A. Lagarde Fouquet présente Ed Charton et son oeuvre
Gravure publiée dans 'Histoire du Saint-simonisme'-Charlety (Hartmann) 1931 (coll. A C Lagarde).
Diplômé et inscrit au Barreau de Paris en 1827, il ne s’engage pas dans la carrière d’avocat qui ne l’attire pas, il continue à mener l’existence d’un étudiant pauvre, vivant de sa plume.
Sa personnalité est définitivement marquée par ces années de jeunesse :
Souvenir d'une gravure de son enfance, le tableau de Cébés
La découverte du Philosophe Inconnu
Son engagement au sein de sociétés philanthropiques
L’expérience malheureuse du Saint-simonisme
Il est riche d’amitiés durables et fructueuses avec des hommes de talent, constituant un solide réseau au service d’un idéal commun.
Portrait de Saint-Martin publié dans Le Magasin pittoresque 1847- p. 216 (Coll. A-C. Lagarde)
Sa rencontre avec les Saint-simoniens est-elle réellement le fruit du hasard comme il semble vouloir nous le faire croire dans le texte plein de mélancolie romantique témoignage très personnel de son expérience au service du saint-simonisme “Mémoire d’un Prédicateur Saint-simonien”?
Ainsi, seul le hasard ou la providence ont voulu qu’Édouard Charton, logeant sur les lieux d’une réunion de Saint-simoniens, découvrit ses chefs et la doctrine qu’il allait quelques mois plus tard s’employer à propager par l’écriture et par la prédication.
Hippolyte Carnot confie y avoir amené Édouard Charton: "J'amenai successivement au Saint-simonisme plusieurs de mes amis, particulièrement Édouard Charton et le capitaine Hoart…" Hippolyte Carnot
Cette version est tout à fait vraisemblable mais nettement moins romantique.
Au moment où Édouard Charton rejoint l’École saint-simonienne, celle-ci est en pleine expansion trouvant un écho auprès de nombreux jeunes gens, pour la plupart des étudiants. Certains n’étaient en quête que de spiritualité, d’autres cherchaient des idées nouvelles pour l’organisation de la Société, d’autres enfin voulaient concilier les deux.
À la fin de 1828, les Saint-simoniens avaient décidé d’organiser des séances publiques qui eurent un tel succès qu’ils durent organiser les suivantes dans une salle publique et, tout le long de l’année, les cours eurent lieu dans une salle de la rue Taranne. Édouard Charton s’était contenté d’assister aux conférences, puis un jour, Gustave d’Eichtal lui rendit visite pour l’inciter à s’engager.
"Je viens vous enlever… il est temps d’agir. Si vous croyez à la vérité de nos engagements prouvez-le par des œuvres. Laissez là vos occupations ordinaires qui vous glacent et émoussent toutes vos facultés." Gustave d’Eichtal cité par Édouard Charton
Le lendemain il se mit à la disposition de Michel Chevalier, au journal “Le Globe”.
Pendant trois mois, depuis neuf heures du matin jusqu’à deux heures après minuit, je travaillais assidûment, découpant, réduisant les nouvelles d’Europe, alors si mystérieuses, les discussions des chambres, alors si étonnantes, recevant pendant le jour les solliciteurs de recommandation et d’annonces, et pendant la nuit couvrant de signes bizarres des marges d’épreuves dans le cabinet de l’imprimeur, à la lueur rouge d’une lampe, à l’odeur lourde qui s’exhalait des presses. Sans la foi, c’eût été un rude et ennuyeux travail. Édouard Charton
Il fut promu "prédicateur", participant aux enseignements qui étaient donnés rue Taitbout. Il expose avec une grande sincérité les sentiments et les sensations qu'il ressentait à l'occasion de ces conférences. Hippolyte Carnot et d'Eichtal confirment qu'il fut un bon orateur.
Les textes de trois ans de prédications (1830-1832) ont été rassemblés et publiés en deux volumes sous la direction du Saint-simonien Émile Barrault, avec deux textes de Charton.
Le Monde (8 mai 1832)
Dégoût du Présent, Besoin d’Avenir (29 mai 1832)
Édouard Charton raconta avec humour, sa tournée en province
"J’ai fait œuvre d’apôtre dans les voitures, dans les hôtels, les cafés, sur les vaisseaux, j’ai prêché dans les salles de bal, de spectacle, de jeu de paume…"
Les deux prédicateurs Édouard Charton et Rigaud eurent de vifs succès personnels à Brest, à Lorient et à Nantes, mais l’accueil n’était pas toujours très amical : nous nous étions vus exposés à tous les soupçons, à tous les outrages…
À son retour de mission en Bretagne et Saintonge, Édouard Charton débarqua en plein drame. Il avait laissé une “Famille” unie, amicale, il retrouvait un groupe déchiré au bord du schisme.
Ernest Legouvé dans un texte consacré à leur ami Jean Reynaud écrit : " L'école saint-simonienne eut deux périodes très différentes. Rien ne ressemble moins à ses débuts que sa fin. Les folies de Ménilmontant, les costumes bizarres, les dénominations ridicules, les théories immorales aboutissant à une sorte de papauté d'Épicure, n'ont rien à faire avec les idées graves, humaines, qui servirent de drapeau à l'école naissante. Sa doctrine se résumait alors en un mot: Perfectibilité; son but, en une phrase: Amélioration morale, intellectuelle et physique des classes pauvres et laborieuses. Reynaud fut le défenseur ardent du premier programme, et l'ennemi terrible du second. Quand les doctrines généreuses se transformèrent en théories subversives, Reynaud les dénonça à l'indignation publique, dans une séance à la salle Taitbout, qui est restée célèbre."
La désillusion fut très grande pour Édouard Charton. Après un mois de souffrance et de désespoir, il se décida à la rupture : "Le 21 novembre, j’ai cessé de prendre part aux prédications, aux enseignements, à la rédaction du Globe, je me suis éloigné de toute hiérarchie saint-simonienne."
Les “dissidents” ne renièrent pas tous, leurs engagements de jeunesse :
"Les Saint-simoniens, audacieux, ont cru édifier une religion nouvelle: ils se sont trompés, je le veux bien;
Quoiqu'il en soit, éclaireurs du progrès, ils ont fait une exploration hardie vers un monde ignoré... Je me félicite, en ce qui me touche d'avoir passé par l'École saint-simonienne… " Hippolyte Carnot
George Sand s’intéressa au saint-simonisme, tout en gardant ses distances avec les Saint-simoniennes. Elle échangea une correspondance à ce sujet avec Adolphe Guéroult et elle fut amie de Pierre Leroux qui l’initia, par la suite, au socialisme.
C’est dans ce cercle qu’Édouard Charton eut l’occasion de rencontrer et de se lier avec George Sand.
Édouard Charton sortit de cette l’aventure, meurtri mais plus mûr et riche d’amitiés et de relations qu’il sut conserver et cultiver toute sa vie.
Accéder à son livre : Mémoires d'un prédicateur saint-simonien (Gallica)