Faîd el Botna

Pour en savoir plus sur la création de ce village

conforme au plan de Constantine de juillet 1959 cliquez sur Regroupement

Le médecin-aspirant Roulaud rapporte son affectation au 4e RT à Faîd el Botna:

« Classe 58/2C . 3 janvier 1959. Médecin sursitaire. Trois semaines de classes au Château de Vincennes : cet hiver est très froid et les douches également ! Trois semaines (EOR ) au Fort Lamothe à Lyon : l’hiver est toujours froid, et la garde de nuit itou.

Début Avril 59, Alger : je suis affecté en ZSA ( Zone Sud-Algéroise ), secteur de Djelfa. Je prends le train vers le Sud; étant le plus élevé en grade ( Médecin-aspirant!) je suis responsable de la direction des opérations en cas « d’incident » ! Moi qui n’est tiré au Mauser que deux ou trois fois, et qui n’ai aucun sens de la manœuvre ! La présence de plusieurs Sous-Officiers plus aguerris que moi me rassure ! Gorges de la Chiffa : superbes, puis Médea et ses vignes, et direction le Sud par Boghari : le paysage ne manque pas de grandeur , mais me semble assez désert : je suis pris d’une crainte de m’y ennuyer … et finalement Djelfa.

L’Etat-Major à Djelfa ne paraît pas savoir très bien quoi faire de moi : je suis affecté au 4ème Régiment de Tirailleurs : quelques jours à l’EMT 1, à trente kms au nord de la ville, puis à l’EMT 2 , à trente kms au sud. Et il semble que l’on ait trouvé mon point de chute : Faîd el Botna, au bout d’une ébauche de piste faite de roches en marches d’escaliers, faisant souffrir les suspensions pendant au moins quatre heures pour franchir une cinquantaine de kms, est un de ces villages de regroupement où une Compagnie construit un poste sur un mamelon dont la vue s’étend sur une plaine qui semble sans fin et se perd dans le lointain de la brume de chaleur. Les murs du poste ont environ un mètre de haut : j’espère assister à l’inauguration ! Accueil sympa : nous sommes entre jeunes, et la liaison avec Djelfa étant lointaine, nous sommes les féodaux du coin. »

« Je suis logé en dehors du poste, dans un préfabriqué gardé par les mokhaznis , où j’installe un rudiment de salle de consultation. Mes patients : la Compagnie, en bonne santé et qui ne me donne pas beaucoup de soucis. Et puis les nomades qui font, depuis des siècles, migrer leurs troupeaux de moutons , sur des centaines de kms, au gré des saisons ; cette errance est non-stop, car en deux ou trois jours, il n’y plus un seul brin d’herbe à paître : je vois passer la tuberculose, quelques maladies vénériennes, des curiosités dermatologiques, parmi d’autres , et je m’efforce de mettre en application mes confortables certitudes apprises à la Faculté. Pendant ce temps-là, la Compagnie, avec un bel enthousiasme, fait monter les mur en parpaings du poste, et construit en même temps un « village de regroupement », pour » fixer » les populations afin de mieux pouvoir les contrôler, les administrer, les soigner et les protéger ; rues tracées au cordeau : il manquera les feux rouges ; il me semble que , à Faït el Botna, « fixer des nomades » qui doivent impérativement se déplacer, paraît une gageure. Cette pensée doit avoir pénétré en haut lieu, car la Direction du service de Santé, estimant sans doute que je ne sers pas à grand chose dans ce coin perdu, m’envoie, au bout de deux mois, à Tipasa, centre de repos de la ZSA, pour trois semaines : je ne me sens pas fatigué, mais ne rechigne pas à ce genre de vacances au bord de la Méditerranée ; je suis logé dans une confortable maison réquisitionnée au bord de la plage, à l’ombre du massif du Chenoua, et mon activité médicale n’est pas harassante : les bons offices d’une secrétaire va me permettre d’ y séjourner trois semaines de plus, et de prolonger la balnéothérapie ! »

lire la suite dans la rubrique : Moudjbara

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La 2e Compagnie de l'EMT 1 du 4e RT, après avoir séjourné aux Ruines Romaines de fin 1958 à fin 1960, s'installe à Faîd el Botna.

