Biographie d'Éléonore Tenaille de Vaulabelle

Éléonore Tenaille de Vaulabelle est né le 25 vendémiaire an X (12 octobre 1801) à Châtel-Censoir.

Après une enfance passée en Bourgogne, Éléonore de Vaulabelle s'installe à Paris à la fin de la Restauration, où il rédige des articles dans plusieurs journaux satiriques ainsi qu'un pamphlet quotidien pour Le Figaro, où il y côtoie Alphonse Karr et George Sand.

Il a écrit deux romans sous le pseudonyme d'Ernest Desprez ainsi qu'une autobiographie romancée : Un enfant. Il développe dans Les Femmes vengées une théorie inspirée de Molière : « Les femmes sont ce que nous les faisons. » Vaulabelle ajoute : « Si les femmes mentent, c'est que nous leur apprenons à mentir. » Mais c'est à la scène qu'il consacre l'essentiel de son œuvre sous le pseudonyme de Jules Cordier. Seul le recueil de nouvelles Les Jours heureux a été signé sous son véritable nom.

S'il adhère en privé aux idées républicaines — sans doute sous l’influence de son frère aîné, Achille Tenaille de Vaulabelle, auteur de l'Histoire des deux Restaurations et ministre de l'Instruction publique sous la présidence du général Louis Eugène Cavaignac en 1848 — au théâtre, il exprime son opposition au régime selon la mode de l'époque.

Il est décédé le 12 octobre 1859.

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Source : mon article Éléonore Tenaille de Vaulabelle sur Wikipédia et l'original créé le 24 mars 2011 qui reprend sa biographie, bibliographie, blason et généalogie

Éléonore Tenaille de Vaulabelle dont le père, officier d'état major à l'armée d'Espagne, fut tué dans la campagne de 1808, et le grand-père, Jean-Baptiste de Vaulabelle, fut maréchal des logis de la 2e compagnie des gardes du corps du roi Louis XVI, naquit à Châtel-Censoir (Yonne), le 12 octobre 1801. Après avoir fait d'excellentes études, il embrassa, très jeune la carrière des lettres et débuta par sa collaboration avec le poète Méry dans une épître en vers à l'empereur Sidi-Mahmoud, qui fut publiée sous le nom seul de ce dernier.

Il travailla ensuite à la rédaction de plusieurs journaux: le Nain, le Courrier de la Jeunesse, le Journal des Enfants, dont il fut un des fondateurs, le Figaro, l'Europe littéraire, ainsi qu'à cette de plusieurs journaux politiques, dont la partie littéraire lui fut confiée. Deux romans: Un Enfant (3 vol., 1833), Les Femmes vengées (2 vol., 1834), et un recueil de contes moraux pour les enfants, intitulé Les Jours heureux (1 vol., 1836), furent successivement publiés par lui et furent remarqués. Le genre dramatique fut en même temps abordé par cet écrivain, et devint bientôt l'unique objet de ses travaux; dans l'espace de vingt-six ans, de 1833 à 1859, il composa soixante-dix pièces, dont quelques-unes en collaboration de différents auteurs, qui, pour la plupart, eurent un grand succès. Nous citerons, parmi les plus applaudies, Clémentine, les trois Dimanches, l'Ami de la Maison1 (au Théâtre-Français), le Mari de ma Fille, le Mari à l'essai, la Polka en province, Colombe et Perdreau, Un Petit de la mobile, la Propriété c'est le vol, les Grenouilles qui demandent un roi, les Représentants en vacances, le Bourgeois de Paris, la Dot de Marie, Vénus à la fraise, les Contes de la mère l'Oie, Turlututu2, Florian3, etc.

Éléonore de Vaulabelle tint un rang distingué parmi les écrivains les plus remarquables de l'époque de 1830. Son talent, comme journaliste, comme romancier et comme auteur dramatique, aurait attiré sur lui une certaine célébrité, si, caractère libre et fier, son dédain de la foule, son aversion pour le bruit, son amour pour la retraite et le travail, ne l'avaient porté à fuir la publicité avec autant de soin que d'autres en mettent à la rechercher; il a vécu solitaire et silencieux. Son recueil des Jours heureux est le seul livre peut ­être qu’il ait signé de son nom. Ses romans furent publiés sous le pseudonyme d'Ernest Desprez, et toutes ses pièces de théâtre sous celui de Jules Cordier.

