L’abbaye Saint-Victor de Marseille

L’abbaye Saint-Victor de Marseille a été fondée au Ve siècle par Jean Cassien, à proximité des tombes de martyrs de Marseille, parmi lesquels saint Victor de Marseille († en 303 ou 304), qui lui donna son nom. L'abbaye prit une importance considérable au tournant du premier millénaire par son rayonnement dans toute la Provence. L'un de ses abbés, Guillaume de Grimoard, fut élu pape en 1362 sous le nom d'Urbain V. À partir du XVe siècle, l'abbaye entama un déclin irrémédiable.

Depuis plus de 1 500 ans, Saint-Victor est un des hauts lieux du catholicisme dans le sud de la France, et bien que le monastère ait été démantelé à la Révolution, l'église reste toujours utilisée.

En 1968, le maire de Marseille Gaston Defferre fait replacer dans les cryptes de l’abbaye la riche collection de sarcophages de la fin du IVe siècle à la première moitié du Ve siècle que contenait l’église[1]. Ces sarcophages étaient précédemment exposés au musée du château Borély. Ce transfert fait de l’abbaye de Saint-Victor le musée d'art chrétien du premier millénaire le plus important en Provence après celui d’Arles[2].

 

 

 

Les premiers établissements chrétiens [modifier]

Le site d'une nécropole grecque et romaine [modifier]

L’église abbatiale est bâtie sur l'emplacement d’une ancienne carrière exploitée à l'époque hellénistique. La galerie à ciel ouvert atteignait sa plus grande profondeur à l’aplomb de l'actuelle chapelle Saint-André, située dans la crypte de l'abbaye sous la tour d'Isarn, où se trouve l'entrée actuelle[3]. Cet emplacement sert ensuite à l'époque grecque et romaine de lieu de sépultures s'étendant sur une zone assez vaste et devient le troisième lieu de sépultures de la ville, sur la rive sud du Vieux-Port. Le nom de la rue Sainte conserve le souvenir de cette implantation[4]. Plusieurs sites ont été découverts non seulement sous et autour de l'abbaye mais également à proximité du bassin de carénage où des tombes ont été trouvées au cours de la réalisation de ce plan d’eau et de la gare du tunnel Prado-Carénage[5].

Les signes d'un culte chrétien au IVe siècle

Épitaphe de Volusianus et Fortunatus.

Sur ce site, occupé par cette vaste nécropole, est établie une fondation paléochrétienne en partie rupestre qui aurait pu recevoir les corps de martyrs[6].

D'après Grégoire de Tours, les débuts de la mission chrétienne en Gaule remontent au milieu du IIIe siècle. Les travaux les plus récents des historiens confirment cette présence active des chrétiens à partir du IVe siècle à Marseille, et placent les citations de la venue de Marie-Madeleine, de Lazare ou des martyrs des premier et deuxième siècles au rang des légendes[7] , [8].

Le dépôt lapidaire qui occupe l'ancienne sacristie de la crypte de Saint-Victor contient une plaque de marbre retrouvée en 1839[9] sur laquelle figure une inscription célèbre, incomplète sur ses deux bords. Celle-ci fait l’objet d'une controverse depuis de nombreuses années, car elle peut, selon l'interprétation, démontrer l'ancienneté du martyrologe marseillais.

Deux hypothèses ont été envisagées selon la restitution proposée pour le texte manquant. Pour certains, il s'agirait d’une inscription chrétienne rappelant le martyre de Volusianus et Fortunatus ayant péri par le feu durant la persécution de Dèce au milieu du IIIe siècle[10]. Le symbole de l'ancre que l'on trouve était l'un des signes adoptés par les chrétiens, et les formules employées ne permettraient pas de doute[11]. Pour d'autres historiens plus récents, il s'agirait simplement d'une inscription commémorant la mémoire de deux marins victimes d'un naufrage[8].

