« Les fameuses années vingt », une période de réaction ?

Dans un texte intitulé « Les fameuses Années Vingt »1, Theodor Adorno met en cause l'aura qu'on donne aux années 1920 dans le domaine artistique : loin d'être une décennie d'innovation et de libération, on constate plutôt la répétition des procédés élaborés juste avant 1914 et ce dans une ambiance de retour à l'ordre. Adorno écrivait sur l’Allemagne de Weimar, mais la question vaut d’être posée pour l’URSS également. Le propos, centré sur les arts, peut-il d’ailleurs être étendu aux sphères politiques et sociales ? N'y-a-t-il pas là une des clés pour comprendre l'échec de la vague révolutionnaire de 1917-1921 et la marche vers les totalitarismes ? Cela suppose de revisiter l'activité des avant-gardes politiques et artistiques autour de la Première guerre mondiale.

Adorno et les années Vingt

Le texte d’Adorno est paru dans la revue Merkur en janvier 1962 , au moment où les Années Vingt sont redécouvertes par les

critiques d’art et le grand public. Or, Pour Adorno, ce qu’on « met au compte des Années Vingt était déjà en déclin à l’époque, dès 1924 ; les temps héroïques de l’art nouveau, c'est-à-dire le cubisme synthétique, les débuts de l’expressionnisme allemand, la libre atonalité de Schönberg et de son école, se situaient plutôt vers 1910 » (p. 51).Le goût retrouvé pour les Années Vingt est donc une mode rétro et, comme toutes les modes « le spectre d’un spectre » (p. 52).

Pire, « les phénomènes de régression (...) que l’on attribue généralement qu’à la pression de la terreur nazie, apparaissaient déjà sous la république de Weimar, et en général dans les sociétés libérales européennes » (p. 51). L’image de libération, sexuelle entre autres, que donnent les Années Vingt est fausse. « C’est comme si le désordre sciemment monté en épingle désirait cet ordre qu’Hitler allait bientôt étendre à l’Europe » (p. 54).

« Malgré tout, l’idée que les Années Vingt (...) étaient une utopie a quelque chose de vrai. À cette époque, tout comme ce fut encore brièvement le cas après 1945, il semblait bien que s’ouvrait la possibilité d’une société politiquement libérée. Ce n’était toutefois qu’une apparence ; dès les Années Vingt, à la suite des événements de 1919, les jeux étaient faits, contre le potentiel politique qui (...) aurait vraisemblablement influé sur l’évolution de la Russie et empêché le stalinisme » (p. 53).

« Cette relation ambigüe de l’époque actuelle aux Années Vingt résulte d’une discontinuité historique. (...) La tradition même la plus antitraditionnelle est rompue, et les tâches à demi-commencées sont restées inachevées » (pp. 55-56). On comprend que les « tâches à demi-commencées » évoquées par Adorno sont celles de l’émancipation, inachevées après l’échec de la révolution de 1918-1919.

Les grandes œuvres devaient « une bonne part de leur violence à la tension fructueuse qu’elles entretenaient avec la tradition, quelque chose qui leur était hétérogène et contre quoi elles se rebellaient. (...) La liberté est [désormais] totale, mais menace de tourner à vide sans son antagoniste dialectique » (p. 58), la contrainte. L’absence de perspective d'émancipation et le vide intellectuel après 1945 expliquent et surtout justifient l’art de l’absurde à la Beckett. L’art qui se veut d’avant-garde après 1945 hérite en fait du besoin d’ordre né dans les Années Vingt. « La notion de radicalité, entièrement transposée dans l’esthétique, a quelque chose d’une idéologie déviante, manière de se consoler de l’impuissance réelle des sujets » (p. 58).

En conclusion, « l’idée d’une culture ressuscitée après Auschwitz est un leurre et une absurdité (...) Mais comme le monde a survécu à son propre déclin, il a néanmoins besoin de l’art en tant qu’écriture inconsciente de son histoire. Les artistes authentiques du présent sont ceux dont les œuvres font échos à l’horreur extrême » (p. 59).

Être à l’avant-garde de l’art et du politique

Je n’insisterai pas sur la notion de « culture ressuscitée après Auschwitz », trop souvent retenue, au détriment de la richesse du reste de l’argument d’Adorno. Je me concentrerai sur l’idée des Années Vingt comme occasion perdue et, par suite, comme période de réaction, et ce, indissolublement dans les domaines politique et artistique.

Le rapport entre le mouvement de l’art et celui de l’émancipation est un premier enjeu. Si l’extrême-gauche a souvent repris

l’esthétique d’avant-garde des Années Vingt comme la sienne, ce rapport n’a rien de naturel. Un second enjeu est l’appréhension des périodes historiques comme des entités s’articulant et se recouvrant, comme un autre mode d’expression des rapports de pouvoir. Ainsi, s’appuyant sur Adorno, Didier Eribon affirme que le mythe des « Années 68 » a préparé le retour à l’ordre après 1980 en occultant le travail plus authentiquement critique des années soixante2.D’ailleurs, le retournement idéologique général de 1960 à 1990 tel que décrit par Eribon a également affecté l’image des Années Vingt. En voici quelques exemples. En 1983, Philippe Sollers, ancien maoïste pro-chinois se convertissant au catholicisme romain, écrit :

« Jane m'invite à prendre un verre chez elle, dans Soho ... J'arrive ... Sixième sens: prudence. Elle est seule dans sa bibliothèque bien rangée ... Jane est une grosse petite fille de cinquante-cinq ans, blondasse, un peu frisée, une beauté d'autrefois, dit-on, dans les vieux milieux d'avant-garde ... Ceux des années 60, les sixties formalistes, expérimentales... Marxisme, homosexisme ... Vertov, Malevitch ... Sartre, Beckett, Genet... Elle va tous les deux mois à Moscou ... Recherches sur les années 20 ... »3

Chez le critique Boris Groys, dans Staline, œuvre d’art totale en 1988, l’attaque est plus frontale. Selon lui, le projet des avant-

On voit à quel point l’expérience russe concentre le feu des critiques et j’y limiterai donc mon propos. Sous l’ironie des trois textes, on comprend ce qui est pointé : la question des minorités agissantes, du mouvement de l’histoire et de l'assujettissement. La conclusion est évidente : L’avant-garde, c’est le goulag7. Pour répondre sur le fond, les liens factuels entre avant-gardes politiques et artistiques sont de peu d’utilité. L’engagement communiste de Maiakovski ne prouve pas plus le caractère révolutionnaire du futurisme que le spiritualisme de Kandinski ou Malevitch ne les soustrait à l’histoire... Si convergences il y a, elles sont ailleurs et je les chercherai dans les conceptions respectives du temps des artistes et des militants des avant-gardes.

