OBSERVATION D’OBJETS SITUES EN DESSOUS DE L’HORIZON
LOOMING
L’atmosphère libre est une atmosphère dans laquelle le gradient de température peut prendre des valeurs différentes de 6,5 K/km, qui est la valeur du gradient de température de l’atmosphère standard. Dans l’atmosphère libre, quatre phénomènes de réfraction atmosphérique peuvent être observés, qui ne sont pas des mirages, car ils ne produisent pas d’images renversée ou multiple. Ce sont les phénomènes appelés : looming, sinking, towering et stooping : http://mintaka.sdsu.edu/GF/mirages/mirsims/loom/loom.html. Ces phénomène de réfraction sont dus à des conditions météorologiques différentes, en particulier à des valeurs différentes du gradient de température. Suivant les conditions atmosphériques, les objets apparaissent respectivement élevés ou abaissés, élargis ou rétrécis. Ces phénomènes peuvent apparaître ensemble, modifiant l’apparence de certaines parties des objets de différentes façons. Ces phénomènes agissent parfois sur l’image réelle d’un véritable mirage. Les phénomènes de looming et de sinking sont les plus simples de tous les phénomènes de réfraction. Ils produisent respectivement une réfraction anormalement grande et une réfraction faible, ainsi que cela a été montré dès 1759 par J. H. Lambert.
Nous ne considérons ici que le phénomène appelé looming, qui ne produit qu’un déplacement vertical des objets éloignés, et aucune déformation. Ce phénomène est le plus remarquable, et le plus souvent observé, des quatre phénomènes cités plus haut. Il correspond à une grande réfraction anormale qui augmente l’élévation apparente d’un objet éloigné, et parfois permet à un observateur de voir des objets qui sont ordinairement situés en dessous de l’horizon. Cet effet est créé par une très grande réfraction de l’atmosphère terrestre, due habituellement à une inversion thermique. Ce phénomène est observé facilement dans les régions polaires, où il a été responsable d’erreurs faites par les explorateurs polaires. (To loom signifie surgir, se dresser ou encore apparaître.) C.F. Talman écrivit, The magic called mirage, Yachting (NY) 50, 47- 49, 100, 102 (1932) : « Lorsqu’une réfraction anormale augmente l’élévation apparente d’objets éloignés – élevant souvent au-dessus de l’horizon des objets qui sont normalement situés en dessous de lui – l’effet est appelé « looming ». Parce que nous associons une certaine altitude apparente à un certaine distance, ce phénomène fait que généralement les objets semblent plus près qu’ils ne le sont en réalité. »
Pour effectuer la simulation de l’effet looming dans l’atmosphère libre, Andrew T. Young a montré qu’il fallait utiliser un gradient de température qui donne aux rayons lumineux une courbure d’environ la moitié de la courbure de la Terre. Une inversion de température d’environ 0,11 K/m donne aux rayons lumineux une courbure égale à celle de la Terre : http://mintaka.sdsu.edu/GF/explain/atmos_refr/bending.html. Alfred Wegener, en 1918, avait calculé qu’un gradient de température de 0,112 K/m donne aux rayons lumineux une courbure égale à celle de la Terre. La valeur qu’a choisie Andrew T. Young, pour la simulation de l’effet looming, est de 0,05 K/m, soit 5 degrés par 100 mètres.
Andrew T. Young a simulé la propagation des rayons lumineux dans l’atmosphère standard dans laquelle le gradient de température est 6,5 K/km, ainsi que dans une atmosphère libre dans laquelle il existe une inversion de température dont le gradient est de 5 K/100 m. Dans les deux cas, l’œil de l’observateur est situé à 1,5 mètres du sol, et la cible qui est un triangle rectangle de 3 mètres de hauteur est placée à 10 kilomètres, ce qui permet d’observer le déplacement vertical de la cible dû au phénomène de looming :
http://mintaka.sdsu.edu/GF/mirages/mirsims/loom/loom.html#std
Les figures 1 et 2 sont empruntées à la page Web d’Andrew T. Young, citée ci-dessus. Les figures 1a et 1b montrent respectivement le chemin suivi par les rayons lumineux dans l’atmosphère standard et dans l’atmosphère libre. Les figures 2a et 2b permettent de comparer la taille de la cible observée à la même distance, 10 kilomètres, dans les deux cas.
