LES MIRAGES
PHENOMENES DE REFRACTION ATMOSPHERIQUE
La présence de l’atmosphère autour de la Terre produit tous les événements météorologiques ordinaires de notre vie, la pluie, la neige, les jours calmes et ensoleillés, les grands vents de tempête ... L’atmosphère est également à l’origine de phénomènes optiques qui nous fournissent quelques-uns des spectacles les plus beaux de la nature, les arcs-en-ciel, les halos, les couchers et lever du Soleil, ainsi que les plus étranges, les mirages. Les mirages sont des images créées par la réfraction atmosphérique. Ce sont des phénomènes d’optique atmosphérique créés par des rayons lumineux fortement courbés par la réfraction qu’ils subissent lors de la traversée des couches d’air atmosphérique soumises à des gradients de température. La courbure des rayons lumineux donne l’impression que l’objet que l’on regarde est à un endroit autre que son emplacement réel et déforme l’image observée. Mais ce ne sont pas des illusions d’optique, ainsi que de nombreuses personnes le croient ou l’écrivent sur le Web. Le mirage n’est en rien une illusion d’optique qui est une déformation d’une image due à une interprétation erronée du cerveau. Les illusions d’optique sont des bizarreries de la vision, dans lesquelles l’observateur voit quelque chose qui n’existe pas physiquement. Evidemment, les images déformées produites par les mirages peuvent provoquer des illusions d’optiques, lorsque l’observateur interprète à contresens la scène, d’où la confusion de ces différentes classes de phénomènes distincts. C’est parce que les mirages sont des phénomènes réels, qu’il est possible de les photographier.
Types de mirages
Il y a plusieurs types de mirages, car chacun nécessite une structure thermique particulière de l’atmosphère, et une disposition particulière de l’objet et de l’observateur. Dans un mirage, il y a au moins une image renversée d’un objet. Cette « image miroir » est à l’origine du mot mirage introduit en français en 1753, et qui a été formé à partir du verbe se mirer et de age. Se mirer signifie regarder son image dans un miroir. Souvent, un mirage contient de multiples images, alternativement droites et renversées. Les mirages sont classés suivant le nombre d’images observées et les positions relatives de ces images.
Mirage à deux images
ce sont les deux mirages classiques :
Mirage inférieur. Ainsi appelé parce que l’image renversée est située en dessous l’image droite. C’est le mirage familier observé sur une chaussée surchauffée par le Soleil. Il est créé par une mince couche d’air chaud située en dessous de l’œil de l’observateur, au niveau de la chaussée.
Mirage supérieur. L’image renversée est située au-dessus de l’image droite. Ce mirage est créé en regardant vers le bas à travers une couche d’inversion thermique située en dessous du niveau de l’œil de l'observateur.
Mirage à trois images
Dans ce mirage, une image renversée est située entre deux images droites. L’image supérieure est souvent fortement comprimée. Ces mirages sont au moins de deux sortes, le faux mirage, « mock mirage » en anglais, créé en regardant vers le bas dans une couche d’inversion située en dessous de l’œil de l'observateur, et le « late mirage » créé en regardant vers le haut dans une couche d’inversion située au-dessus de l’œil. Un vrai mirage supérieur d’objets situés en dessous de l’inversion peut être aussi présent, si l’inversion est suffisamment forte.
Mirages à images nombreuses
Il existe des mirages présentant cinq images distinctes. Ceux-ci n’ont pas été analysés. Ils sont certainement associés à de fortes inversions thermiques, mais les raisons optiques sont obscures.
Fata Morgana est le nom donné à ces phénomènes si variés qu’ils peuvent impliquer plusieurs types de mirages. Ce mirage correspond à l’altération complexe d’images déformées, droites et renversées. L’image est formée par la répétition verticale et horizontale d’images, probablement dues à la répétition alternée d’images renversées et droites. Souvent le mirage montre des mouvements internes, créant l’illusion que des personnages ou des animaux apparaissent dans la scène. De fortes couches d’inversion thermiques sont responsables de ces phénomènes rares.