1961 : Cinquante kilomètres de piste à travers le plateau d'alfa, pas un arbre, les contreforts nord du BOU KAHIL à l'horizon, deux cents meskines sans travail dans un village artificiel, une mairie sans maire, un dispensaire sans toubib, un officier S.A.S. en casquette Bigeard, un poste triangulaire pour une section...Faîd el Botna.

La 2e Compagnie s'y installe sous la guitoune avec une section du Génie et une section de Mortiers lourds du 38e Régiment d'Artillerie. Les CARMINS sentent naître en eux l'esprit interarme des Armées modernes. Va-t-on perdre notre esprit de bande ? Non les Artilleurs se rassemblent à 08 heures et passent longuement l'inspection bravo ! Mais les CARMINS sont depuis l'aube à courir la montagne.

A sa première visite le Colonel SAGON nous fait comprendre qu'il faudrait donner au Poste un air "coquet". Peu doué pour le jardinage mais plein de bonne volonté nous plantons deux touffes d'alfa à l'entrée du Poste.

Les sections de combat sont maintenant presque exclusivement composées de musulmans engagés. Chacune garde sa personnalité. la première, celle des sous-lieutenants, solide et bien instruite, commandée le sous-lieutenant F... aidé du chef Ma.... et du sergent G.... La deux, celle des jeunes à qui le sous-lieutenant G.. essaie d'apprendre le français sous l’œil ironique du chef B... et de sergent TS.... La trois, successivement commandée par les lieutenants CH... et LATOURNERIE lorsqu'il parvient à échapper à la désignation pour un stage, bon esprit et fouineuse, elle rend sur le terrain. La quatre, qui récolte toutes les fortes têtes de la compagnie bien menée par le chef MA... et le sergent Panteix, est celle où l'esprit d'équipe est le meilleur, pas toujours pour le bien du service bien sûr !

L'adjudant M..., pilier solide du cadre sous-officier, se démène pour donner aux "Spartiates" un minimum de confort au cantonnement, l'ambiance popote est bonne.

L'éloignement de DJELFA nous vaut d'être moins employé dans les secteurs voisins mais le BOUKAHIL est là, à vingt minutes de camions, à trois heures de marche, le travail ne manque pas. C'est d'abord la protection des chantiers du Génie, la compagnie s'installe près d'AMOURA, les reconnaissances dans le BOU-KAHÏL se font sur la pointe des pieds. Nous participons aux opérations qui continuent dans la chaine.

En juin et juillet 1961 nous sommes à ALGER, en maintien de l'ordre, CLOS SALEMBIER, BAB EL OUED, nous embarquons dans un grand navire : le garage TRIOLET. La mission est ingrate, peu adaptée à nos tirailleurs, elle vaut à notre Lieutenant LATOURNERIE quelques méchants coups sur la tête, la riposte des tirailleurs est nette.

C'est avec soulagement que nous quittons ALGER pour la base arrière.

A peine arrivé le 22 août 1961 c'est un nouveau départ, nous passons FAID el BOTNA en compte aux Artilleurs pour venir nous implanter au camp des KOUBAS près de BOGHARI. La 2 a une double mission : le massif du MONGORNO, la garde et les patrouilles à BOGHARI, moins drôle !

Témoignage du sergent Panteix de la 2e cie

" La compagnie s’installe à Faïd El Botna. Opérations modification d’itinéraire.

Nous formons un véritable groupement Inter-armes. Sur le plateau à mi-parcours entre Faïd El Botna (Faidh El Botma) et Amoura (Amourah) (villages abandonnés de la Wilaya de Djelfa) s’installent les mortiers de 120 m/m du 38ème Régiment d’Artillerie. Ils assurent les appuis. A 1500 mètres d’altitude dans un petit col près d’Amoura. Une section du Génie avec ses engins lourds, monte un bivouac assez confortable. La 2ème compagnie assure avec sa roulante le soutien logistique et bien sûr, la protection.

a) la journée, une section garde le bivouac,

b) deux sections assurent la sécurité éloignée du chantier,

c) tous les quatre jours, une section rentre à Faïd El Botna pour faire une toilette un peu plus sérieuse et se reposer.

