Danièle Schiffmann et Françoise Moos
"La timidité des arbres"
Texte de Françoise Moos
La timidité des cimes
Neurobiologiste, mes recherches ont porté sur la plasticité fonctionnelle de réseaux neuronaux dans différentes situations physiologiques. Cette plasticité implique les cellules gliales (microglie, astrocytes) qui - via la diffusion de molécules dans le tissu cérébral - permettent le fonctionnement normal des réseaux neuronaux. Dessiner, peindre, fut longtemps le moyen d’expression de ma sensibilité visuelle - mis en retrait par mes recherches - mais permettant d’établir des passerelles avec les artistes côtoyés : démarches impliquant le travail des mains et de la pensée, inspirations et créations spécifiques à chacun des domaines. En science, ma motivation était de comprendre, dégager des principes pour établir un savoir avec prétention de vérité permettant de révéler la beauté et la complexité du monde du réel. L’espace artistique permettait une évasion riche et sans contrainte, la vérité n’y était plus l’unique objectif et la force d’impact d’une œuvre pouvait être liée à des paramètres non quantifiables et parler à mon émotion. Une évasion du monde réel qui a aussi développé et nourri l’intuition à l’œuvre dans mon monde scientifique. Sans doute est-ce en me perdant librement dans ces perceptions que j’ai pu accéder et partager le monde spirituel et émotionnel de Danièle.
Mes recherches sur les modes de communication, sans contact entre cellules nerveuses et gliales ont immédiatement suscité chez l’artiste, une analogie avec la timidité des arbres, comme une métaphore visible du monde cérébral invisible. En effet, les messages odorants ou électriques émis par les feuilles et permettant aux branches de ne pas se toucher, évoquent la transmission volumique cérébrale. Même si les scientifiques n’ont pu résoudre l’origine de cette timidité, et que la boite noire du cerveau reste énigmatique, ces énigmes nourrissent la quête de l’artiste et la passion du scientifique. Utiliser les halos blancs péri végétaux des monotypes comme témoins visuels des échanges entre houppiers nous semblait pertinent. Mais comment reproduire techniquement de façon fiable le fruit du hasard ? C’est par un travail expérimental précis et répété, à l’image du travail scientifique, en jouant de persévérance et de techniques sans oublier les subterfuges, que Danièle a su représenter et symboliser l’impalpable. J’étais émerveillée du résultat, d’autant que son monotype offrait une vision aérienne de la timidité des cimes : les houppiers blancs exposés au soleil et leurs halos blanchâtres vaporeux à l’image des signaux subtils émis pour signaler la limite à ne pas franchir. En contre bas, dans l’ombre des houppiers blancs, les sombres réseaux racinaires et mycorhysiens et les espèces végétales communiquant entre eux dans un effet bénéfique réciproque. Cette vision artistique riche et pertinente dépassait le défi scientifique !
Françoise Moos - neurobiologiste
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Crown shyness
Neurobiologist, my research focused on the functional plasticity of neuronal networks in different physiological situations. This plasticity involves the glial cells (microglia, astrocytes) that - via the diffusion of molecules in the brain tissue - allow the normal functioning of neuronal networks. Drawing, painting, were for a long time the means of expression of my visual sensibility - put aside by my research - but allowing to build bridges with the artists: both approaches involving the work of hands and thought but inspirations and creations specific to each area. In science, my motivation was to understand functioning, to establish postulates with a claim of truth in order to reveal the complexity of the real world. The artistic space allowed a rich and unconstrained escape, the truth was no longer the only goal and the impact force of an artwork could be linked to non-quantifiable parameters and speak to emotion. An escape from the real world that has also developed and enriched my own scientific intuition. It is by losing myself freely in these perceptions that I could access and share the spiritual and emotional world of Danièle.
My research on the mechanisms of communication without contact between neurons and glial cells immediately aroused in the artist, an analogy with the “crown shyness”, as a visible metaphor of the invisible brain world. Indeed, odorous volatile molecules or electric messages emitted by the leaves - allowing the branches not to touch - evoke the cerebral “volume transmission”. Although scientists have not yet been able to resolve the origin of this crown shyness, and even if the black box of the brain remains enigmatic, these enigmas feed the artist's quest and the scientist's passion. Use the peri-vegetal white halos, previously observed on several monotypes, as eyewitnesses of the exchanges between crowns seemed relevant. But how technically and reliably reproduce what is due to chance? It is by a precise and repeated experimental work, like scientific work, by combining perseverance and different techniques, without forgetting the subterfuges, that Danièle was able to represent and symbolize the impalpable. I was amazed by the result, especially as her monotype offered an aerial view of the timidity of the summits: the white crowns exposed to the sun and their whitish hazy halos being just like the subtle signals emitted by leaves to signal the limit not to be crossed. Down below, in the shade of the white crowns, dark root and mycorrhizal networks and plants communicate with each other in a mutual benefit. A rich and relevant artistic vision beyond the scientific challenge!