Figure 1. Propagation des rayons lumineux
dans l’atmosphère standard (a) gradient de température constant : 6,5 K/km
et dans l’atmosphère libre (b) gradient de l’inversion de température : 5 K/100 m
Figure 2. Cible à 10 kilomètres
Dans l’atmosphère standard (figure 1a), pour un observateur dont l’œil est à 1,5 mètre au-dessus du sol, la distance à horizon est voisine de 5 kilomètres. Le rayon dont l’altitude est – 2’ bien qu’il soit le plus proche de la surface de la Terre à environ 4,5 kilomètres, n’est pas le rayon définissant l’horizon, ce rayon est un peu plus bas. A 9,5 kilomètre, la cible est à moitié cachée par l’horizon. A 10 kilomètres, la cible sombre un peu plus bas derrière l’horizon, il n’y a plus que deux bandes visibles sur la cible au-dessus de l’horizon apparent (figure 2a). La cible n’est pas déformée, en dépit d’un long trajet des rayons lumineux dans l’air. L’angle au sommet est toujours un angle droit, il n’apparaît ni allongement, ni compression verticale. Consulter les deux pages : introduction à la simulation, dans l’atmosphère standard, http://mintaka.sdsu.edu/GF/mirages/mirsims/mirsimintro.html#target, et simulation dans l’atmosphère standard
http://mintaka.sdsu.edu/GF/mirages/mirsims/std/std.html
Dans les conditions de looming (figure 2b), la cible est deux fois plus visible à 10 kilomètre qu’elle l’est dans l’atmosphère standard à la même distance : l’effet looming nous fait voir quatre bandes au lieu de deux. En 1874, Everett écrivait : « L’effet visible est précisément le même que si la convexité de la surface de la Terre avait diminué ». Pour voir la cible de la même façon que sur la figure 2a dans une simulation de l’atmosphère standard, il faut placer la cible à environ 8 kilomètres de l’observateur, au lieu de 10 dans le cas de l’effet looming. Cet effet illustre pourquoi parfois, les observateurs ont l’impression que les objets sont anormalement proches.
Exemples d’observation de l’effet looming
Effet looming décrit par William Latham en 1798.
Wiliam Latham, Account of a singular Instance of atmospherical Refraction, Phil. Trans. Roy. Soc. Lond. 88, 357–360 (1798). http://www.jstor.org/stable/106981
Hastings, le 1er août 1797,
Cher Monsieur,
Le mercredi 26 juillet, vers cinq heures de l’après-midi, alors que j’étais assis dans ma salle à manger … mon attention fut attirée par le grand nombre de personnes courant vers le bord de la mer. … Me renseignant sur la raison, je fus informé que la côte de France était parfaitement visible à l’œil nu. Je me suis rendu immédiatement sur le rivage, et je fus surpris de trouver que, sans l’aide d’une longue-vue, je pouvais voir parfaitement les falaises de la côte opposée, qui, pour les plus, proches sont à une distance comprise entre quarante et cinquante miles [64 à 80 kilomètres], et ne sont pas vues d’aussi bas avec les meilleures lunettes. Elles semblaient être à une distance de quelques miles, et semblaient s’étendre sur quelques lieues le long de la côte. Je poursuivis ma marche le long de la mer vers l’Est, près de l’eau, parlant avec les marins et les pêcheurs de ce phénomène. Au début, ils ne pouvaient pas être persuadés de la réalité de ce qu’ils voyaient, mais ils furent vite complètement convaincus, en voyant les falaises qui apparaissaient graduellement plus élevées, et plus proches qu’elles ne le sont … ils me nommèrent les différents endroits qu’ils ont l’habitude de visiter, … Boulogne, Saint Valéry et d’autres endroits de la côte de Picardie, qu’ils confirmèrent plus tard après les avoir vus à l’aide de leur longue-vue. Ces endroits leur apparaissaient aussi proches que s’ils naviguaient à faible distance. [la distance en ligne droite de Hastings à Boulogne est de 70 kilomètres].
Situation de Hastings
Ayant satisfait ma curiosité sur le rivage pendant presque une heure, durant laquelle les falaises apparaissaient à certains moments plus brillantes et plus proches, et à d’autres plus délavées et plus lointaines, mais jamais hors de ma vue, je suis allé sur la falaise à l’Est, qui a une hauteur importante. C’est là qu’un plus beau spectacle se présenta de lui-même à ma vue, car je pus voir immédiatement Dengeness, les falaises de Douvres et la côte française, tout au long, de Calais, Boulogne à Saint Valéry, et comme certains pêcheurs l’affirmaient, aussi loin vers l’ouest que Dieppe [la distance de Hastings à Dieppe est de 106 kilomètres]. En utilisant une longue-vue, les bateaux de pêche français étaient complètement visibles à l’ancre, et les différentes couleurs du pays sur les hauteurs, de même que les constructions, étaient parfaitement discernables. Ce curieux phénomène se poursuivit dans la plus grande splendeur jusqu’au-delà de huit heures (bien qu’un nuage noir obscurci totalement le soleil pendant quelque temps), puis il disparu petit à petit.