Comment le « cor du temps sonnait » en Russie avant 1914

L’année 1913 voit fêter le tricentenaire de la dynastie des Romanov et marque « la meilleure année du capitalisme » d'une

dadaïstes, est longtemps passée inaperçue. DADA ne nous vient pas de l’errance tâtonnante d’un doigt poétisant sur une page de dictionnaire, mais de l’exclamation jovialement approbatrice d’un exilé du cru : Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine. Lui, qui se serait exclamé, à la vue d’un happening furibond : DA DA! Le grand OUI du grand Russe au grand BI de la jacquerie mentale en ce lieu éclose.. Et n’en restons pas là : Lénine aurait mis la main à la pâte poétique de Dada, et fait de la révolution russe un grand happening ubuesque. »6

gardes a finalement été réalisé par Staline, démiurge absolu ayant seul réussi à abolir la séparation entre l’art et la vie4.« Souligner la parenté entre l’œuvre d’art totale et le totalitarisme, c’est-à-dire condamner historiquement l’idée même d’avant-garde, est devenu un lieu commun (Staline proposant, avec le mausolée de Lénine, le ready made ultime). Mais il est bien plus dérangeant d’envisager l’idée que « la culture totalitaire puisse ne pas être mauvaise du tout », comme d’analyser les affinités profondes entre le matérialisme historique soviétique et la déconstruction postmoderne. »5

Dominique Noguez enfonce joyeusement un dernier clou dans le cercueil dans Lénine Dada, en 1989 .

« L’extraordinaire coïncidence qui fit se côtoyer à Zurich en 1916, plusieurs mois durant, Lénine et les premiers

Russie qui atteint le rang de cinquième industrie mondiale. Que pèsent face à cela une extrême-gauche atomisée ou quelques artistes provocateurs8, dont ceux qui faisaient scandale à Paris lors de la création du Sacre du printemps ? Pourtant, une conviction est commune aux avant-gardes artistique et politique. « Nous seuls sommes le visage de notre temps » affirment les jeunes futuristes, alors qu'un Lénine, tout aussi marginal, écrit que « l'époque historique qui vient apportera au marxisme (...) un triomphe plus éclatant encore »9.Ce rapport spécifique au temps, cette volonté d'incarner le processus de l'histoire, résultent d'un large débat ouvert en Russie depuis la fin du du XIXe siècle, débat sur les lois du mouvement des sociétés. La vision positiviste est certes prégnante, comme l’exprime un des fondateurs de la sociologie russe, S. N. Iouzakov en définissant le mode de vie (byt) dans la Grande Encyclopédie10 en 1901 :

C'est Fourier qui a donné la première classification scientifique des formes de mode de vie. Il les a divisées en six catégories : 1- Edénisme ou "harmonies confuses" 2- Sauvagerie 3- Patriarcat 4- Barbarie 5- Civilisation et 6- Harmonisme. La dernière forme, qui n'a été réalisée en nul temps et en nul lieu, était prévue comme le résultat ultime du progrès; (...) Au contraire de la barbarie, le mode de vie civilisé se caractérise par : - la libération des classes laborieuses, le développement de l'instruction laïque, le règne des religions universelles, la légalité, le self-government, la monogamie, les relations internationales tempérées, et, résumant tout cela, par le caractère progressif de l'évolution sociale (grâce auquel le cycle cesse d'être une loi de l'histoire). L'ensemble des caractéristiques des deux types de mode de vie étatique autorise à substituer aux termes vagues de barbarie et de civilisation, ceux, plus clairs, de forme cyclique et de forme progressive.

Aux marges de cette conception, les révolutionnaires partagent le progressisme des positivistes et leur notion de stades, mais ils en discutent la succession. Pour les populistes, la Russie paysanne peut passer directement au socialisme, sans connaître le capitalisme. Selon les marxistes, le capitalisme est déjà en train de dissoudre la vieille société russe et l'ouvre bon gré mal gré à la modernité de la lutte des classes. En somme, les uns postulent que la Russie serait une discontinuité dans un mouvement historique général dont elle partage le but socialiste, alors que les autres voient dans la discontinuité capitaliste déjà à l'oeuvre dans le

développement de la Russie le plus court chemin vers le socialisme.Cette vision progressiste, qui va de paire avec une conception utilitariste de l’art et une défense du réalisme littéraire et pictural11 est bousculée par l’arrivée des symbolistes qui inaugurent « l’Âge d’argent » de la littérature. En 1893, Dimitri Merejkovski publie un texte sur Les causes du déclin et les nouveaux courants de la littérature russe contemporaine12 (je souligne). La sensation d’un changement de période ne se réduit pas à un pessimisme fin-de-siècle mais s’accompagne d’une poussée eschatologique, comme l’ont montré Leonid Heller et Michel Niqueux13. Soloviov, dans son Court récit sur l’Antéchrist (1900) entrevoit un XXIe s. livré au joug mongol, puis à la tyrannie d’un souverain œcuménique universel égalitariste. Persécutées, les minorités authentiquement chrétiennes ressuscitent enfin, marquant le début du millenium.Chez le théosophe Fiodorov, la résurrection et l’avènement du royaume de Dieu sont immanents ; la suppression de la mort et donc de la sexualité passent à l’ordre du jour. Pour fantaisistes qu’elles puissent paraître, ces visions sont profondément ancrées dans la société cultivée et à l’origine de créations artistiques et même scientifiques14.

