Un texte de Louis Prince écrit à l'occasion du concours d'éloquence Délie ta langue en collaboration avec l'Université de Montréal
Un texte de Louis Prince écrit à l'occasion du concours d'éloquence Délie ta langue en collaboration avec l'Université de Montréal
Notre langue, cet organe de 17 muscles, reliée à notre cerveau par un réseau neuronal hors pair, nous permet d’exprimer amour et admiration, idées et valeurs, angoisses et succès, de proférer insultes et jurons. Cependant, venu le moment où on nous pose une question et que la réponse nous échappe, on choisit la voie de la facilité et non la voie de l’effort et de la réflexion. On préfère qu’on nous donne tout simplement la réponse. C’est alors qu’on baisse pavillon en disant: «Je donne ma langue au chat.»
Donner sa langue au chat, quelle est l’origine de cette expression? Permettez-moi humblement d’éclairer votre lanterne en vous ramenant au siècle des Lumières. C’est alors que l’épistolière, Madame de Sévigné, accorde préséance au chien, et non au chat dans un de ses écrits dans l’expression «Jeter sa langue aux chiens», soit montrer que notre langue était minable au point de s’en débarrasser en la donnant aux chiens. Au milieu du XIXe siècle, le chien cède sa place au chat qu’on considérait gardien de nos secrets. Eh oui, le chat qui connait tout, mais ne dit rien à part ses ronronnements. Au fil du temps, l’expression est devenue la réponse par excellence à toutes les devinettes qui nous laissent bouche bée.
Pourtant, donner sa langue au chat en réponse à une question illustre un enjeu langagier : l’insécurité linguistique, le malaise d'utiliser une langue alors qu'on en a le droit. On se tait. Refus de compétence. Pas assez de confiance pour dépasser notre conscience. Trop cons pour affirmer nos dons, pas assez doués pour exprimer nos pensées. Convaincu que notre langue n’est pas conforme à une norme qui, en somme, ne s’applique à personne, on dira tous : I’m done.
Qui affile les griffes du chat ?
Qui sont les gardiens du français pour qui notre langue est davantage un moyen de rabaissement que de rassemblement ?
Il y a l'Académie Française figée dans le passé. Et, tout aussi prescriptifs, nos systèmes scolaires qui accentuent souvent la grammaire au détriment de son utilisation. Une langue ne devrait pas être synonyme d’examens, mais de fierté.
Puis, il y a nos amis, même notre famille, qui, parfois sans s'en rendre compte, laissent glisser des commentaires :
«Hey, t’as un gros accent anglais!» , «Lui, c’est un vrai francophone, il parle bien!» , «Parle-moi en anglais, ce sera plus simple. »
Et vous, avez-vous déjà jugé une personne moins compétente à cause de son français? L’avoir abaissée en raison de son accent ? Sommes-nous ceux qui flattent ou qui critiquent ? Avons-nous déjà corrigé avant d’avoir encouragé ?
Si on continue de repousser les autres en raison de leur niveau de français, on se fait du tort à soi-même. En étant inflexible, la communauté francophone s’appauvrit. ELLE S'EFFRITE.
ELLE MEURT.
IL FAUT CHANGER. Arrêtons de comparer. Au lieu, acceptons que chacun s’exprime à sa façon. Célébrons que notre langue est vivante et toujours changeante. Valorisons l’apprentissage de la langue et son utilisation. Invitez ceux qui la parlent à continuer. Donnez-leur la chance de s'exprimer. Tout effort doit être félicité. À cet égard, à tous ceux qui hésitent, je vous dis que garder le silence est loin de la résilience, car il vaut mieux cracher des boules de poils, qu’avaler sa langue et ne plus pouvoir l’utiliser! À tous ceux qui veulent la perfectionner, incitez vos amis à vous suivre. À ceux qui la manient à la manière de Molière, sachez comment rassembler et non repousser. Nous avons tous un français propre à nous et dont nous pouvons être fiers.
Donc, que personne ne perde sa langue, surtout pas en la donnant au chat.
Louis Prince, vice-président des relations externes de l'Association des universitaires de la Faculté Saint-Jean