Numérique et apprendre

Travaux d'André Tricot “Quelles fonctions pédagogiques bénéficient des apports du numérique ?” Octobre 2020


La littérature empirique sur les apports des outils numériques aux apprentissages académiques, et plus largement aux apprentissages formels, peine à établir des plus-values générales. Les premières méta-analyses de la littérature du domaine, publiées au début des années 1990 (Ahmad & Lily, 1994 ; Fletcher-Flinn & Gravatt, 1995 ; Kulik, 1994 ; Liao, 1992) avaient cette ambition mais ont globalement échoué à répondre autre chose que « ça dépend » (des outils, des élèves, des contenus enseignés, etc.).


Mais, alors que de Vries recensait 8 fonctions pédagogiques principales, André tricot en recense 24 ici. Chaque fonction est analysée selon le même plan en quatre parties : A. Définition ; B. Exemples d’activités et d’outils numériques ; C. Plus-values et limites ; D. Place dans les manuels scolaires (quand cela est pertinent). Ainsi, c’est probablement un tour d’horizon assez complet des apports spécifiques du numérique aux apprentissages académiques et formels qui est proposé ici.

QUELLES FONCTIONS PÉDAGOGIQUES BÉNÉFICIENT DES APPORTS DU NUMÉRIQUE ?

Exemple 1 : Apprendre à faire sur simulateur ou en réalité virtuelle

A. Définition

L’apprentissage procédural sur simulateur est une pratique très ancienne, remontant au début des années 1930 dans la formation des pilotes d’avion. Le but est de proposer des simulations quand la situation réelle est difficile d’accès, soit parce qu’elle est onéreuse (une heure de vol sur un avion de ligne coûte approximativement 10 000 euros), dangereuse (en chimie ou dans le secteur nucléaire par exemple), ou parce qu’elle pose des problèmes éthiques / d’acceptabilité (dans les formations en santé, par exemple, où certains patients acceptent mal que leur chambre devienne une salle de TP).

L’informatique, la robotique et la réalité virtuelle ont permis d’élargir de façon considérable l’offre en matière d’outils de formation en simulateur. Dans cette partie, l’apprentissage procédural concerne les gestes, les mouvements, mais aussi les suites d’actions où la réussite n’est pas tant dans le geste que dans la séquence d’actions elle-même : par exemple en maintenance aéronautique, certaines procédures de dépose d’une pièce impliquent des geste précis à réaliser (tourner d’un quart vers la gauche la pièce puis la soulever) mais aussi des actions élémentaires, qu’il faut réaliser au bon moment (mettre hors tension avant d’intervenir, remettre sous tension après l’intervention). Le domaine de l’aéronautique et de l’espace est célèbre pour des accidents directement imputables à des erreurs de maintenance qui relèvent plus de l’action élémentaire que du geste technique.

B. Exemples d’activités et d’outils numériques

Pour la formation des pilotes d’avion, le simulateur permet de réaliser des tâches que le pilote ne peut pas réaliser en vol, il lui permet d’être confronté à des situations très difficiles à obtenir en vol, voire dangereuses. Le simulateur permet de refaire autant que fois qu’il est nécessaire telle tâche, il permet d’allonger la durée de la formation. Cet effet positif n’est ainsi pas exclusivement lié au coût de la situation réelle. Le cas de la formation des étudiants en médecine est aussi intéressant. D’abord parce que le coût de la situation réelle n’est pas que financier, il est d’abord humain, social et éthique. Ensuite, parce que le simulateur permet de mieux planifier la formation et les objectifs, la progression et les tâches. La progression, en particulier, présente un intérêt majeur : avec un simulateur on peut commencer par ce qui est simple, voire simplifier artificiellement la situation, pour accéder ensuite à la complexité. Avec un patient, la complexité est d’emblée présente. Par exemple, en réanimation, la complexité de la situation d’apprentissage est fortement liée aux émotions, notamment celles liée au risque de décès du patient. Kristin Fraser et son équipe (2014) ont formé 116 étudiants en médecine de dernière année avec un scénario simulé d'une femme de 70 ans dont la conscience était réduite en raison de l'ingestion d'acide aminosalicylique. Les étudiants ont été répartis au hasard dans l'une ou l'autre des deux issues du scénario : la patiente est transférée dans un autre service, ou bien elle subit un arrêt cardiorespiratoire et décède. Les participants ont évalué leurs émotions et leur charge cognitive après la formation. Trois mois plus tard, les auteurs ont évalué les performances de ces étudiants lors d’une simulation d'examen clinique d'un homme de 60 ans présentant une perte de conscience due à l'ingestion d'éthylène glycol. Les résultats montrent que les émotions ont tendance à être plus négatives pour les étudiants avec lesquels la patiente simulée décède. Ces étudiants ont également signalé une charge cognitive plus élevée et leur compétence diagnostique était moins susceptibles d'être jugée favorablement, tout comme leur capacité à prendre en charge un patient. Les auteurs concluent donc que l’enjeu de la recherche dans le domaine est de définir la meilleure façon d'utiliser les expériences émotionnelles négatives pendant la formation par simulation. Comme on va le voir dans l’examen de la littérature qui suit, se former sur simulateur est plus efficace que ne pas se former. Mais, rendre compte d’un autre gain est plus difficile, notamment quand on cherche un transfert des compétences vers des situations réelles : le réalisme des simulateurs et la conception du scénario de formation constituent alors des critères décisifs.


