Les Carnets d'Autopsie de Minuit [8]
Les Carnets d'Autopsie de Minuit [8]
aller voir du côté de MINUIT,
L’AUTEUR EN NUMÉRO DOUZE.
Plus d’une fois, confronté à la figure de l’éditeur, l’auteur a été la proie d’un cruel et déchirant dilemme. Tel Numéro Douze, au chapitre 4 de Minuit,
naviguant entre deux eaux : participer à la vile aventure, c’est risquer de perdre, et ne pas y participer, c’eût été se perdre – propos dans tous les cas malsonnant – : entre le parti d’aller et celui de rester, quelque part entre le oui et le non –
plus d’une fois, face à la tutélaire bonne figure de l’éditeur, l’auteur n’a su quelle attitude adopter, tiraillé par ce que lui dictaient deux maximes contradictoires. L’une susurrait à son oreille que l’on achève bien les chevaux. L’autre, que l’on ne tire pas sur les ambulances.
À l’examen de la simple réalité – celle attestant qu’il ne se trouve plus d’ambulance pour voler au secours de l’éditeur –, de ce fait n’ayant pas d’ambulance à se mettre sous le poing pour décharger sa fureur, l’auteur se voit contraint à l’attitude que lui dicte la première maxime : abréger un tant soit peu, certes en modeste contributeur, l’agonie de l’emblématique figure de l’éditeur.
La mort dans l’âme, l’auteur s’est engagé dans la longue et vile aventure, le menant de la cave au grenier, d’AUTOPSIE DE MINUIT. Mordant la main qui ne le nourrit pas, l’auteur voit remonter à sa mémoire, en une déjà lointaine réminiscence, l'auguste maison d’édition. Grande pourvoyeuse, entre autres, de littérature au kilomètre, celle-ci n'en est pas moins une auguste maison d’édition : vénérable et très respectable bourgeoise, à l’automne de sa vie, ronde et riche de ses splendeurs passées, assoupie, langoureuse, octroyant à moindre coût, peu regardante, ses faveurs aux plus courtisans de ses courtisans.
S'il arrive à l’auguste maison d’édition de prodiguer ses charmes à celui qui n’est pas du nombre de ses courtisans, elle le fait dans un sombre placard. Plus tard, l’étranger nouvellement accueilli fera l'expérience, sans qu’elle ait daigné le lui signifier, d’aucune manière, que c’est à titre tout à fait exceptionnel qu’elle lui a fait les faveurs de ses faveurs, et que cela ne se reproduira pas de sitôt. Qu’il est devenu indésirable. Qu'elle n'a pas, elle, les pieds crottés de la province. Qu’ils ne sont pas du même monde. Puis, invariablement, elle reviendra à ses courtisans à l'ancienneté, et à eux elle se donnera encore, sans plaisir, offrira ses chairs fanées à ceux-là qui la dégraderont un peu plus, se servant d’elle, salissant encore ce qu’il reste de ses splendeurs passées. C'est ce que l'auteur a eu le plaisir d'apprendre à ses dépens.
