. Il est donc question d’affiner en regroupant les pratiques de la messe de l’eau culturelles africaines relativement aux eaux côtières.
Etudiant en Management des entreprises culturelles, Université Senghor, Égypte
L'eau joue un rôle central dans l'urbanisme et la culture locale à Douala, ville côtière du Cameroun. Cette étude explore les diverses façons dont l'eau est représentée dans l'art et la culture urbaine de Douala, en mettant en lumière son importance tant sur le plan esthétique que symbolique. L'objectif étant d'analyser les représentations à la fois artistiques et culturelles de l'eau à Douala afin de mieux comprendre son rôle dans la construction de l'identité urbaine et dans la perception de l'environnement urbain par ses habitants. De cet objectif, plusieurs questions émergent dont : Comment les artistes et les acteurs culturels de Douala représentent-ils l'eau dans leur travail ? Quels sont les motifs, les symboles et les narrations associés à l'eau dans l'art urbain de Douala ? Comment ces représentations contribuent-elles à façonner l'expérience urbaine ? Cette étude s'appuie sur les concepts d'esthétique urbaine, de symbolisme de l'eau dans la culture africaine, et d'écologie culturelle pour analyser les représentations artistiques de l'eau à Douala. La recherche sur le plan méthodologique cette fois ci combine une analyse documentaire avec un ancrage dans les observations de terrain et des entretiens avec des artistes, des experts en culture urbaine et des habitants de Douala pour explorer efficacement les représentations artistiques et culturelles de l'eau dans la ville. Les premiers résultats de l'étude pourraient ainsi mettre en évidence une diversité de représentations artistiques de l'eau à Douala, allant des peintures murales aux performances artistiques en passant par les installations sculpturales. Ces représentations reflètent une variété de perspectives sur l'eau, allant de sa beauté esthétique à son enracinement dans la culture locale. En examinant ces représentations, cette étude contribue à une meilleure compréhension de la relation complexe entre la ville de Douala et son environnement aquatique, ainsi qu'à une appréciation plus profonde de l'hydro-esthétique urbaine.
Bibliothécaire-Archiviste, Université protestante au Congo, RD Congo
Les gens de l’eau vivent des impressions aussi diverses que divergentes. L’eau a imprimé dans leur mémoire les souvenirs et les phénomènes exceptionnels qui les ont effrayés où interloqués dans leurs univers. Pris par la préoccupation, la plupart ont libéré leur mental par les dessins, les légendes, les mythes, les récits et les rites. C’est dire que l’organisation de l’eau est inscrite en termes de responsabilité des populations. Il y a des années déjà, des gens entourés par l’eau particulièrement déclaraient des témoignages immuables qu’ils reconnaissaient Mami-wata, Yemanja dans la sphère qui se trouve en rapport étroit avec l’eau, et y occupe une position privilégiée. Position qui lui vaut d’être une alliée. Il y a une espèce d’évidence, d’après ce qui précède, qu’il s’est formé dans l’imaginaire populaire des signalements susceptibles de constituer la communication avec différents habitants de l’eau. Nous devinons le dessin de Mami-Wata de juin 1978 dans l’atelier de Chéri Samba à Kinshasa. De même que de nombreuses œuvres peintes de sa main au fil des ans ont reçu plusieurs commentaires dans les expositions sur Mami-Wata. À Libreville, Patrick N’Guema N’Dong, journaliste de la Radio Africa Numéro 1, anime l’émission Triangle, les aventures mystérieuses. Une chronique dans laquelle il raconte avec fougue et étonnement ses expériences avec Yemanja. Nous aurions peut-être entendu que l’évocation de Mami-Wata, Yemanja, effraie l’atmosphère. Les gens regardent les tableaux avec l’air perdu et s’interrogent. Et les auditeurs s’agglutinent autour de la radio pour recueillir l’expérience et les connaissances de la rencontre entre les humains et Yemanja. Au fond, les deux se tiennent par des liens : ils ont presque tous gardé des contacts suivis avec l’eau ; le caractère très émotionnel et la modulation charmeuse de la fabrique ne font pas de doute à quiconque ait pu accepter que Mami-Wata, Yemanja ai laissé ainsi des traces dans nos arts, nos mythes, nos récits, etc.