Il s’agit d’élargir la piste et de rectifier certains virages qui nécessitent des manœuvres. La dénivellation est très importante (de 1500 mètres d’altitude on passe à presque 200).

Pour cette protection la compagnie creuse des trous individuels de part et d’autre de la piste.

Pour arranger les choses, il neige. Le calvaire va durer près de 3 semaines.

Une nuit, un chacal rodant autour de la roulante déclenchera une chaude alerte. Ma réserve de fusées éclairantes, pour calmer la situation, y passera. N’ayant plus de repaire fiable, il me faudra au départ, détruire deux grenades offensives piégées par mes soins. "

Avril 1961 : Djebel el Azereg

"Depuis une quinzaine de kilomètres nous arpentons le terrain. Une cache énorme vient d’être découverte. Par radio, Carmin donne les coordonnées exactes pour la destruction. Chacun récupère ce qui lui plait. Je remarque en particulier deux tirailleurs qui emplissent un gros chaudron de conserves.

La progression reprend. Soudain quelques coups de fusil claquent, nous nous ruons vers un repli de terrain. A l’abri, je me retourne pour voir si tout le monde a suivi. J’éclate de rire : tous les fruits de la rapine, chaudron en premier, jalonnent l’itinéraire.

"L’opération se termine dans l’oasis de Laghouat au milieu des abricotiers. Je m’écarte un peu et ramasse des abricots au sol. Apparaît devant moi une jeune femme. La peau nacrée, vêtue d’une robe légère, dont l’échancrure laisse voir la naissance de la gorge où perlent des gouttes de sueur. Je suis subjugué. « Ne touchez pas les abricots qui sèchent » me dit-elle, « mais vous pouvez en cueillir sur les arbres ». Qui est-ce ? Une targuia (Touarègue). « Manarf ! »

Mai 1961 : Djebel Bou-Kahil

Ayant une nouvelle fois accrochée la katiba, un bouclage de nuit s’installe. Les Fells forceront le passage sur la section du Lieutenant Chastel qui y perdra la vie ainsi que son radio.

Juin -juillet 1961 : Alger

Septembre 1961 : Djebel Mimouna

Au Sud-Est de Bordj de l’Agha. "Nous effectuons l’habituelle fouille en quête de fells. Nos pas croisent un autochtone qui erre seul dans les collines. Par facétie, je rends compte à Carmin que j’ai un suspect. « Faites le suivre » me dit-il !

Fouille terminée, Carmin comprenant la supercherie, fait rare, se fâche et me dit de chasser cet individu et « fissa » (rapidement), ajoute-t-il ! C’est un « mesquine » (pauvre) vêtu d’une seule chemise et rapidement nous constatons qu’il est « majnoun » (fou), il veut me marier à sa fille.

Nous allons prendre une bonne pinte de rigolade. A chaque enjambée de rocaille son organe génital apparaît et fait métronome."

Comptable à la 2e Cie :

"Le Sergent-Major Pac..., comptable de l’unité, quittant le service actif, le capitaine Ducrettet me désigne pour lui succéder. Passage de consignes rapide, à moi de jouer. Il est de coutume chez les tirailleurs, lors du paiement de la solde, que s’installe la « chikaya » (plainte, querelle) présidée par le capitaine assisté de l’adjoint. Il n’y aura pas de problème. Au contraire, à la surprise du capitaine Ducrettet, je vais devenir le trésorier des tirailleurs. Chacun me laissant sa solde en dépôt. Terminé pour moi les grands espaces. Mais hélas les liens avec les tirailleurs vont se distendre.

Un petit problème cependant, ayant remarqué, que le paiement des primes d’engagement n’était pas à jour, il me fallut sur injonction du capitaine, remplir en une soirée les imprimés. La leçon sera retenue et me guidera dans le futur. Né sous le signe du taureau, donc terrien, je veux bien labourer, mais à mon rythme. Je tiendrai ma langue."

à droite le sergent Panteix

Bou Saâda

( 117 km au nord-est de Djelfa)

Témoignage du Lieutenant Latournerie de la 2e Compagnie.

