Une philosophie de l'éducation

Copyright Michèle Bergevin 2009

Le pédagogue, dans la Grèce antique, était l'esclave qui accompagnait l'enfant sur le chemin de l'école. Marchant côte à côte, l'enfant posait des questions de toutes sortes à l'esclave, qui l'écoutait et lui répondait. La « pédagogie » au sein de l'entreprise sera donc l'accompagnement de l'enfant vers le savoir et l'autonomie, avec la prise en compte de ses modes d'apprentissage particuliers mais aussi de son mode de pensée spécifique, de son individualité et de sa personnalité.

« Donnez à l'enfant le désir d'apprendre » écrivait Jean-Jacques Rousseau dans L'Émile ou de l'Éducation, et « toute méthode lui sera bonne ». Au début de notre siècle, Thorndike, dans sa loi de l'effet, montre de manière expérimentale que tout apprentissage est littéralement suspendu aux besoins et aux motivations. Chacun, aujourd'hui, qu'il soit enseignant ou parent, est convaincu du bien-fondé de cette idée. La motivation, dans les représentations sociales les plus fréquentes, apparaît comme une force psychologique magique qui est à l'origine de réussites que l'on n'aurait pas soupçonnées ; inversement on va expliquer l'échec en disant d'un élève qu'il n'était pas motivé. C'est dire que si on lui attribue un grand pouvoir on a souvent tendance à la considérer comme un état sur lequel on ne peut pas grand-chose.

Dans les années 60-70, on mettait l'accent sur la nécessité de conditions relationnelles d'un type particulier pour la réussite des apprentissages ; depuis le début des années 80, on assiste, dans le contexte de la « technolâtrie », à la domination d'une conception techniciste et instrumentale de la pédagogie qui fait ignorer cette dimension fondamentale. Les réductionnismes qui accompagnent toujours les phénomènes de mode en pédagogie tendent aujourd'hui, en effet, à ne faire envisager celle-ci que sous son seul angle technique.

Il apparaît donc indispensable de replacer cette approche, certes nécessaire, dans le cadre général d'une réflexion axiologique prenant en compte le projet philosophique d'éducation, le contexte sociologique et le tissu relationnel dans lequel s'effectue l'apprentissage. Si l'enseignant d'aujourd'hui se doit être davantage un facilitateur d'apprentissage qu'un enseigneur, il doit être tout à la fois un philosophe, un technicien, un psychologue clinicien, et dans ce dernier rôle avant tout un motivateur. Il se doit, en effet, de faire aimer l'acte d'apprendre car les enfants ou adolescents auxquels il s'adresse vont devoir apprendre partout et tout au long de leur vie, comme il se doit aussi de leur faire aimer la discipline ou l'activité qu'il enseigne.

« L'enseignant de demain, depuis l'humble jardinière d'enfants jusqu'au recteur d'université, doit savoir, au plus profond de lui-même, quelle attitude il adopte en face de la vie. Il doit avoir des idées claires sur la façon dont ses valeurs se sont formées, sur l'espèce d'hommes qu'il espère voir émerger de son système éducatif, il doit décider s'il manipule des robots humains ou s'il a affaire à des personnes libres, il doit savoir quelle espèce de relations il doit s'efforcer d'établir avec ces personnes, sinon il aura failli non seulement à sa profession mais à sa culture. » © 1972 Carl Rogers, Liberté pour apprendre, Éd. Dunod.

Créée dans les années 30 par des publicitaires américains, la notion de « motivation » sert actuellement à désigner l'ensemble des processus ou mécanismes par lesquels un groupe, une entreprise, une société parviennent à faire endosser par leurs membres les rôles sociaux estimés souhaitables pour le bon fonctionnement de l'ensemble. Les pratiques traditionnelles de la « carotte et du bâton » montrent vite leurs limites, en particulier dans le monde de l'éducation.

Trop souvent il s'agit de rechercher le type de carotte (ou de bâton) qui, agité devant le nez des enfants, les fera avancer dans le sens voulu. Ce type de démarche, même si parfois nécessaire en cas de troubles graves du comportement, présente un caractère réductionniste, et nie la complexité du processus motivationnel dans son ensemble avec ses interdépendances et ses effets paradoxaux. La prise en compte de ces derniers éléments dans un modèle systémique exige au contraire un travail d'artisan traitant sur mesure les cas particuliers.

Un véritable professionnel sait prendre du recul, faire son autocritique, se détacher de lui-même pour se mettre à l'écoute d'autrui, et déclencher ainsi une relation éducatrice, en mettant la motivation au centre du processus d'enseignement, sachant que l'individu n'apprend que s'il est concerné. Le philosophe Louis Lavelle a très finement analysé ce processus, c'est ainsi qu'il a écrit : « On agit sur les autres qu'en agissant sur soi. Et si l'on devait appliquer cette règle, on serait conduit non point à douter de l'éducation, mais à en changer radicalement le principe. Car on s'étonne que l'éducation produise souvent les effets opposés à ceux qu'elle cherche. C'est que, bien qu'elle s'en défende elle cherche toujours à agir sur un autre être comme on agirait sur une chose. Mais éduquer un enfant, c'est s'éduquer soi-même. Réformer l'humanité c'est se réformer d'abord. Les autres hommes résistent quand ils voient que nous cherchons à leur conseiller ou à leur imposer un bien auquel nous demeurons nous-même étranger. Au contraire, le produire en soi sans penser à autrui, c'est en donner le bénéfice à autrui sans l'avoir voulu... ».