C. Plus-values et limites

Selon Amadieu et Tricot (2014), qui prennent l’exemple de l’utilisation de la simulation dans la formation des pilotes, il n’est pas question de totalement exclure l’apprentissage pratique sur avion, mais de réduire sa part. La combinaison simulateur + avion donne en moyenne de meilleurs résultats que l’apprentissage sur avion seul (Hays & Jacobs, 1992). Merchant, Goetz, Cifuentes, Keeney-Kennicutt et Davis (2014) ont réalisé une méta-analyse sur les effets de la réalité virtuelle dans le domaine de l’éducation, en examinant trois applications de la réalité virtuelle : jeux, simulation, mondes virtuels. Pour ce qui concerne la simulation, ils ont identifié 29 études. Les résultats suggèrent que les simulations en réalité virtuelle ont un effet positif mais modéré sur l’apprentissage (d = 0,36). Pour les études sur la simulation (pour les apprentissages procéduraux), le fait de fournir un feedback constitue un critère décisif ; le feedback le plus efficace est celui où, en cas d’erreur, le retour donné à l’élève porte sur la connaissance à mettre en œuvre.

McGaghie et al. (2011) ont réalisé une méta-analyse sur les apports de la simulation dans les formations en santé, sur 14 publications sélectionnées (parues entre 1990 à 2010). Ils obtiennent un effet positif en faveur des formations avec simulateur par rapport aux formations sans simulateur (d = 0,71). Cook et al. (2011) ont réalisé une autre méta-analyse, sur le même sujet. Ils ont sélectionné beaucoup plus d’articles (609 dont 137 étaient des études randomisées comparant deux groupes au moins). Les résultats montrent que, comparativement à l'absence d'intervention, la taille de l’effet d = 1,20 pour les résultats liés aux connaissances (118 études), d = 1,14 pour la vitesse de réalisation de la tâche (210 études), d = 1,09 pour l’efficacité dans la mise en œuvre du savoir-faire (426 études), d = 1,18 pour les compétences relatives au savoir (54 études), d = 0,79 pour la gestion du temps (20 études), d = 0,81 pour la mesure du temps pour évaluer les comportements tout en s'occupant des patients (50 études), et d = 0,50 pour les effets directs sur les patients (32 études). Les auteurs concluent donc à un effet globalement très positif de la simulation quand celle-ci est comparée à l'absence d'intervention. La même équipe a publié une seconde méta-analyse sur le même sujet deux ans après (Cook et al., 2013), mais cette fois-ci ils n’ont sélectionné que les études où la simulation était comparée à une autre intervention. Ils ont recensé 289 études, dont 208 avec essais randomisés. En ce qui concerne les résultats liés aux compétences, la taille de l’effet était de d ≥ 0,50 pour la plupart des conditions d’usage de la simulation : pratique répétée, pratique distribuée, pratique interactive, stratégies d'apprentissage multiples, apprentissage individualisé. La même équipe a aussi publié en 2013 une méta-analyse portant spécifiquement sur la simulation au service de la formation en réanimation (Mundell, Kennedy, Szostek & Cook, 2013). 182 études ont été recensées. Les résultats montrent dans l'ensemble que la formation avec simulation portant sur des connaissances procédurales en réanimation, comparativement à l'absence d'intervention, est efficace quels que soient les résultats évalués, le niveau de l'apprenant, la conception de l'étude ou la tâche spécifique enseignée (les tailles d’effet g de Hedges étant comprises entre 1,05 et 1,92). Comparativement à l'intervention sans simulation, la formation avec simulation entraîne en moyenne une plus grande satisfaction de l'apprenant (g = 0,79) et la maîtrise de la procédure (g = 0,35). Cheng et al. (2014) ont publié une méta-analyse portant spécifiquement sur la simulation au service de la formation en pédiatrie. Ils ont identifié 57 études utilisant la simulation en enseignement de la pédiatrie. Pour les études comparant la formation avec simulation à l'absence d'intervention, l’effet de la simulation est très positif que ce soit pour les connaissances apprises, les compétences (sans tenir compte du temps), les comportements avec les patients et la vitesse d'exécution des tâches (0,8 < d < 1,91). Pour les études comparant l'utilisation de simulateurs présentant un fort réalisme élevé à de simulateurs présentant un faible réalisme, les auteurs ont obtenu des effets en faveur du fort réalisme, avec des tailles d’effet bien moindre (0,3 < d < 0,7). La simulation en formation a été étudiée dans de très nombreux domaines, j’ai choisi de rendre compte de quelques méta-analyses dans le domaine médical car c’est celui où l’on trouve le plus d’études. Pour d’autres domaines, le lecteur pourra consulter le rapport de Stéphanie Roussel pour le Cnesco (2020) et la thèse de Charlotte Hoareau (2016).