En 1905, l’échec final de la révolution remet lui aussi en cause le progressisme des adeptes des sciences sociales : au lieu d’une invincible vague démocratique balayant l’absolutisme, le pays a connu

une succession de soulèvements et de répression. Les intellectuels qui attendaient l’avènement de la liberté assistent à la montée du chaos. C’est pourquoi, pendant la « période de réaction » qui suit, beaucoup de lettrés remettent en cause non seulement leur engagement personnel mais également les valeurs par lesquelles il était justifié. Dans le recueil Jalons (Vekhi, 1909), est critiquée l’idéologie de « la morale utilitaire, (...) de l’amour du peuple, de l’amour du prolétariat, [de] l’amour de la justice égalitariste »15. La vivacité de la polémique que suscite cette publication tient à la personnalité de ses auteurs – Berdiaev, Boulgakov, Strouvé etc. –, qui avaient tous sympathisé auparavant avec le socialisme. L’engouement pour la Révolution qui avait progressé parmi les plébéiens, recule au même moment dans les milieux cultivés, traduisant un changement général d’atmosphère16.Les révolutionnaires sont désormais isolés, affaiblis et désorientés après la défaite du soulèvement. Maximalistes et anarchistes avaient vainement appelé à la destruction généralisée en espérant « une suite ininterrompue de soulèvements populaires qui se poursuivraient jusqu’à la victoire décisive de tous les déshérités », « une révolution en permanence »17. Reprenant le débat sur les voies de développement de la Russie à la lumière des événements dont il fut un des principaux acteurs, Trotsky garde ce terme de révolution permanente. Dans une synthèse originale des acquis du populisme et du marxisme, il affirme que la révolution ouvrière socialiste serait directement possible et nécessaire dans la Russie autocratique, vu la pusillanimité de la bourgeoisie capitaliste18.

La plupart des activistes sont loin de ces considérations. Beaucoup de SR et de mencheviks regrettent les prises d’arme. Chez les bolcheviks, on s’oppose tant sur des problèmes de tactique électorale que d’ontologie. L’incompréhension est patente entre un Lénine qui défend un modèle de« dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie pauvre » (sic) et un Bogdanov qui assigne à la classe ouvrière la tâche « d’édification de dieu » (re-sic)... Et une minorité de militants et de plébéiens radicalisés s’enferme ainsi dans la spirale de la violence (attentats « punitifs » contre les potentats du régime, « expropriation » de banques...).

Les artistes d’avant-garde qui émergent au seuil des années 1910 sont les enfants perdus de cette révolution manquée et du recul qui l’a suivie. Le parcours de Maïakovski (1893-1930) est exemplaire à ce titre : militant bolchevik à 15 ans en 1908, il connaît la prison dès 1909. À sa libération en 1910, il s’éloigne de la politique pour entrer, au prix de gros efforts, dans une école d’art. La difficile intégration des jeunes à la corporation artistique19explique largement les méthodes de ceux qui prennent le nom de futuristes. Marginaux face à l’hégémonique association Le Monde de l’Art20, d’inspiration à la fois symboliste esthétiquement et progressiste politiquement, les futuristes doivent multiplier les provocations dans l’accoutrement (visages peints, chemise jaune de Maïakovski), les modes de création (supports triviaux, travail du matériau pictural, sonore, verbal...) et de communication (scandales lors des prises de parole ou expositions).

Formés dans le chaos post-révolutionnaire et éloignés des courants reconnus tant de l’art que de la révolution, les jeunes créateurs

prennent l’avenir comme référence sans doute parce qu’ils sont déçus du passé et frustrés du présent. Leur futurisme n’a, à l’époque, pas grand chose à voir avec l’apologie de la machine et du progrès technique21. Le modernisme esthétique qu’on voit dans certains tableaux provient de l’influence cubiste, mais leur inspiration s’apparente plus au primitivisme22, avec ce qu’il implique de violence et de volonté de rupture avec le monde tel qu’il est.L’Avenir qui n’est donc pas spécifiquement porteur de progrès, permet surtout l’expression d’une attente. « Celui qui n’oubliera

pas son premier amour ne connaîtra pas le dernier » (Une Gifle au goût du public, 1912). Cet avenir, gros de promesses, est-il prévisible ? Le poète Khlebnikov s’y essaie par deux fois en 1912-1913. En marge du manifeste Une Gifle au goût du public, il publie le tableau suivant, qu’il explicite un peu dans un texte intitulé « Le Maître et l’élève»:[L’élève :] À la soumission de Novgorod et Viatka en 1479 et 1489 répondent les expéditions en Dacie de 96-106.

La conquête de l’Egypte en 1250 correspond à la chute du royaume de Pergame en 133.

Les Polovtses ont conquis la steppe russe en 1093, 1393 ans après la chute de Samnium en 290.

Mais, comme le royaume des Vandales a été vaincu en 534, ne doit-on pas attendre la chute d’un État pour 1917 ?

Le maître : C’est tout un art. Et comment l’as-tu appris ?

L’élève : Les claires étoiles du Sud ont réveillé le Chaldéen en moi. Au jour de la Saint-Jean, j’ai trouvé ma fougère23 : la loi de l’effondrement des États. Je connais l’âme du continent, tel qu’elle diffère de celle des insulaires. Le fils de la fière Asie ne peut s’entendre avec l’esprit péninsulaire des Européens24.

S’il ne s’agit pas de faire Khlebnikov le prophète de la Révolution, comment s’étonner de l’aura rétrospective dont bénéficiera le poète dans les milieux artistiques après Octobre25 ? Surtout, indépendamment de la précision des dates, on voit que l’attente qui inspirait les futuristes avait une composante clairement eschatologique. La notion d’apocalypse, à l’origine des analyses de Lionel Richard et de Jean-Christophe Palmier sur l’expressionnisme allemand26, semble parfaitement s’appliquer en Russie également.

