Les Carnets d'Autopsie de Minuit [7]
Les Carnets d'Autopsie de Minuit [7]
aller voir du côté de MINUIT,
ARCHITECTURE(S) [I].
Avant même que le regretté Minuit n’ait atteint l’état le plus avancé de sa décomposition, état duquel ne peut résulter que la part osseuse du défunt, son auteur se propose d’en examiner le squelette. Regarder le squelette du récit, c’est en regarder la structure. C'est déjà faire un grand pas vers sa substantifique moelle. C’est, à l’arrivée, regarder l’auteur en bâtisseur.
L’auteur est d’abord le bâtisseur du texte, en cela qu’il est le bâtisseur du (ou des) lieu(x) du récit. Nécessité que traduit Umberto Eco, affirmant que
[…] pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le plus meublé possible, jusque dans les plus petits détails.
Et d’ajouter, concernant l’édifice qui enserre, comme un écrin, le lieu le plus emblématique du Nom de la rose, à savoir la bibliothèque, que la construction du monde du récit, doit
[…] faire concurrence au ministère de l’urbanisme. D’où de longues enquêtes architecturales, sur des photographies et des plans dans l’encyclopédie de l’architecture, pour établir le plan de mon abbaye, les distances, jusqu’au nombre de marches d’un escalier en colimaçon (Apostille au Nom de la rose).
De même, le lecteur de La Vie mode d’emploi peut imaginer sans peine Georges Perec formant devant ses yeux, avec une précision et une minutie extrêmes, jusque dans le moindre recoin, l’immeuble tout entier du 11 rue Simon-Crubellier. Immeuble dont Perec, après en avoir retiré la façade, aurait regardé, comme il l'aurait fait d'une maison de poupées, en scrutateur à la fois avide et avisé, l'humanité : huis clos à la fois un et divisible, conçu pour être le réceptacle idéal du récit – recevant la multitude des êtres de chair – mais aussi, en retour, conçu pour donner corps au récit – avec chacune de leurs vies respectives.
À la lecture des vingt premiers chapitres de Minuit, il apparaît désormais comme évident que l’auteur a mis en place une ossature répétitive, reproduisant de loin en loin – tous les cinq chapitres – un schéma fixe. Une ossature construite à la manière de celle d’une chanson.
C’est sur cette ossature que s’épanouit la chair du livre à venir. Elle est – du moins essaie d’être – à l’image du récit tel qu’il a été projeté. Et, si le lecteur songe en premier lieu au(x) lieu(x) de l’action, il ne peut faire l’impasse, dans le même temps, sur cette structure du texte qui, à l’image de l’espace confiné entre les quatre façades de la villa M. (Minuit, chapitre 18), ou à l’image de la marche vers le point le plus bas de la rive (chapitre 17), le lecteur ne peut faire l'impasse sur cette structure, pour le moins alambiquée, tortueuse, comme un serpent, qui constitue en elle-même une métaphore du roman Minuit.
En bâtisseur, l’auteur est, en amont comme en aval du flot du récit, le bâtisseur de son lecteur :
[…] écrire, c’est construire, à travers le texte, son propre modèle de lecteur (Umberto Eco, Apostille au Nom de la rose).
En l’occurrence, l’auteur tente d’amener au lecteur l’heure de minuit telle qu’il l’a formulée lorsqu’il a commencé son travail. Pas à pas il forge, modèle, sculpte, via le texte, celui qui devrait être en mesure d’y adhérer, de l’assimiler, enfin de le faire sien. Extrayant d'une matière qu'il ne connaît pas son lecteur idéal. De ce fait essayant de s'essayer à marcher sur les traces de Michel-Ange :
J'ai vu un ange dans le marbre, et tout ce que j'ai fait, c'est ciseler jusqu'à l'en libérer.
Ce faisant, bâtissant le(s) lieu(x) de son récit, bâtissant l’ossature de son récit, bâtissant le récit lui-même, bâtissant son lecteur, l’auteur enfin – last but not least – tente d’élaborer, étroitement imbriquée dans ce tissu de nécessités, l’architecture la plus éphémère et intangible qui soit : l’auteur lui-même. Car, comme pour tout travail, en forgeant devenant forgeron, cent fois sur le métier remettant son ouvrage, l’auteur se façonne, se modèle, se forme, se fabrique, l'auteur se construit en tant qu’auteur. Il naît à la fois à sa propre personne, à son récit, et, si possible à son lecteur.
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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, septième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le vendredi 6 juin 2008, 23h30, heure de Kuala Lumpur, Malaisie (sans l'ombre d'un doute UTC/GMT +8)]