Le Magasin pittoresque

Après sa rupture avec les Saint-simoniens, Édouard Charton connut, à la fin de l’année 1831, une période très difficile qui ne s’acheva qu’en 1833 quand il eut l’opportunité de commencer sa longue carrière de publiciste et de Directeur de publication avec le lancement du Magasin pittoresque.

Une publication au service de l'éducation

En janvier 1833, Charton écrit à Emile Souvestre :

"On m'a embarqué dans la direction d'un petit journal à gravures hebdomadaire le Magasin pittoresque à 2 sous qui doit paraître dans le courant de février. De mon lever à mon coucher, bureau, rédacteurs, dessinateurs, graveurs, ennuis laborieux, m'assiègent, me piquent, me taquinent... Je me sens vieillir sans rien faire. Ce qu'il y avait eu de moins commun en moi s'est évaporé…" (il n’a que 27 ans !) Si mon Magasin prend, je vous appellerai à mon secours, mais il faut que vous voyez les premiers numéros pour juger de l'esprit. De si beaux projets, si bons au cœur, perdus peut-être… Si le Magasin languit, tant mieux, je le quitte et me replonge en moi. J'aime mieux, je le redis, mes soliloques douloureux que tous ces mouvements affairés improductifs.."

Élevons l’esprit de nos concitoyens et l’on verra commencer le véritable règne de l’égalité; vous par vos vers,

moi par le Magasin pittoresque, nous aurons, je l’espère, contribué à cette grande tâche, la seule qui me paraisse préparer avec sûreté l’émancipation du peuple. Édouard Charton à un disciple de Béranger

"À vingt ans, étant déjà inscrit sur le tableau des avocats à Paris, libre de mes résolutions, très exempt de préjugés, j'avais conçu le projet de me faire instituteur primaire, et je suivis à cette intention, avec persévérance, les cours de l'école de la Halle aux draps, en m'aidant des conseils de MM. Francœur, de Moyencourt, Lourmand, Sarrazin, et de Lasteyrie. Quel était mon mobile pour viser à cette simple profession? Celui-là même qui fait que tel autre va exposer sa vie au loin pour y détourner des usages barbares et conquérir des hommes à la civilisation. Mon ambition eût été de contribuer de toute ma volonté, selon mes forces, à souffler dans quelques âmes de pauvres enfants les flammes de l'amour de leurs semblables, de la pratique de la justice et de la charité. Un ami (Léon Faucher) me fit cette objection: "Votre influence ne s'étendra pas bien loin dans une petite école; ne vaudrait-il pas mieux en fonder une beaucoup plus grande avec votre plume?" "Édouard Charton

L’ami, qui lui prodiguait ce judicieux conseil, était un peu plus âgé qu’Édouard Charton.

Léon Faucher était né à Limoges en 1803, et en 1831, il collaborait au journal le Temps.

L’ambition affichée dès le premier numéro est claire :

Le Magasin pittoresque, revue illustrée bon marché, a pour ambition d’intéresser et d’instruire, tout en les distrayant, ceux qui n’ont ni les moyens financiers ni les loisirs de le faire,

La publication a connu le succès dès son lancement.

Au commencement, plus de cinquante mille exemplaires sont vendus, et on évalue à cent mille le nombre d’exemplaires qui circulent dès la première année.

D’abord hebdomadaire, la revue devint mensuelle en 1850, après la promulgation, par l’Assemblée Législative, d’une loi sur la presse (loi du 16 juillet 1850) rétablissant le cautionnement et le droit de timbre.

Rançon du succès, l’administration du Magasin pittoresque est dans l’obligation dès la première année, d’attirer l’attention des souscripteurs sur les agissements d’escrocs qui encaissent indûment le montant des abonnements au Magasin pittoresque.

Autre signe tangible du succès et de la notoriété, le vaudeville! Un an après le lancement du Magasin pittoresque, le Théâtre des Variétés présenta une Revue satirique en quinze tableaux, intitulée “Le Magasin pittoresque”.

