Gabriel Henry
pièce n. 01 : enfin, ou simple sentier
La neige, dehors. Le théâtre de la mer mis à notre portée. Mais sans rails en travers, quel intérêt ? Je ne peux pas fuir. Si je me retourne, ma rue me suit, je n’ai pas d’île.
Il y a ensemble l’eau et les cordes d’un ensemble symphonique. Imparable. Et la pièce est trop petite.
BANG ! L’objet fait en tombant le même bruit que n’importe quel autre sur un parquet. Mais a-t-on songé aux fils et nœuds qui ne sont pas des pieuvres et qui nous entourent ? Du bois scandinave qui parle, contraint et forcé, à du métal asiatique.
Je râle muet. Quelle curieuse position fœtale dira-t-on. Mais je suis tranquille. Il faudra des siècles pour que le sang passe sous la porte. D’ici là, plus de vertige au silence.
pièce n. 02 : sans titre
La révolte se fit dans l’île. Personne. L’amas brut outragé. Recoiffé grassement des reflets que le peintre sut voir. Aucun espoir mais des vomissures, et quelle nuit dans chaque voyageuse ! Les roches et quelques mollusques finirent par jeter, péniblement, un manifeste vers les hauts fonds.
C’est ridicule pensai-je. En regardant de plus près, je vis que tous avaient un visage. Mêmes les pierres. Des visages d’adultes, naïfs comme des adultes.
pièce n. 03 : le blâme
Très vite, je fus fou. Je riais en dînant seul. Parfois venaient des gens. Le plus souvent des personnages de romans russes que j’avais rêvés. Ils passaient la tête un instant, à l’autre bout de cette auberge viride où j’étais. Le feu jouait pour moi. Comme on est loin des moissons de nuit.
Et je ne connaissais pas les dernières mécaniques. Certaines cachaient leurs rouages, le raffinement suprême. Il y avait ceux qui portaient sur eux les voix des autres, comme j’aurais tenu un oiseau dans ma paume en jardin. Ceux-là étaient les plus aimés, on leur donnait toutes sortes d’empires de langues, de tables et de lampes, et chacun tenait son petit ruisseau par la main.
Moi j’étais imprécis. Je mesurais mal. On voulut me guérir. Et je m’épuisais en rire, sans miroir, un crime ! Je ne partageais aucun vide. Il fallut m’enfermer.
pièce n. 04 : circuit fermé
Le verre entre en plein le front. Ma peau s’est muée en marbre de notre époque. Pas de murailles, parfait. La tête est circonscrite, la cellule s’agite, les cordes s’accélèrent, et les poissons - mille - ne font qu’un, comme au fouet magnétique. La ronde, et s’égouttent, paraît-il, en siècles de bruits sur des barriques de métal. Ailleurs.
Et les cordes émettent du béton. Des escaliers seuls, comme ces épaves sur les chantiers avant que l’homme ne tue la boue. Qui tournent, et tournent, et tournent tant de fois sur eux-mêmes et sur l’ombre. Dans le globe translucide, la ronde s’accélère encore, les diagonales fulminent en cellule, les électrons attendent la promenade. Et les poissons ces lames ne s’arrêtent pas. Il est trop tard, et tu ne le sais déjà plus. Ton crâne est cette petite révolution de mer.
pièce n. 05 : cargo sauf
Elles avaient toutes une lame de main, et l’air de ne pas y penser. Pour ça je suis parti.
De là, je n’ai que le miel timide sur la nuit, le bris des voix répandues, la rue, sans morsure, enfin. Entre les maisons qui s'épuisent, plus de piège à la peau.
Sans que je sache même où se tient l’océan, sur une note profonde, j’appelle l’avarie des hélices.
Rien ne se lit sous mes pieds, exacte épaisseur de l’encre. Qu’aucun jour ne me soit confié. Quoi ? C’est cela. Que les autres composent avec le sable. Pour moi seul, j’appelle l’avarie des hélices.
pièce n. 06 : l’oeil
Le soufre est dans les caves. C’est l’œil dit-on.
Ils viennent en silence là où le jour peut fendre. Rues, ou par la terre où vont les trains, c’est égal. Il me semble qu’il n’y a rien de moi dans ces paumes, ces doigts, comme des rampants sous l’eau. Ils passent le pont que je ne vois même pas. Leurs têtes de part et d’autre, comme dans les chambres froides. Et la morale n’est plus qu’invention. Il fait nuit s’ils le veulent. Pas de raison, pas de mesure, pas de souvenirs, pas de regrets. C’est les angles aigus contre le cercle. Et la courbe est vaincue, toujours, ne le savais-tu pas ?
Ainsi, tout l’univers donna en plein contre la lame. Par là où le métal a dit qu’il existait, c’est tout ce qui n’est pas toi qui se bouscule. La chair attaquée, c’est ton souffle en rivière qui se fige, à jamais. Et parce qu’eux les cicatrices, toutes les cicatrices, mêmes celles qu’un œil laisse, ils étaient sûrs que rien ne hanterait l’ombre, marée du lit. Mais toi, tu ne pourrais pas. Et tu cherches quel aveugle est la poudre, quel arbre a brûlé dans la gorge d’en face.
Et tu t’effondres là, dans l’orgue muet des machines. Seul et foule. Et les masques, comme des sagaies. De grandir. Et de se déformer, exactement comme un feu. La danse est bleue, et quelques oiseaux de charnier qui se sont trompés.
pièce n. 07 : les plaies mineures
J’ai là ce rouage en saison capricieuse. Je suis à l’étage au-dessus mais quelques brûlures passent. La mousse vénéneuse ne trébuche pas.
C’est une blessure. De ces plaies médiocres qui ne fondent pas. Et c’est une fleur, car je ne la comprends pas. De loin en loin, passante sur mes yeux las. Où dort-elle ? Il y a des femmes qu’elle fuyait.
Je dois la taire, qui me croirait.
Feu lâche, si lent, une vie ! Les tessons qui mordent sur l’air me sont interdits. Pourtant, si j’avais les journaux, les sirènes, un peu des pleurs pour moi, j’en saurais davantage. Mais rien, et ce verre dépoli tout du long me fait ténus les jours. Ce murmure me tient comme il remonterait chercher l’air. Rien que les os nourris de fatigue, mangrove sans rythme !
Je ne suis pas armé pour l’aube. Je voudrais être de la procession. J’ai dit bien des fois le contraire, je sais.
Et je ne recouds rien de l’encre. Je suis vaincu, c’est décidé. Tout le contraire au poing.