Si le Christ n’est pas ressuscité...

Si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vide

Le Christ est ressuscité des morts, par la mort il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux il a donné la vie.[1]

Jésus Christ, entièrement Dieu et entièrement homme

Notre foi est souvent « nestorienne » : nous comprenons et nous ressentons très bien, (du moins nous croyons comprendre ou ressentir) tous les événements de l’humanité du Christ : sa naissance, ses pérégrinations en Galilée et en Judée, son enseignement moral ou de sagesse, et même son procès et sa mort sur la croix. Mais interrogeons-nous : comprenons-nous ou ressentons-nous vraiment que ce Jésus crucifié, Dieu l’a fait Seigneur et Christ[2] ; comprenons-nous ou ressentons-nous que l’homme Jésus est en même temps Verbe de Dieu, Dieu lui-même, le Verbe Créateur du ciel et de la terre, et notre Créateur ?

Certes non, car cette révélation est au-delà de la compréhension ou de la sensation. Le seul jugement discriminant de notre foi orthodoxe, c’est la Résurrection.

Car on peut éliminer Dieu de toute la vie du Christ : sa naissance d’une vierge, bon, c’est un discours convenu. Ses miracles, c’est du psychosomatique, sa transfiguration, il n’y avait pas de témoins objectifs, sa mort comme un esclave, rien de particulièrement divin, etc.

Par contre, pour la Résurrection, il y a problème : pas possible aux agnostiques et hérétiques de contourner l’obstacle. Soit on la nie (« ses disciples ont enlevé le corps[3] », « on t’entendra là-dessus une autre fois »[4]), soit on l’intellectualise (cela signifie simplement qu’il faut nous relever de notre médiocrité), soit on la banalise (Osiris et Krishna aussi sont ressuscités), soit on la caricature (immortalité de l’âme seule et réincarnation du corps). Mais pour accepter la résurrection en vérité de cet homme, qui propose à Thomas de le toucher, qui mange le poisson sur la grève de Tibériade, pour accepter l’Ascension de cet homme réel dans les cieux, notre fonctionnement intellectuel est infirme.

L’intelligence est crucifiée, seule la foi peut recevoir ce mystère. Seule la foi peut nous faire accepter et contempler un crucifié ressuscité des morts. Et par contrecoup nous donner la vraie vision du reste de l’évangile : la bonne nouvelle du Dieu transcendant naissant comme un homme, Dieu le Verbe acceptant le sommeil, la faim et la soif, le miracle inouï du Christ au milieu des hommes. C’est la révélation faite aux apôtres le jour de la Pentecôte : ils comprennent soudainement par l’Esprit le sens de tout ce qu’ils ont vécu, que Dieu a pris un corps et a habité avec eux, qu’ils sont les témoins du seul événement significatif dans l’histoire des hommes, le seul qui met en contact notre monde actuel et le monde à venir.

Voilà pourquoi celui qui ne reçoit pas la Résurrection de Jésus ne peut pas se dire chrétien. Saint Paul le confirme nettement : « si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vide[5] ».

Mais notre foi orthodoxe ne repose pas sur une déduction, ni sur un raisonnement se contentant d’éliminer toutes les fausses doctrines évoquées ci-dessus. Elle repose sur l’expérience vécue des apôtres : ils ont vu le Seigneur ressuscité (500 personnes en même temps dit Saint Paul !). Et cette expérience est transmise dans l’église, par la grâce de l’Esprit Saint. Celui qui croit selon la foi véritable croit sur un témoignage : dans la chaîne sans rupture de la transmission apostolique (dans le temps) et dans la communion sans rupture des frères, disséminés dans les églises locales, et qui ont reçu le même dépôt (dans l’espace).

Reconnaître le Christ ressuscité

Le mystère de la résurrection est quelque peu dévoilé à travers les apparitions du Christ ressuscité. Le plus souvent, curieusement, les apôtres ou les saintes femmes ne le reconnaissent pas, ce qui a pu faire dire à certains agnostiques qu’il s’agissait d’un faux Christ. Ainsi dans les passages suivants, l’apparence physique de Jésus n’est plus la même :

1. Les apôtres réunis en Galilée ont encore des doutes[6]

2. Les 2 apôtres d’Emmaüs parlent avec lui sans le reconnaître[7]

3. Marie Madeleine le prend pour le jardinier[8]

4. Les apôtres ne reconnaissent pas qui est au bord du lac[9]

5. Les apôtres n’osent pas l’interroger tout en sachant que c’est lui[10]

En effet, le corps du Christ ressuscité est un corps spirituel, c’est-à-dire un corps enveloppé par l’esprit. A l’inverse de notre monde où l’intérieur de l’homme n’est perceptible que par l’enveloppe du corps, dans le monde futur le corps ne sera perceptible que par l’âme qui l’entoure. C’est pourquoi, le Christ ressuscité n’est reconnaissable que dans une relation personnelle, une relation d’amour, par laquelle surgit spirituellement la mémoire des actions significatives du Christ :

1. Les apôtres réunis en Galilée ont encore des doutes : mais Jésus s’approche d’eux, leur parle et les envoie en mission au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

2. Les 2 apôtres d’Emmaüs parlent avec lui sans le reconnaître : mais ils le reconnaissent à la fraction du pain

3. Marie Madeleine le prend pour le jardinier : elle le reconnaît quand il l’appelle par son nom, Marie

4. Les apôtres ne reconnaissent pas qui est au bord du lac : mais l’apôtre Jean, à la vue de la pêche miraculeuse et des 153 poissons, dit « c’est le Seigneur ! »

5. Les apôtres n’osent pas l’interroger tout en se doutant que c’est lui : mais Jésus s’approche d’eux, prend le pain et le leur donne.