1914-1919 : guerre, révolution, apocalypse et fin des temps

Les premiers cavaliers de l’apocalypse s’élancent justement en août 1914 avec le début de la guerre mondiale. Néanmoins, ceux

qui annonçaient la fin du monde ne semblent pas la reconnaître quand elle se produit. En Russie aussi, l’union sacrée s’élargit aux révolutionnaires socialistes et anarchistes27 de même qu’aux artistes d’avant-garde. Auparavant relégués, marginaux et scandaleux, les uns et les autres voient s’ouvrir devant eux de nouvelles perspectives, avec une reconnaissance institutionnelle et symbolique à la clé28. Aussi les Lentulov, Maïakovski et Malevitch se lancent-ils dans une active propagande patriotique antiallemande à destination du peuple sous forme de loubok29 édités en cartes postales et en recueils.

Il reste qu’indépendamment de la conscience des acteurs, une radicalisation des points de vue et des façons de faire s’opère30, comme si les artistes évoluaient à l’unisson d’une société déstabilisée sous l’effet d’un ensauvagement guerrier. Il n’est pas question d’établir un lien strict de cause à effet entre les phénomènes, d’autant que le second, la « brutalisation », est largement discuté parmi les historiens. Plus simplement, il s’agit d’observer à quel point les artistes sont de leur temps. En 1915, Tatline révolutionne la notion même d’œuvre d’art avec des « contre-reliefs » de bois, de métal et de câbles, les matériaux-mêmes de la production moderne de l’époque. Et si, la même année, Malevitch peint le Carré noir sur fond blanc au terme d’une longue maturation personnelle, comment ne pas être frappé par la coïncidence entre son geste et celui de la censure qui abstrait la représentation du réel ?Après ces expérimentations apparemment formelles, on voit la guerre intégrer en tant que telle la conscience créatrice des futuristes. L’expérience de la guerre totale suscite l’idée que La guerre est devenu la réalité du monde. On le voit dans le titre de poèmes écrits en 1916. Kroutchennykh publie La Guerre universelle, illustrée par Olga Rozanova, alors que Maïakovski écrit La Guerre et le monde. Au-delà de la référence à Tolstoï31, Maïakovski participe également au retournement de l’opinion publique contre le conflit : « Aujourd’hui j’élèverai ma voix / Seule voix humaine / Au milieu des cris et des hurlements ». L’utilisation de thèmes chrétiens pour dénoncer la tuerie (tels que le fratricide de Caïn ou l’image du Christ, supplicié et ressuscité32) fait écho aux déclarations des premiers militants internationalistes33 et anticipe sur certaines des représentations les plus fortes de la guerre en Allemagne par les expressionnistes.

Par des chemins divergents, artistes et révolutionnaires avaient rompu l’isolement tout en radicalisant leur action. Dans ces conditions, l’adhésion des artistes à la Révolution n’est pas étonnante. On est tout de même frappé par le nombre d’artistes européens, considérés rétrospectivement de première importance, qui prirent une part active dans les institutions révolutionnaires, au plan directement politique (Maïakovski et Rodtchenko ; Mühsam et Toller en Allemagne) ou « seulement » artistique (Bartok34, Malevitch, Chagall, Kandinsky...). Il est clair qu’existait un besoin réciproque de l’État nouveau et des artistes, le premier manquant de créateurs suite à la défection de nombreux « classiques »35, les seconds manquant de reconnaissance et de moyens.

Cependant, l’intérêt bien compris des uns et des autres n’explique pas l’intensité et la profondeur des questionnements esthétiques au cœur du processus révolutionnaire. Rappelons qu’en 1920 le Proletkult (Culture prolétarienne), qui diffuse et fait pratiquer les nouvelles formes d’art dans la population laborieuse, revendique 400 000 membres en Russie soviétique et édite une quarantaine de journaux et de revues. Son influence aurait été telle que les bolcheviks y voyaient une concurrence et l’étatisèrent. (Trop ?) radical politiquement, le geste créateur est aussi déstabilisant artistiquement. Une élève de Malevitch à l’époque du « Carré blanc sur fond blanc » racontait son effroi quand le peintre avait annoncé à son auditoire la fin de la peinture36.Pour ces jeunes qui venaient apprendre à peindre en pleine guerre civile au prix des pires privations, c’était la fin du monde...

En 1918-1919, en effet, la fin des temps semblait advenir : au-delà de la fin de l’art, on entrevoyait la fin de l’État, remplacé par

des comités et soviets locaux, et la fin de l’argent, au profit de bons de distribution... Était-ce le début du millenium ? La pièce présentée par Maïakovski, à l’occasion du premier anniversaire d’Octobre, Mystère-Bouffe, le suggère. L’histoire de l’humanité est rejouée, entremêlant les thèmes bibliques (Déluge, Enfer, Paradis) et la lutte des classes (ici entre « Purs » et « Impurs »). Le poète montre la lente montée des Impurs vers le Paradis, qui n’est en fait que la Terre et les Choses, débarrassées des exploiteurs37. Dans les faits, la guerre civile est pourtant moins un millenium qu’une apocalypse. La fin de l’État advient dans le règne de la violence tous azimuts ; la fin de l’argent résulte de la ruine de l’économie ; la fin de l’art est aussi celle d’une humanité qui revient à l’âge des cavernes38.Il ne s’agit pas de choisir entre une vision utopique et une vision cataclysmique de la période. Un groupe d’artistes, proche des SR de gauche, revendique hautement l’appellation

de Scythes :« Pour la dernière fois, vieux Monde, arrête-toi !

Au banquet fraternel du travail et de la paix,

Au banquet fraternel radieux, une dernière fois,

Ma lyre barbare te convie ! » (Blok)39.