1 et 2 - Hôtel Transatlantique à Bou Saâda, dans le salon : de GàD : Lt Ducrettet, S/LT Isel, S/C Malpièce, Sgt Lepetit. 3 - En attente des roulettes (au centre les lieutenants Latournerie et Chastel)

La 2e Compagnie est allée de nombreuses fois dans le secteur de Bou Saâda.

Cette oasis bordée de dunes de sable, porte du désert, cité du bonheur, avec d'une part son quartier réservé, où se pressaient tirailleurs et légionnaires, mais aussi son Hôtel Transatlantique transformé en Mess pendant les événements, avait un caractère enchanteur.

Elle a servi d'étape sur le chemin du secteur de Biskra quand le sergent Panteix a été blessé.

C'est dans ce secteur que la 2e Compagnie sous mon commandement a blessé et fait prisonnier le lieutenant Bourbabah. Cet accrochage mérite d'être conté : l'opération visait les MNA fort nombreux dans des grandes dunes boisées non loin de l'oasis. Lors de la mise en place le sergent-chef Malpièce rend compte que six fells descendent vers lui. Le Commandant d'EMT donne l'ordre de ne pas tirer et précise que ce sont des amis qui sont en face de nous. Il interdit d'avancer. Malpièce confirme que ce sont des ennemis. Nous désobéissons et avançons. Malpièce fait un puis deux prisonniers. Le Commandant d'EMT s'inquiète et me demande le nom des prisonniers. Je réponds que nous verrons plus tard. Malpièce rend compte que le temps d'arrêt a permis à trois fells de s'enfuir. Un fell est passé à travers notre ratissage. Je reviens en arrière et ordonne à un chef de groupe de fouiller le fond d'un talweg qu'il avait mal ratissé. Alors que je donnais mes ordres, le sergent Lepetit crie : " Attention !" et tire. Une rafale de PM passe au dessus de ma tête : le fell blessé fait signe qu'il se rend.

Il s'agissait donc d'un groupe FLN au milieu d'une zone MNA. Le blessé fut évacué sur Djelfa pour être soigné et interrogé. J'ai gardé sa paire de jumelles en souvenir. Je dois la vie au sergent Lepetit.

Je n'ai pas été sanctionné ni félicité pour mon indiscipline ! Chose curieuse pour un soldat, ce dont je suis le plus fier ce sont mes refus d'obéissance ! On risque gros mais c'est pour le bien du service, il faut être sûr de soi. Ils demandent du courage !

Autre opération dans le secteur dans une plaine d'alfa : Au cours d'un ratissage très large nous trouvons un chameau sans chamelier et des sacs de provision autour. Je fais élargir la fouille. Une heure plus tard, alors que nous pensions ne rien trouver, j’entends des tirs du côté de la section du sergent-chef Bouchakour. J'arrive en courant. Bouchakour me montre son PM fracassé. Le chamelier caché dans une touffe d'alfa, Bouchakour lui demande de s'avancer. Le chamelier lui tire en plein cœur une décharge de chevrotines. Les tirailleurs répondent et font prisonnier le chamelier blessé. La chevrotine avait cassé la culasse, la tige du ressort récupérateur, les jumelles, mais Bouchakour avait la baraka : il était indemne. Voir aussi son témoignage sur : Alger en juillet 1961.

à suivre : Berrouaghia

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HOMMAGE AU LIEUTENANT GUY CHASTEL

Photo aimablement communiquée par sa famille.

Il serait coupable de faire l’historique du 4e RT en Algérie sans évoquer le lieutenant Chastel frappé mortellement à la tête de la 2e compagnie. J’espère que cet hommage parviendra à son épouse et à ses enfants dont nous n’avons pas gardé la trace.

C'est au sein de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre (A.L.A.T.), comme observateur, que le lieutenant Chastel avait fait ses premières armes. Sa renommée avait précédé son affectation au 4°R.T.

Alors que j'effectuais un stage au 14e R.C.P. ( Régiment de Chasseurs Parachutistes), un de ses camarades observateur avait brossé son portrait : un ami jovial, généreux, audacieux, parfois téméraire, cherchant à distinguer au plus près les positions ennemies pour être sûr d'ajuster efficacement, en sûreté pour les troupes au sol, les tirs de la chasse et de l'artillerie. Ses pilotes étaient effrayés par les risques encourus.

