Ioulia Fomina

Les Kourbas en 1929, dessiné par Petritski (DR)

née en 1905, comédienne de la troupe "Berezil" à Kharkov.

Entretien en russe du 07/03/1996, prise de note par Natacha et Serguéï

Julija Gavrilovna Fomina, actrice du théâtre de Les' Kurbas "Berezil'"; en 1925, alors qu'elle faisait ses études à Ekaterinoslav, elle est arrivée au studio d'Andreï Irj, un élève de Kurbas. Elle a fait ses études à l'institut Lysenko.

Une actrice de <<Berezil'>>, Natalia Pilipenko, a vécu à Paris. Elle est partie avec [les/des] Allemands et a organisé son théâtre à Paris.

Le rêve de Kourbas c'était le théâtre-commune, partisan d'une même idée. Au début, on travaillait gratuitement, plus tard, la 45e division nous a pris sous son patronage [šefstvo], mais au début, tous travaillaient comme fonctionnaires etc.. En 1922, <<Berezil'>> s'est formé à partir d'un studio. L'été, on se reposait ensemble à la 16e station [gare ?] d'Odessa, nous louions une école; il n'y avait pas de scène, on travaillait dehors, on dormait sur des matelas de paille. Il y avait une marmite commune, on cuisinait […] chacun son tour. Il y avait une discipline spirituelle très stricte. A des moments déterminés, il y avait l'étude, l'exercice physique, le repos, les cours etc.. Grâce à la commune, Kurbas avait formé un collectif de gens partageant la même idée. Kurbas était le leader et le précepteur spirituel. Tout était fait selon l'idéal de construction de la nouvelle société.

A Kharkov, <<Berezil'>> vivait dans des foyers; il y avait deux maisons où ne vivaient que des Bereziliens. Un foyer ruelle Zatkinskij - un couloir et des petites chambres où vivaient de 1 à 3 personnes. Kurbas occupait 2 chambres, dans l'une il y avait son bureau, dans l'autre vivait sa mère. Le deuxième foyer était place Rosa Luxemburg, avant il y avait là une "lanterne rouge" (maison de tolérance), c'était un bâtiment à deux étages. C'est là que vécut Iou.G. Fomina. <<Berezil'>> a déménagé à Kharkov en 26.

Quand nous étions à Moscou, nous sommes passés chez Arsène Tarnovski. C'était l'hiver. Arsène nous a très bien reçus. Il a choisi des livres dans sa bibliothèque et a dit : "Allons les vendre à Sukharevka", pour nous donner de l'argent. C'était l'époque de la NEP, même l'enseignement était payant.

La NEP, c'était un miracle. Comme dans un conte, les vitrines brillaient aux rez-de-chaussée et aux sous-sols, les artisans travaillaient, les restaurants aussi; les autos sont apparues. Roman vivait chez Arsène, [moi, Ioulia] chez une de ses élèves de l'institut de littérature. Elle avait une seule robe. Elle m'a donné quelques petits livres en guise d'oreillers.

Après, on a mis fin à la NEP, les confiscations ont commencé; mais les restaurants, les bistrots et les endroits où se réunissaient les gens d'art existaient toujours. Mais on les a [fermés] peu à peu.

Quand nous sommes arrivés en 26, la commune existait encore l'été. Ensuite, le studio a été étatisé, le contrôle du Parti est apparu.

La première rencontre avec Kurbas a eu lieu dans un café. Kourbas rentrait juste de Berlin, il ressemblait à quelqu'un d'une autre planète [culottes de golf, chapeau large…].

A Kharkov, Ioulia et Roman Alekseevitch ont reçu une chambre avec un lit. Au mur, il y avait des reproductions de tableaux (pour l'essentiel, de la collection de la galerie Tret'jakov). La vie au foyer de la place Rosa Luxemburg a continué jusqu'à l'arrestation [l'enlèvement] de Kourbas en 24 [erreur : 34 ou 37]. [Avant ça,] nous vivions avec la propriétaire et son enfant derrière [imermoj]. Nous prenions les repas chez une vieille et nous la payions.

Dans la commune, il y avait des gens de service, pour la cuisine, le ménage etc.. Les nouveaux membres entraient organiquement dans la commune.

Dans l'entraînement [trenaž], il y avait du ballet, de l'entraînement d'acteur, de l'escrime, de la natation etc..

L'amour était normal, sans la moindre idéologie. La commune était pour eux la forme de vie optimale. L'art occupait toute la journée, il n'y avait pas le temps de s'occuper [des petites choses] de la vie quotidienne [zanimat'sja bytom]. Tout l'argent allait au pot commun. Chez les bereziliens, les femmes n'utilisaient pas de cosmétique (pas de rouge à lèvre), elles portaient des combinaisons de travail [roby].

Les gens extérieurs se comportaient normalement avec la commune.

On considérait que les enfants gênaient le travail, la majorité n'avait pas d'enfants.

Dans la commune, on jouait au volley-ball, au football, on faisait de la danse de ballet, de la gymnastique etc..

Dans la troupe, beaucoup de gens venaient de la campagne.

Notes complémentaires par mes soins :

"Zolotaja disciplina" (une "merveilleuse discipline"), tout est basé sur la personnalité de Kourbas. Il parle à chacun son langage (il peut passer 1h ½ pour expliquer le rôle de soubrette qui a une réplique).

Il n'y a pas de problèmes interpersonnels 1) grâce à Kourbas; 2) parce qu'il n'y pas le temps pour.

Jamais d'ennui : l'emploi du temps est dur mais varié.

Sentiment de joie. Le but, c'est de construire un homme nouveau et une société nouvelle.