J’ai observé que ce jour fut extrêmement chaud, comme vous pourrez le constater sur le relevé des températures du mois de juillet effectué dans la salle à manger. Je n’ai pas de baromètre, mais je suppose que le mercure devait être haut, les trois jours précédents furent remarquablement beaux et clairs. Si je m’en souviens bien, c’était marée haute à Hastings aux environs de deux heures de l’après-midi. Pas un souffle de vent au cours de la journée.
La dernière page de la lettre donne le relevé de la température du mois de juillet 1797 dans la salle à manger de William Latham à Hastings : A 10 heures du matin, la température des trois jours précédents le 26 juillet, était de 65, 66 et 66 F, et celle du 26 juillet était de 68 F, à 5 heurs PM, ce même jour, elle était de 76 F. Les températures des quatre jours suivant le 26 juillet furent de 72, 70, 72 et 70 F. (72 °F ≈ 22 °C, 70 °F ≈ 21 °C, 68 °F ≈ 20 °C). L’effet looming accompagnait l’arrivée d’un front chaud.
Un autre exemple d’effet looming, l’observation du pic du Canigou depuis Marseille.
Le pic du Canigou, culminant à 2 785 mètres, dans le Pyrénées orientales, est situé à une distance de 253 kilomètres de Marseille. Du haut de la plate-forme de Notre Dame de la Garde, située à 164 mètres d’altitude, on ne devrait pas le voir à cause de la courbure de la Terre. La ligne droite qui va de Notre Dame de la Garde au sommet du Canigou passe sous l’eau de la mer, au large des Saintes Maries de la Mer, à une profondeur voisine de 100 mètres. Mais, grâce à la réfraction atmosphérique qui courbe la trajectoire des rayons lumineux dans les couches basses, les plus denses de l’atmosphère, il est cependant possible d’apercevoir le Canigou dans des conditions atmosphériques particulières.
Le Baron Franz Xaver von Zach (1754-1832), astronome autrichien, qui séjournait à Marseille depuis plusieurs années, avait appris par la rumeur locale que l’on pouvait apercevoir le Canigou depuis la colline de la Garde, et entreprit de le vérifier. Il fit lui-même l’observation de ce phénomène depuis cette colline en 1808. Il confirma la réalité du phénomène et qu’il s’agissait bien des montagnes des Pyrénées. Cette observation est rendue possible sous certaines conditions d’alignement avec le soleil. Le phénomène est expliqué par la réfraction atmosphérique qui relève la position apparente de l’astre observé au moment de son coucher, c’est-à-dire que l’astre est vu plus haut dans le ciel qu’il ne l’est réellement. A l’horizon, la réfraction atmosphérique vaut 34’ soit à peu près un demi degré.
Voici le récit que le Baron von Zach fit de son observation : ...L’an 1808, j'étais à Marseille. Le jour du 8 février fut remarquablement beau et serein. Je me transportai dans l'après-midi, avec mes instruments, sur la montagne Notre Dame de la Garde ; plusieurs savants et amateurs m'accompagnèrent pour être témoins de l'expérience. Après avoir pointé ma lunette sur le point de l'horizon où devait se trouver le Canigou, nous ne vîmes rien d'abord ; le Soleil donnait droit dans la lunette et devait par conséquent empêcher toute vision distincte des objets terrestres, soit avec des instruments d'optique, soit à la vue simple ; ce n'était qu'après le coucher du Soleil que le spectacle devait avoir lieu. Cet astre s'approchant de l'horizon, nous attendîmes avec impatience son coucher ; à peine le dernier rayon avait-il disparu que, comme par un coup de baguette, nous vîmes pour ainsi dire tirer le rideau et une chaîne de montagne noire comme jais avec deux pics élevés vint, au point nommé, frapper nos regards avec tant d'évidence et de clarté que plusieurs spectateurs eurent peine à croire que ce fussent les Pyrénées ; on les aurait prises pour des montagnes du voisinage, tant elles paraissaient distinctes et proches de nous ! Tandis que nos spectateurs s'émerveillaient , faisaient leurs réflexions, je me dépêchai d'observer ces pics et de tracer le dessin de leur contour ; puis balayant l'horizon avec ma lunette, je découvris au nord le sommet du Mont Ventoux (altitude 1912 mètres et 100 km de distance), près de Carpentras, lorsque la nuit tombante mit fin à mes observations.