Il fut affecté à la 2°Cie du 4e R.T. début juin 1960. Peu habitué à la stricte discipline des unités de tirailleurs, en particulier celle de l' E.M.T.1 imposée par le commandant Genet, sa fougue et ses initiatives surprirent, mais il sut rapidement gagner les cœurs des tirailleurs et des notables indigènes voisins du poste de Faid-el-Botna.

Il assura, par intérim, le commandement de la Cie alors que le capitaine Ducrettet était en stage en France et que j'étais détaché comme instructeur à Philippeville. Après un très long séjour en Algérie, officiellement muté en France il attendait mon retour pour rejoindre les siens.

Ce fut fatal pour lui et sa famille . Le 19 mai 1961 les troupes du secteur ayant accroché la très forte bande rebelle dans le Bou-Kahil, la compagnie assura un bouclage pendant la nuit.

Le Lieutenant Chastel avait placé une mine éclairante devant la position, mine que nous avions perçue depuis peu, sans l'avoir testée et sans en connaître la puissance. Les fellaghas, ont donné l'assaut en perçant notre position. La mine, placée trop près, éclaira tout notre dispositif.

Le Lieutenant Chastel, au centre de la compagnie, a été atteint mortellement alors qu'il donnait des ordres.

Quand, deux jours plus tard, je rejoignis la compagnie pour reprendre son commandement, tous les tirailleurs étaient en pleurs, regrettant leur généreux lieutenant Guy Chastel : lieutenant « comme un père » disaient-ils. Officier hors pair.

Christian Latournerie

OPERATION LE 19 MAI 1961 DANS LE BOU KAHIL

Témoignage du Colonel de réserve Emile-Pierre Guéneau (complété par les souvenirs du 2° R.E.C.)

Ce jour-là, le capitaine Ducrettet était en permission et le lieutenant Latournerie était en stage. C'est donc le lieutenant Chastel qui commandait la 2e compagnie du 4e RT. Le lieutenant Chastel, muté en France, attendait le retour du commandant en second. -La veille je l'avais accompagné à Djelfa pour acheter des cadeaux pour ses enfants- Cette attente devait lui coûter la vie. Il est mort en héros.

Je suis catholique et je dois dire qu'il n'est pas une messe où j'ai retrouvé le lieutenant Chastel dans le quadrilatère de Beltégueuse.

La première photo, qui est unique, représente la dorsale -cote 969- où étaient positionnées les 4 katibas que nous avons accrochées lorsque les véhicules nous amenèrent sur sa face sud. On observe bien les petits mouvements de terrain où chaque section avait pris position dans la matinée : si je me souviens bien, le sergent-chef Ma.... à gauche, puis le sous-lieutenant Fo..., puis Gu... (jeune aspirant qui venait d'arriver et qui fut mutilé par une mine). J'occupais l'extrême droite.

La deuxième photo montre ma section, carmin 2, à 14H. Je viens de me faire engueuler par Chastel parce que je donne l'ordre à ma section d'avancer:"Carmin 2, vous êtes fou, je vous donne l'ordre de rester en place !". Les légionnaires 3° escadron du 2° Régiment Etranger de Cavalerie montent à l'assaut sur ma droite mais doivent s'arrêter à 300 mètres. L'aviation ne cesse de lâcher des bidons de napalm. Le soir, je pense qu'il ne doit plus rester grand chose des 4 katibas.

Nous avons profité de la nuit pour progresser au pied de la dorsale dont on est séparé d'une cinquantaine de mètres.

A 23 heures, les fells, qui sont descendus en silence, se trouvent brusquement à notre portée. Ma section fait feu de toutes ses armes. Il semble que l'ennemi ait repéré le maillon faible, à savoir le petit mamelon à ma gauche où Chastel est resté avec son ordonnance.

Vers le sud un élément opérationnel ami nous tire dans le dos pour arrêter les fells qui filent vers le sud.

Le lendemain, nous allons aux résultats. Beaucoup de fells sont au tapis dans le creux en face, dont un aspirant qui a été atteint par une grenade de mon MAS 51.

Sur ma gauche, je découvre Chastel avec 2 balles dans la tête avec à ses côtés, son ordonnance le tirailleur Kiddouche gisant inerte lui aussi. Les fells ont pris la montre du lieutenant.