Les années 1917-1920 unissaient dans un seul mouvement l'anéantissement de toute civilisation et l’aspiration à des formes nouvelles. Artiste engagé en ces années, Georges Annenkov en a rendu compte dans ses souvenirs :

« Un jour, incontestablement, les historiens de la révolution russe observeront, effarés, que les gens qui supportaient sans chauffage les terribles hivers du Nord n’en survivaient pas moins, continuaient d’exister, de s’aimer, d’écrire des vers, de discuter de choses élevées. (…) Ils acceptèrent la glace et le givre comme une chose (…) aussi naturelle et nécessaire que le lever et le coucher du soleil »40.

Au-delà du néant, le retour à l’ordre

On comprendra qu’un tel dénuement ne fût pas longtemps supportable. S’il est admis que le chaos de la guerre civile nourrit le

besoin d’un retour à l’ordre, on peut aussi penser qu’il motiva une réaffirmation de la représentation. En peinture, on sait que les Années Vingt virent une résurgence de l’art figuratif. Très marquée en Allemagne avec la Nouvelle objectivité, elle paraît sans doute moins sensible en Russie avant l’avènement du réalisme socialiste. Il reste que la notion de représentation réapparaît au sein-même de l’avant-garde, si ce n’est dans la forme, du moins sur le fond. La fameuse affiche « Avec un coin rouge enfonce les Blancs » emprunte la manière de la peinture abstraite, mais figure des forces bien réelles41.De même, en étant mis au service de la propagande, les nouveaux dispositifs scéniques ré-instituent la coupure entre public et créateurs ainsi qu’entre réalité et représentation. Le double littéraire de Georges Annenkov, Kolenka Khokhlov, en fait l’amère expérience. Pour le 1er mai 1920, il doit reconstituer les journées d’Octobre à Petrograd dans un spectacle grandeur nature, avec des milliers de figurants, eux-mêmes anciens acteurs de l’événement.

La révolution aux pieds nus, affamée, ajoute un nouveau maillon à la grande chaîne de l’art des places publiques où la quantité devient qualité [depuis les mystères du moyen-âge jusqu’à la fête de l’Être Suprême...]. Cette soirée de 1er Mai venteux, près de la bourse, est unique pour Kolenka Khokhlov, comme l’est tout point culminant. À l’instant où, des bastions de la forteresse Pierre-et-Paul, les canons annoncent la fin du spectacle, il le sent, la Révolution est morte pour lui... De retour chez lui, Kolenka se mit à pleurer42.

Cette question de la représentation peut naturellement être étendue au politique, s’agissant tant de soviets de plus en plus bureaucratisés que d’un Parti bolchevique se posant en émanation directe du prolétariat43.

Les problèmes de bureaucratisation et d’unicité de la représentation se posent également au sein la sphère artistique. Certes, le Parti et l’État interviennent « de l’extérieur » pour exercer une tutelle sur certaines institutions. Par exemple, le Proletkult est intégré bon gré mal gré au Commissariat du peuple à l’Instruction dès 1920. Néanmoins, la mise en place d’un réseau d’institutions culturelles dans les années Vingt répond à un besoin de professionnalisation exprimé souvent par les artistes eux-mêmes. De plus, ce sont les différentes chapelles esthétiques qui sollicitent l’appui du Parti contre leurs concurrentes au nom de leur prétention à exprimer « la direction juste » en art44.

Si l’avant-garde cherche à normaliser son rapport avec le pouvoir, on peut lire certaines de ses tendances comme une tentative de normaliser aussi son rapport avec la société. Le constructivisme cherche à démontrer l’utilité concrète de l’esthétique nouvelle et

non à bouleverser les rapports de perception. Ce faisant, il se rapproche du design et n’est guère différent du Bauhaus, né à l’ombre de la social-démocratie dans une Allemagne bourgeoise. On ne peut que constater le chemin parcouru par Rodtchenko. En 1918, il écrivait dans la revue libertaire Anarkhia en 1918 pour annoncer « l’arrivée triomphale de la grande révolte » portée par les« artistes-anarchistes », alors que dans les années Vingt il veut former « un nouveau type d’artiste-constructeur » en vue d’un « art de production »45. L’abandon de la peinture au profit de la photographie est peut-être un autre signe de son adaptation à « l'époque de la reproductibilité technique » de l’œuvre d’art.Avec l’analyse de Walter Benjamin46, on comprend d’ailleurs que le cinéma ne pouvait être un cas particulier dans ce grand mouvement de pacification et d’intégration des arts, quel que soit le génie des premiers cinéastes soviétiques. Dziga Vertov tenta bien de se libérer tant des façons convenues de montrer que de celles de raconter, mais on ne peut comparer l’influence de son œuvre à l’impact de celle d’Eisenstein. Fut-ce au moyen d’un montage

syncopé, ce dernier travaille clairement à reconstituer une continuité historique. Potemkine, La Grève et Octobre scandent les grands moments d’une geste révolutionnaire à commémorer (1905, 1912, 1917). Le film sur l’insurrection bolchevique épouse les injonctions d’une histoire officielle en train de s’écrire et a d’ailleurs contribué à la figer pour des décennies47. La Ligne générale continue le grand récit par une prévision de l’avenir, celui d’une agriculture socialiste moderne en URSS. Le film a été tourné en 1929-1930, en pleine collectivisation forcée...Les tentatives des artistes de restaurer une continuité rencontrent les efforts des apparatchiks qui veulent asseoir la légitimité des nouveaux dirigeants en niant les ruptures. La focalisation des polémiques contre Trotsky s’explique aussi par la volonté de clore le débat sur les lois et les rythmes du développement historique. Les problèmes du moment, comme la poussée révolutionnaire en Chine, ne sont vus qu’au travers ce prisme. Ainsi, le plénum de février 1928 du Comité central du PC affirme qu’ « Il n'est pas exact de caractériser [la révolution chinoise] comme une révolution ‘‘permanente’’. La tendance à sauter par-dessus l'étape bourgeoise et démocratique de la révolution tout en estimant en même temps que cette révolution est ‘‘permanente’’, est une erreur analogue à celle de Trotsky en 1905 »48.

