Présentation d'Isabelle Laboulais
Professeur d’histoire moderne
Université de Strasbourg
Professeur d’histoire moderne
Université de Strasbourg
Préface Ex-Libris
Lorsque Georg Daniel Flohr a composé son manuscrit à la fin des années 1780, il a à la fois créé un livre et inventé un voyage. Auparavant, le jeune homme a bien sûr traversé l’Atlantique, combattu en faveur de l’indépendance, parcouru ce continent encore mystérieux aux yeux des Européens. Pourtant, regarder son œuvre comme un témoignage fidèle de son périple, comme un récit circonstancié de ses aventures ternirait l’objet, affadirait le foisonnement de son écriture et effacerait l’étrangeté de ce voyageur.
Certes, « le Flohr » est un texte singulier dans sa forme comme dans son contenu, une pièce majeure du fonds des manuscrits conservés au département du patrimoine de la médiathèque André Malraux. À l’évidence, il apporte un témoignage rare sur la participation des Européens au processus par lequel les Insurgents ont conquis leur indépendance et bâti un État fondé sur de nouvelles valeurs. Il livre même des observations essentielles pour nourrir une histoire atlantique, centrée sur l’étude des échanges et des interactions entre les Européens, les Amérindiens et les Africains. Pourtant, plus que toute autre chose, « le Flohr » illustre la complexité des écritures de voyage au XVIIIe siècle, la porosité des genres et l’ascendant que les formes les plus répandues ont exercé sur un jeune fusilier engagé au sein du Royal-Deux-Ponts lorsqu’il a entrepris de composer et d’illustrer le récit du voyage de son régiment. L’inventivité de Flohr, l’originalité avec laquelle le jeune homme se réapproprie les canons des livres de voyage du XVIIIe siècle et de la littérature géographique expliquent que le manuscrit qu’il a composé résiste à toute assignation classique : le Flohr n’est ni un carnet de voyage, ni un journal, ni un récit, ni un album illustré. De quoi s’agit-il donc ? D’un objet composite dont l’étrangeté interroge l’historien. Et si, finalement, « le Flohr » était un livre d’artiste, une sorte de laboratoire qui témoignerait à la fois d’une maîtrise avérée des codes du genre mais qui n’hésiterait pourtant pas à les subvertir en bousculant les normes ?
Puissent les historiens qui verront cette exposition et parcourront son catalogue se dessaisir de leurs catégories habituelles et se nourrir des relectures du Flohr proposées par quelques artistes bostonien-ne-s et strasbourgeois-e-s, pour revenir ensuite vers le précieux manuscrit, riches de nouvelles questions. « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ».
Isabelle Laboulais