Le 2e R.E.C. trouvera sur sa position 20 rebelles tués et 9 armes, mais il aura perdu 4 tués et 7 blessés.

Je pense que cette journée illustre bien que l'intervention française en Algérie fût bien une guerre. Ce que je ne cesse de clamer en demandant à nos ministres des A.C. dont l'actuel A. Juppé. (je l'avais fait auprès de J.M. Bockel) d'honorer les morts de cette guerre sur tous les monuments aux morts.

Emile-Pierre Guéneau, Chef de section Carmin 2 à la 2e compagnie du 4e R.T.

Rédigé en collaboration avec le colonel (E.R.) Latournerie.


Voir aussi le site de l'ALAT où le lieutenant Chastel fut observateur au sein du 1er PMAH de la 20e DI dans cette même région. Le M.D.L. Rougeau son ancien pilote était en mission sur le Bou Kahil, le jour de la mort de son ancien lieutenant-observateur. Étrangeté d'un destin.

Souvenirs du LIEUTENANT Chastel par le sous-lieutenant LEROY pilote à Djelfa.

Le lieutenant Chastel est un observateur, issu des Méharistes, c’est dire s’il est à l’aise à Djelfa que nous considérons déjà très au sud alors que, pour Chastel, Djelfa se trouve au nord. Quoiqu’il en soit, cet homme nous amuse, petit, râblé, un peu enveloppé et les cheveux taillés en brosse. Il est marrant, insolent avec la formule qui fait mouche, volontiers indiscipliné, mais d’une intrépidité qui frise quelquefois l’inconscience. Accomplir une mission avec lui n’est jamais insipide, on rigole, quelquefois on s’engueule, mais on aime bien.

Nouvelle opération, large bouclage au nord-ouest de Djelfa. Je suis déjà dans l’avion, la visite prévol est faite, le mécanicien a réchauffé le moteur. Y’a plus qu’à ! Je vois arriver le lieutenant Chastel en combinaison de vol, sa planche de mission sous le bras, mais chaussé de tongs.

– Oh mon lieutenant, nous n’allons pas à la plage, il faut mettre vos pataugas ! On nous a enseigné que la première règle de survie en cas de crash est de posséder de bonnes chaussures afin, le cas échéant, d’être capable de continuer à pied sur de longues distances– Faites pas ch..., chez les méharistes on va au bout du monde avec des tongs.

– Oui, mais si on doit se crasher, je ne suis pas certain que vous trouverez votre chameau habituel !

Inutile d’insister, l’homme n’est pas facile à convaincre, de plus je n’ai pas envie de m’accrocher avec lui au départ de cette mission. Nous décollons avec 40 nœuds de vent d’ouest, ça devrait chahuter sévèrement sur le relief. Cette fois, nous travaillons avec le Commando de chasse Kimono21et des unités d’Infanterie. Le djebel que nous bouclons aujourd’hui forme un large C de 5 à 6kilomètres de diamètre, avec de grandes dénivelées. Le vent d’ouest fournit de fortes ascendances sur les parties au vent, mais certainement de forts rabattants sous le vent. Afin d’éviter de nous faire tabasser, nous accomplissons notre mission, en longeant la courbe du C, en restant constamment au vent. Soudain, la radio nous informe qu’un accrochage s’est produit dans la partie supérieure du C, alors que nous longeons la partie inférieure. Aussitôt Chastel me dit :

– On y va.

Je continue à suivre la crête au vent, pour accomplir la trajectoire du C qui nous amènera en quelques minutes sur le lieu de l’accrochage.

– Que faites-vous ? Foncez direct au nord.

– Mon lieutenant, je voulais éviter les rabattants et rejoindre l’accrochage en suivant la crête.

– C’est trop long, coupez direct, on se fout des rabattants !

– OK mon lieutenant on y va, mais d’abord bloquez votre harnais, car nous allons dérouiller.

Pour ma part je me verrouille !