Ces « influenceurs de la communication », Chéri Samba et Patrick N’Guema N’Dong ont démultiplié les témoignages culturels des gens de l’eau. C’est, à n’en pas douter, les beaux tableaux peints et la diffusion des podcasts de l’émission Triangle peuvent nous conduire à affiner le rôle capital de Mami-wata, et la place conviviale qu’elle occupe à changer l’imaginaire populaire. Si nous avons réalisé la portée, au-delà peut-être des aspects insolites qui frappent par leur adversité, ces illustrations de la vie culturelle apparaissent au contraire comme des authentiques messages, une communication de situation qui se propose de conscientiser les populations à la protection durable du patrimoine eau. La communication dérive souvent de la vague populaire d’attention par le fait que la plupart du temps, les gens ont adopté les récits de l’eau. A cette allure, Mami-wata, Yemanja est devenue communication, parce qu’elle est mise en forme, près à la création. C’est en cela qu’on la prend elle-même une valeur, une alliée de la protection durable de la vie de l’eau africaine.
Comment ne peut-on pas en profiter pour la mettre au service de la protection africaine du patrimoine culturel eau?
Nous voulons ouvrir la perspective et livrer quelques réflexions en vue d’une nouvelle communication africaine qui tienne compte du phénomène Mami-Wata, Yemanja dans la protection du patrimoine culturel eau.
Les gens populaires peuvent embrasser le pouvoir de la communication en ayant actif et les plus efficace à des impératifs de l’action de la protection du patrimoine culturel.
Il ne serait peut-être pas trop d’examiner Yemanja dans la communication pour la protection du patrimoine culturel.
Doctorante en études africaines, INALCO, France
Odo layé signifie en langue yoruba « la vie est fleuve ». Chez les Yorùbá, la place de l’eau est centrale. Avant la création du monde à Ilé Ifé, ville mythique chez les Yorùbá, le monde n’était que de l’eau. De nombreux oriki (éloge poétique) ou proverbes témoignent de cette perception fondamentale de l’eau. Par exemple les anciens disent « Odò ti kò bá bo ̣̣̀wo ̣̣́ fún orísun rè ̣yóó
gbé » (la rivière qui ne respecte pas sa source s’assèchera) pour signifier que les enfants doivent respecter leurs parents, dont ils sont issus. L’eau est fondamentalement vue comme féconde, à l’origine de la vie et garante de sa continuité.
Odò ̣Ọ̣̀ṣun est une rivière qui traverse la forêt d’Osogbo, dans l’Etat d’Ekiti, et qui abrite un riche écosystème. Le lieu est classé au Patrimoine mondial de l'humanité depuis 2005. Lors du
festival annuel d’Osun-Osogbo à Osogbo, des milliers de visiteurs assistent à cet évènement pour célébrer Osun, oriṣa (divinité) de l’eau, de la fertilité, de l’abondance et de la beauté. Les fleuves, les rivières et l’océan sont ainsi perçus comme des endroits sacrés où vivent des divinités et des esprits. Ce sont également des lieux de rassemblement et de convivialité liés à des moments de célébrations culturelles et identitaires.
Le peuple Yorùbá compte environ vingt-deux millions de personnes. On peut les classifier en deux groupes. Le premier correspond aux Yorùbá dont l'histoire orale remonte à Ífè, et dont le peuplement géographique se répartit aux aires du Sud du Nigéria, à l’est de la République du Bénin et du Togo. Ces Yorùbá partagent une langue, des croyances, des valeurs et des coutumes.
L’autre groupe est celui de la Diaspora également appelé Yorùbá du Nouveau Monde. Ce sont des populations qui descendent des Yorùbá amenés de force Outre-Atlantique durant la période de la traite esclavagiste entre le XVe siècle et le XIXe siècle. Ils sont présents dans la région des Caraïbes (Jamaïque, Trinidad, Barbade, Cuba, Haïti…), au Brésil et aux Etats-Unis. La tradition orale a permis à ces populations éloignées spatialement de conserver, en les adaptant et en les transformant, des aspects linguistiques, artistiques (danse, chant, musique), religieux et sociaux yorùbá.
Stefania Capone explique dans Les Yoruba du Nouveau Monde qu’aux environs des années 70 aux Etats-Unis et au Brésil la mobilisation de personnes du monde académique et artistique, de diverses origines, a permis une résurgence de la culture yoruba. Celle-ci s’est faite au moyen d’une large diffusion de la littérature orale, de la religion, des savoirs traditionnels, de l’art et de la musique des anciens royaumes yoruba. Dans le patrimoine maritime, la figure d’Ọ̀ṣ̣ un fut la plus populaire, elle a inspiré de nouvelles formes d’art et de culte. En observant les différents contenus quisont consacrés à la culture yorùbá, on constate que de nombreux livres, expositions et documentaires sont dédiés à la figure de cette divinité. Il serait bon de s’interroger si cela ne participe pas à essentialiser la culture yoruba en tant que culture religieuse ?
