Les Carnets d'Autopsie de Minuit [13]
Les Carnets d'Autopsie de Minuit [13]
aller voir du côté de MINUIT,
COMMENT PARLER DE SES PROPRES COMPOSITIONS ?
Au stade présent d’AUTOPSIE DE MINUIT, tout porte à croire que l’auteur, par bonheur et jusqu’à nouvel ordre, l'auteur fait toujours partie du vivant et du commun des mortels. Qu'il semble tenir à cet état de faits et qu’à l’évidence il n’aura pas pris au pied de la lettre le propos d’Umberto Eco, propos selon lequel (Apostille au nom de la rose)
L’auteur devrait mourir après avoir écrit. Pour ne pas gêner le cheminement du texte.
Étant entendu, a contrario, qu’il est inutile et lourd de chercher des explications à tout et de gloser indéfiniment, qu’il est toujours utile, en la matière, de couper court à toute intrusion du très docte et sérieux discours professoral, et de dire, avec le sourire en coin et Pablo Picasso :
Quand je n’ai plus de bleu, je mets du rouge.
À cet exercice périlleux, Georges Perec s’est essayé et donné à cœur joie, expliquant dans un premier temps qu’il faut laisser l’œuvre libre de s’envoler de ses propres ailes :
Démonter un livre n’apporte rien,
et d’écrire ensuite, dans la foulée de la publication de La vie mode d’emploi, fournissant quelques pistes de lecture de son romans, Quatre figures pour La vie mode d’emploi.
Pour sa part, étant parfois généreusement pourvu, comme chacun, du don de l’ubiquité, l’auteur sait être, dans une certaine mesure, à la fois acteur et spectateur. Considérant dans la limite de ses capacités et possibilités, des angles et points de vue qui lui sont offerts, l’œuvre se bâtissant sous ses yeux. Il sait de ce fait combien, en cela mieux placé que quiconque – de par son statut étant naturellement posté de part et d’autre de l’œuvre –, il sait, si l’art est difficile, combien la critique est aisée.
L’auteur veut, avec humanité, sans professer, parler de ses modèles, de ce vers quoi il est naturellement porté, ce qui est de ses préférences : pour Minuit, il a pensé – et pense encore – au maelström d'Edgar Poe, à l’incessante mise en abîme des textes d'Italo Calvino, précisément à Marcovaldo, également pour sa limpidité, aux films Mélodie en sous-sol d'Henri Verneuil et Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville, en images omniprésentes, œuvrant en secret, depuis l'arrière. Le maelström (Histoires extraordinaires, Une descente dans le Maelström), pour l’invincible tourbillon qui entraîne et engloutit toute chose. Mélodie en sous-sol et Le cercle rouge pour les aléas de la communauté d'entreprise, et la fin en échec, et son lot de dérisoire – des personnages remis à leur juste place, qui en auront été autres le temps de leur action. Quelque chose aussi du Heat de Michael Mann, comme un point de tension et de force inatteignable, là-bas, loin, sublime. Les modèles ont agi en arrière, en permanence, n'ayant de cesse de se mettre à l’œuvre de Minuit et faisant, de ce fait, un travail de sape continuel sur tout ce qui ne devait pas en être. Car raconter, en écriture, comme en littérature, comme en cinéma, comme en peinture, en sculpture ou architecture, raconter c’est, plus qu’abonder, exclure. Cadrer et recadrer, recadrer sans cesse pour tendre au plus près du vif du sujet et exclure tout ce qui ne doit pas être. Rayer de la carte ce qui ne doit pas en être. D’où, de William Shakespeare (Hamlet), le
Être ou ne pas être, telle est la question.
Parler de ses propres compositions c'est, encore, taire ce que l’on veut laisser au lecteur : dans Minuit, par exemple, la voix qui s’adresse à chacun des douze, la fin du portrait de chacun des douze, en X. Pourquoi, l’auteur le sait-il lui-même, et quand bien même il le saurait – ce qui n'est pas impossible –, l’auteur en dévoilerait-il les raisons ? C'est là une part laissée aux bons et libres plaisir et cheminement du lecteur.
Au moment de l’achèvement de la rédaction du présent Carnet, la compagne de l'auteur envoyait sur un site de partage de courriers électroniques des Universités, le texte suivant, auquel elle joignait le lien vers AUTOPSIE DE MINUIT :
Avec la venue des beaux jours, et bientôt celle des vacances, rien de tel qu'un rien de lecture.
La première réaction arrivait deux jours après, en la personne d’un Très Docte Professeur de la Très Sérieuse Stylistique de la Littérature. Un commentaire portant sur AUTOPSIE DE MINUIT, par une personne apparemment peu encline à plaisanter, et arrivant à point nommé, ici en version telle quelle et intégrale :
Merci pour la suggestion, mais je ne peux pas aller plus loin que l'avis au lecteur : grossièreté inutile, confusion mentale, fautes de langue, parfois involontaires, suffisent à me détourner d'une entreprise aussi faible.
