Michel Decréau retrace l'histoire du Service d'Aide Médicale Urgente (SAMU) du CHU de Rouen de 1968 à 2015, décrivant son évolution structurelle, son développement réglementaire, et son expansion des services, incluant le SMUR et le Centre 15.
Il met en lumière les acteurs clés, les changements technologiques et l'intégration avec d'autres services d'urgence. L'importance de la collaboration avec les acteurs médicaux libéraux et les services de secours est également soulignée.
L'histoire moderne du sauvetage en France est indissociable de la prise de conscience sur l'Aide Médicale Urgente (AMU) qui émergea aux alentours de 1950. Cette recherche de solutions, menée notamment par M. René Coirrier et inspirée par un bench marking de l'URSS, a jeté les bases d'un système qui allait révolutionner la prise en charge des victimes civiles. Le concept fondamental, celui de la médicalisation pré-hospitalière, fut l'œuvre du Professeur Louis Lareng, visant à amener les soins "du pied de l’arbre à l’hôpital".
Si les prémices réglementaires apparaissent dès 1959 avec une circulaire sur l'organisation des secours aux blessés de la route, c'est le décret du 2 décembre 1965 qui marque un tournant, rendant obligatoire pour 240 hôpitaux de se doter d'une Structure Mobile d'Urgence et de Réanimation (SMUR).
Cependant, le véritable pionnier dans la mise en œuvre de ce concept fut le CHU de Rouen. Dès le 15 août 1968, l'antenne mobile du SMUR pour les transports primaires (extrahospitaliers) ouvrait à la Mairie de Rouen. Cette première équipe était composée d’un externe et de deux sapeurs-pompiers. Cette date marque le début des 47 années d'histoire du SAMU de Rouen couvertes par les sources.
Le Service d’Aide Médicale Urgente (SAMU) est officiellement créé par circulaire en 1973 (Rouen l'établit en 1975). Mais l'innovation la plus significative de Rouen survient en 1980 : le Centre 15 de Rouen devient le 1er Centre 15 en France, inaugurant ainsi le Centre de Réception et de Régulation des Appels (CRRA). Ce centre, qui a débuté ses opérations le 27 octobre 1980, est devenu l'élément central du dispositif. À titre d'exemple de croissance, le flux annuel d'appels pour 800 000 habitants est passé d'environ 55 000 en 1975 à plus de 130 000 en 2005.
L'année 1986 est cruciale, avec l'adoption de la Loi de l’AMU (6 janvier 1986), qui définit l'Aide Médicale Urgente comme l'obligation d'assurer aux malades, blessés et parturientes les soins appropriés à leur état, où qu'ils se trouvent. Cette loi impose également la création d'un Centre 15 dans certains hôpitaux, doté d’un CRRA. Les missions du SAMU sont alors clairement établies : assurer une écoute médicale permanente, déclencher la réponse adaptée, organiser le transport, et préparer l'accueil hospitalier.
Le fonctionnement du CRRA repose sur une régulation médicale, interconnectée au 17 (Police) et au 18 (Pompiers). Rouen a également développé un partenariat historique avec la médecine libérale, illustré par la création de l'ARUM en 1975 et la nomination d'un médecin libéral comme directeur adjoint du Centre 15 en 1980. La régulation des appels par le SAMU est d'ailleurs le pivot de l'organisation de la permanence des soins en médecine ambulatoire.
En tant que pôle de convergence, le SAMU de Rouen, qui a vu se succéder d'éminents chefs de service (comme Mme le Pr Louise Delegue de 1967 à 1971, puis Mr le Pr Claude Winckler de 1972 à 1990), a continué de faire évoluer ses structures, notamment avec la création du SMUR pédiatrique en 1980, du CESU (Centre d'Enseignement des Soins d'Urgence) en 1979, et de la Cellule de Planification et Prévention des Risques (CPPR). Le réseau SAMU, dont l'infrastructure est informatisée depuis 2002, est désormais opérationnel non seulement au quotidien, mais aussi en cas d'urgences collectives nationales ou internationales, prouvant l'exportabilité de ce concept de secours médicalisé.
Analogie : L'évolution du SAMU peut être comparée à la transformation d'un service d'incendie de quartier en une tour de contrôle aérien sophistiquée. Initialement concentré sur la rapidité de l'intervention (le SMUR de 1968), le système s'est rapidement doté d'un centre névralgique (le Centre 15 de 1980) capable non seulement d'envoyer des secours, mais surtout de réguler, de conseiller (conseil médical : 51% des réponses en 2005), et de coordonner l'ensemble du réseau de santé, garantissant que la bonne ressource atteigne le patient, où qu'il se trouve.
Michel Decréau