Si les régions caribéennes anglophone et hispanophone s’intéressent à l’intégration des connaissances yorùbá ou d’autres cultures du continent africain, dans les îles francophones la circulation des savoirs et des connaissances africaines est quasiment inexistante. Historiquement, le régime culturel colonial et postcolonial de ces îles consistait à exclure tout ce qui avait un rapport avec l’Afrique. A l’heure actuelle, il n’y a toujours pas d’institutionnalisation en faveur d’une « présentation » de ces cultures.
Comment faire circuler les savoirs du patrimoine yorùbá dans cette région et de manière non occidentalisée, ou réduite à un seul de ses aspects. En m’appuyant sur les réflexions du philosophe Barry Hallen (2000), qui a travaillé sur la philosophie yorùbá, je m’intéresse au moyen de rendre compte à la fois d’une perspective yorùbá mais aussi caribéenne.
Présenter un patrimoine maritime, à l’aide de ressources matérielles, constituerait une voie. Le thème du patrimoine fluvial offre une orientation singulière. Il existe en Martinique, Guadeloupe, Haïti, Trinidad ou Barbade, de nombreux gestes ou évènements culturels liés à l’eau qui remontent à des pratiques africaines. Nous retrouvons des rituels de nettoyage et de guérison qui se pratiquent dans la mer où les rivières, comme le bain démaré en Guadeloupe, le Osun Rain Festival de Trinidad, le pèlerinage à Saut d’eau en Haïti… Ces territoires ont des rapports particuliers avec l’eau du fait de leur géographie. Leurs populations sont concernées par les métiers de l’eau comme la pêche, les matériaux issus de l’eau comme le lambi…
Ces gestes et pratiques (professionnels, médicinaux, festifs…) pratiqués dans des régions caribéennes sont l’occasion de renvoyer un public des îles concernées aux eaux plus anciennes yorùbá à l’aide de ressources diverses faisant référence à ce patrimoine maritime ancien : Osun osogbo, Masque et célébration d’Olokun, insignes royaux d’animaux marins symbolisant l’autorité du roi sur les eaux, Crocodile Ọrẹ Grove d’Ilé-Ifè,̣ Tête d’Olokun (Olokun Grove), bague avec crocodile et feuilles de Itajero…
En outre, la thématique de l’eau est profondément actuelle puisque tout comme au Nigéria, certaines îles comme la Martinique et la Guadeloupe souffrent de problèmes d’intoxication et de pollution aquatiques. Nous pouvons alors nous interroger sur une corrélation entre la mise en valeur du patrimoine culturel yoruba et la préservation de lieux patrimoniaux tels que les rivières et les océans. La valorisation et la circulation du patrimoine maritime est un thème de réflexion qui amène autant à des investigations historiques qu’à des projets de sauvegarde de territoires naturels, deux causes pareillement cruciales pour le développement de relations de partenariat culturel fécondes entre l’Afrique et les Caraïbes.
Enseignant-chercheur à l’INSAAC, Côte d’ivoire
L’eau revêt de nombreuses significations qui varient en fonction des cultures et croyances des peuples, à travers le monde. En Afrique de l’Ouest et précisement en Côte d’Ivoire, le rapport à l’eau et les croyances qui y sont associées sont une partie intégrante de la vie socioculturelle des peuples lagunaires, dont les Ehotilé.
En effet, les Ehotilé situés sur les rives de la lagune Aby sont un peuple akan lagunaire vivant au Sud-Est de la Côte d’Ivoire, dans la région du Sud-comoé, Département d’Adiaké. Des liens multiséculaires unissent ce peuple avec son environnement.
L'environnement est non seulement l'espace où se développe la vie, formant un biome, mais comprend également des êtres vivants, des objets, l'eau, le sol, l'air et les relations entre eux ainsi que les actifs incorporels comme la culture. Ainsi, l’eau en tant que patrimoine naturel est devenue au fil du temps une composante qui contribue au bien-être social et religieux de certains peuples.