Exemple 2 : La coopération entre les apprenants

A. Définition

Les élèves apprennent ensemble quand ils réalisent conjointement une tâche qui est censée produire un apprentissage. Dans la littérature internationale, le terme d’apprentissage collaboratif (collaborative learning) est le plus fréquemment utilisé pour désigner ce type de situation. Parfois, la collaboration est opposée à la coopération, la seconde impliquant un partage de tâches différentes entre les élèves, qui travaillent donc isolément pendant un temps, la première correspond aux cas où les élèves font la même chose en même temps (Dillenbourg, 1999). Parfois on désigne la coopération comme tâche d’apprentissage (un dialogue par exemple ne peut pas être réalisé seul, c’est une tâche nécessairement collective) alors que d’autres fois, la coopération correspond à une façon de s’engager dans la tâche (par exemple, quand les élèves résolvent un problème de mathématiques à plusieurs, la tâche de résolution de problème pouvant être aussi réalisée seul, elle n’est pas intrinsèquement coopérative ; cependant, l’engagement conjoint de plusieurs élèves dans une même tâche peut produire des effets importants, cf. Chi & Wylie, 2014). La collaboration pour apprendre peut être synchrone ou asynchrone, impliquer directement l’enseignant ou non, obéir à un « script » ou non. La littérature dans le domaine est actuellement une des plus importantes de la recherche en éducation : on compte en moyenne 20 000 publications par an contenant l’expression exacte « collaborative learning » sur le moteur de recherche GoogleScholar. Cette littérature a permis d’identifier les conditions de réussite des apprentissages collaboratifs, qui sont à la fois plus exigeants que les apprentissages individuels, mais qui rendent accessibles certaines tâches trop exigeantes pour être réalisées seul (Kirschner et al., 2018).

Les outils numériques ont joué un rôle très important dans le développement des apprentissages collaboratifs : ils permettent à des élèves d’apprendre ensemble alors qu’ils ne sont pas dans le même lieu. Mais la littérature sur le computer supported collaborative learning (CSCL) n’est pas seulement liée aux apprentissages à distance : elle est aussi liée au fait qu’on ne peut pas limiter aux situations solitaires les apprentissages avec des outils numériques. De très nombreux travaux ont donc été consacrés aux situations où les élèves sont dans la même pièce et doivent apprendre ensemble devant un ordinateur, ou coopérer via l’ordinateur (parfois même, uniquement via l’ordinateur, la communication directe étant proscrite). Ces nouvelles possibilités ont produit d’innombrables travaux, qui se sont progressivement structurés en un domaine, avec sa revue internationale (le International Journal of Computer-Supported Collaborative Learning, depuis 2006), ses colloques (les CSCL conferences, depuis 1995) et ses ouvrages de référence, depuis le début des années 1990. Aujourd’hui on peut trouver plus de 40 000 publications académiques avec l’expression exacte « computer supported collaborative learning » sur GoogleScholar.