D’autres questions brûlantes à la fin des années, celles de la réforme du mode de vie et du développement à venir de l’économie soviétique, reçoivent également une réponse objectiviste et gradualiste.« En fait, la solution fondamentale de ces questions [du mode de vie] tient à la croissance des forces productives et au développement des ressources nécessaires à l'alimentation et l'éducation sociales ainsi qu'à l'amélioration radicale des conditions de logement. (...) L'établissement des prémisses matérielles indispensables au développement normal des comportements est le gage de sa capacité à les orienter et les réguler, de son aptitude à combattre les errements passagers »49.

Dans ce progressisme passif, le temps est redevenu une matière uniforme sur laquelle les hommes n’ont plus prise.

Il ne s’agit pas d’accabler les intellectuels ou les artistes, mais de constater qu’ils ne voyaient pas le danger dans une telle évolution vers l’ordre et la continuité. Plus, ils y adhéraient dans leur grande majorité et y participaient dans la mesure de leurs moyens, quelle que soit d’ailleurs leur positionnement politique et idéologique. On l’a vu pour les artistes. Cela vaut aussi pour les politiques. Dans leur combat contre Staline et son régime, anarchistes et trotskistes tentent eux aussi de se construire une légitimité historique en revendiquant pour eux seuls l’authentique continuité révolutionnaire. Leurs Mémoires et Histoires de la révolution s’opposent terme à terme aux canons staliniens mais racontent l’histoire de la même façon50.

De ce point de vue, Boris Groys a raison d’affirmer que Staline paracheva un processus initié et voulu dans les milieux d’avant-gardes. Il oublie néanmoins que ceux, rares, qui s’opposaient au cours des choses étaient eux-mêmes issus des avant-gardes. De plus, contrairement à la majorité de leurs confrères, les artistes critiques usaient toujours des concepts et moyens qui avaient bouleversé l’art dix ou quinze ans plus tôt. Sauvés de l’oubli par le hasard de mes recherches, « Les futuristes destructeurs (méta-artistes) » formaient en 1928 à Kharkov « un nouveau groupe de critiques d'art de gauche. (...) Le mot d'ordre fondamental de ce groupe est : lutte contre l'art et contre la catégorie séparée de culture. Par conséquent, le groupe occupe l'aile gauche la plus extrême »51. On ignore ce qu’entreprirent pratiquement ces devanciers des situationnistes, mais on reste frappé par leur radicalité.

De même, la lucidité de Victor Chklovski tranche dès 1919 quand il s’attaquait aux nouveaux conformismes et nouvelles

illusions de l’art post-révolutionnaire.« La plus grande erreur de ceux qui écrivent actuellement sur l’art me paraît être l’équation entre la révolution sociale et la révolution des formes qu’ils tentent d’imposer ».

Depuis les contre-reliefs, il veut croire pourtant à la capacité de Tatline « d’aboutir à la construction d’un nouveau monde sensible (…) d’un paradis inouï sans noms et sans vide où la vie ne ressemble pas (...) à notre mode de vie en pointillé ». Face au« perpétuel processus d’ossification par lequel les objets cessent d’être perçus concrètement pour être ‘‘reconnus’’ », il ne s’en remet pas aux « changements survenus dans les formes de la vie quotidienne, dans les formes des rapports de production».

Anticipant sur Adorno, il pense que « pour transgresser une norme, il faut que celle-ci existe », les canons de l’art étant « formés par la stratification des hérésies »52.

En même temps, le culte de l’hérésie et de la transgression, consciemment assumé par Chklovski, participait du « désordre sciemment monté en épingle [qui] désirait l’ordre » totalitaire à venir53. On sait comment se termina l’aventure intellectuelle de Chklovski : en 1930, il dut renier publiquement ses idées « formalistes » dans un article au titre sans ambiguité, « Monument à une erreur scientifique »54. De telles pressions paraîtraient bénignes en comparaison du déchaînement de la machine étatique en 1933 et 1937-1938, mais personne ne l’imaginait encore.

« Le monde a survécu à son propre déclin » (Adorno)

Dans le domaine artistique comme dans la sphère politique, les individualités clairvoyantes étaient plus que minoritaires, marginales. Qui d’autre que Walter Benjamin voyait l’histoire comme « une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruine sur ruine »55 ? La conscience de la marche du monde comme cataclysme s’était perdue, alors même que se préparait une deuxième apocalypse, plus terrible encore que la première. Et que dire du monde d’après 1945, séduit par le « Prestige de la Terreur »56 nucléaire ?

« Quand l’art devenu indépendant représente son monde avec des couleurs éclatantes, un moment de la vie a vieilli, et il ne se laisse pas rajeunir avec des couleurs éclatantes. Il se laisse seulement évoquer dans le souvenir. La grandeur de l’art ne commence à paraître qu’à la retombée de la vie »57 disait Debord en détournant Hegel.

Sans doute l’impensé des défaites était-il déjà trop important vers 1920 pour permettre à la nouvelle génération de reprendre le

combat là où la précédente l’avait laissé. Ainsi, la poussée révolutionnaire échouée avait en définitive redonné des couleurs au progressisme. Aujourd’hui, alors que le retour de la crise montre à tous ce qu’est le mouvement du monde vers la catastrophe, il est d’autant plus urgent de retrouver une conscience historique.

1Theodor W. Adorno, Modèles critiques : interventions, répliques, Payot, [1984] 2003, pp. 51-59.

2Didier Eribon, D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Léo Scheer, 2007 ; p. 82.

3Philippe Sollers, Femmes, 1983 (ici, Gallimard, « Folio », 1996, p. 180).

4Boris Groys, Staline, œuvre d’art totale, Jacqueline Chambon, 1990.

5François Théron, « Boris Groys, l’homme du mois », Technikart, n°96, octobre 2005.

6Dominique Noguez, Lénine dada, (1989, réédition :) Le Dilettante, 2007 ; quatrième de couverture.

