Transports

Transport aérien : Air Sénégal : le dernier plan de sauvetage 

• La réunion d'hier instruite par le Président pour éviter le crash financier

• L'accord de partage de Code avec la Ram et les discussions avec Air France et Air Côte d’Ivoire

• L'avis des experts sur les limites et insuffisances de la compagnie

Suppression des lignes, difficultés techniques et financières, problèmes de management : Air Sénégal, «l’impossible » décollage


Fondée en 2016 et détenue entièrement par l'Etat du Sénégal, à travers la Caisse des dépôts et des consignations (Cdc), la compagnie aérienne Air Sénégal Sa lambine dans les airs et peine à atteindre sa vitesse de croisière et assurer son ambition de leader du transport aérien en Afrique de l'ouest. 

Diagnostic d'un impossible décollage.


Air Sénégal avait frôlé le «crash», en juillet 2022. Grippée par la pandémie de Covid-19, la compagnie nationale avait presque atteint l'altitude financière qui pouvait lui permettre de se maintenir encore dans les airs. Et, pour éviter le «crash», seulement six ans après sa création (fondée en 2016 et détenue par l'Etat du Sénégal à travers la Caisse des dépôts et des consignations), le chef de l'Etat, Macky Sall intervient par un réaménagement dans le top management de la boite. L'ingénieur polytechnicien, Ibrahima Kane, qui avait succédé en 2019 au français Philip Bohn, est remplacé par le pilote de ligne sénégalais, Alioune Badara Fall, pour, souligne-t-on, «insuffisance de résultats». En juillet 2022, Alioune Badara Fall prend le contrôle de la compagnie. Le nouveau Directeur général d'Air Sénégal qui a comptabilisé plus de 30 années d'expérience dans le milieu de l'aviation civile est accueilli comme le «Messie», le «pilote»> qui doit assurer le décollage de la compagnie nationale dont l'ambition du régime de Macky Sall est d'en faire le leader du transport aérien en Afrique de l'ouest avec le hub régional de l'Aéroport international Blaise Diagne (Aibd). Encore une fois, le chef de l'Etat est intervenu pour tenter de sauver la compagnie considérée comme l'une ses plus belles réalisations. Suivant ses instructions, une réunion de sauvetage s'est tenue; hier mardi, entre les différents acteurs du secteur, sous la supervision du Premier Ministre Amadou Bâ, en présence du ministre des Transports aériens Me Antoine Mbengue, du Directeur général de la société AIBD SA Abdoulaye Dièye, du patron de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc)... pour peaufiner la stratégie à mettre en œuvre pour éviter le crash financier, peut-on lire dans le journal l'Observateur paru ce mercredi 29 novembre 2023.


Difficultés financières et techniques


Seulement, plus d'un an et demi après la nomination d'Alioune Badara Fall à la tête de la boite, Air Sénégal peine encore à décoller réellement pour atteindre ses ambitions de leader du transport aérien dans la sous-région. 


Dernièrement, Air Sénégal a pris la décision radicale d'annuler une bonne partie de ses liaisons vers l'Europe. 


Confrontée à une concurrence accrue de transporteurs plus résistants économiquement et à une limitation de la capacité de charge sur ses équipements compromettant ses performances, la compagnie aérienne nationale a décidé de réduire quatre liaisons vers l'Europe dès mi-janvier 2024. Le site «aéroroutes.com»> précise que les liaisons supprimées comprennent Dakar- Barcelone (2 vols hebdomadaires avec la A319, la réservation a été clôturée après le 18 janvier 2024), Dakar Marseille-Lyon-Dakar (2 vols hebdomadaires avec la A319, réservation clôturée après le 16 janvier 2024), ainsi que Dakar-Milan Malpensa (2 vols hebdomadaires avec la A321, réservation clôturée après le 15 janvier 2024). 


Les réservations pour ces trajets ne seront plus disponibles après mi-janvier 2024. En contrepartie, la compagnie aérienne, Air Sénégal a planifié 6 liaisons hebdomadaires Dakar-Paris Charles De Gaulle entre le 13 janvier 2024 et le 13 février 2024.


