http://education.francetv.fr/videos/les-chants-de-maldoror-de-lautreamont-v113094
Vous, qui me regardez, éloignez-vous de moi, car mon haleine exhale un souffle empoisonné. Nul n'a encore vu les rides vertes de monfront; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur. Et, quand je rôde autour des habitations des hommes, pendant les nuits orageuses, les yeux ardents, les cheveux flagellés par le vent des tempêtes, isolé comme une pierre au milieu du chemin, je couvre ma face flétrie, avec un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées : il ne faut pas que les yeux soient témoins de la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi. Chaque matin, quand le soleil se lève pour les autres, en répandant la joie et la chaleur salutaires dans toute la nature, tandis qu'aucun de mes traits ne bouge, en regardant fixement l'espace plein de ténèbres, accroupi vers le fond de ma caverne aimée, dans un désespoir qui m'enivre comme le vin, je meurtris de mes puissantes mains ma poitrine en lambeaux.
La rupture avec le monde: de l'infra-humanité à la sur-humanité
- un être différent: non humain}"je rôde autour des habitations des hommes"/ "Qd le soleil se lève pour les autres",Tous les phénomènes d'opposition et d'antithèses: opposition habitation/caverne + opposition chaleur-lumière/froid obscurité "matin soleil-nature-joie-chaleur"/ "ténèbres_fond de ma caverne-désespoir". Renvoi à une humanité passée "quand j'avais sur la tête des cheveux d'une autre couleur"?
- un être isolé: image de la pierre+ pierre monde hermétique degré minéral de la vie immobile mais posée sur un chemin}lieu de passage qui va qque part. Opposition entre le singulier du narrateur et le pluriel de la communauté humaine:"Vous/me", "Je/des hommes" , "les yeux/moi", "les autres/je"
- un être souffrant: champ lexical de la souffrance:"cheveux flagellés", "flétrie""un morceau de velours, noir comme la suie qui remplit l'intérieur des cheminées"}image du deuil, la couleur du deuil l'enveloppe, cette couleur est renforcée par la comparaison elle même développée par la proposition subordonnée relative qui renvoie à "l'intérieur des cheminées" (enfermement+ obscurité/caverne+ espace plein de ténèbres), "désespoir", je meurtris", "poitrine en lambeaux"
- un être orgueilleux: un être maudit: laideur que l'être suprême .../ souffle empoisonné+ impératif "éloignez-vous"/ "il ne faut pas que les yeux"}les hommes sont définis par métonymie par leus yeux= phénomène qui les réduit à n'être qu'un regard alors que dans le même temps la présence du personnage s'accroît"la laideur que l'Etre suprême, avec un sourire de haine puissante, a mise sur moi" (Etre suprême+ antithèse "sourire/ haine"+ dernier mot de la phrase "moi". On note aussi que l'adjectif "puissante" est repris à la fin et que cette puissance semble commune à l'être suprême comme au narrateur), occurences multiples des formes de la première personne: un personnage au-delà de l'humain
Un autoportrait poétique
- un regard sur soi hyperbolique:les phénomènes d'amplification, d'exagération, d'accumulation: "Nul n'a encore vu les rides vertes de mon front; ni les os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres, que je parcourus souvent, quand j'avais sur ma tête des cheveux d'une autre couleur": ne/ni/ou/ou + conjonctions "yeux ardents"+ présence des éléments qui donnent une dimension à la fois inquiétante et fantastique au narrateur: pendant les nuits orageuses/le vent des tempêtes}
- une impossible description: le champs lexical du corps et son détournement poétique: rides vertes de mon front, os en saillie de ma figure maigre, pareils aux arêtes de quelque grand poisson, ou aux rochers couvrant les rivages de la mer, ou aux abruptes montagnes alpestres,sur ma tête des cheveux d'une autre couleur,yeux ardents/qui brûlent, les cheveux flagellés, ma face flétrie, mes puissantes mains ma poitrine en lambeaux.} recours aux images:comparaisons:" pareils aux", "comme " ,"comme la suie", "comme le vin", beaucoup de ces images visent à caractériser le narrateur et témoignent de son caractère fantastique et de la dimension impossible de la description/ nul n'a encore vu/il ne faut pas que les yeux: on relève les associations entre l'humain et la nature (arrête des poissons, rochers/mer, montagnes, flétrie renvoie au végétal, "pierre" au minéral à nouveau+ des lignes verticales "abruptes montagnes alpestres"( sonorités heurtées: bilabiales "p","b"+"r"+dentales "t"), horizontales: la mer: on ne sait comment se représenter le personnage alors que le texte relève de l'autoportrait.
- un chant : adresse au lecteur/titre+ texte rythmé par de longues séquences (cf découpage couleur du texte) qui donnent un caractère essoufflé à l'ensemble Ainsi le texte, même s'il est écrit en prose, repose sur une forme de poésie, un travail du langage qui déroute le lecteur.