Esprit élevé et profondément libéral, nature généreuse et tolérante, il ne montrait de passion qu'envers l'improbité, la persécution ou l'abus de la force, et répondait habituellement à qui lui demandait quel parti politique il avait adopté : « Le parti des vaincus.» Un des journaux les plus répandus et les plus accrédités disait, en annonçant la mort de Vaulabelle: « Cet homme de bien, doublé d'un homme d'esprit, ce philosophe content de peu, ce vrai sage, a compté les succès éclatants par douzaine, sans vouloir jamais que son nom fût jeté au public. C'est à lui principalement que, depuis dix ans, les Parisiens ont dû tant de joyeuses soirées : La Propriété c'est le vol, une satire si spirituelle, le Bourgeois de Paris, une comédie si comique; et ce vaudevilliste mordant, ce gai conteur était aussi un érudit, et même un véritable savant, mais avec tant de modestie, avec si peu d'envie de faire paraître ce savoir, qu'il a échappé au plus grand nombre.

Disons encore, à son honneur, que cet excellent esprit, aussi peu soucieux de la fortune que de la renommée, repoussa toujours leurs avantages en homme satisfait de son lot et qui s'en contente.» Éléonore de Vaulabelle, dont l'érudition était en effet profonde et peu commune, ne bornait pas ses travaux aux productions légères, dont la nomenclature précède ; des objets plus sérieux occupaient son esprit. Depuis longtemps il amassait les matériaux d'un dictionnaire historique de tous les mots de notre langue, devant présenter leur origine, leur étymologie et leur transformation à travers chaque siècle. Il se proposait de consacrer les dernières années de sa vie à la composition de cet intéressant ouvrage, mais la mort est venue interrompre une entreprise aussi utile et aussi précieuse. Il n'a laissé qu'une immense quantité de notes dont lui seul pouvait faire usage. C'est à tort que certaines biographies contemporaines, entre autres inexactitudes, le prénomment Matthieu. Son acte de naissance comporte le seul prénom d'Éléonore. Il avait pour frère aîné Achille de Vaulabelle, auteur de l'Histoire des deux Restauration, représentant du peuple et ministre de l'instruction publique en 1848, existant encore; et pour frère cadet Hippolyte de Vaulabelle, tué par accident le 12 janvier 1856, lequel, d'un esprit également distingué, n'a rien publié. Par une singularité fort remarquable, ces deux frères, Hippolyte et Éléonore, sont morts, l'un et l'autre, le jour du mois où ils étaient nés. Le dernier, comme il est dit au commencement de cet article, né le 12 octobre 1801, est mort le 12 octobre 1859.


1 L'Ami de la Maison, comédie en 3 actes , est attribuée à André Ernest Modeste Grétry , Éléonore n'y est pas mentionné comme contributeur, ni dans le livret ni dans la notice BNF.2Turlututu chapeau pointu, grande féerie en trois actes, est signée uniquement par Clairville, Albert Monnier et Edouard Martin.3Florian, comédie en un acte, a été écrite en 801, année de naissance d’Éléonore, par Jean Nicolas Bouilly et Joseph Marie Pain. C'est la seule notice trouvée!

source : Biographie universelle ancienne et moderne, page 209, tome 85, 1862

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Famille Tenaille — Éléonore de Vaulabelle (XLVIII, 7, 137, 227) — Je n'ai pas l'honneur de connaitre M. Alfred de Vaulabelle, mais j'ai lieu de penser qu'il ne m'en voudra pas si je dis un mot, en passant, sur un des oncles dont il a récemment rappelé le nom aux lecteurs de l'Intermédiaire. M. Éléonore de Vaulabelle, celui dont j'ai à parler, n'a pas été seulement un fort galant homme, mais, ainsi que son frère Achille, l'historien, il a donné à voir en lui un écrivain de haute distinction. Pendant trente années consécutives, sans relâche, il a fait preuve de talent comme journaliste, comme romancier et comme auteur dramatique, c'est-à-dire sous toutes les formes de l'art d'écrire.

Une très courte observation d'abord, sur son prénom. Le jour où commença à se faire connaitre, un plaisantin chercha à le piquer là-dessus. Il renvoya spirituellement le loustic à l'étude de l'histoire et de l'almanach, deux documents où l'on voit des hommes se décorer de prénoms féminins, tels que Camille, Arsène, Marie et plusieurs autres. Le railleur se sentit mouché et n'y revint plus,

Étant d'une famille originairement militaire, il a, je crois, commencé par être soldat, mais la mansuétude de son esprit et ses instincts d'artiste n'auraient pu faire de lui un homme de champ de bataille. Au retour du régiment, il se jeta dans les lettres, dans un petit journal de combat, ce qui était, du reste, un prolongement de la vie martiale. Cela se passait sur la fin du règne de Charles X, et la feuille dont il est question, était un pamphlet quotidien, plein de verve voltairienne et animé d'une ironie implacable contre les Bourbons. Il resta là pendant quatre ans, faisant partie d'une escouade de beaux esprits qu'ont tour à tour dirigée H. Bobet, H. de Latouche et Nestor Roqueplan. Comme compagnons d'armes à ce Figaro, alors endiablé, il avait Raymond Brucker, Léon Gozlan, Alphonse Karr, Félix Pyat, Jules Sandeau et même George Sand. (L'Histoire de ma vie raconte que Lelia a débuté dans ce corps-de-garde).