À l’achèvement de Minuit, l’auteur se trouvait dans l’obligation – contractuelle – d’adresser le manuscrit à ladite maison d’édition. Le manuscrit arrivait donc entre les mains de l’Auguste Éditeur de Trois heures trente à feu vif. L’Auguste Éditeur, offrant ses services rémunérés à l'auguste maison d’édition, se trouve naturellement vouloir convoiter le titre si prisé de grand écrivain, ses nombreux livres, par le plus heureux des hasards, édités à compte d'éditeur au sein de la même maison d’édition. L'avis négatif était le premier coup porté à Minuit – certes, sachant que le parcours de Minuit ne serait pas de tout repos, l’auteur espérait ardemment un "oui" à la publication, mais pas n’importe quel "non". L'auteur a lu et relu les raisons du refus, raisons tronquées et bâtardes auxquelles, au premier abord, il n’a rien compris : à part un peu de psychologie sur les personnages, on a l’impression que le Nouveau Roman vient de renaître de ses cendres. Ce ne sont que descriptions géométriques des lieux, du tableau, avec une écriture très précise. L’auteur, dans un premier temps, attendant une réponse de lecteur de métier, n’a pas compris ce que à part un peu de psychologie sur les personnages et, surtout, le Nouveau Roman vient de renaître de ses cendres venaient faire là-dedans…
Puis, avec le temps, dans la petite provinciale tête de l’auteur, s’est forgé le germe d'une toute aussi petite et vague idée qui, au fil des mois, a suivi son cours. Plus tard encore l'idée a pris l'ampleur qui devait être la sienne, pour se présenter enfin sous sa forme définitive : déjà, en son temps, le même Auguste Éditeur, s'essayant à penser en lieu et place des auteurs de Trois heures trente à feu vif, avait qualifié le roman de parodie du Nouveau Roman, présenté comme tel dans les actualités de parution de l’auguste maison d’édition. Pour ce qui est de psychologie, l'auteur aurait aimé faire bénéficier l'Auguste Éditeur de ses conseils : lui dire qu'il est des obsessions qui sont si manifestes, si récurrentes, si agissantes sur la personne, que leur reconnaissance constitue déjà le plus grand pas vers une analyse réussie.
Coupant court à tout procès imbécile, l’auteur précise aujourd'hui qu’à aucun moment Minuit ne fait allusion aux éditions du même nom ni au type de roman dont elles se sont fait l’écho – même si le roman n’en renie pas l’héritage, loin de là. Le fait est que l’idée de douze figures marchant dans le cœur de la nuit, le long d’un rivage indéfini, allant vers quelque chose que l’on sent irrémédiablement être de l’ordre du crime, cette idée a vu le jour avant même que Trois heures trente à feu vif ne reçoive une réponse favorable à la publication. Très tôt, dans l’esprit de l’auteur, s’est imposée cette structure d’un récit dont le corpus se déroulerait sur une heure, une heure et pas une seconde de plus ; un récit commençant sur les douze coups de minuit – l’heure du crime –, comportant soixante chapitres – pour chacune des minutes –, et s’achevant sur le coup de une heure. Il est, dans l'arsenal de la langue, un vocable servant à désigner cet intervalle du temps mesuré, vocable auquel l'auteur s'est permis d'avoir recours pour former le titre de son récit : minuit.
Quoi qu’il en soit, point n’était alors besoin de tenter de convaincre : éditeur totalement absent – au propre comme au figuré –, jamais vu, jamais rencontré, pas même approché, avec lequel, par conséquent, l’auteur n’a jamais échangé le moindre mot, deux attachés de presse, au surplus, n'ayant manifestement pas lu une seule ligne de Trois heures trente à feu vif. Le courrier de refus de Minuit adressé à l’auteur par son propre éditeur se terminant par le très chaleureux et sans ambiguïté Selon l’usage, le manuscrit reste à votre disposition pendant un mois.
À cet instant, l’auteur n’avait pas encore conscience que celui-ci ne serait que le premier d’une longue série de coups assénés non pas à l’œuvre, ni même à l’auteur, mais à la personne. De purs et simples jugements de valeurs en guise de jugements critiques, ou bien la mise en avant, ici Minuit servant de pur et simple bouc émissaire, paillasson ou défouloir, comme il plaira, la mise en avant d’une interminable, larvée, maniaco-dépressive, désuète guéguerre d'alcôve – d'arrière-garde littéraire. L'auteur avait été placé au centre d'un champ de bataille d'un autre temps – "le Nouveau" contre "l'Ancien" roman –, oublié de tout le monde, et dont il n'avait rien à faire. Mais, dans ce même instant, l’auteur voulait encore croire qu’il était possible à tout écrivain d’aller à la rencontre du lecteur. Qu’il était, lui, à même de connaître un épilogue autre que celui de Numéro Douze, voué qu’à n’être la proie du doute et de l’incertitude, finalement renvoyé sans appel ni rémission à la salle des pas perdus (Minuit, Épilogue)…
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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, huitième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le jeudi 12 juin 2008, 6 heures et 16 minutes (a.m.), heure de Buenos Aires, Argentine (par la force des choses UTC/GMT -3)]