Quelques lecteurs de renom

Balzac possédait le Magasin pittoresque dans sa bibliothèque

George Sand fut lectrice assidue comme en témoignent ces deux courriers, écrits à plus de trente-cinq ans d’intervalle: "J'espère, que le Magasin pittoresque, cet amusant et infatigable vulgarisateur des merveilles de l'art et de la nature, se mettra en route un beau matin pour nous rapporter quelques échantillons de premier choix des oliviers de Majorque." George Sand vers 1838

"Depuis l'année 1873 inclusivement c'est-à-dire à partir du premier janvier 74, on a cessé de nous envoyer le Magasin pittoresque. Nous avions la collection complète et nous tenions à continuer...".George Sand 1875

Le dessinateur suisse Töpffer le père de la bande dessinée fut un lecteur enthousiaste, avant d’y apporter sa contribution.

Le Magasin pittoresque fut même à l’origine de vocations comme par exemple celle de l’égyptologue

François Joseph Chabas (1817-1882), négociant en vins à Châlons-sur-Saône, découvre l’égyptologie, en 1852, dans le pittoresque, grâce aux articles de Nestor Lhôte. Cette lecture l’incita à commencer, à 35 ans, une carrière d’égyptologue.

On cite Émile Zola, Baudelaire, Manet...

L’origine des articles

Pendant cinquante ans, période qui correspond à la première série ( tomes 1 à 50, publiés de 1833 à 1882), les articles ne sont pas signés et seuls figurent les noms des auteurs des pensées ou des poèmes cités.

Tous les textes furent publiés sous la responsabilité d’Édouard Charton, responsabilité qu’il partagea pendant les quatre premières années avec Euryale Cazeaux.

Outre Reynaud, Souvestre, Carnot, Cazeaux et Charton, de nombreux collaborateurs sont issus au début des rangs des Saint-simoniens comme Fortoul, Aicard, Joncières, Transon, Alby, Urbain, Alexandre de Saint-Chéron qui avait épousé la fille de Bazard, Morville, secrétaire d’Enfantin, et Pauline Roland.

En 1883, commence une deuxième série, les tomes sont numérotés annuellement à partir de 1. Il n’y a pas de changement dans le nombre de pages ni dans la présentation générale de la revue, mais tous les articles y compris ceux d’Édouard Charton sont signés.

On connaît les noms des collaborateurs de la première série par des listes publiées avec les index, sans lien avec les articles. Une première liste, en forme d’énumération, paraît dans l’avertissement d’Édouard Charton daté du 31 décembre 1837. Il y annonçait le retrait d’Euryale Cazeaux. Édouard Charton cite plus de quarante noms, avec une mention spéciale pour Jean Reynaud, directeur de l'Encyclopédie nouvelle, auteur de plus de la sixième partie du volume que nous offrons au public.

D’autres listes suivront, toujours sans lien avec les articles, aussi n’est-il généralement pas possible d’associer un texte à un auteur, sauf lorsqu’on a la possibilité de faire des recoupements.

Töpffer et Delacroix, deux hommes d'image ont collaboré avec leur plume.

George Sand a collaboré au Magasin, bien que son nom ne figure dans aucune des listes de collaborateurs. Ce que confirment quelques échanges de correspondances :

"Cher ami… Je vous envoie un manuscrit qu'il faut que je vous explique. Cela fait partie du roman de Daniella qui est en cours de publication dans la presse… Si vous en voulez l'étrenne, prenez les… Seulement je crains que ce dernier chapitre ne soit épuisé pour le Magasin pittoresque et que l'autre ne rentre trop dans nos articles Jardins en Italie... Si vous n'en voulez pas, je vous ferai autre chose..... Il faudrait que cela parût dans le Magasin bientôt.....À vous de cœur et merci, cher et brave ami." George Sand lettre à Édouard Charton février 1857

La même année, George Sand informa Édouard Charton, par courrier, qu’elle avait envoyé à M. Grandsire un article pour accompagner dans le Magasin, les charmants de la Creuse… Il y a bien, dans le Magasin pittoresque de 1858, deux articles non signés, illustrés par Grandsire, sur la Creuse, cette rivière chère à George Sand

Outil de vulgarisation des connaissances artistiques et scientifiques

Autres sujets

Cette revue encyclopédique ne traite pas directement de politique ni d'actualité mais elle publie des articles dans la droite ligne des publications des sociétés philanthropiques où Charton a fait ses premières armes.

L'homme du Magasin pittoresque

Édouard Charton a été directeur et rédacteur en chef du Magasin pittoresque pendant cinquante-six ans.