Dans ce cimetière paléochrétien aurait pu être enterré saint Victor. Ce personnage, aussi célèbre que mal connu, serait un officier chrétien mis à mort vers 290 sur ordre de l'empereur Maximien[9]. Certains repoussent la date de son martyre au 21 juillet 303 ou 304[12].

Premières constructions du Ve siècle [modifier]

L'Église marseillaise se structure au tout début du IVe siècle ainsi qu'en témoigne la présence d'un évêque de Marseille, Oresius, au Concile d'Arles en 314. L'un de ses successeurs, Proculus ou Procule (380-430), construit un bâtiment constitué par l'actuelle chapelle Notre-Dame de la Confession et l'Atrium et qui sera transformé au XIe siècle en crypte par l'édification de l’église abbatiale. L'axe général de cette construction est nord-sud, donc perpendiculaire à l'orientation est-ouest de l'église supérieure actuelle. Une restitution de ce monument paléochrétien a été proposée par Michel Fixot[13]. Proculus veut ainsi affirmer le rôle prééminent de Marseille face à Arles pourtant principale place religieuse de la province Viennoise, au sein du duché de Bourgogne. Cette rivalité religieuse et politique entre Marseille et Arles va marquer l'histoire de Saint-Victor jusqu'à l'intégration de la Provence dans le royaume de France au XVe siècle, à la mort du roi René.

Selon la tradition, le monastère est fondé par Jean Cassien. Après un long séjour auprès des moines anachorètes d'Égypte, il débarque à Marseille en 416, amené sans doute par Lazare, évêque d'Aix qu'il aurait rencontré l'année précédente en Palestine au concile de Diospolis. Cassien reste à Marseille jusqu'à sa mort entre 433 et 435. Il rassemble des disciples et écrit d'importants ouvrages qui servent de règle de vie et de base de réflexion à ceux qu'attire le monachisme. Ainsi les instructions cénobitiques ou les conférences des pères[14]. Ses œuvres connaissent un fort retentissement et ont été recommandées par saint Benoît à ses disciples[15].

Article détaillé : Jean Cassien.

S'il n'est pas le créateur des monastères en Gaule, puisqu'Honorat d'Arles en avait fondé un à Lérins vers 410 ou saint Martin dans le Nord, comme Ligugé près de Poitiers (361) ou Marmoutier près de Tours (372), il est toutefois le premier à les situer en milieu urbain.

Il aurait fondé à Marseille deux monastères : un pour les femmes, l’abbaye Saint-Sauveur qui se situait au sud de la place de Lenche, l'autre pour les hommes au sud du Vieux-Port, l’abbaye Saint-Victor[16]. Pour certains historiens, l'emplacement exact de ces monastères n'est pas connu[17] ; ces installations sont possibles mais pas prouvées. En revanche, ce qui est certain, c'est l'élévation au Ve siècle sur le site de Saint-Victor d'un bâtiment de pèlerinage[18].

Leur vocation urbaine, leur visibilité, en ont rapidement fait des lieux de formation importants et prestigieux, contribuant à la renommée de la vie spirituelle de Marseille au Ve siècle. Les positions doctrinales, inspirées par le semi-pélagianisme, ont contribué à créer une véritable école des prêtres de Marseille et susciter de nombreux débats théologiques[19]. La richesse spirituelle de la ville, le retentissement de ses débats qui après les discussions soulevées par Cassien, portent sur les doctrines de Salvien de Marseille ; tout ceci se produit au cœur d'une cité qui continue à se développer au temps des barbares, au long du VIe siècle.

Déclin et abandon (VIIIe – milieu du Xe siècle) [modifier]

Après cette brillante époque, l’Église de Marseille entre dans une période de turbulences. Pendant les deux tiers du VIe siècle on ne peut citer les noms d'aucun évêque[20]. Après l’évêque Pierre, attesté au début du VIIe siècle, il n'y a plus aucun nom pendant un siècle et demi : c’est la preuve d'un désordre généralisé qui se répercute sur l'abbaye de Saint-Victor[21].