À cela, la compagne de l'auteur répondait par un
Bonjour, merci pour votre réaction, qui à vrai dire me laisse sans voix. Pourquoi réagir de façon insultante ("entreprise aussi faible") ? Cette façon de faire, qui n'est pas propre à votre personne mais à ce "milieu", tue la littérature, et c'est justement ce que Fabrice Combes dénonce. Je suis chercheur en sciences dites dures, avec un esprit critique développé car c'est le propre du métier, mais je respecte le travail des autres chercheurs, même si je n'adhère pas forcément à leur démarche. Pour information, le roman 3h30 à feu vif, du même auteur avec Gilles Moraton, publié par Gallimard en 2002, a pourtant été primé sur les conseils de M. Robbe-Grillet...
La réponse du Docte Professeur ne tardant pas à arriver, comme suit :
Mon métier est d'évaluer les produits de "littérature écrite", je trouve superflu d'accroître d'une ou de plusieurs unités pas terribles la masse de produits quelconques dont chaque année nous accable. Cela dit je comprends parfaitement le besoin d'expression personnelle dont beaucoup de mes contemporains sont affligés. Ce qui peut-être pourrait tuer la littérature c'est la mauvaise littérature. J'essaierai de lire le livre promu par Robbe-Grillet... Par ailleurs la production littéraire et la recherche en littérature sont deux choses assez différentes. Et si dans le champ des sciences dures la recherche exige méthode et procédures objectivées, dans le champ de la littérature, et de la création artistique, la subjectivité radicale est la règle. Ne voyez donc dans mes réactions que l'expression d'une pure subjectivité (sauf pour les fautes, ou inadvertances de langue, bien sûr).
À ce stade, l’auteur, d'entendement moyen, ressent le besoin, comme le lui a enseigné l'Université, de découper en de petites unités, tant elle est élaborée, riche et chargée de sens, la fine analyse du Docte Professeur. Ceci pour en faciliter la compréhension, chaque découpe considérée isolément. Voici donc, découpage et traduction à l'œuvre :
(…) je ne peux pas aller plus loin que l'avis au lecteur : grossièreté inutile, confusion mentale et entreprise (…) faible : étant un lecteur avisé, il ne M'est pas nécessaire d'aller plus loin que les trois premiers paragraphes, et d’ores et déjà Mon humble avis est fait. Et, sans aller plus avant, sans Me questionner un seul instant sur la possibilité d’un premier et/ou second degré, et/ou sur celle d’un quelconque sens métaphorique, ou bien sur une manière distanciée de quelque manière que ce soit, Je déclare : l’auteur est un débile mental. Car là est Mon droit : Ma condition, des plus remarquables, M’a conféré le triple zéro : le permis de chier. C’est pourquoi Moi, face à une telle entreprise, Moi, Docte Professeur de la Très Sérieuse Stylistique, dépositaire exclusif de l’alpha et de l’oméga de la Littérature, J'aime à reproduire à l'envi ce geste subtil : Je dégrafe mon pantalon, découvre Mon gros suffisant Saint Siège, et, allègrement, Je défèque sur tout ce que Je décrète ne pas être de la Littérature.
(…) fautes de langue, parfois involontaires : il M'eût été agréable de recevoir une rétribution – et montrer combien par là aussi Je suis marqué du sceau de l'infaillibilité – en tant que correcteur d’orthographe, mais mon employeur n’en a pas les moyens – situation des plus déplorables qui abandonne cette noble tâche aux médiocres.
Mon métier est d'évaluer les produits de "littérature écrite" : dans l’entreprise Littérature-Écrite-Avec-Guillemets, c'est à Moi qu'il incombe de dire ce qui vaut la peine d'être lu, et ce qui n'en vaut pas la peine : Je suis le responsable du contrôle qualité. C'est rien moins que Mon métier : Je perçois rémunération pour ça, y compris via la contribution financière de vulgaires smicards illettrés.
(…) je trouve superflu d'accroître d'une ou de plusieurs unités pas terribles la masse de produits quelconques dont chaque année nous accable et ce qui peut-être pourrait tuer la littérature c'est la mauvaise littérature : Je suis l’expert-comptable des unités de la Littérature. Il n’est que très peu de ces unités qui comptent en-dehors de celles dont Je suis le producteur et de celles sur lesquelles porte Ma glose. Nous : ceux de l'intelligence et du Savoir qui comptent, au-dessus de la masse, du pas terrible et du quelconque.