Pourtant durant les 12 mois qui ont précédé septembre 2023, les données de réservation ont montré un nombre significatif de passagers effectuant des trajets aller-retour entre Dakar-Milan (140 000 passagers), Dakar-Barcelone (79 000 passagers), Dakar- Lyon

(58 000 passagers) et Dakar-Marseille

(51 000 passagers). Mais, ces chiffres ne semblent pas avoir été suffisants pour Air Sénégal.


Au-delà de la concurrence directe, de la gestion des vols et les retards qui constituent un véritable problème pour la compagnie aérienne, Air Sénégal fait face également à un déficit de trésorerie. Après le départ de Ibrahima Kane, la nouvelle direction avait commandité un audit. Et c'est le cabinet français Kpmg qui a été sollicité pour les besoins d'audit de la compagnie. L'audit révèle une dette de 67 milliards FCfa laissée par l'ancienne équipe et pour éviter la faillite de la compagnie, les auditeurs préconisent une enveloppe de 100 milliards FCfa pour sa relance. Mieux le cabinet avait recommandé dans le plan de relance de la compagnie une rationalisation des coûts de la flotte, l'arrêt des routes structurellement déficitaires, entre autres.


Un problème de top management


Pour l'expert juridique en aviation civile, Massourang Sourang, le fond du problème d'Air Sénégal comme les défuntes compagnies (Sénégal Airlines, Air Sénégal international), c'est son top management. Informé des activités de la compagnie nationale, l'expert juridique en aviation civile souligne qu'Air Sénégal croule sous le poids des problèmes et si le Gouvernement ne réagit pas rapidement, la compagnie risque de faire faillite. Il explique:


«Avant de lancer une nouvelle liaison, on doit faire d'abord une étude de ligne pour bien connaître le marché, quels sont les concurrents et quelle peut être ta part. Maintenant, si on constate qu'on risque d'avoir des problèmes, on fait des prix d'appel. C'est-à-dire que la compagnie prend toutes les charges sur le billet plus un dollar ou un euro. Si la compagnie fait cela, elle attire automatiquement la clientèle. Et une fois installée, la compagnie peut évoluer petit à petit jusqu'à atteindre sa vitesse de croisière. Mais, malheureusement le management d'Air Sénégal ne semble pas être préoccupé par cela, il ne fait rien. C'est à croire même qu'il copie Saudia Airlines en faisant des lignes de prestige. Alors qu'ils n'en ont pas les moyens et la dette de la compagnie est très lourde. Aujourd'hui, la compagnie Air Sénégal fonctionne comme la défunte Air Afrique. Elle a un problème de management». Prenant l'exemple de la liaison Dakar-Milan qui a été fermée, Massourang Sourang fait savoir que si la direction d'Air Sénégal avait fait une bonne étude de marché, elle n'accepterait pas que ses vols soient programmés le matin à 8 heures. Parce que d'après lui, les Sénégalais d'Italie ne voyagent pas le matin, alors que si l'avion passait à Milan vers 14 heures, il allait faire un grand ramassage.


«La Royale Air Maroc (Ram) nous avait fait ce coup-là quand elle était en partenariat avec Air Sénégal international. Pour fermer le siège de la compagnie sénégalaise à Milan, la Ram avait programmé le vol d'Air Sénégal international à 8 heures et le tien à 14 heures, et elle avait pris toute la clientèle et nos avions revenaient presque vides», rappelle-t-il.


Ouverture du capital aux investisseurs privés


Aujourd'hui, pour éviter le «crash» à la compagnie Air Sénégal, Massourang Sourang préconise de mettre à la tête de la direction de bons gestionnaires. Pour lui, il faut revoir le top management de la compagnie et éviter de mettre des pilotes de ligne à la tête de la direction. Massourang Sourang: «Le top management, c'est des postes administratifs surtout quand on est dans un secteur très procédurier comme le transport aérien. Pour bien gérer la compagnie, il faut prendre de très bons managers et qu'ils soient en plus juristes et économistes. Ces managers respectent les procédures, mais les techniciens fonctionnent souvent avec leur bon sens seulement. L'Etat doit éviter de confier la gestion aux pilotes et de se focaliser sur un cercle qui ne fait pas l'affaire de la compagnie. Un pilote n'a pas vocation à faire la gestion, il est là pour faire voler un avion. En matière de management d'une compagnie, un pilote ne doit pas dépasser le poste de direction des opérations. Après avoir réglé le problème de management, l'Etat doit ouvrir le capital de la compagnie aux investisseurs privés. Ces deux facteurs sont fondamentaux pour relancer la compagnie». En attendant, l'Etat cherche la meilleure formule pour éviter le «crash» à la compagnie.