Comme aux apôtres, l’Esprit Saint nous fait comprendre que ces actes significatifs du Christ sont exactement ceux qui sont mystiquement reproduits dans la liturgie de l’Eglise. Participant à ces actes liturgiques avec foi et avec amour, nous reconnaissons ainsi le Christ ressuscité. Ayons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre :

1. Il nous parle dans l’évangile et dans la confession de la Trinité

2. Nous le reconnaissons à la fraction du pain

3. Il nous appelle par notre nom véritable, celui que prononce le prêtre lors du baptême : « A celui qui vaincra je donnerai un caillou blanc ; et sur ce caillou est écrit un nom nouveau, que personne ne connaît, si ce n’est celui qui le reçoit.[11] »

4. Avant la grande prière de l’offrande liturgique, le prêtre dit « le Christ est parmi nous » et nous l’approuvons « il l’est et il le sera »

5. Nous nous approchons des saints dons et nous communions au pain que le Christ nous donne.

La liturgie est ainsi le lieu de la rencontre avec le Christ ressuscité : par la foi de l’âme, à travers les gestes du Christ, reproduits mystiquement et adressés à nous personnellement, nous recevons et nous reconnaissons le corps spirituel du Christ ressuscité.

Notre résurrection des morts

Il faut aller encore plus loin : non seulement nous croyons que le Christ est en vérité ressuscité des morts, mais nous confessons « j’attends la résurrection des morts[12] ». Non pas « je crois », comme Marthe ou Marie devant le tombeau de Lazare, mais « j’attends » !

Attendons-nous vraiment, espérons-nous vraiment cette résurrection des corps, et même cette résurrection de la chair ?

L’articulation entre la résurrection du Christ et la résurrection des morts est magnifiquement démontrée par Saint Paul, face à ceux qui pouvaient penser que Jésus était sans doute ressuscité mais qui refusaient la résurrection finale des corps[13] :

Comment quelques-uns parmi vous peuvent dire qu’il n’y a point de résurrection des morts ? S’il n’y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vide, et votre foi aussi est vide. Il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l’égard de Dieu, puisque nous avons témoigné contre Dieu qu’il a ressuscité le Christ, tandis qu’il ne l’aurait pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent point. Car si les morts ne ressuscitent point, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Et si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés, et par conséquent aussi ceux qui sont morts dans le Christ sont perdus. Si c’est dans cette vie seulement que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes.[14]

Les plus malheureux des hommes ! Combien cette parole est forte !

Car la foi dans la résurrection des morts c’est la certitude que ceux qui nous ont quittés sont vivants : « Pour ce qui est de la résurrection des morts…Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants »[15].

Les âmes des défunts reposent après la mort dans une situation intermédiaire : contrairement aux confessions chrétiennes occidentales qui pensent qu’elles sont jugées avec 3 destinations immédiates, Paradis-Purgatoire-Enfer (à quoi sert alors le Jugement « dernier » ?), la foi orthodoxe affirme qu’elles attendent aussi la Résurrection et le Jugement. Pour une simple raison : étant privées de corps, elles ne peuvent pas constituer une personne humaine véritable. Et sans corps elles ne peuvent accéder au repentir, seule source de progrès spirituel : les âmes restent dans l’état dans lequel la mort les a trouvées. Par contre, dans l’attente de l’unique Jugement, les prières et les offrandes des vivants et de l’église, par lesquelles elles communient mystérieusement au Christ ressuscité, leur sont un grand et réel soulagement. « Tout est rempli de lumière, le ciel, la terre et les enfers[16] » chante l’église le jour de Pâques : le Christ ressuscité a définitivement supprimé la nuit : « La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point retenue[17] ». Nous croyons donc que les âmes des défunts voient la lumière, et que cette lumière du Christ ressuscité les éclaire et les révèle, au tréfonds d’elles-mêmes.

Nous croyons aussi que notre résurrection commence dès maintenant : la résurrection de l’âme précède celle du corps, car nous sommes tous mis à mort par nos péchés et notre absence de repentir. « Laisse les morts ensevelir les morts » dit le Seigneur, en appelant morts ceux qui, bien que vivants par le corps, sont en réalité morts dans leur âme.

« Lorsque tu entends que le Christ, descendu en enfer, a délivré les âmes qui y étaient retenues, ne pense pas que cela est loin de ce qui s'accomplit à présent. Sache que le tombeau, c'est le cœur. Là sont enterrés et retenus dans des ténèbres impénétrables ton esprit et tes pensées. De même que le Seigneur est venu libérer les âmes qui, au plus profond de l'enfer, imploraient Celui qui pouvait les délivrer de cette prison, il roule encore aujourd'hui la lourde pierre posée sur l'âme mise à mort, ouvre son tombeau, la ressuscite, et fait sortir à la lumière celle qui était emprisonnée » (Saint Macaire le Grand).

A nos frères dans la foi, les vivants et les morts, et également à notre âme, disons: Le Christ est ressuscité, en vérité il est ressuscité !

Jean Charmois

[1] Tropaire de Pâques

[2] Discours de St Pierre à la Pentecôte : Actes , 36

[3] Matthieu 27, 13-15

[4] Actes 17, 32

[5] 1 Cor 15, 14

[6] Matthieu 28, 17

[7] Luc 24, 16

[8] Jean 20, 14

[9] Jean 21, 4

[10] Jean 21, 10

[11] Apocalypse 2, 17

[12] Symbole de foi de Nicée-Constantinople, proclamé à chaque liturgie

[13] Peut-être des sadducéens venus au christianisme ?

[14] 1 Cor 15, 12-19

[15] Matthieu 22, 32

[16] Matines de Pâques, canon de St Jean Damascène

[17] Jean 1, 5