Une collaboration quotidienne à un papier en vogue, que Paris s'arrachait tous les matins, c'était bien, mais ce ne pouvait suffire à l'activité de son esprit. Il éparpillait donc l'excédent de sa chaleur d'imagination dans d'autres publications d'alors, dans l'Entr’acte, journal des théâtres, dont les premières années ont été si brillantes ; dans l'Europe littéraire, une très belle Revue où a débuté, chez nous, Henri Heine ; dans la Mode, autre cahier, la coqueluche des châteaux ; puis, dans des recueils de librairie, tels que le Sal­migondis et les Cent-et-un de Ladvo­cat.

En ce temps-là, vers 1833, on était à l'âge d'or du roman. C'était l'époque où Victor Hugo publiait Notre-Dame de Pa­ris ; H. de Balzac, La peau de chagrin ; Sainte-fleuve, Volupté ; George Sand, Valentine ; Eugène Süe, La Salamandre ; Alfred de Vigny, Stella ; Frédéric Soulié, Les deux Cadavres ; Raymond Brucker, Les Intimes ; Alphonse Karr, Sous les tilleuls, et dix autres que je ne nomme pas, vingt autres belles oeuvres. (Pardieu, n'oublions pas Paul de Kock qui faisait la Pucelle de Belleville). Notre journaliste, aussi, fut piqué de la tarentule qui versait son doux venin sous tant d'épidermes. Il fit coup sur coup deux beaux romans, quatre volumes in-octavo, qui ont paru chez Charles Gosselin, un des grands éditeurs de ce temps-là.

De ces deux récits, l'un, le premier, est intitulé : Un enfant. (Il y a de l’autobiographie là-dedans). L'autre a pour titre : Les Femmes vengées et est conçu dans la forme épistolaire. Tous deux sont signés du pseudonyme d'Ernest Desprez. — Plus tard, un jour, chez lui, comme nous parlions de ces fils de sa veine, je lui demandais pourquoi il ne les avait pas avoués, puisqu'il ne les avait pas signés. — Pourquoi ? Pour plusieurs motifs, « Primo, par excès de pudeur, parce que je ne sais si ce serait du goût des miens. Secundo, parce que j'ai peur de cette bête à cent mille tètes qu'on appelle le public et que je ne veux pas lui livrer mon nom. J'ai grandement écrit dans les journaux, mais presque toujours sous l'anonyme. La gloire des lettres ? Vous voyez que ça ne pèse pas plus que la fumée d'un cigare ».

A mon gré, il avait grand tort de ne pas reconnaître Les femmes vengées, une très belle oeuvre et comme fond et comme forme. L'idée, est charmante d'abord et aussi fort originale. Trois femmes de la même famille s'associent pour veiller sur un pupille, espérant lui faire un bel avenir ; c'est donc un enfant qui a trois mères. — Peut être avait-il rencontré ce phénomène psychologique dans la réalité ? — Quant à moi, j'avoue être fort étonné de voir qu'on n'eût pas fait de ce thème un sujet de drame ou de comédie. — Mais je crois bien que le susdit livre serait désormais introuvable.

Quand, vers 1834, Lautour-Mézeray, le second d'Emile Girardin fonda le Jour­nal des Enfants, il eut bien soin d'y appeler Éléonore de Vaulabelle, et c'était avoir la main heureuse. En conteur qui faisait aisément oublier Berquin et l’honorable père J. Bouilly, le déserteur du Figaro lui fournissait des contes qui enchantaient sa jeune clientèle. Les mêmes contes, toujours pleins de fraîcheur après soixante-dix ans, l'auteur les a réunis sous un titre bien adapté à la circonstance : Les plus beaux jours de la vie (La vie de l'enfance)1. Et, cette fois, n'ayant plus peur de la bête, il a hautement signé de son nom.

Vers ces mêmes temps, les gens de lettres, encore gais, ne pensaient pas qu'à l'argent. Très souvent, chez eux, le vent était à la blague, à ce qu'on appelle aujourd'hui la fumisterie. Voyez Auguste Romieu. Rappelez-vous Cabanon. Ressus­citez Henri Monnier. Un jour, Éléonore de Vaulabelle et Méry mirent leur jovialité en commun pour publier un volume bizar­re : la prétendue traduction des prétendues poésies du roi Louis de Bavière. Ça captiva tout le monde. Le plus étonné et le plus content fut, parait-il, le monarque qui régnait à Munich. Notez que c'était dix ans avant les frasques avec Lola Montes, la danseuse espagnole, comtesse de Lansfeld, l'ennemie des Jésuites.

