Transports

Air Sénégal en zone de turbulences : les vérités du DG Alioune Badara Fall

  • «Entre le 25 novembre et le 3 décembre, nous avons eu 5 voire 6 avions bloqués»

  • Cette situation difficile sera un vieux souvenir

  • Si Air Afrique marchait très bien c’est parce que…..

ENTRETIEN AVEC... ALIOUNE BADARA FALL, DIRECTEUR GENERAL D'AIR SENEGAL


«Dans les mois à venir, cette situation difficile sera un vieux souvenir»


Le pavillon national, Air Sénégal Sa a défrayé la chronique ces dernières semaines à cause des retards de nombreux vols. Une zone de turbulence d'où la compagnie est sortie depuis le 3 décembre, selon son directeur général Alioune Badara Fall. Ce dernier qui a accepté de se prêter exclusivement aux questions de Walf Quotidien en marge de la 54ème session de l'Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) tenue à Dakar, liste une succession d'évènements ayant conduit à ces désagréments préjudiciables à la compagnie.


WalfQuotidien : Ces derniers temps on a entendu beaucoup de vos passagers, au Sénégal et à l'étranger, se plaindre des retards de vols. Qu'est-ce qui a expliqué cette période noire que vous avez traversée entre la fin novembre et le début de décembre ?


Alioune Badara FALL: Je vais essayer de vous expliquer cette série noire qu'a subi Air Sénégal qui a commencé le 26 novembre et qui a duré jusqu'au 4 décembre. Permettez-moi d'abord, au nom d'Air Sénégal, du chef de l'Etat, du Premier ministre et du ministre des Transports aériens, de présenter nos excuses aux Sénégalais et à tous nos passagers d'où qu'ils viennent par rapport à ces désagréments que la compagnie es a fait subir indépendamment de sa volonté.

Je suis arrivé à la tête de la compagnie en juillet dernier dans une période très difficile. Parce que nous avions déjà deux avions, un Airbus 321 qui était rentré en check C qui veut dire une visite annuelle où l'avion doit être totalement révisé.

Et, malheureusement, nous nous sommes retrouvés dans cette période avec deux de nos avions d'une capacité de 70 places chacun, qui ont pour objectif de desservir l'intérieur et quelques pays limitrophes notamment la Guinée Bissau, la Mauritanie, les îles du Cap-Vert en panne. Un autre avion, qui présentait un défaut d'assistance technique, a été immobilisé pendant une semaine. Ensuite, nous avons eu en même temps un deuxième avion qui a eu des problèmes au niveau des moteurs à cause des intempéries qui ont engendré son immobilisation.


«Entre le 25 novembre et le 3 décembre, nous avons eu 5 voire 6 avions bloqués»


Tous ces incidents ont donc eu pour conséquence l'inactivité de trois de nos avions. Nous devions recevoir un de nos avions qui était à Châteauroux pour renforcer la flotte et malheureusement les services nous ont demandé de reporter sa livraison.

Comme vous le savez, nous sommes dans une période où la reprise de l'exploitation aérienne dans le monde est très dense et la disponibilité des pièces pose un véritable problème. Tout ceci a déstabilisé notre réseau. Nous avons également un Airbus A330 loué par une compagnie bénéficiaire qui devait desservir les Etats-Unis et qui s'est retrouvé aussi avec des ennuis techniques et, malheureusement, il a fallu 5 jours pour régler ce problème.

Notre Airbus 330 Neo qui fait exclusivement Dakar-New York-Baltimore, arrivé à New York, les techniciens nous ont signalé un panneau de remplissage du carburant arraché. Donc, l'Airbus a été aussi cloué au sol pendant 5 jours. Ce qui fait qu'entre le 25 novembre et le 03 décembre, nous avons eu 5 voire 6 avions bloqués. Et pour finir, le 02 décembre un de nos avions décolle de Cap-Skirring pour venir à Dakar et percute un oiseau. L'avion a dû être immobilisé au sol. Ce qui a réduit notre flotte de 10 à 3 avions. Voilà ce qui a expliqué cette série noire.


Nous avons reçu des plaintes concernant notre communication, mais vous savez, quand une panne survient, il faut d'abord avoir la bonne information au niveau de nos techniciens pour connaître la conduite à tenir. Si c'est un Airbus, il faut aussi attendre un avis de l'avionneur. Pendant tout ce temps, le passager attend. Et pour éviter d'annoncer de nouveaux horaires, nous sommes obligés d'attendre parfois une heure voire deux heures pour avoir la bonne information. Tout ce temps d'attente devient insupportable pour le passager qui utilise les moyens qu'il a en sa possession pour exprimer son désarroi.