Cela dit je comprends parfaitement le besoin d'expression personnelle dont beaucoup de mes contemporains sont affligés : en tant que professeur, J’ai tout à fait droit à une tribune d’expression, et celle-ci M’est, qui plus est, source de rétribution. Mes contemporains – ceux que Je suis obligé de côtoyer –, ainsi affligés du besoin de s’exprimer, ne sont que méprisables. On devrait leur retirer tout moyen d'expression – en commençant par le medium électronique –, le cas échéant les castrer pour leur enlever toute capacité de se reproduire – solution qui, au final, éviterait l'engagement des frais d'une épuration de masse, et permettrait ensuite de ne plus entendre que la voix de Mon Excellence.
J'essaierai de lire le livre promu par Robbe-Grillet... : mais si Sa Sainteté le Pape (du Nouveau Roman) a dit, alors – en Mon âme et conscience, croyez-le bien – Je donnerai un tout petit peu de Mon temps très précieux pour jeter un petit coup d’œil, non pas au livre de Gilles Moraton et Fabrice Combes – Je Me déplais à prononcer le nom d’un de mes contemporains, ce serait condescendre à descendre au niveau du vulgaire –, mais au livre promu par Robbe-Grillet.
Par ailleurs la production littéraire et la recherche en littérature sont deux choses assez différentes : il M'arrive quelquefois de penser : ainsi, après bien des années, aidé en cela par la Docte Science du Marketing, Je Me rends compte tout à coup combien écrire une œuvre littéraire et parler d'une œuvre littéraire relèvent finalement de deux choses assez différentes – Me trouvant, pour Ma part, quant à l’usine de production Littérature, du côté de la Docte Recherche, J’ai peine à M’avouer que Je ne suis capable que de produits dérivés.
Et si dans le champ des sciences dures la recherche exige méthode et procédures objectivées, dans le champ de la littérature, et de la création artistique, la subjectivité radicale est la règle : n’y voyez surtout pas de jugement à l’emporte-pièce, mais Je pense qu’en Littérature on écrit n’importe quoi, juste ce qui passe par la tête, comme ça, dans le désordre, sans cohérence, sans méthode ni volonté de construction ou d’argumentation. Finalement : ce sur quoi Je Me penche, avec la discipline de la Docte Stylistique, est l'Aberration radicale elle-même.
Ne voyez donc dans mes réactions que l'expression d'une pure subjectivité (sauf pour les fautes, ou inadvertances de langue, bien sûr) : n’étant pas du commun, mais de la Docte Recherche – cependant m’exprimant de manière tout à fait incohérente, puisque Je suis sur le champ de la littérature –, Je suis totalement dispensé de présenter des excuses pour ma première réaction, empreinte de simples inadvertances excrémentielles.
Avant d'aller plus avant, l'auteur s'empresse ici de rectifier le tir et de dissiper tout malentendu : loin de lui, à des millions d'années-Lumières de lui de porter un coup à une Université déjà suffisamment mise à mal par le dénigrement perpétuel dont la douce France est depuis longtemps, et fatalement, devenue coutumière vis-à-vis de la recherche de l'excellence, véritable, vers laquelle, entre autres voies, porte celle de l'universelle institution. L'auteur veut simplement pointer du doigt, avec le lecteur, dans le cul merdeux du Docte Professeur, le lien de consanguinité qui unit cette figure indigne de l'universelle institution à cette autre misérable figure que chacun, à un moment ou à un autre, a été amené à croiser, toujours égale à elle-même : celle de l'érudit local. Cette même figure qui, elle aussi du fait de son odeur, ne pouvait que faire les frais d'un portrait tiré au cordeau, ici laissé aux bons soins de Gilles Moraton (La lithophage et autres portraits - essai de typologie impertinente des usagers des bibliothèques publiques) :
L'érudit local peut être retraité mais tous les retraités ne sont pas érudits locaux. Si l'érudit local est retraité, il a été érudit local avant d'être retraité, l'érudit local est érudit local avant tout : il méprise donc tout ce qui ne touche pas à l'érudition locale c'est à dire environ quatre vingt dix neuf personnes sur cent, les neuf dixièmes du fonds de la bibliothèque et tous ses employés sauf un, celui qui s'occupe du fonds local, à condition toutefois qu'il lui achète ses œuvres. L'érudit local a du mal à comprendre – avançons même que cela quitte les limites de son entendement – qu'il n'y ait pas sur terre que des érudits locaux, on pourrait enfin parler d'autre chose que de littérature ou de musique, mon dieu mon dieu, comme tout cela est trivial mais que voulez-vous, on ne peut pas forcer les gens non plus.