Virage à droite, cap au nord, et j’attends. Nous franchissons la crête, ça bouge, mais pas trop, me serais-je trompé ? Oh que non, au bout de quelques instants la danse commence. Nous sommes violemment secoués, tout vole dans l’habitacle, la boîte à cartes va cogner le plafond. La poussière accumulée sur le plancher vole tout autour de nous. J’ai plongé dans le rabattant pour conserver la vitesse, bientôt l’air devient plus calme, je me retourne pour donner un coup d’œil au lieutenant Chastel. Il a la tête en sang. Contrairement à ma recommandation, il n’a pas verrouillé son harnais et, dans les fortes secousses, sa tête est allée heurter le plafond et rencontrer le saillant du rivet où s’accrochent les fenêtres arrière lorsqu’elles sont ouvertes. La blessure est heureusement superficielle, pas de commentaires du genre je vous l’avais bien dit.

Le lieutenant Chastel est renfrogné et de très mauvaise humeur.

Continuons la mission dans la sérénité retrouvée ! L’accrochage a permis de faire quelques prisonniers, l’opération se termine, les troupes rejoignent les véhicules. Nous sommes en l’air depuis plus de trois heures, le vent n’a pas faibli et nous sommes fatigués. Il fait chaud, nous avons été fortement secoués et obligés de descendre près d’un relief inhospitalier, l’ordre de retour nous parvient à notre grande satisfaction.

Nous avons l’habitude de saluer nos amis sur le terrain pour leur dire un petit coucou avant de regagner Djelfa. Les véhicules sont alignés dans une longue colonne perpendiculaire au sens du vent toujours aussi fort. Je prends l’alignement de la colonne, par radio nous souhaitons un bon retour à nos chers Kimonos, je descends à une vingtaine de mètres et longe la colonne en battant des ailes, pensant prendre le cap de Djelfa en fin de passage.

Lorsque nous survolons le bout de la colonne de camions, nous voyons des soldats, appareils photos en main, qui nous font signe de revenir. J’interroge d’un coup d’œil le lieutenant Chastel qui n’est jamais avare d’une petite connerie à faire et qui me donne l’autorisation.

– Allez-y, faites leur plaisir, ils le méritent bien !

Virage à gauche immédiatement. Nous sommes fatigués et je commets l’erreur de ne pas aller chercher un axe un peu plus éloigné. Le vent est très fort et repousse l’avion. Je serre alors le virage en poussant la manette des gaz à fond. Peine perdue, je me retrouve face au vent à grande inclinaison et plein pot. On peut beaucoup demander au L-19, mais tout de même pas trop. Je sens les gouvernes se ramollir, signe précurseur que la manœuvre est devenue acrobatique et risque de mal se terminer. En un éclair, je me remémore les nombreuses séances d’autorotations où mon moniteur, l’adjudant Fourier, me faisait mettre l’avion dans des positions inusuelles afin de le mettre en vrille. Les gouvernes qui s’amollissent, c’est le prélude du décrochage. Nous sommes

à moins de 30 mètres du sol, je sors de virage en plongeant vers les camions pour récupérer de la vitesse face au vent. C’est gagné, dans cette configuration le rétablissement de l’assiette et le vent de face nous aident. J’ai piqué vers le sol et nous sommes passés entre deux camions. Les soldats photographes n’ont pas eu besoin de téléobjectif, ils nous ont eus en gros plan. Mais bon Dieu, quelle trouille ! C’est de ma faute, nous avons eu très chaud. Lorsque j’ai peur, mon genou droit est pris de tremblements. Ceux-ci ne cesseront qu’avant de se poser à Djelfa.

J’apprendrai plus tard, une fois rentré à la vie civile, la mort du lieutenant Guy Chastel survenue à la tête de sa section le 19 mai 1961, APRES SON RETOUR DANS SON UNITE D'ORIGINE.

Nous exerçons une fonction où il est normal, de temps en temps, d’être confronté au danger et à la peur. Mais créer la situation soi-même, par fatigue ou inconscience, c’est impardonnable."

Guy Chastel

Guy Jacques Pierre Chastel, né à St-Etienne le 15/04/1929, tué en Algérie le 19/05/1961. Lieutenant, chevalier de la Légion d'honneur.

Une rue de St Etienne porte son nom : ICI


Les funérailles à St Etienne.

A suivre, voir : Berrouaghia ou Retour à l' ACCUEIL