Autres phénomènes de réfraction
En plus des mirages, d’autres phénomènes sont dus à la réfraction atmosphérique. Ce sont les phénomènes appelés : looming, correspondant à l’apparition d’objets habituellement cachés par l’horizon, et towering, dans lesquels les objets apparaissent fortement allongés verticalement, et leurs effets opposés : sinking et stooping.
Les « green flashes » sont également des phénomènes créés par la réfraction de l’atmosphère terrestre. Ces phénomènes réels, qui ne sont pas des illusions, sont observés au coucher et au lever du Soleil, lorsqu’une partie du Soleil change de couleur subitement. Le mot flash se rapporte à l’apparition soudaine et brève d’une couleur verte, qui ne dure que quelques secondes aux latitudes modérées.
Ce tableau, dressé par Andrew T. Young, rassemble les principaux phénomènes optiques dus à la réfraction atmosphérique : mirages, pseudo mirages et green flashes (GF)
L’astronome américain Andrew T. Young, Astronomy Department, San Diego State University, San Diego, a réalisé une étude approfondie des phénomènes optiques dus à la réfraction atmosphérique. Consultez la table des matières de son site : http://mintaka.sdsu.edu/GF/bibliog/toc.html.
Andrew T. Young utilise l’expression « green flashes » sans article défini, pour désigner les nombreux phénomènes distincts qui sont observés au coucher et au lever du Soleil, lorsqu’une partie du Soleil change de couleur. Il existe plusieurs sortes de phénomènes différents communément mis dans la même catégorie sous le nom de green flashes, et ce mélange de phénomènes disparates a favorisé la confusion. Parmi ces phénomènes, il en est un qui est beaucoup plus rare que les autres. Il arrive qu’au coucher du Soleil, un green flash de type ordinaire soit suivi par un bref éclat vert, qui semble jaillir du Soleil lorsqu’il disparaît. Ce phénomène rare est appelé rayon vert, en anglais green ray.
Texte et photographies de Pekka Parviainen, mathematics lecturer, University of Turku, December 2001:
http://finland.fi/public/default.aspx?contentid=160069
Pekka Parviainen photographies : http://www.polarimage.fi/
Thomas « Hank » Hogan, photographies green flash, le rayon vert : http://home.centurytel.net/Arkcite/grnray.htm
Photographies : http://www.astronomycafe.net/weird/lights/mirgal.htm
Travaux personnels encadrés d’élèves du Lycée Jules Haag Besançon 2005 : http://tpemiragesg3.free.fr/index.htm
Observations de mirages
Les premières observations de mirages remontent à Aristote, vers 350 av. J.-C., qui écrit dans Meteorologica qu’il arrive que des promontoires paraissent anormalement grands dans certaines circonstances météorologiques et que le vent du sud-est fasse grossir les astres lors de leur lever ou de leur coucher. C'est là aussi ce qui fait qu'en mer, les cimes des promontoires paraissent plus élevées, et que les dimensions de tous les objets augmentent quand souffle le vent du sud-est. C'est encore ce qui se produit pour les objets qui paraissent à travers des brouillards ; par exemple, le soleil et les étoiles, quand ils se lèvent ou qu'ils se couchent, semblent plus grand que quand ils sont au milieu du ciel. Aristote, Meteorologica chapitreIV § 4, traduit par J. Barthélemy Saint-Hilaire.
Ce passage fait partie d’un chapitre traitant de la réfraction de la lumière et de l’explication de l’arc-en-ciel. Il est probable que la déformation subie par les astres et l’agrandissement des « promontoires » soient dû à la réfraction de la lumière par l’air chaud porté par le sirocco, vent du sud-est qui est mentionné.
D’autres auteurs parlent de gens qui disparaissent de la vue à cause de l’air « densifié par la chaleur » ou du soleil, déformé et entouré de «flammèches», Agatharchide in Sur la mer Érythrée, ou encore de formes indistinctes, immobiles ou mouvantes, assimilées à d’étranges créatures, Diodore de Sicile in Bibliothèque historique Tome 2. Dans l′Histoire naturelle, livre II, Pline l’Ancien rapporte une multitude de phénomènes physiques et astronomiques, notamment la mention de soleils multiples visibles le matin et le soir.