7Pour paraphraser le titre « L’Utopie, c’est le goulag », dans Le Magazine littéraire, juillet 1978.

8Cf. « L’année 1913 : au croisement du passé et du futur », John E. Bowlt, Moscou & Saint Petersbourg 1900-1920, Art, vie et culture, Hazan, 2008 ; pp. 319 sv.

9Manifeste futuriste Une Gifle au goût du public, 1912 (Poščečina obščestvennomu vkusu, in N.L. Brodskij & N.P. Sidorov (sost.), Literaturnye manifesty, ot simvolizma do oktyabrja [Manifestes littéraires du symbolisme à Octobre] – 1924 –, Agraf, 2001 ; p. 129). Lénine, « Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx », Pravda n°50 (1913) in Œuvres, T. XVIII.

10S.N. Juzakov, « Byt » [Mode de vie] in Bol’šaja Enciklopedija [Grande encyclopédie], pod red. S.N. Juzakova, Prosvješčenje, Spb, 1901.

11Voir les théories esthétiques utilitaristes de Belinski et Tchernychevski et la peinture réaliste des Ambulants.

12D.S. Merežkovskij, O pričinax upadka i o novyx tečenijax sovremennoj russkoj literatury, in Literaturnye manifesty, op. cit., p. 34.

13Leonid Peller et Michel Niqueux, Histoire de l’utopie en Russie, PUF « Écriture », Paris, 1995 ; pp. 159-168.

14Le compositeur Alexandre Scriabine s’inspire des conceptions théosophiques d’Helena Blavatsky. Les époux Roerich marient art et spiritualité orientale. Quant au précurseur de l’astronautique russe, Tsiolkovski, il entreprend des recherches sur les fusées dans une perspective fiodorovienne : postulant l’éternité de la conscience, il veut aider la colonisation de l’espace par les ressuscités.

15Nikolaj Berdjaev, « Filosofskaja istina i intelligenckaja pravda » [Vérité philosophique et vérité d’intellectuel], Vexi M, 1909.

16Cf. Marina Mogil'ner, Mifologija « podpol'nogo čeloveka » : radikal'nyj mikrokosm v Rossii načala XXogo veka kak predmet semiotičeskogo analiza [Mythologie de « l’homme de la clandestinité », le microcosme radical en Russie...], Novoe Literaturnoe Obozrenie, M, 1999 ; p. 176.

17Paul Avrich, Les anarchistes russes, [1967] Maspéro, Paris, 1979 ; p. 61.

18Léon Trotsky, Bilan et perspectives, [1906] Seuil « Points », Paris, 1974.

19Cf. Aaron J. Cohen, Imagining the Unimaginable: World War, Modern Art, and the Politics of Public Culture in Russia, 1914-1917, University of Nebraska Press, Lincoln NE, 2008 ; p. 117.

20Sur l’association le Monde de l’art de Benois et Diaghilev et son influence, cf. John E. Bowlt, Moscou & Saint Petersbourg, op. cit., pp. 161 sv.

21Cf. Agnès Sola, Le futurisme russe, PUF « Écriture », Paris, 1989 ; p. 70.

22Cf. Jean-Claude Marcadé, L’avant-garde russe : 1907-1927, Flammarion, [1995] 2007, p. 23 sv.

23Plante magique dans les traditions païennes liées à la Saint-Jean (Ivan-Koupala) en Russie. Cf. Alexandre A. Gura, Olga A. Ternovskaya et Nikita I. Tolstoï, « Les noces de la terre et des hommes », Le Courrier de l’UNESCO, août-septembre 1978, p. 16, http://unesdoc.unesco.org/images/0004/000460/046076fo.pdf .

24V. Xlebnikov, « Učitel’ i učennik » (en brochure – 1912 –, et dans Sojuz molodeži, n°3 – 1913).

25Cf. Viktor Chklovski, Il était une fois, (1966) Christian Bourgois, 2005 ; p. 167.

26Lionel Richard, D’une Apocalypse à l’autre - Sur l'Allemagne et ses productions intellectuelles de la fin du XXe siècle aux années trente, UGE « 10/18 », 1976. Jean-Michel Palmier, L’Expressionnisme comme révolte -tome I : Apocalypse et révolution, Payot, 1978.

27Rapelons l’engagement patriotique des deux plus vieux révolutionnaires russes exilés, le marxiste Plekhanov et l’anarchiste Kropotkine.

28Aaron J. Cohen, Imagining the Unimaginable, op. cit., pp. 121 sv.

29Le loubok est un équivalent russe de l’image d’Épinal. Les artistes travaillent pour la maison d’édition Le Loubok d’aujourd’hui (Segodnjaščij lubok).

30Aaron J. Cohen, Imagining the Unimaginable, op. cit., pp. 86 sv.

31En russe « La Guerre et la paix » et « La Guerre et le monde » s’entendent pareil : Voïna i mir.

32Maïakoski, « La guerre et le monde », Poèmes 1913-1917, Messidor/Temps actuels, 1984 ; pp. 145, 183, 203.

33« L'Europe est devenue un gigantesque abattoir d'hommes. Toute la civilisation créée par le travail de plusieurs générations est vouée à l'anéantissement. La barbarie la plus sauvage triomphe aujourd'hui de tout ce qui, jusqu'à présent, faisait l'orgueil de l'humanité ». Manifeste de la conférence de Zimmerwald (1915), http://www.marxists.org/francais/inter_com/1915/zimmerwald.htm .

34La participation de Bartok à la « Commune de Hongrie » par l’élaboration d’un plan pour l’éducation musicale est largement oubliée. Il faut puiser dans des sources d’avant 1991 (telle la Grande Encyclopédie soviétique) pour en trouver la trace...

35Sola, Le futurisme russe, op. cit., p. 151. Aaron J. Cohen, Imagining the Unimaginable, op. cit., pp. 169 sv. John E. Bowlt, Moscou & Saint Petersbourg, op. cit., pp. 366 sv.