Pendant toutes ces années, sa contribution personnelle fut très importante, il rassembla des documents, rédigea des notes et des articles, choisit des illustrations. Véritable chef d’orchestre, il utilisa et mit en valeur les compétences de plusieurs générations de rédacteurs, dessinateurs et graveurs.

L’évolution du Magasin pittoresque est intimement liée à la vie d’Édouard Charton, comme il le reconnut lui-même lors du lancement en 1882 de la deuxième série du Magasin pittoresque

L’adolescence de la revue : Une première période (1833-1851) est influencée par la contribution de jeunes collaborateurs Saint-simoniens. La publication, toute imprégnée de philanthropie, reflète l’enthousiasme et le désordre de la jeunesse.

En 1848, les équipes se dispersent un peu mais la ligne reste, c’est une période charnière qui annonce une période de maturité et de sagesse peut-être un peu imposée par les évènements.

Le temps des nouvelles inédites et des articles culturels : Cette deuxième période (1852-1870) est marquée par la prudence et la réserve. Édouard Charton, opposant au Second Empire souhaite continuer son œuvre éducatrice auprès du peuple, et pour le faire, il s’impose des contraintes, au premier rang desquelles ne rien publier qui soit de nature à interrompre la parution du Magasin pittoresque.

Les textes à inspiration philanthropique (économie, sociologie) ont disparu. Il a lancé, en 1851, l’Almanach du Magasin pittoresque, qui doit traiter une fois par an des questions plus actuelles. On peut noter certaines petites évolutions à partir de 1861, lors de la libéralisation du régime de Napoléon III.

L’essoufflement : En 1870, lorsque l’Empire s’effondre, Édouard Charton a déjà soixante-trois ans et, malgré un retour sur des sujets abandonnés pendant l’Empire, comme par exemple, la question de l’Enseignement, le Magasin pittoresque vieillit peu à peu avec lui.

Avec l’âge, l’inspiration saint-simonienne et surtout philanthropique généreuse s’est émoussée pour laisser la place au moralisme. La contribution personnelle du Rédacteur en chef sous la forme d’anecdotes ou de souvenirs de jeunesse accentue sans conteste ce caractère vieillissant.

En 1888, l’aventure est terminée pour Édouard Charton qui s'éteindra deux ans après avoir quitté ses fonctions,en rupture avec les propriétaires.

Édouard Charton, à l'origine de L'Illustration

La "Reine des revues"

Charton a découvert le modèle anglais l' Illustrated London News, une revue d'actualité à succès, à l'occasion d'un voyage à Londres en 1842. L'idée de créer une revue basée sur le même principe est lancée. Quatre hommes participent à l'entreprise, Édouard Charton, Alexandre Paulin et Jacques-Julien Dubochet, libraires éditeurs et Adolphe Joanne. Charton devait en être le rédacteur en chef, tout en conservant ses fonctions au Magasin pittoresque se retire à la fin de la première année.Le premier numéro du journal n'était pas encore sorti que Charton commençait à avoir des craintes, des doutes et des scrupules. Cette revue ne va-t-elle pas porter préjudice au Magasin pittoresque?

Il ne peut pas abandonner Paulin et Dubochet qui ont créé la société, avant avoir "tout fait pour qu'ils puissent continuer à publier leur journal". Mais en se retirant il ne serait plus en position d'éviter la confrontation entre L'Illustration et le Magasin pittoresque.

Il en arrive, dans une lettre à son confident Jean Reynaud à regretter d'avoir eu cette idée : "Plût à Dieu que je n'eusse pas songé à ce journal et que j'eusse laissé venir les imitateurs de l'oeuvre anglaise!"

Le premier numéro sort le 4 mars 1843, Charton quitte L'Illustration en décembre de la même année non sans avoir imprimé son style : "On le répète depuis longtemps, les choses qui arrivent par l'oreille sont moins faciles à retenir que celles qui arrivent par les yeux." (avant-propos du premier numéro-1843)

Il a choisi Le Magasin pittoresque, mais son rôle a été déterminant dans le lancement de ce grand journal d'actualité illustré comme le confirme l'article qui lui a été consacré, après sa mort dans l'Illustration du 8 mars 1890

La collection du Magasin pittoresque, publié jusqu'en 1917, 1918 est consultable, en ligne, sur Gallica

Compléments sur le Magasin pittoresque : Rendez vous sur le nouveau site

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