Lorsqu'on nous dit qu'il y a un avion qui est en panne à Paris, pendant ce temps le même avion est attendu ici à Dakar à 14 heures et il est supposé décoller à 16h pour aller à Conakry. Et arrivé à Conakry, il doit repartir à 19 heures pour aller à Casablanca; c'est toute une chaîne qui est perturbée.

Donc, par le système de communication que nous avons, il y a le directeur commercial et marketing, le service technique et le régulateur qui, tout de suite, se mettent en cellule pour évaluer le type d'incident et combien de temps cela va prendre pour régler le problème.

La bonne information arrive après évaluation de tous les paramètres. Nous avons également un Call Center qui est un service qui, dès qu'il reçoit d'Air Sénégal le message d'alerte et de changement horaire, avise immédiatement tous les passagers. Donc, ce que vous avez entendu comme plainte ou mauvaise communication concernant Air Sénégal, il est évident que c'est parce que nous donnons la bonne information à nos clients. Et le client quand vous lui donnez une information et que vous ne la respectez pas, vous n'êtes plus crédible à ses yeux.


«Le Sénégal sera doté de l'un des plus grands centres de maintenance»


Donc la faute est à l'indisponibilité d'un centre de maintenance au Sénégal ?

C'est une très bonne question. Aujourd'hui, nous n'avons pas accès directement à la maintenance de nos avions. Nous avions des contrats avec les constructeurs, ceux qui nous vendent les avions et qui nous indiquent comment les avions seront entretenus.

Cependant, il faut savoir pour cette question de maintenance que, dans un avenir pas lointain, le Sénégal sera doté de l'un des plus grands centres de maintenance en termes de taille et de performance en Afrique de l'Ouest. Et une fois qu'il est en place, nous n'aurons plus ce souci de maintenance.


Vous avez hérité de la compagnie en juillet dernier dans un contexte extrêmement difficile, est-ce qu'aujourd'hui, sur le plan de la gestion, ça va mieux ?


Il faudrait que tout le monde sache que quand nous sommes arrivés au mois de juillet, nous avons trouvé une situation extrêmement difficile et compliquée. J'en profite pour remercier nos autorités sénégalaises, le ministre Doudou Ka et son équipe qui nous appuient sans relâche et s'investissent pour la compagnie. Nous avons une feuille de route que nous sommes en train de dérouler qui était d'abord axée sur l'arrêt de l'hémorragie financière. Et nous sommes déjà arrivés à cela. Ensuite, il fallait revoir tout ce qui est produit, parce que sans un bon produit ce n'est pas possible. Il fallait jouer sur la ponctualité et, aujourd'hui, la ponctualité s'est beaucoup améliorée. Malheureusement, cette série noire l'a un peu perturbé. Mais, si vous regardez depuis 10 jours, tous nos avions partent maintenant à l'heure et le directeur Commercial et Marketing et ses collaborateurs se sont beaucoup dépensés pour retrouver une bonne tarification qu'il faut adapter à la situation actuelle et qui fait que dans les mois à venir, cette crise financière et cette situation difficile qu'Air Sénégal a vécue seront un vieux souvenir.


Vous avez parlé tantôt d'hémorragie financière... !


Cette hémorragie financière est tout simplement due au développement exponentiel de la compagnie parce qu'il y a eu à un moment donné une perte de la maîtrise du coût. C'est-à- dire, jamais une compagnie nationale n'avait un niveau de développement et de performance comme Air Sénégal aujourd'hui. Donc, aujourd'hui, en trois ans et demi, nous avons acquis toute cette flotte et ouvert ce gros réseau. Et à un moment donné, si nous ne faisons pas attention nous pouvons avoir cette situation financière ingérable. Maintenant, je ne critique la gestion de personne, parce que je dis que tout le mérite revient aux prédécesseurs pour que cette compagnie puisse arriver à ce beau niveau. Il faut serrer la ceinture et éviter la gestion gabégique. Ne pas minimiser les économies et maximiser tous les coûts pour que cela soit une compagnie crédible financièrement. Il n'y a pas de raison pour que cette compagnie ne marche pas.


Vous avez dit que les autorités étatiques croient beaucoup à cette compagnie et elles y ont injecté plus de 100 milliards de francs Cfa, Mais avec ce qu'on voit, l'avenir est-il prometteur ?