J'ai à ajouter que cet opiniâtre travailleur a été au théâtre un artisan aussi fécond que dans les autres spécialités. De 1833 à 1848, il a fait jouer tour à tour des vaudevilles, des drames, des opérettes, des comédies. « Athéniens, disait le Macédonien en traversant le Cydnus glacé à la nage, que de peine je me donne pour vous plaire ! » — Parisiens! combien d'hommes de talent se mettent, durant toute leur vie, l'esprit à la torture pour le frivole honneur de vous procurer des loisirs et pour vous amuser ! Il a été de ceux-là. Tantôt en collaboration avec Alboize, tantôt avec les frères Cogniard, le plus souvent avec Clairville, il a composé vingt pièces qui, toutes, ont été fort applaudies.

Je m'arrêterai plus particulièrement à l'une d'elles qui a été tout à la fois un succès littéraire et un événement politi­que. On était en 1850, c'est-à-dire dans des temps troublés, assez comparables à ceux que nous traversons en ce moment. Se rappelle-t-on La propriété, c'est le vol ? Une fois, par hasard, Paris se donna le luxe d'avoir les moeurs d'Athènes. Éléonore de Vaulabelle et Clairville se sont alors battu les flancs pour se changer, un instant, en Aristophanes. S'emparant de la fameuse formule émise par P.J. Proudhon dans la lettre à Blanqui l’économiste, ils ont composé pour le Vaudeville de la Place de la Bourse, une grande pièce satirique. N'oublions pas de noter qu'au préalable, ils avaient demandé au célèbre socialiste la permission de le mettre sur la scène. Pour ne rien taire, disons aussi que, de même que Socrate qui était allé se voir jouer dans les Nuées, l'âpre franc-comtois, ami de la liberté illimitée, avait tenu à assister à un spectacle où il a été, cent fois de suite, exposé aux risées de la foule. Et, même en sortant du théâtre, il s'était exprimé en homme d'esprit, qui il était, du reste. « C'est très drôle, leur pièce, mais s'ils m'avaient consulté, je leur aurais fourni des moyens cent fois plus comiques ».

Ah ! cette Propriété, c'est le vol, quel chambard et comme cela faisait rire ceux qu'on appelait déjà les Petits Crevés ! Il ne s'y voyait pourtant rien de bien cruel. L'acteur principal s'était fait mouler le masque de Proudhon et se l'appliquait sur la figure ; c'était ce qu'il y avait de plus neuf et de plus audacieux. Je me trompe : il y avait mieux. La scène se passait dans l'Eden, où le socialiste jouait le rôle du Serpent à Lunettes, c'est-à-dire du diable, en vue d'une actrice fort jolie, Mme Octave, qui était une Eve à peu près nue. Ah ! cette Eve, à peine couverte d'un peu de gaze, quels transports elle excitait chez les conservateurs ! — Mais savez-vous comment elle a fini ? A dix ans de là, prenant en horreur sa vie de comédienne, elle a tout à coup déserté le théâtre, et elle est allée, La Vallière au petit pied, mourir, sous le cilice, à Toulouse, dans un couvent de carmélites.

En dernier lieu, toujours sous le pseudonyme de Jules Cordier, toujours en collaboration avec Clairville, notre auteur avait tiré du charmant petit roman grec, Daphnis et Chloé, un opéra-comique en deux actes, musique de Jacques Offenbach. Ça été la dernière prouesse lyrique de Mme Ugalde, une cantatrice en renom de cette époque.

Lisez, comptez et voyez ! Voilà un ouvrier qui, j'espère, a bien employé sa journée et a consacré toutes ses forces à instruire, à amuser et à consoler ceux de son temps.

Après le coup d'Etat du 2 décembre, qu'il a fortement combattu, Éléonore de Vaulabelle, se sentant vieillir et estimant n'avoir plus rien à faire, quitta Paris pour se retirer dans l'Yonne, son pays d’origine. En partant, il répétait le vers d'un des poètes du jour :

Je veux aller mourir aux lieux oui je suis né.

Il repose, en effet, dans un petit coin de la Bourgogne vineuse, où il a été inhumé en philosophe, sans bruit et sans laisser même après lui le vain écho d'une mention nécrologique de cinq lignes.2

Philibert Audebrand

1 Les plus beaux jours de la vie est le périodique et le titre du recueil est Les Jours heureux, contes et morale à l'usage des enfans des deux sexes2Cette dernière remarque est fausse et est corrigée page 702 du même document : «Les cendres d'EIéonore Tenaille de Vaulabelle reposent auprès de celles de ses frères Achille et Hippolyte, dans un tombeau de famille au cimetière du Nord à Paris, et non en Bourgogne, à Chàtel- Censoir, son pays natal.»

source: L'Intermédiaire des chercheurs et curieux du 20 septembre 1903, pages 417 à 421.