B. Exemples d’activités et d’outils numériques

Typiquement, les activités relevant du CSCL sont réalisées sur des plateformes d’apprentissage collaboratif, où une tâche d’apprentissage (par exemple résoudre un problème) est réalisée conjointement par plusieurs élèves avec un outil qui permet non seulement de réaliser la tâche mais de collaborer. Parfois, le soutien à l’activité de collaboration est minimal (les élèves peuvent communiquer via l’ordinateur, à l’écrit et/ou à l’oral), tandis que d’autres fois il est extrêmement élaboré : les activités d’élaboration collective du but, de partage des tâches, de gestion du temps, de régulation des échanges, d’évaluation de l’avancée des contributions individuelles, etc. sont soutenues informatiquement (par ex. Moguel et al., 2012). La réalisation de la tâche d’apprentissage peut, elle aussi, être soutenue, en donnant par exemple une représentation partagée de la tâche collective et de son avancement à l’ensemble des participants au groupe. Potentiellement, toute tâche d’apprentissage peut être réalisée de façon collective sur ordinateur : écrire un texte (c’est même avec cette tâche que les premiers travaux du domaine CSCL ont démarré à la fin des années 1980), préparer un exposé, résoudre un problème, étudier un document, conduire un projet, etc. Mais la littérature en CSCL a donné lieu à un développement très important des travaux sur une tâche originale : l’apprentissage par l’argumentation collective (voir par exemple l’ouvrage de Andriessen, Baker & Suthers, 2013). Les élèves ou étudiants, par exemple à partir de la lecture d’un texte ou de l’étude d’un résultat de recherche, doivent débattre en proposant des arguments et des contre-arguments. Les arguments sont notés et représentés visuellement sur l’écran d’ordinateur, l’outil numérique pouvant soutenir la structuration des relations entre les arguments (d’opposition, de concession, de complémentarité, d’accord, etc.).

Progressivement, la recherche en CSCL s’est orientée vers des activités où l’apprentissage est le produit des interactions au sein d’un groupe. Les élèves n’ont pas une tâche à réaliser qui permettrait l’apprentissage et dont on pourrait se demander si elle est plus efficacement réalisée seul ou en groupe, avec ou sans ordinateur. La tâche n’est plus qu’un prétexte, c’est l’interaction elle-même qui produit les connaissances (comme dans le dialogue socratique, archétype du dialogue épistémique, qui produit des connaissances chez l’un des interlocuteurs au moins ; mais, dans l’idéal, tous les participants à ce type d’interaction peuvent y apprendre).