Absolument. Vous savez, je n'aime pas dire qu'on a mis 100 milliards ou 50 milliards de francs Cfa. Nous avons aujourd'hui deux Airbus A330 Neo qui appartiennent aux Sénégalais. Il faut que les Sénégalais sachent que lorsqu'ils achètent une allumette à 25 francs, les 5 francs sont des taxes qui servent à accélérer Air Sénégal. Donc, il ne faut pas parler en termes de 100 milliards, mais plutôt de niveau d'investissement. Aujourd'hui, l'Etat du Sénégal a mis un niveau d'investissement et il faut que cela marche et ça marchera. Il n'y a pas de raison pour que cette compagnie ne marche pas. Aujourd'hui, cette compagnie a été auditée par des cabinets de renommée et le langage est clair et net. Il faut recentrer le débat pour maximiser les acquis, voir les lignes qui ne sont pas assez rentables, regarder pourquoi et faire le nécessaire pour qu'elles le soient. Et si c'est un problème conjoncturel et démographique, il faudra réduire ces lignes jusqu'à ce qu'on équilibre les coûts. Et vous verrez, ça va marcher.

C'est l'occasion pour moi de renouveler mes remerciements au chef de l'Etat, Son Excellence, Monsieur le Président de la République, qui a toujours soutenu la compagnie. Je dois aussi remercier le ministre des Transports aériens, Monsieur Doudou Ká qui nous a soutenus sans relâche, lui et ses équipes. Ils surveillent la compagnie comme du lait sur le feu..

Beaucoup de gens parlent de personnel pléthorique à Air Sénégal, alors que vous vous faites assister par d'autres compagnies pour l'enregistrement des vols ou d'autres choses à l'étranger...

Dans quel domaine le personnel est-il pléthorique ? Aujourd'hui, au contraire l'audit relate une carence en termes d'effectif. Et souvent à l'étranger les Sénégalais se disent pourquoi Air Sénégal est assisté par Air France ou Royal Air Maroc.



Je vous pose la question: au Sénégal Air France est assisté par qui ?


Delta est assisté par qui ? Par des Sénégalais. Toutes les compagnies étrangères sont assistées par des Sénégalais. La réciprocité est évidente dans tous les pays du monde. Si une compagnie nous assiste en France, c'est tout à fait normal. Donc, ce n'est pas un problème d'effectifs au niveau de l'embarquement à l'aéroport. Mais, par contre, vous pouvez avoir une disparité en termes d'effectifs. Donc, ce n'est pas un problème d'effectif.


Aujourd'hui, dans le transport aérien, l'heure est aux partenariats et grandes alliances. Pourquoi on ne tente pas cela au niveau d'Air Sénégal ou d'autres compagnies de l'Association des Compagnies Aériennes Africaines?


Air Sénégal est une compagnie et nous sommes sur notre feuille de route à la veille de certains accords avec des compagnies africaines. Et aujourd'hui, j'ai même rencontré le directeur général de Asky. Nous avons tous une panoplie de compagnies pour créer une alliance.

Mais au préalable il y a des conditions qu'il faut remplir avant de tisser ces alliances. On ne peut pas réussir une compagnie aérienne sans alliance. C'est impossible. Par exemple, nous allons vers la suppression de la ligne en New York-Baltimore en janvier. Pour assurer cette ligne, il faut inévitablement passer par une compagnie comme Delta pour pouvoir assurer la continuité vers Baltimore. Nous allons également vers une alliance au Cap-Vert. Nous avons déjà rencontré le ministre des Transports aériens pour une alliance au-delà des îles du Cap-Vert.


Avec le faible trafic africain, est-ce qu'il est viable d'avoir une cinquantaine de compagnies africaines ?


Aujourd'hui, les gens oublient que si Air Afrique marchait très bien, c'est parce qu'à l'époque, il n'y avait pas ces compagnies nationales.

Et il n'y avait que de petites compagnies qui desservaient l'intérieur pour désenclaver. Mais, aujourd'hui, chaque pays tient à avoir sa compagnie. Oui, cela peut marcher et c'est ça l'objectif de l'Association des Compagnies aériennes Africaines (Afraa). Et il faudrait qu'on puisse aller en alliance de façon à ce que chacun puisse desservir sa partie la plus proche et l'autre continuer le tronçon et arrêter cette rude concurrence qui ne fait que du mal aux compagnies. Pourquoi ça marche dans d'autres continents et que ça ne marche pas en Afrique, parce que c'est faible.


Quand il y a une bonne étude de rentabilité d'une ligne basée sur la fluidité de passagers qui passent par vos aéroports ou par vos pays, il est bien d'établir des alliances qui assurent la viabilité de ces compagnies.

Entretien réalisé par le Journal Walf Quotidien paru ce jeudi 15 décembre 2022



Publié le 15/12/2022