36Parmi les témoignages enregistrés en 1965, retransmis sur la Webradio de France Culture du 9 au 13 janvier 2006. Programme complet sur http://www.russie.net/article2427.html .

37Maïakovski, Théâtre, Grasset « Cahiers rouges » n°112, 1989. Cf. Marjorie Gaudemer, Le théâtre politique de Maïakovski d’après l’étude de ses deux versions de Mystère-Bouffe (1918-1921), Mémoire de maîtrise sous la direction de B. Picon-Vallin et J.F. Peyret, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III, 1999-2000 ; http://theatrespolitiques.free.fr/IMG/pdf/memoire.pdf .

38Cf. Evguéni Zamiatine, La Caverne et autres nouvelles, Éd. du Seuil « Points », Paris, 1991.

39Aleksandr Blok, « Skify », [Les Scythes] Izbrannoe, Detskaja litératura, 1976 ; p. 154. Cf. Ja.V. Leont’ev, « Skify » russkoj revoljucii, Partija levyx èserov i eë literaturnye poputčiki [Les « Scythes » de la révolution russe], AIRO XXI, M, 2007

40Georges Annenkov, La Révolution derrière la porte [Povest’ o pustâkax, 1934], Quai Voltaire, Paris, 1994 ; p. 157.

41C’est d’ailleurs la conclusion d’Aaron J. Cohen, Imagining the Unimaginable, op. cit., pp. 187.

42Annenkov, La Révolution..., op. cit., p. 206. Annenkov organisa effectivement les cérémonies du 1er Mai 1920.

43Cf. : Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, Gallimard / Julliard, « Archives », 1980 ; Lénine, La Maladie infantile du communisme (le "gauchisme"), 1920, chap. 2 : « qu'est-ce qui cimente la discipline du parti révolutionnaire du prolétariat ? (…) la conscience de l'avant-garde prolétarienne (... ;) son aptitude (...) à se fondre jusqu'à un certain point avec la masse la plus large des travailleurs (... ;) la justesse de la direction politique réalisée par cette avant-garde », http://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/04/g2.htm .

44Sur le Proletkult, cf. Lynn Mally, Culture of the Future : the Proletkult Movement in Revolutionary Russia, University of California Press, Berkeley, 1990 ; pp. 102 (tendance à la professionnalisation), 201-202, 224-226 (l’intégration et la marginalisation au sein de l’État), 37 sv. (la prétention à incarner tout seul l’aspiration prolétarienne et révolutionnaire). Au sujet des sollicitations des artistes vis-à-vis du pouvoir, cf. Léon Trotsky, Littérature et révolution, [1924] UGE « 10/18 », 1974, pp. 161, 249 sv. ; Groys, Staline..., op. cit., pp. 34-35, 50

45Cf. A. Rodčenko : « Tovariščam anarxistam » [Aux camarades anarchistes], Anarxija, 23/03/1918 (cité par Leonid Heller, « Anarxizm i ego metamorfozy v dvadcatye gody (zabytyj faktor v kul’ture XX veka) » [L’anarchisme et ses métamorphoses dans les années 20, un facteur oublié de la culture du XXe siècle], Ms., sous presse, [2002]) ; « Avtobiografija » [1939] in A.N. Lavrent’ev, Rakursy Rodčenko, Iskusstvo, M, 1992, p. 197. Quant à l’engagement de Maïakovski dans la promotion des produits du secteur d’État sous la NEP, il exprime son inclination permanente pour la publicité et la propagande, patente depuis les louboks patriotiques.

46Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », in Œuvres III, Gallimard, 2000 ; pp. 66-113, 269-316.

47Frederick C. Corney, Telling October: Memory and the Making of the Bolshevik Revolution, Cornell University Press, Ithaca, NY, 2004. Alexandre Sumpf « Le public soviétique et Octobre d'Eisenstein : enquête sur une enquête », 1895, Revue de l'Association Française de Recherche sur l'Histoire du Cinéma, n°42, février 2004, pp. 5-34. http://1895.revues.org/document275.html .

48Cité par Trotsky, L'Internationale Communiste après Lenine, 1928, chap. XII, « Bilan et perspectives de la révolution chinoise », http://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical23.html .

49I. Skvorcov-Stepanov, « Byt » [Mode de vie] in Sovetskaja Enciklopedija [Encyclopédie soviétique], 1927

50Avec leur style et leur ambition propres, les Mémoires de Nestor Makhno (1929-1937) et Ma vie de Léon Trotsky (1929) répondent à l’énorme machine mémorielle lancée en URSS par les revues spécialisées, telles que Proletarskaja revoljucija (1921-1941) et Letopis’ revoljucii (1922-1933). Quant à L’Histoire de la révolution russe de Trotsky (1930-1932) et à La Révolution inconnue de Voline (1945), elles font pièce au tome 1 de L’Histoire de la guerre civile en URSS (1935) et à L’Histoire du Parti communiste /bolchevik/ de l’URSS (1938) publiées à Moscou.

51« Bjuleten’ novoho mystectva : Futurysty-destruktory (metamystci) », Nova Heneracija [Nouvelle Génération, revue de l’art de gauche, Kharkov] n°10 (10/1928), p. 276.

52Victor Chklovski, La Marche du cheval [Textes critiques, 1919-1921], Champ Libre, 1973, pp. 35, 98, 84.

53Sur l’usage de la question sexuelle en URSS dans les années Vingt, cf. Eric Naiman, Sex in Public: The Incarnation of Early Soviet Ideology, Princeton UP, 1997.

54V. Šklovskij, « Pamjatnik naučnoj ošibke », Literaturnaja Gazeta, 27/01/1930.

55Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 1940, in Œuvres III, Gallimard, 2000 ; p. 434.

56Georges Henein, Le Prestige de la Terreur, Le Caire, le 17 Août 1945, http://kropot.free.fr/Henein-PrestigeTerreur.htm .

57Guy Debord, La société du spectacle, [1967], thèse n°188, http://www.wikilivres.info/wiki/La_Société_du_spectacle/Chapitre_8 .