Situation du Pic du Canigou par rapport à Marseille.
La figure est empruntée au site d’Alain Origné http://canigou.allauch.free.fr/Presentation.htm
La distance de 263 kilomètres sépare le pic du Canigou du site d’observation de la chapelle Notre Dame du Château à Allauch
Ainsi, juste après la disparition du bord supérieur du soleil, le baron von Zach voit les montagnes des Pyrénées se profiler sur le fond brillant du ciel dans des conditions d’éclairage très fugitives. En 1880, Louis Fabry, astronome à l’observatoire et frère du physicien Charles Fabry, calcule qu’il est possible de voir le Canigou, se dessiner sur le soleil lui-même avec un contraste encore plus accusé. Il calcule que, de Marseille, on peut voir le Canigou se découper sur le soleil couchant le 11 février et le 30 octobre.
Le 31 octobre 1882, Louis Fabry avec sa longue-vue aperçoit le Canigou se détacher sur le soleil couchant. A nouveau, le 30 octobre 1886, Louis Fabry montre les Pyrénées à un grand nombre de personnes prévenues par les journaux. Le calcul était bon, la météo aussi. Il suffisait de regarder dans la bonne direction.
De Notre Dame de la Garde, on aperçoit le Canigou à 251° 20’ si l’on compte l’azimut comme les marins : 0° pour le Nord, puis 90° pour l’Est, 180° pour le Sud et 270° pour l’Ouest. L’observation n’est mathématiquement possible que quelques jours par an (soit 2 soit 4) autour de deux dates, le 11 février et le 30 octobre, jours où le soleil se couche exactement dans la direction du Canigou. Il faut que le ciel soit bien dégagé et sans nuages, sur tout le parcours de 253 kilomètres au-dessus du Golfe du Lion comme sur les pentes des Pyrénées. Enfin comme la réfraction atmosphérique est plus ou moins importante suivant la température et la pression atmosphérique, le Canigou peut émerger nettement au-dessus de l’horizon mais il peut aussi juste l’effleurer.
Pour tous ceux qui souhaitent en avoir le cœur net, et pour tous ceux qui ne croient que ce qu’ils voient, suivez les explications et regardez les photographies du site qu’Alain Origné consacre au Canigou vu depuis Notre Dame du Château à Allauch :
http://canigou.allauch.free.fr/index.html. Vous trouverez de nombreuses photographies et animations à la page : http://canigou.allauch.free.fr/Photos-anims.htm.
Vous pouvez consulter également le site que l’Université de Marseille a consacré à ce phénomène : http://www.canigou.univ-mrs.fr/index.html, sur lequel se trouve un article d’Yvon Georgelin, astronome à l’Observatoire de Marseille : http://www.canigou.univ-mrs.fr/yg.html.
Effet looming observé par Jean-Paul Cornec à Lannion
Sur son site : http://jean-paul.cornec.pagesperso-orange.fr/vision.htm, Jean-Paul Cornec présente deux photographies prises au début des années 1980, depuis le dernier étage d’un immeuble de Lannion (Côtes d’Armor). Ces photographies sont prises dans la direction de Guerlesquin (Finistère), c’est-à-dire vers le Sud-Sud Ouest. Dans cette direction se trouve un plateau situé à environ 27 kilomètres, dont l’altitude est de l’ordre de 270 mètres. Ce plateau n’est pas visible depuis le dernier étage de l’immeuble d’où les photographies ci-dessous, a et b, ont été prises.
a
b
La première photographie (a) a été prise un matin du printemps, en 1981. Le temps était le temps habituel pour la saison : pression atmosphérique dépressionnaire, température moyenne. Le plateau n'est pas visible. Il n’y a pas de brume.
La seconde photographie (b) a été prise un matin, au début du mois de février 1983 : temps hivernal avec un fort régime anticyclonique, température très basse. Le plateau est visible, son sommet atteint presque la hauteur des projecteurs des pylônes d’éclairage d’un stade. Le repère visible en avant du plateau à droite de la photographie, est un château d’eau. Ce château d’eau est visible sur la première photographie. La partie visible du château d’eau représente environ 4 à 5 minutes d’arc.