Dans le discours de l'intransigeant expert du style, qui d'ailleurs ne s'est à aucun moment frotté à quelque expérience de création que ce soit, dont on est donc en droit de se demander comment il peut savoir ce qu'écrire veut dire, dans son discours de haine, grâce lui soit rendue, on a atteint les plus hauts sommets de la bassesse, avec un condensé, comme rarement il a été formé, de lâcheté, de bêtise, et d’agressivité compulsives. Comme quoi – ce dont l’auteur s’est toujours prévalu –, un certain niveau de Savoir – encore que la nature dudit Savoir reste à définir –, un certain niveau de Savoir ne dispense en rien d’être con. Soit dit au passage, l'œuvre du ci-dessus nommé Alain Robbe-Grillet aurait mieux mérité que la double peine infligée, d'un côté par les viles courbettes d'intransigeants littérateurs universitaires réduisant ladite œuvre à une pure et simple doctrine, de l'autre par le concomitant et proportionnel mépris d'irrémédiablement indigents médias – lesdits médias, ce faisant, concourant à cette propension toute française qui consiste à ignorer, voire mépriser ou railler l'excellence, le travail et le talent, dans le seul but de mieux occulter l'étendue de leur médiocrité.
Ayant bien compris, l'auteur à la confusion mentale avérée, avant de prendre la plume, à l'avenir l'auteur consultera l'incontournable évaluation du méritant con pétant de la Stylistique, en lui soumettant son intention. Par ce strict préalable se conformant ainsi à la juste règle édictée par Saint Paul à l'adresse des personnes du sexe faible (Première épître aux Corinthiens, chapitre XIV) :
Que les femmes parmi vous se taisent dans les églises, parce qu'il ne leur est pas permis d'y parler ; mais elles doivent être soumises, comme la loi l'ordonne.
Que si elles veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles le demandent à leurs maris, lorsqu'elles seront dans leurs maisons ; car il est honteux aux femmes de parler dans l'église.
En présence du Docte Professeur, on a pu aussi juger sur pièces comment, l’habit une nouvelle fois ne faisant pas le moine, comment sous le discours pontifiant à l'abscons jargon du triple zéro se profilait la silhouette à la superbe consommée d'un considérable triple con sidéral. Quant à lui, le Grand Défécateur serait bien inspiré de conserver à portée de main, en un indispensable viatique ou ange-gardien dédié à sa seule personne, l'exhortation teintée d'une grossièreté inutile du sage Rabelais :
Celui-là qui veut péter plus haut que son cul doit d'abord se faire un trou dans le dos.
Enfin, ce n’est certes pas un hasard si le Docte Professeur a été piqué au vif par les premières lignes du premier Carnet. Représentant exclusif des produits littéraires dument agréé par les autorités de l'Université, le laborieux multirécidiviste de la connerie aura au moins fait la démonstration, par le seul fait de son commentaire, de l’utilité d’AUTOPSIE DE MINUIT, sinon du bien-fondé de son intention. Finalement il ne manquait, au sein du troupeau des figures vagissantes de la littérature, que le visage pâle et hautain, marchant au-dessus du lot, la figure la plus puante d’entre toutes, celle du Docte Professeur, Grand Castrateur devant l’Éternel, traumatisant des pans entiers de classes d’âge de jeunes étudiants, œuvrant sans relâche à les détourner du goût et du plaisir de la lecture. Fou-de-Dieu-des-Lettres, aux aigreurs incomparables et au propos totalement incohérent – discours par l'effet d'on ne sait quelle obscénité mâtiné de baratin marketing –, et vomissant chaque jour de l’année sa messe de minuit. Ce qui fait dire à l’auteur que, s'il reconnaît bien une utilité à AUTOPSIE DE MINUIT, ce ne sera qu’une vaine utilité.
Néanmoins l’auteur se consolera en ne voyant, dans le fanatique et méprisant Docte Professeur, que la meilleure des réponses à la question : comment parler de ses propres compositions ? La réponse découlant de source, à savoir : exactement de la manière qui se situe à l’opposé du discours du Docte Professeur, c’est-à-dire : en premier lieu avec le cerveau, à toutes fins utiles ; d'autre part avec la connaissance de sa fin et de ses moyens, avec les traces laissées par l’expérience, avec la justesse conférée par l'émotion, avec sincérité, avec générosité, en somme avec la bouche, avec les jambes, les pieds, les bras, les mains, avec le ventre, avec tous les os de son ossature et avec le cœur.
aller sans détour et sans honte au Carnet suivant
s'en remettre à l'un des rares auteurs (encore) vivants cités dans AUTOPSIE DE MINUIT :
[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, treizième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le mercredi 8 juillet 2008, 15 heures, soit trois heures de retard sur l'heure initialement prévue, heure de Nairobi, Kenya (UTC/GMT +3)]