C. Plus-values et limites

Dans la synthèse récente de Kirschner et al. (2018), les auteurs recensent dix conditions pour que les élèves apprennent mieux en groupe : la tâche est suffisamment complexe pour justifier le surcroît de travail ; la réalisation de la tâche est guidée quand les élèves doivent faire face à une nouvelle situation ou à un nouvel environnement de collaboration ; l'expertise des membres du groupe dans le domaine de contenu est élevée ; l'expertise des membres du groupe pour collaborer est élevée ; la taille du groupe est limitée ; chacun sait précisément ce qu’il a à faire ; la répartition des connaissances entre les membres du groupe est homogène ; les membres du groupe ont de l'expérience, ils savent coordonner leurs actions sur les tâches ; les membres du groupe se connaissent, ils ont l’habitude de travailler ensemble. Les auteurs de cette synthèse mettent en exergue un effet paradoxal qui a occupé une grande partie de la recherche en CSCL : alors que les plateformes d’apprentissage collaboratif sont censées soutenir les activités des élèves, la prise en main et l’utilisation même de ces plateformes peut être tellement coûteuse qu’elle gêne les élèves au lieu de les aider. Kirschner et al. mettent cette difficulté en haut de leur liste, juste après celle qui est due à la collaboration elle-même. En effet, la littérature montre bien et depuis longtemps que si la tâche est suffisamment simple pour être réalisée par un élève seul, alors demander de la réaliser de façon collective va probablement détériorer sa réalisation et l’apprentissage. En somme, le CSCL peut agir comme une double peine : non seulement il faut apprendre à plusieurs, ce qui est exigeant, mais en plus il faut le faire via un ordinateur, ce qui rend l’apprentissage et la collaboration plus exigeants encore ! Dans ces conditions, les plus-values peuvent sembler difficiles à trouver La première méta-analyse de la littérature sur le sujet a été publiée par Lou, Abrami et d’Apollonia en 2001. Les résultats de cette méta-analyse sont positifs en faveur du CSCL (comparé au même apprentissage réalisé seul sur ordinateur), mais avec une petite taille d’effet (d = 0,15). Cette étude est surtout intéressante car les facteurs qui montrent un effet significatif sont exactement ceux que l’on trouve habituellement dans la littérature sur les apprentissages collaboratifs sans ordinateur, comme la taille et la composition du groupe, le guidage, etc. (présentés dans le paragraphe précédent). La littérature à partir des années 2000 s’organise surtout autour de la résolution du problème posé par la grande exigence du CSCL, et de la solution que représente le fait de proposer un « script » aux élèves (voir la présentation synthétique de Kollar, Wecker & Fischer, 2018). Dillenbourg, dès 2002, avait prévenu que les scripts trop contraignants prennent le risque de dénaturer la collaboration entre élèves, dont l’activité pourrait se réduire alors à suivre le script. Vogel, Wecker, Kollar et Fischer (2017) ont publié une méta-analyse sur les scripts en CSCL. Selon eux, un script « offre un étayage sociocognitif qui permet aux apprenants de s'engager dans des activités de collaboration qui sont considérées comme bénéfiques pour l'apprentissage ». Leur méta-analyse montre que les scripts en CSCL peuvent améliorer les apprentissages. L'apprentissage à l'aide des scripts CSCL entraîne un léger effet positif sur l’apprentissage de connaissances spécifiques, i.e. typiquement des connaissances scolaires (d = 0,20), et un effet positif important sur les aptitudes à la collaboration (d = 0,95), par rapport aux environnements CSCL sans script. Les scripts CSCL peuvent être efficaces pour l'apprentissage de connaissances spécifiques quand ils incitent à des activités transactives (i.e. des activités dans lesquelles le raisonnement d’un apprenant s'appuie sur la contribution d'un autre apprenant) et lorsqu'ils sont combinés avec un étayage supplémentaire spécifique au contenu (problèmes résolus, cartes conceptuelles, etc.).

D’autres aspects ont récemment été pris en compte, comme les états affectifs des apprenants (Reis et al., 2018), leur sentiment d’auto-efficacité (Wilson & Narayan, 2016), l’agencement de la salle de classe (Mercier, Higgins & Joyce-Gibbons, 2016), ou la réflexion des apprenants sur leur propre travail commun (Lavoué, Molinari, Prié & Khezami, 2015). D’autres méta-analyses récentes se focalisent sur un domaine académique particulier, comme les sciences (Hmelo-Silver, Jeong, Faulkner & Hartley, 2017) ou le CSCL mobile (mCSCL). Sung, Yang et Lee (2017) ont analysé 48 articles et thèses de doctorat sur la période 2000-2015. Ils montrent que le mCSCL produit des améliorations significatives pour l'apprentissage collaboratif, avec un effet moyen d = 0,51, ce qui signifie qu'environ 70 % des élèves des groupes expérimentaux apprenant avec des scénarios coopératifs/collaboratifs basés sur les appareils mobiles ont obtenu de meilleurs résultats que leurs homologues qui ont appris individuellement avec des appareils mobiles ou qui ont appris en groupe sans l'aide d'appareils mobiles. Les variables modératrices sont encore les mêmes que celles de la littérature sur les apprentissages collaboratifs. Enfin, Jeong et Hmelo-Silver (2016) ont essayé d’exploiter cette littérature pléthorique sur le CSCL de façon constructive. Elles ont proposé de définir sept caractéristiques pour que les environnements CSCL produisent de l’apprentissage. Ces auteures lancent en quelques sortes sept défis aux concepteurs des environnements CSCL, qui doivent permettre aux apprenants :

