Les Himba sont un peuple semi-nomadique à la tradition centenaire (Bollig & Heinemann, 2002). Ils vivent dans une région aride du nord de la Namibie (le Kaokoland), où la saison sèche est longue, généralement sans aucune pluie d’avril à décembre. Les Himba parlent un dialecte de l’Otjiherero, une langue de la famille des langues Bantoues, tout comme le Kiswahili, l’une des langues les plus parlées en Afrique subsaharienne, notamment en Ouganda, au Kenya, et en Tanzanie.
Les Himba ont un accès limité à la technologie occidentale et à la scolarisation. Leur mode de vie est centré sur l’élevage de bovins et de chèvres, et sur la culture de maïs à petite échelle (Bollig & Heinemann, 2002; Eckl, 2000). Ils sont auto-suffisants. Ils obtiennent leur nourriture de leur élevage, leur régime alimentaire étant constitué principalement de lait de vache fermenté, de farine de maïs (avec laquelle ils préparent du porridge), de pastèques, et occasionnellement de viande bovine et de viande de chèvre.
Dans notre recherche chez les Himba, nous nous sommes tout particulièrement intéressé à la question du biais perceptuel, un concept que la culture populaire a circonscrit par la métaphore : « voir l’arbre ou la forêt ». Le biais perceptuel décrit le fait de prioriser soit le traitement local de l’information – c’est-à-dire voir l’arbre avant de voir la forêt – soit le traitement global de l’information – c’est-à-dire voir la forêt avant de voir l’arbre (Davidoff, Fonteneau, & Fagot, 2008).
Nous avons mesuré le biais perceptuel notamment grâce à la « tâche Navon de jugement de similarité » (Caparos et al., 2012). Cette tâche utilise des figures de Navon, c’est-à-dire de grandes formes (p. ex. un grand cercle) composée de petits éléments (p. ex. des petites croix). Une figure hiérarchique, que l’on nomme la figure de référence, est présentée au-dessus de deux autres figures hiérarchiques, que l’on nomme les figures de comparaison. La tâche consiste à décider laquelle des deux figures de comparaison ressemble le plus à la figure de référence. Tandis qu’une figure de comparaison, dite figure à « correspondance locale » (la figure hiérarchique de gauche dans l’exemple présenté ci-dessous), partage ses éléments locaux avec la figure de référence, l’autre figure de comparaison, dite figure à « correspondance globale » (la figure hiérarchique de droite dans l’exemple présenté ci-dessous), partage sa forme globale avec la figure de référence.
Dans cette tâche, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. La performance se mesure en termes de pourcentage de choix de la figure à correspondance globale. Tandis que dans un échantillon britannique, les participants décidaient dans environ 80% des essais que la figure à correspondance globale ressemblait le plus à la figure de référence, dans un échantillon Himba, les participants faisaient le même choix dans moins de 20% des essais ; ils choisissaient la figure à correspondance locale dans plus de 80% des essais, montrant la présence d’un biais perceptuel local chez ces participants.
Les Himba traditionnels rapportant avoir été en ville (à Opuwo, la seule ville de la région) une fois par le passé faisaient deux fois plus de choix globaux que les Himba traditionnels rapportant n’avoir jamais été en ville (Caparos et al., 2012). En fait, le pourcentage de choix globaux semblait directement lié au nombre de visites en villes.
L’exposition à un milieu urbain est associée à une diminution de la force du biais perceptuel local chez les Himba. Ce résultat semble incompatible avec une hypothèse génétique du biais perceptuel local des Himba. A l’inverse, il est congruent avec un modèle expérientiel. Il est possible que les milieux urbains, de par la stimulation sensorielle qu’ils exercent, génèrent une charge cognitive et modifient le niveau d’activation physiologique intrinsèque des individus, et ceci pourrait perdurer même après un retour en milieu rural. Cette idée, bien que spéculative, est compatible avec des résultats récents montrant un effet chronique de l’exposition urbaine sur la régulation du stress (Lederbogen et al., 2011), et les données montrant un lien entre activation physiologique et biais perceptuel (une plus forte activation physiologique est associée à un biais perceptuel global plus marqué ; Giles, Mahoney, Brunyé, Taylor, & Kanarek, 2013; Mahoney et al., 2011).
Nous continuons nos recherches sur les différences perceptuelles interculturelles, et les facteurs sous-jacents pouvant expliquer ces différences. Nous avons observé que le biais perceptuel local était également présent chez des individus Rwandais et Tanzaniens, et nous espérons bientôt collecter des données sur d'autres continents.