Les actions que nous entreprenons, que cela soit au sein d'une relation pédagogique ou à finalité thérapeutique semblent dépendre étroitement de la manière dont nous nous représentons les motivations des personnes à qui s'adressent ces actions. De manière explicite ou implicite, nous cherchons à travers la communication que nous établissons avec elles, à les faire adhérer à un projet. Ne serait-ce que de faire adopter la valeur que le fait d'avoir un projet c'est mieux que de ne pas en avoir ! Le plus souvent c'est le projet d'apprendre quelque chose ou celui d'aller mieux que nous souhaiterions voir s'approprier par autrui.

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Copyright Alicia Prieur-Poirier 2013

Références :

1. Jacques André, À l'origine, la relation humaine, in Cahiers pédagogiques hors-série -  La Motivation, Cercle de Recherche et d'Action Pédagogiques, /ed. par Jean-Michel Zakhartchouk, Paris, 1996, pages 92-97.

2. La Rédaction, Les sciences de l'éducation, Points de repères - Dossier scienceSHumaines, n° 21, pages 22-23, octobre 1992.

3. Jacques André, Éduquer à la motivation - Cette force qui fait réussir, Éditions L'Harmattan, 2005.


CITATIONS :

« Ces enfants présentent souvent une sensibilité surprenante vers la personnalité de leurs professeurs [...]. Ils peuvent être enseignés, mais seulement par ceux qui leur offrent de l'affection et de la compréhension réelles, des gens qui les traitent avec de l'amour et de l'humour (...). L'attitude émotionnelle sous-jacente de l'enseignant va influencer de façon involontaire et inconsciente, dans l'état de l'humeur et le comportement de l'enfant. » © Hans Asperger.

« Enseigner c'est faire naître l'envie d'apprendre pour partir à sa rencontre. Enseigner c'est provoquer continuellement la soif de découvrir sans jamais l'étancher complètement pour la maintenir vive. Enseigner c'est entretenir le courage d'explorer sans jamais exposer à la crainte de décevoir... Enseigner c'est offrir la joie de connaître, le plaisir de comprendre et la satisfaction de pouvoir analyser en ayant le sens de la nuance. Enseigner, de nos jours, c'est également de nos jours une façon de transmettre l'empathie responsable qui induit la compassion... Enseigner c'est également, de nos jours, une manière de stimuler l'autonomie collaborative qui permet d'agir ensemble. Enseigner c'est mettre en scène le monde de demain pour qu'il soit plus beau que celui d'aujourd'hui et éviter que l'humanité ne se défasse. » © Bruno Humbeeck, Enseigner, Édition Atzéo, Collection Cocktail.

« C'est l'école qui a des besoins particuliers, les enfants autistes ont des besoins ordinaires, ils ont besoin d'action, d'apprendre, d'affection, d'activité, de manger, de rire... ils ont les mêmes besoins que les autres, ce n'est pas qu'ils aient des besoins spécifiques, ce qui est spécial, ce sont les besoins qu'a le système pour prendre en charge les besoins ordinaires que ces enfants ont. » © Dr. Joaquin Fuentes.

« Les acquisitions ne sont pas seulement le résultat de conditionnements ou d'apprentissages. Elles reposent sur une curiosité physiologique naturelle "originelle", indépendante du bâton, de la carotte. » © Lelord, dans Barthélémy, Hameury et Lelord, 1995.

« Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper aux arbres, il passera sa vie entière persuadé qu'il est totalement stupide. » © Albert Einstein.

« Je n'enseigne rien à mes élèves, j'essaie simplement de créer les conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre. » © Albert Einstein.

« Au fond de chacun de nous, il y a l'enfant qu'on était. L'enfant constitue le fondement de ce que nous devenons ; de qui nous sommes, et de ce que nous serons. » © Dr. Rhawn Joseph, Spécialiste en neurosciences.

« Éduquer, ce n’est pas fabriquer des adultes selon un modèle, c’est libérer en chaque homme ce qui l’empêche d’être soi, lui permettre de s’accomplir selon son génie singulier. » © Olivier Reboul, Philosophie de l’éducation, P.U.F., Que sais-je ?, 1989, page 22.

« Les savoirs ne se transmettent pas, ils se reconstruisent, et chacun le fait pour son propre compte, à sa façon et suivant son propre rythme. » © Antoine Prost, Éloge des pédagogues, Points Actuels, page 25.

« La plus belle loi en pédagogie, ce n’est pas de gagner du temps, mais d’accepter d’en perdre. » © Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, Éd. de F. et P. Richard, Garnier, 1964.