  • de s'engager dans une tâche conjointe, où la collaboration est nécessaire, perçue comme telle, où la tâche a du sens et est à la portée des apprenants ;

  • de communiquer, aussi aisément que possible, en bénéficiant des avantages de la communication synchrone et asynchrone ;

  • de partager des ressources, en étant directement incités à partager, et en bénéficiant d’outils et de stratégies de partage ;

  • de s'engager dans une coopération efficace, en structurant le partage des tâches, en fournissant des scripts, mais sans excès ;

  • de s'engager dans la co-construction de connaissances, en élaborant des objectifs et des problèmes communs, en partageant des références, en soutenant les discussions productives, en élaborant des traces, des résumés de ce qui a été discuté ou convenu, en disposant d’un espace de travail partagé, en partageant des normes et des attentes socioculturelles ;

  • de gérer et de réguler l'apprentissage coopératif, en sachant ce qu’il faut gérer et comment, ce qu’il faut réguler et comment, en développant l’agentivité chez les apprenants ;

  • de trouver et former des groupes et des communautés, en soutenant la formation de ces groupes (e.g. intérêts communs), en aidant les participants à apprendre les uns des autres (e.g. développement d'un système de mémoire transactive), en tenant compte des diverses formes d'interaction (e.g. interaction indirecte par l'intermédiaire d'artefacts).

D. Place dans les manuels scolaires Le fait que le CSCL soit potentiellement compatible avec toute tâche scolaire implique que les manuels scolaires numériques peuvent inclure des phases de CSCL, par exemple pour la résolution collective d’un problème, l’étude collective d’un document, etc. Cependant, en l’état actuel, ce n’est pas une piste souvent envisagée.




Conclusion du rapport :

Les outils numériques remplissent des fonctions pédagogiques très diverses, dans toutes les disciplines scolaires et à tous les niveaux de la scolarité, des études et de la formation professionnelle. Avec les outils numériques, les enseignants peuvent présenter de l’information, tandis que les élèves peuvent lire et comprendre un texte, apprendre à lire, écouter un document sonore, écouter un texte sonorisé, regarder / lire un document multimédia, regarder une vidéo, une animation et prendre des notes. Quand ils manquent de connaissances en situation, les élèves peuvent utiliser des outils numériques pour poser des questions, demander de l’aide, rechercher de l’information et résoudre des problèmes. Ils peuvent aussi s’entraîner, jouer, et les outils numériques sont censés les motiver. Quand ils n’ont pas les moyens de se rendre physiquement dans une école, ils peuvent coopérer et apprendre à distance dans des environnements numériques. Les enseignants peuvent bénéficier de l’aide d’outils numériques pour évaluer les performances des élèves mais aussi suivre leurs progrès et analyser leurs difficultés, tandis que les élève peuvent s’autoévaluer grâce à ces outils. Les outils numériques peuvent aussi soutenir des activités très ouvertes : créer un objet technique, une œuvre picturale ou sonore, produire un texte, un document, seul ou à plusieurs, programmer, découvrir des concepts abstraits, faire émerger des idées, développer sa créativité ou même expérimenter. Si l’expérimentation assistée par ordinateur permet surtout d’apprendre des connaissances notionnelles, les simulateurs et la réalité virtuelle permettent d’apprendre à faire quelque chose. Enfin, certains outils numériques peuvent permettre de mémoriser, apprendre par cœur, essentiellement du lexique en langue vivante étrangère.

Ces fonctions ne représentent que des possibilités, que les données empiriques collectées depuis plus de 40 ans vont confirmer ou mettre en doute. Le choix de privilégier les méta-analyses de la littérature empirique dans ce rapport permet de dresser 9 constats :

1. La littérature empirique qui tente de mettre à jour les plus-values du numérique pour les apprentissages académiques est pléthorique. 303 références ont été analysées dans le cadre de ce rapport, dont 50méta-analyses (chaque méta-analyse portant en moyenne sur 70 publications).