Les mirages sont mentionnés épisodiquement tout au long de l’histoire. Le phénomène est connu et étudié depuis longtemps. En 1799, Gaspard Monge (1746-1818), consacre une partie de son récit de la campagne d’Égypte à discuter des mirages qu’il a pu observer dans le désert. Il décrit alors le phénomène de manière qualitative et en donne, avec une approche assez juste, une théorie élémentaire, qui attribue le mirage à la réfraction dans l’air chaud, après une réflexion totale qui courbe les rayons lumineux.
L’expédition d’Égypte n’a pas seulement été l’occasion de découvrir l’explication des mirages, elle a également fait en Europe toute la célébrité du phénomène. Pendant cette entreprise, l’armée française éprouva souvent de cruelles déceptions. Le baron Jean Dominique Larrey (1766-1842) chirurgien en chef de l’armée d’Orient, raconte ainsi l’effet produit par le mirage sur les soldats :
Des plaines aqueuses semblaient nous offrir le terme de nos maux, mais ce n’était que pour nous replonger dans une plus grande tristesse, d’où résultaient l’abattement et la prostration de nos forces, qui s’est portée chez plusieurs de nos braves, au dernier degré. Appelé trop tard pour quelques uns d’entre eux, mes secours devenaient inutiles, et ils périssaient comme par extinction.
Adelber von Chamisseau (1781-1838), écrivain et botaniste, décrit un mirage :
Je vis une surface d’eau devant moi dans laquelle se reflétait une basse colline qui s’étendait le long de la rive opposée. Je m’approchai de l’eau. Elle disparu devant moi, et j’atteignis la colline à pied sec. Lorsque j’eus parcouru la moitié de la distance, il sembla à Eschscholtz qui était resté derrière, que j’avais été submergé jusqu’au cou dans la couche d’air réfléchissante, et, que le chemin avait été raccourci. Il dit que je ressemblais plus à un chien qu’à un être humain. Lorsque je marchai à pas de géant plus loin, vers la colline, j’émergeai de plus en plus de la couche d’air, et je lui apparu, allongé par la réflexion, et devenir de plus en plus grand, gigantesque et élancé.
Lorsque le paysage s’éleva au-dessus de l’horizon, comme les marins ont l’habitude de le dire, la ligne qui est prise pour l’horizon est le tranchant d’une surface réfléchissante formée par la couche d’air la plus basse et la plus proche des yeux. Une ligne qui réellement se trouve en dessous de l’horizon visible. Je crois que cette illusion dans certains cas peut avoir une influence sur les observations astronomiques et peut créer une erreur de cinq minutes et peut-être plus.
Le capitaine William Scoresby (1789-1857) a fait un grand nombre d’observations dans les parages du Groenland. Ce marin a écrit :
Le 19 juin 1822, le soleil était très chaud, et la côte parut subitement rapprochée de 25 à 35 kilomètres ; les différentes éminences étaient tellement relevées, que du pont du navire, on les voyait aussi bien qu’auparavant de la hune de misaine. La glace à l’horizon prenait des formes singulières ; de gros blocs figuraient des colonnes ; des glaçons et des champs de glace ressemblaient à une chaîne de rochers prismatiques ; sur beaucoup de points, la glace parut en l’air à une assez grande distance au-dessus de l’horizon. Les navires qui se trouvaient dans le voisinage avaient les aspects, les plus bizarres ; dans quelques-uns la grande voile semblait réduite à rien, tandis que la voile de misaine paraissait quatre fois plus grande qu’elle ne l’est; les huniers semblaient rapetissés. Au-dessus des navires éloignés, on voyait leur propre image renversée et agrandie ; dans quelques cas, elle était assez élevée au-dessus du navire, mais alors elle était toujours plus petite que l’original. On vit, pendant quelques minutes, l’image d’un navire qui lui-même était au-dessous de l’horizon. Un navire était même surmonté de deux navires, l’un droit, l’autre renversé.