ME ANTOINE MBENGUE, MINISTRE DES TRANSPORTS AERIENS

ET DU DEVELOPPEMENT DES INFRASTRUCTURES AEROPORTUAIRES

«Un accord de partage de Code a été signé avec la Ram et des discussions en cours avec Air France...>>


M. le Ministre, la Compagnie aérienne Air Sénégal a annulé dernièrement plusieurs liaisons vers l'Europe. Et malgré la volonté du Gouvernement d'en faire le leader du transport aérien dans la sous-région, la compagnie peine à atteindre ses objectifs. C'est quoi le fond du problème d'Air Sénégal?


D'abord, il faut souligner qu'Air Sénégal est une compagnie très jeune par rapport à certains de ses concurrents comme la Ram créée en 1957, Ethiopian Airlines créée en 1945 ou Air France créée en 1933. Né en 2016, notre compagnie nationale a commencé son exploitation en 2018. Puis est arrivé en 2019 la pandémie Covid-19 qui a ébranlé l'ensemble des compagnies aériennes du monde. Il est donc normal qu'Air Sénégal connaisse des difficultés. Pour les surmonter, un Plan de relance a été élaboré et adopté en Conseil présidentiel le 28 octobre 2022. La suspension de certaines lignes déficitaires est une recommandation de ce Plan de relance. C'est dans ce cadre que la décision de suspendre certaines lignes d'Europe du sud a été prise.


Je dois vous dire que la suppression de route est une pratique courante au niveau des compagnies aériennes. Par exemple, en 2020, la Ram a supprimé pas moins de 15 routes. Pour revenir à Air Sénégal, des progrès notables ont été réalisés sur le plan de la ponctualité. Au niveau financier, le déficit d'exploitation mensuel a été divisé par deux en un an. La compagnie vient d'avoir la certification IOSA (Iata Operational Safety Audit) qui est un label de qualité et de sécurité qui permet à Air Sénégal de nouer des partenariats avec les grandes compagnies aériennes du monde. D'ailleurs, un accord de partage de Code (Code Share) a été signé avec la Ram et des discussions en vue de nouer des partenariats sont en cours avec d'autres compagnies comme Air Côte d'Ivoire et Air France. Elles permettront à Air Sénégal d'élargir son réseau à moindre risque et les destinations arrêtées seront bientôt desservies grâce à ces partenariats.


Après un audit du Cabinet Kpmg, les auditeurs avaient demandé d'injecter une enveloppe de 100 milliards FCfa pour relancer la compagnie. Qu'est-ce qui a été fait ?


L'audit du Cabinet Kpmg a abouti au Plan de relance dont j'ai parlé plus haut. Une des recommandations de ce Plan était que l'Etat accompagne Air Sénégal qui était très endettée. D'ailleurs, sous l'impulsion du président de la République, l'Etat avait déjà fait des efforts importants pour soutenir financièrement la compagnie nationale. Ces efforts continuent aujourd'hui encore. Heureusement Air Sénégal commence à sortir la tête de l'eau.


Quelles sont les dispositions prises pour relancer la compagnie?


Le Plan de relance a fait plusieurs recommandations parmi lesquelles, je citerai l'amélioration et la maîtrise des revenus (revalorisation de la grille tarifaire des billets), la suspension des lignes structurellement déficitaires, le développement des partenariats avec les autres compagnies, l'optimisation de l'organisation interne, la maîtrise des coûts du carburant, de la maintenance et du handling, etc. La mise en œuvre de ce Plan par la direction d'Air Sénégal commence déjà à porter ses fruits. Par exemple la ligne Dakar-Paris, route phare de la compagnie qui lui apporte 42% de son chiffre d'affaires, est désormais excédentaire malgré la concurrence d'Air France qui fait des vols directs ou la Ram, Tap et Air Algérie qui font des vols sur Paris en passant par leur hub. Mais, le chemin est encore long et difficile. C'est pourquoi, j'encourage le Directeur général de la Compagnie à poursuivre les efforts.

J'invite aussi les Sénégalais à continuer de faire confiance à leur compagnie nationale et à la soutenir.



 

 L'Observateur 




Publié le 29/11/2023