Notre réflexion part de l’hypothèse que la vie du peuple Ehotilé est indissociable des croyances aux divinités liées à l’eau. L’objectif de la communication est de démontrer que la croyance aux divinités liés à l’eau est un patrimoine culturel immatériel identitaire du peuple Ehotilé. Spécifiquement, il s’agira de déterminer la relation qu’entretiennent les Ehotilé avec l’eau à travers l’identification des sites culturels des divinités liées à l’eau, leurs fonctions, leurs représentations dans la vie des Ehotilé et le mode de transmission de ce patrimoine culturel aux générations futures.
L’atteinte de ces objectifs mobilisera une approche mixte incluant des méthodes de recherche documentaire, d’entretien semi directif et des enquêtes, pour la collecte des données qualitatives et quantitatives. Cette approche permettra de recueillir des données observables sur le terrain, de décrire des phénomènes naturels et des matérialisations anthropiques trouvés in situ, de faire un diagnostic et une analyse critique d’une part et de chercher à les comprendre par l’observation, la description, l’interprétation et l’appréciation. L’analyse des données recueillies sur le terrain permettra de comprendre la relation du peuple Ehotilé à l’eau à travers les divinités, leurs fonctions sociales, leurs représentations et leur mode de transmission.
Enseignant-chercheur, INMAAC, Bénin
Abondamment cité dans les guides de voyage et qualifié à tort ou à raison de « Venise d’Afrique », la Cité lacustre de Ganvié offre le visage d’un réservoir où dialoguent en permanence nature et culture. Situé dans le Bénin méridional, non loin de l’océan atlantique et bercé par les eaux du lac Nokoué, Ganvié plonge ses racines historiques dans les razzias esclavagistes du XVIIIè siècle, et se trouve complètement absorbé par la basse vallée du plus long fleuve du Bénin, l’Ouémé. En fuite, les Toffin eurent la vie sauve dans ce territoire-refuge grâce à l’eau qui va devenir pour eux, au fil du temps, source et ressource. La présente recherche analyse la requalification patrimoniale de ce milieu sans doute exceptionnel : en effet, comment au fil des ans, l’eau s’est-elle imposée comme la pierre angulaire générant flux et reflux touristique, impulsant une patrimonialisation à géométrie variable et inscrivant l’enclave de Ganvié et son environnement au cœur des politiques publiques ? Pour apprécier les différentes dimensions de notre sujet d’analyse, nous avons fait une recension des écrits sur la géographie physique et humaine de la vallée de l’Ouémé. Dans une démarche à la fois descriptive et explicative, nous avons échangé avec les populations lacustres de Ganvié pour apprécier leurs pratiques patrimoniales au contact de l’eau et leurs initiatives de préservation locale. Il nous a fallu aussi questionner les acteurs étatiques sur les projets et programmes d’aménagement en cours afin de bien en cerner le sens et l’orientation. Fort de cette approche méthodologique, nous sommes parvenus à des résultats qui présentent un milieu à valeurs plurielles : l’habitat lacustre de Ganvié est caractérisé par un ensemble de villages construits sur le plan d’eau en des cases sur pilotis avec une architecture originale et où cohabitent les Toffin et les Ouémènou ; loisirs, commerce, production agricole, éducation, santé, sexualité,… sont tous dictés et vécus à partir du potentiel hydro-écologique de cette vallée du Dahomey Gap (dans la zone de transition régionale guinéo-congolaise entre les centres régionaux d’endémisme guinéo-congolais et soudanien), considérée par certains experts comme la plus riche du monde après celle du Nil ; le paysage culturel est représenté par une gamme d’écosystèmes fauniques et floristiques spécifiques où s’observent, entre autres, des plaines alluviales et marines, des plateaux sédimentaires, un cordon littoral sableux, des fourrés, des
chenaux, la lagune de Porto-Novo, la végétation flottante, la mangrove, des forêts et prairies marécageuses, des forêts périodiquement inondées, la rivière Sô, le lac Nokoué, des mares, des forêts ripicoles, des forêts galeries, des savanes boisées, des agroécosystèmes. Classée réserve mondiale de biosphère, et au regard de sa Valeur universelle exceptionnelle, la basse vallée de l’Ouémé est aussi présente sur la Liste indicative du Bénin depuis 2020, comme bien mixte, candidate à une inscription sur la Liste du patrimoine mondial. Ce projet de candidature est justifié, d’une part, par l’ensemble de ces écosystèmes terrestres, aquatiques et marins favorisés par l’interpénétration dynamique d’eaux marine et fluviale et, d’autre part, par son système de peuplement traditionnel toujours vivant et dynamique, soumis à des pratiques traditionnelles du territoire résultant d’un mode de vie particulier tel qu’il se manifeste dans l’harmonie entre les Toffin, les Ouémènou et les plans d’eau puis les ressources naturelles environnantes. L’ambitieux programme « Réinventer la cité lacustre de Ganvié » porté par le gouvernement du Bénin depuis 2016 sonne certainement comme une réponse au besoin de préservation et de valorisation de ce patrimoine mixte fondé sur l’eau. Le prochain défi sera que la mise en œuvre de ce programme connaisse la participation inclusive des communautés locales et contribue à assurer leur développement socioéconomique tout en protégeant les principes d’intégrité, d’authenticité et de gestion exigés sur tout site du patrimoine mondial.