Et quelques jours plus tard :
Le phénomène le plus curieux c’était de voir l’image renversée et parfaitement nette d’un navire qui se trouvait au-dessous de notre horizon. Nous avions observé des apparences semblables, mais ce qu'il y avait de particulier dans celle-ci, c’était la netteté de l’image et le grand éloignement du navire qu’elle représentait. Ses contours étaient si bien marqués, qu’en regardant cette image à travers une lunette de Dollond, je distinguais les détails de la voilure et de la coque du navire ; je reconnus le navire de mon père, et quand nous comparâmes nos livres de loch, nous vîmes que nous étions alors à 55 kilomètres l’un de l’autre, savoir 31 kilomètres au-delà de l'horizon réel, et plusieurs myriamètres au-delà des limites de la vue distincte.
Le météorologiste Ludwig Friedrich Kaemt (1801-1867), écrit :
J’ai observé [le mirage inférieur], dans les environs de Halle, dans le pays de Magdebourg et sur les bords de la mer Baltique, où je me croyais souvent au milieu d'une nappe d'eau.
Un mirage extraordinaire a été observé le 13 avril 1869, dans la Manche. Voici comment il est décrit par un voyageur placé à deux heures de l'après-midi à Folkestone :
On pouvait voir les côtes de France, depuis Calais jusqu'à plusieurs milles au-delà de Boulogne ; cette dernière ville étant ordinairement invisible, comme située au-dessous de l’horizon. Immédiatement au-dessous de l’image droite des côtes, il y avait une image renversée d’une hauteur double de la première. Le phare du cap Gris-Nez donnait cinq images en ligne verticale ; la plus basse était droite et seulement un peu amplifiée. Au-dessus, mais séparément, s’élevait un couple d’images du centre et du faîte du bâtiment, l’une droite et les autres renversées ; et encore au-dessus un autre couple, l’image renversée égale à la première, mais l’image droite représentant le bâtiment tout entier. Au-dessus de Boulogne, il y avait dans l’air deux images des doubles cheminées et du mât d’un remorqueur. L’image inférieure était droite et la supérieure renversée ; la fumée formait deux couches tendant, l’une en haut, l’autre en bas, toutes deux vers l’ouest, jusqu’à leur jonction. Autant que j’ai pu le savoir, le seul remorqueur près de Boulogne était dans le port. La cathédrale était très visible, mais ne donnait qu’une image. Vers le sud-ouest et au delà des côtes de France, on observait des bateaux pêcheurs, la coque en bas, de manière à faire déterminer avec certitude la position de l’horizon. Jusqu’à trois heures, ils n’eurent que l’apparence ordinaire ; mais au-dessus d’eux il y avait deux couples d’images de vaisseaux qui, ordinairement, eussent, été invisibles. A certains moments, on put observer trois et même quatre couples en ligne verticale, la ligne inférieure renversée dans chaque couple. Excepté le couple le plus élevé, les images ne semblaient représenter que la voile du grand perroquet, mais très allongée. L’image droite, la plus haute, représentait les mâts de misaine, le beaupré et le grand foc ; on ne pouvait voir les coques. Dans tous les cas, les images renversées avaient environ une hauteur double des images droites.
Dans son livre, Rainbows, Haloes and Glories, Robert Greenler rapporte un mirage supérieur observé au cours de la nuit du 26 avril 1977. Lorsque les habitants de Grand Haven dans le Michigan, regardèrent vers l’Est au cours de cette nuit, dans la direction du lac Michigan au eaux relativement froides, ils virent distinctement des lumières de villes et l’éclat d’un signal lumineux rouge. Mais, le centre urbain le plus proche vers l’Ouest est Milwaukee dans le Wisconsin, situé à 120 kilomètres, bien en dessous de l’horizon géométrique, et normalement invisible. Ce qu’ils virent fut bientôt confirmé comme étant Milwakee. Un habitant de Grand Haven après avoir relevé la fréquence des éclats lumineux rouges établit qu’ils correspondaient à ceux du phare de l’entrée du port de Milwaukee. Le US Weather Service confirma cette forte inversion thermique survenue au cours de la nuit. Ce qui est invisible était devenu visible brièvement.