"Arte povera ou l'infinie richesse de la pauvreté". Voilà qui intitule un article publié sur le site "exporevue" traitant d'une exposition de Giuseppe Penone au centre Pompidou à l'été 2004. Le paradoxe superficiel ainsi énoncé révèle pourtant une réalité/source du génie italien. On a discuté de la référence plus ou moins implicite de l'Arte Povera à la spiritualité franciscaine née dans la même péninsule. Le fait est que l'essence de la dynamique effective de l'Arte Povera est mystérieuse et insaisissable en soi. Pour ne pas en faire un mouvement Germano Celant la qualifie d'attitude.
Historiquement cependant il s'agit bien d'un mouvement de l'art inscrit dans un contexte spécifique: politiquement contestataire selon le climat général du temps, et posé en contrepoint de l'art minimal émergeant alors aux Etats-Unis. [L'intuition ou la stratégie intellectuelle est de ce point de vue lumineuse, plaçant d'emblée l'Arte Povera dans la perspective des enjeux de la scène de l'art internationnale.] En décembre 1967 parait dans "Flash Art" une revue d'art américaine, un article de Celant intitulé "Arte Povera. Notes pour une guérilla", considéré comme le manifeste du mouvement. Che Guevara est mort deux mois plus tôt dans les montagnes Bolivienne, voilà pour la guérilla et la posture révolutionnaire, ni plus ni moins que la vêture de l'époque, l'esprit n'est pas là.
En 66 à Turin une première exposition annonce le mouvement, "arte abitabile" est une réponse à l'art minimal révélé deux mois plus tôt à New-York. "Les italiens conservent la grande simplicité visuelle de leurs constructions mais en rejettent la froideur et la neutralité au profit du facteur subjectif de la sensibilité" (site du Centre Pompidou). Une autre exposition préfigurera le groupe en juin 67 à Rome "Fuoco, Immagine, Acqua, Terra" où les artistes proposent par leurs oeuvres d'être une "médiation" entre le public et la nature. En septembre de cette même année l'exposition à Gènes "Arte Povera - Im Spazio" réalisée par le critique Germano Celant consacre le nom du groupe. Puis, toujours en 67, en décembre et à Turin, une nouvelle exposition: "con temp' l'azione" prend à nouveau une posture en contrepoint du minimalisme américain et de la "quasi-mystique" de sa recherche de formes épurées. Il s'agit de "fragmenter la contemplation", "Avec le temps l'action", non plus de représenter le monde mais de le transformer.
Voilà résumés les fondements historiques de l'Arte povera, difficile d'y cerner une dynamique homogène, une cohérence subtile est pourtant à l'Oeuvre. La chaleur subjective de la sensibilité, la médiation public/nature, et l'action transformatrice du monde. Ce programme hors-temps, cette résurgence d'une dynamique archaique de l'art intuitivement manifestée par les artistes, sera habilement revêtue d'un discours socio-politique spectaculaire propre à lui donner un ancrage explicite dans l'époque: guérilla, artiste guérillero.Derrière ce discours et à travers lui brille l'essentiel, la matière première: l'énigmatique luminaire de la pauvretérevendiquée comme l'attitude révolutionnaire radicale, la première condition de la Liberté nécessaire à l'exercice d'un art véritablement Acteur. On trouve là, sans rien trahir, l'empreinte vive sur le génie italien de la mystique de François d'Assise et en filigrane celle de la figure "révolutionnaire" du Christ historique.
Cette Présence est insaisissable dans l'Arte Povera sans être jamais absence, c'est là l'autre génie de l'entreprise (et de tout l'art contemporain depuis Duchamps), toujours ailleurs et pourtant au centre, camouflée par un flou artistique à la fois ordonné et désordonné, cachée et révélée par un hermétisme transparent, elle est le point de fuite d'une perspective idéale juste suggérée, un Imperceptible manifeste: tout ensemble matrice d'illusion et évidence antispectaculaire du mirage. Privilégiant le processus, "le geste créateur au détriment de l'objet fini", refusant de se laisser définir par l'assignation d'une identité, les artistes de l'Arte Povera sont nomades.
S'il est nécessaire de situer le contexte de cette expression singulière dans l'histoire de l'art contemporain, c'est d'abord pour dégager l'esprit qui en présida la manifestation. Naturellement pas pour le saisir, vanité, mais pour en mesurer la surprenante actualité, l'extraordinaire fertilité pour un temps libre d'histoire: aujourd'hui.
En 1972 Germano Celant abandonne le terme d'Arte Povera qu'il considère devenu cliché. Il le fait ressurgir en 85 et fixe à 12 le nombre d'artistes estampillés. Pour finir citons les noms de ceux qui pour l'histoire incarnent l'attitude Arte Povera: Giovanni Anselmo, Aleghiero e boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Marisa Merz, Giullio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorrio.
Annexe: il est intéressant de noter que deux artistes, dont j'aime suivre les traces, ont croisé de près ou de loin celles de l'Arte Povera: Richard Long d'abord qui participe en 68 à une exposition organisée par Celant à Bologne, "Arte Povera + Azioni Povere", et Joseph Beuys qui en 69 est inclu par le même Celant dans la réflexion théorique dévellopée dans son ouvrage Arte Povera. Et de fait on trouve chez l'un et chez l'autre une parenté évidente avec le groupe. Le walking-art de Long participe de la dématérialisation de l'oeuvre, du dénuement ascétique de la posture plastique et aussi de la "médiation" public/nature. Quant à Beuys cette même "médiation" public/nature trouve son expression parfaite dans la figure de chaman qu'il incarnera un temps; la volonté affirmée de l'Arte Povera de transformer le monde par l'action artistique est l'essence de sa "Soziale Plastik", quant à la chaleur de la subjectivité sensible opposée pour l'Arte Povera à la froideur et à la neutralité de l'art minimal, on la trouve chez Beuys dans les rapports d'énergies des matériaux qu'il met magistralement en oeuvre à un degré d'achèvement que ni Kounellis ni aucun autre artiste officiel du mouvement n'atteindra jamais.
Janvier 2009
Richard Long: A line made by walking