Enseignante, IUT Fotso Victor de Bandjoun, Cameroun,
La question de l’eau revêt un sens parfois profond ou énigmatique. Cet élément assez capitale pour la vie humaine s’invite dans le monde artistique africain en le fécondant et en le soutenant. Dans les processus de création artistique, l’eau donne lieu à diverses exploitations. L’artiste fait un cheminement qui va de l’eau à l’art, dans un procédé d’exploration de l’eau, sous des formes variées. L’eau apparaît ici telle une source d’inspiration intarissable à travers laquelle se déploie l’imaginaire de l’artiste. L’omniprésence de l’eau dans le patrimoine culturel des communautés africaines offre à l’artiste une matière première, une matière multidimensionnelle, un élément fécond pour ses créations artistiques. D’une communauté culturelle à l’autre, l’eau enrichie de manière plurielle la créativité artistique.
Cet article met en relief l’eau comme une matière féconde et puissante pour les artistes africains. Il se crée ainsi une relation où l’eau est maniée par l’artiste d’une part et où l’artiste est manié par l’eau. L’eau, élément manipulable qui prend la forme de son contenant, constitue entre les mains et l’esprit ou l’imaginaire de l’artiste, une plateforme de création, un socle à la fois fixe et mobile. L’artiste possède l’eau, qui à son tour, est mise en exergue par des métaphores et dans diverses formes d’art.
Notre travail porte sur les œuvres de l’artiste plasticien camerounais Arnold Fokam, diplômé en Art plastique et histoire de l’art de l’Institut des Beaux-arts de Nkongsamba (Littoral Cameroun). Notre démarche, qui s’inscrit dans une logique d’analyse d’un échantillon de cinq productions artistiques de l’artiste, constitue une étude descriptive et analytique, ayant pour objectif de mettre en exergue le rôle de l’eau comme source d’inspiration dans les productions artistiques africaines. Il s’agira, dans l’espace de nos investigations, de procéder à une mise en exergue des spécificités esthétiques, stylistiques, iconographiques et plastiques de ces œuvres ayant été inspirés de l’eau ou par des eaux.
Ce travail vise à analyser la place et les formes de l’eau dans les productions artistiques de l’artiste choisi. L’eau peut, de ce fait, s’inscrire dans la démarche artistique de l’artiste africain au pluriel. Ainsi donc : quel est le rapport personnel que cet artiste entretient avec l’eau ? Comment s’exprime la fertilité de l’eau au cœur de la production artistique d’Arnold Fokam ? L’artiste Arnold Fokam entretient un rapport multidimensionnel avec l’eau sur le plan culturel, sur le plan social, et sur le plan artistique. Dans sa démarche artistique en rapport avec l’eau et même le corps, son univers créatif surfe sur deux univers culturels camerounais, à savoir l’univers grassfield et l’univers sawa. Il se trouve que l’eau a marqué la vie de cet artiste de façon positive comme négative, faisant en sorte que son rapport à l’eau devienne mitigé mais enrichissant sur le plan artistique. Des éléments visibles aux éléments abstraits, l’eau apparait de façon fertile dans son travail sous plusieurs formes que sont : la forme sujet ou thématique, la forme proverbiale ou métaphorique, la forme écologique et sociale, ainsi que sous la forme cathartique. L’eau a également, dans les productions artistiques de cet artiste plasticien, une posture engageante et engagée. Le patrimoine hydrique s’imbrique ici dans le patrimoine créatif artistique. Il devient impossible de dissocier les deux éléments : l’œuvre et l’eau. Une fois la production artistique terminée, l’artiste habite l’univers de l’art et de l’eau tout en invitant le public à rejoindre l’aventure.