Les Carnets d'Autopsie de Minuit [4]
Les Carnets d'Autopsie de Minuit [4]
aller voir du côté de MINUIT,
AU DÉBUT ÉTAIT LE VERBE… [II]
Sur les limites de l’incipit, la question n’est pas tant de savoir où il commence. Encore que la réponse n’est pas aussi évidente qu’il y paraît. Chez Simenon, par exemple, l’incipit est presque toujours poussé au paroxysme de sa fonction première, figurant l’irruption de la parole, brute : lorsque s'ouvre la première page, on est déjà au cœur de la fiction (Maigret a peur), avec un mouvement, un dialogue, un geste en cours d'accomplissement, saisi dans un instant donné, procédé on ne peut plus moderne :
Tout à coup, entre deux petites gares dont il n’aurait pu dire le nom et dont il ne vit presque rien dans l’obscurité, sinon des lignes de pluie devant une grosse lampe et des silhouettes humaines qui poussaient des chariots, Maigret se demanda ce qu’il faisait là.
Le lecteur reçoit les premières impressions d’emblée, une pluie battante d'impressions, il la reçoit avec d’autant plus de vigueur qu’il vient d’entrer de plain-pied dans un récit déjà commencé, qui lui avait été sciemment tenu extérieur. Comme si l’auteur, à ce moment-là, dans un moment choisi par lui seul, lui en avait ouvert la porte. Mais avec, dans ce cas précis, un petit détail : le titre de ce premier chapitre : Le petit train sous la pluie ; il indique le contexte et qualifie de manière déterminante la tonalité des premières lignes, faisant du coup partie, lui-même, de l'incipit.
La question n’étant pas de savoir où commence l’incipit, elle est en réalité de savoir où il s’arrête : est-ce que l’incipit est constitué de la seule première phrase – aussi courte soit-elle –, inclut-il tout le premier paragraphe, ou bien, pourquoi pas, une première partie ? Dans tous les cas, toute délimitation de l’incipit renfermera un caractère arbitraire.
Il n'est pas difficile d'imaginer une suite de paragraphes, ou tout un chapitre, voire une suite de chapitres qui constituerait l'incipit. Dans Minuit, pour leur auteur, les cinq premiers chapitres ne font rien d'autre que constituer les fonctions de l'incipit. L'ensemble des éléments qui vont être amenés à œuvrer dans l'ensemble du roman fait, à cet endroit du texte, son apparition : les douze marchant, le milieu de la nuit, la Villa M. et le tableau. Éléments accompagnés de leurs indéfectibles attributs : pour les douze, couvre-chefs, pardessus, toux, cigarettes, cliquetis d'acier, anonymat et secret ; pour la nuit, brume et froid ; pour la Villa M., le caractère festif et la part d'un secret supposé bien gardé ; pour le tableau, un temps – a priori – révolu, un peintre, et, ici aussi, le sceau du secret.
Dans les cinq premiers chapitres, Minuit se construit donc autour de trois thèmes – à la manière de thèmes musicaux. Le premier, c’est celui des douze avançant à la faveur de la nuit ; le deuxième, celui d’un tableau hors du commun dont on a perdu toute trace sitôt achevé ; le troisième thème étant formé par un lieu. On comprend très vite que les trois thèmes vont immanquablement converger en un seul point, à savoir : qu’au moment où commence le récit, le tableau disparu se trouve dans le lieu – une merveille d’architecture, caprice venu on ne sait de qui nommé Villa M. –, lieu vers lequel précisément se dirigent les douze.
Ce premier groupe de cinq chapitres, concourant, d'une seule et même voix, au creusement des fondations du récit, c’est ce que l'auteur est tenté d’appeler le sous-incipit. Comme le sous-titre pour le titre, il prolonge, précise dans certaines limites convenues par lui seul, en appuyant sur un – ou des – détail(s), en mettant en lumière les éléments choisis, et à l'exclusion de tout autre, il prolonge le sens initié par l’incipit. S'il s’en tient donc à la définition selon laquelle l’incipit devrait constituer la chrysalide renfermant le livre à venir, alors le chapitre 2, puis le 3, puis le 4, enfin le chapitre 5 de Minuit en sont : tout ce qui va suivre sera la déclinaison de ce début.
À moins que chaque texte ne soit, dans son entier, chaque fois recommencé, en de multiples essais, se déclinant en un nombre infini de variations, chaque texte un incipit de la Littérature...
Quant à lui, à l'instar de la rose, Minuit commence à laisser voir le frémissement de sa corolle, prémisse à l'épanouissement du voile léger, la peau duveteuse de ses pétales extérieurs. Quant à elle, la fleur d'AUTOPSIE DE MINUIT libère, depuis un temps déjà, une gracile note de tête, un tantinet enivrante. Contre toute attente, la note de fond – l'odeur qu'AUTOPSIE DE MINUIT a de plus tenace au ventre –, la note de fond se fait attendre, semble ne pas tenir les promesses d'une démesure annoncée, jusque là contenue, dont on n'attend plus la délivrance. Une délivrance qui, pourtant, et désormais, ne saurait plus tarder.
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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, quatrième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le mardi 27 mai 2008, sur le septième coup de 7 heures (a.m.), heure de San Francisco, U.S.A. (UTC/GMT -8)]