« Apprendre, c’est comprendre, c’est-à-dire prendre avec moi des parcelles de ce monde extérieur, les intégrer à mon univers et construire ainsi des systèmes de représentation de plus en plus performants, c’est-à-dire qui m’offrent de plus en plus de possibilités d’action sur ce monde. » © Philippe Meirieu, Apprendre… Oui, mais comment ?, Paris : ESF Editeur, 1994, pages 38-39.

« L’école doit apprendre "à articuler l’égale dignité et l’inégalité des performances" ». © Marie-Claire Blais, Tiré de l’article de Marie Duru-Bellat, L’école pourrait-elle réduire les inégalités ?, Revue Sciences Humaines, N°136, Mars 2003, page 39.

« L'éducation consiste à comprendre l'enfant tel qu'il est, sans lui imposer l'image de ce que nous pensons qu'il devrait être. » © Jiddu Krishnamurti.

« L’éducation est l’arme la plus puissante qui soit pour changer le monde. » © Nelson Mandela.

« Éduquer, ce n’est pas remplir des vases mais allumer des feux. » © Michel de Montaigne.

« [...] les enfants ne sont ni des vases à remplir, ni un feu à allumer : ils sont un foyer ardent à ne pas éteindre. » © André Stern.

« L’enfant lui-même vit dans l’imaginaire de l’adulte. Il est à l’origine d’un ensemble de valeurs où se projettent les aspirations de la société. » © Chobart De Lauwe, 1979, Tiré de Jean Keller, A.P.S. et Motricité de l’Enfant, page 23.

« L’interaction entre l’enfant et l’objet est à la base de l’adaptation qui représente une des formes de l’intelligence. » © Jean Keller, A.P.S. et Motricité de l’Enfant, Vigot, Sport + Enseignement, 1996, page 27.

« La relation maître-élève est l'une des plus belles qui soient. Aucun ordinateur ne pourra s'y substituer. Le professeur est le témoin de la meilleure partie de nous-mêmes. Il nous transmet le goût de la connaissance et celui de la critique. [...]. Une bonne relation maître-élève peut susciter des carrières entières. » © 1993 Palmarini, Le goût des études ou comment l'acquérir, Éd. Odile Jacob.

« Il n'y a pas un enfant identique à un autre. Chaque fois, c'est une sorte de livre qui s'ouvre avec de nouvelles lignes, de nouvelles pages, de nouveaux chapitres. Et cela est un ressourcement absolument extraordinaire. » © Michel Lemay.

« Il y a deux voies royales pour comprendre le monde intérieur de l'enfant, et ce n'est pas le langage. C'est très certainement le dessin, mais aussi le jeu. Par ces biais-là, l'enfant nous dit souvent beaucoup plus de choses que par le verbal. » © Michel Lemay.

« Parler à l’enfant, c’est l’inscrire dans l’ordre humain. Celui-ci est symbolique, mais aussi imaginaire. » © Irène Krymko-Bleton.

« L'enfant a toujours l'intuition de son histoire. Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit. » © Françoise Dolto.

« Toute production motrice est destinée à faire parler. » © Françoise Dolto.

« L'aventure motrice aboutit à l'appropriation d'un espace symbolique. » © François Brunet.

« Le monde humain est précisément plus que la simple reconnaissance des symboles, si profondément qu'ils pénètrent dans la dynamique du corps. » © Gisèle Pankow et Aubier Montaigne.

« Il n'y a pas de miracle, l'enseignant ne peut changer complètement le scénario d'un enfant, il peut éviter de l'aggraver. » © Claudie Ramond,  tiré du livre de Denis Vayre, Le VTT à l'école, Éditions Vigot, Collection Sport + Enseignement, 1994, page 39.

« Ne vous inquiétez pas si les enfants ne vous écoutent pas, inquiétez-vous du fait qu'ils vous observent tout le temps. » © Robert Fulghum.

« Une éducation éclairée devrait mettre l'accent sur l'interdépendance qui règne entre les hommes, les animaux et notre environnement naturel, pour que l'enfant acquière une vision holistique du monde qui l'entoure et contribue de manière constructive à la société dans laquelle il évolue en mettant davantage l'accent sur la coopération que sur la compétition, et sur la sollicitude que sur l'indifférence. » © Matthieu Ricard, Une prédisposition au bien, Blog, le 7 juillet 2015. 

« On stimule trop la compétitivité entre les enfants... Tout le monde parle de paix mais personne n'éduque à la paix. Les enfants sont éduqués à la concurrence et la concurrence est la première étape vers la guerre. » © Pablo A. Lipnizky.

« On est en train de courir le plus vite possible dans la pire des directions : la direction de la compétition, la direction de la destruction des uns par les autres. [...] pour devenir moi, j'ai besoin du regard de l'autre, j'ai besoin de tisser des liens avec lui. Dès que je suis en compétition avec lui, je ne tisse plus de lien et par conséquent je suis en train de me suicider [...] toute compétition est un suicide. » Albert Jacquard.

« Un adulte créatif est un enfant qui a survécu. » © Ursula K. Le Guin.

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