2. Les méta-analyses mettent en évidence des effets moyens le plus souvent positifs et modestes, avec une très grande variation des tailles d’effet autour de la moyenne. Ce qui veut dire que souvent, les outils ne suffisent pas, à eux seuls, à améliorer les apprentissages de façon notable ; parfois ils y parviennent, mais parfois ils détériorent ces apprentissages. Pour être efficaces, les outils doivent non seulement être pertinents pour l’apprentissage de la connaissance visée, mais aussi être intégrés de façon pertinente dans une situation d’enseignement – apprentissage, c’est à-dire qu’ils doivent être compatibles avec la tâche à réaliser, avec le temps disponible, avec l’organisation sociale, matérielle et spatiale de la situation. Pour cela, les outils doivent être faciles à prendre en main, les enseignants doivent être formés et accompagnés à leur utilisation en situation d’enseignement, ils doivent pouvoir partager, échanger entre eux à ce propos.

3. Certaines fonctions pédagogiques bénéficient (en moyenne) fortement du numérique : la compensation, le contournement et la rééducation pour les élèves porteurs de troubles ou en situation de handicap, la simulation pour apprendre à faire quelque chose, notamment dans un environnement virtuel, représenter ce qu’on ne savait/pouvait pas représenter auparavant, enrichir les informations présentées, rechercher de l’information, résoudre un problème mathématique avec une calculatrice, s’entraîner à faire quelque chose (de simple), apprendre à distance (quand on ne peut pas se déplacer) et encore mieux en apprentissage mixte (quand on peut se déplacer un peu), écrire un texte, seul ou à plusieurs (mais cela n’économise en rien l’enseignement de l’écriture), expérimenter ou simuler en sciences, mémoriser du lexique en langue vivante étrangère.

4. Certaines fonctions pédagogiques bénéficient modérément (en moyenne) du numérique : regarder des vidéos et des animations pour comprendre, jouer, recevoir un feedback immédiat élaboré, concevoir de (nouveaux) objets. Ces effets modérés moyens cachent de belles réussites et de cuisants échecs, qui sont probablement liés (entre autres) à un manque de compétences et de moyens chez les concepteurs : nous devons absolument progresser dans la conception de ces outils.

5. Pour certaines fonctions pédagogiques, on ne sait pas encore quelles sont les éventuelles plus values : c’est le cas de la programmation et du développement de la créativité.

6. Les outils numériques n’ont pas d’effet, en moyenne, sur la motivation scolaire.

7. Les outils numériques ont tendance à détériorer la lecture – compréhension de textes ; la prise de notes, notamment quand l’ordinateur est connecté à Internet, quand d’autres applications que le traitement de texte sont disponibles ; la demande d’aide ; la découverte de concepts abstraits ; la compréhension de phénomènes dynamiques complexes ou de discours complexes quand les supports présentent une information transitoire, sans pause.

8. De façon très générale les outils numériques représentent des exigences cognitives supplémentaires, ils ne constituent en rien une solution de facilité. Cela représente dans certains domaines de nouveaux enjeux, de nouvelles compétences à apprendre par les élèves, notamment dans la compréhension de textes complexes, multi-sources et dans la recherche d’information.

9. Les outils numériques représentent aussi de nouvelles exigences pour les concepteurs de supports d’enseignement. Leur faire connaître, par exemple, les « principes multimédia » compilés par Richard Mayer, présentés plus haut, semble tout à fait utile (Malti, 2018). La conception de supports numériques bénéficie très peu des cinq siècles qui ont permis à l’édition papier d’asseoir ses standards et ses savoir-faire. Les concepteurs de jeux sérieux doivent apprendre à concevoir des jeux efficaces pour faire apprendre des connaissances scolaires ou professionnelles, c’est-à dire savoir mobiliser des compétences de haut niveau dans trois domaines : la conception de jeux, la conception de situation d’enseignement - apprentissage (en autonomie la plupart du temps), la conception de systèmes informatisés et d’interfaces. Les concepteurs d’environnements d’apprentissage collaboratif à distance doivent savoir répondre aux sept défis définis par Jeong et Hmelo-Silver (2016), présentés plus haut. Les concepteurs de vidéos et d’animations pour l’enseignement doivent apprendre une nouvelle façon de concevoir et de monter des images dynamiques, comme le proposent Lowe et Boucheix (2017).


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