Tourisme

« Le secteur hôtelier africain est très dynamique, du fait d’une demande soutenue » (Voltere by Egis)

(VOLTERE BY EGIS) - Entretien avec Ninon Lamothe, Directrice Afrique Voltere by Egis, cabinet conseil de référence sur les métiers du tourisme, de l'hôtellerie, des loisirs et de la culture.

Il y a quelques années, le secteur du tourisme avait émergé comme un pilier essentiel des plans de développement en Afrique, avant d'être contraint de ralentir considérablement son élan en raison de la pandémie de la Covid-19. Quelle analyse faites-vous de l'orientation générale post-Covid des investissements dans le secteur touristique en Afrique ?

Ninon Lamothe : La crise du Covid-19 n’a pas fondamentalement réorienté les investissements dans le secteur touristique en Afrique. Elle a plutôt ralenti la dynamique, avec des projets qui ont été mis en pause et qui sont relancés aujourd’hui, quasiment à l’identique pour la plupart. Plus encore, la pandémie a permis, dans une logique de relance post-crise, de dynamiser les stratégies touristiques qui manquaient d’impulsion et/ou de moyens, avec la fixation de nouveaux objectifs et de nouvelles ambitions.

Par ailleurs, les tendances de fond de la demande touristique se sont renforcées, redirigeant certains investissements vers le tourisme domestique et l’écotourisme – plus caractérisé par un besoin de dépaysement et de communion avec la nature que des considérations environnementales. Dans le même temps, les investissements dans les équipements MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Exhibitions) ou affaires se sont poursuivis voire accélérés et ceux dans les resorts ont connu un souffle nouveau.

De manière globale, le Covid a démontré que la dépendance à un segment unique constituait un risque fort, ce qui a eu un impact double pour les opérateurs et investisseurs, qui cherchent à assurer un modèle économique plus robuste et résilient en menant au préalable des études de marché et de faisabilité fiables, et en privilégiant la mixité des usages grâce à des concepts mixed-use permettant des relais de croissance du chiffre d’affaires.

L'Afrique continue de souffrir d'une mauvaise image due aux stéréotypes négatifs véhiculés à son encontre, notamment par les médias. Ces perceptions exercent une influence défavorable sur la décision de potentiels voyageurs de choisir l'Afrique comme destination. À votre avis, quels sont les éléments sur lesquels les pays africains devraient s'appuyer pour inverser durablement cette tendance ?

Ninon Lamothe : L’Afrique est un continent vaste. Tous les États ne jouissent pas de la même image au niveau international et tous ne subissent pas la même distorsion entre leur image projetée et leur image réelle.

Quoi qu’il en soit, une politique de communication seule, sans stratégie de développement et d’investissement derrière ne sera qu’une coquille vide. Il est important de développer une stratégie de positionnement et de marketing territorial complète, basée sur un diagnostic et une étude de marché, visant à valoriser en avantages concurrentiels, les atouts qui peuvent l’être et qui correspondent aux attentes des clientèles ciblées, et ce, dans le cadre d’une politique holistique. Le cas du Bénin est intéressant : petit pays du Golfe de Guinée, il a réussi, sur les traces du Rwanda et grâce à une politique de développement visionnaire, volontariste et concrète, à se faire une place sur la carte touristique mondiale, jusqu’à figurer à la 7e place du classement Lonely Planet des destinations à visiter en 2024. Une vigilance est toutefois à apporter à la temporalité entre la disponibilité des infrastructures touristiques et l’exposition médiatique pour éviter un effet déceptif.

Une fois la stratégie et les infrastructures mises en place, la promotion active de narratifs positifs, la valorisation des atouts naturels et culturels uniques de l’Afrique urbaine, balnéaire et rurale, et la mise en avant de retours d’expérience positifs, permettraient d’améliorer l’image des pays. Cela peut passer par des partenariats avec des médias internationaux mais aussi avec des influenceurs ou personnalités très suivis sur les réseaux sociaux. L’art est aussi un vecteur d’image fort, et l’art africain, notamment contemporain, a de plus en plus de place sur la scène internationale. A titre d’exemple, les biennales sur le continent sont des rendez-vous incontournables, attirant chaque année de plus en plus de visiteurs et d’artistes.

« L’art est aussi un vecteur d’image fort, et l’art africain, notamment contemporain, a de plus en plus de place sur la scène internationale.»

L’un des enjeux est de montrer une Afrique moderne, incarnée par les créations afro- futuristes et traduite dans les nouveaux produits hôteliers ou mixtes lifestyles que l’on trouve désormais sur le continent (La Maison Palmier ***** – Design Hotels by Marriott à Abidjan, The Social House à Nairobi...).

Enfin, les pays africains doivent mettre à profit les grands événements qui sont autant de vitrines pour promouvoir leurs territoires à l’échelle internationale : le Sommet du WTTC début novembre 2023 à Kigali, la CAN qui aura lieu début 2024 en Côte d’Ivoire, etc.

La promotion du tourisme en Afrique est actuellement fragmentée en 54 initiatives de marketing national, souvent dotées de ressources limitées. Envisage-t-on des initiatives à l'échelle sous-régionale voire continentale pour mutualiser les efforts ?

Ninon Lamothe :  Il faut savoir que la mise en commun des efforts de promotion touristique par plusieurs États est déjà rare au niveau international. Pour autant, la promotion du tourisme en Afrique a fait l’objet de discussions et d’initiatives au niveau sous-régional et continental, visant à mutualiser les efforts et maximiser les bénéfices potentiels du secteur pour le continent. La promotion de la « marque Afrique » représente même l’une des dix priorités du programme d’action pour l’Afrique de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT).

Néanmoins, les ambitions de l’OMT et de l’Union Africaine à ce sujet se heurtent à un obstacle fondamental lié à la disparité des moyens disponibles et investis par les États africains dans le développement et la communication touristiques. Comme dans tout accord multilatéral, l’élaboration, l’adoption puis la mise en œuvre d’une stratégie commune de promotion touristique nécessiteront du temps et devront être pilotées par une institution faîtière intergouvernementale.

Bien que le continent africain soit aujourd'hui l'un des marchés les plus dynamiques dans le secteur hôtelier, les experts estiment que son plein potentiel reste encore largement inexploité. Actuellement, quels sont, à votre avis, les principaux obstacles à une véritable expansion de ce secteur ?

Ninon Lamothe : Le secteur hôtelier africain est très dynamique, du fait d’une demande soutenue, d’un prix moyen élevé et d’un niveau de maturité des marchés portant des perspectives d’évolution. Pour autant, l’investissement se heurte à des obstacles qui ne lui permettent pas d’exploiter tout le potentiel du secteur.

Le premier frein est le coût du financement, marqué par des taux d'intérêt élevés et la réticence des banques, peu familières des particularités de la filière. Les fonds d'investissement spécialisés, bien qu'existants, sont limités et sélectifs, appliquant des stratégies complexes de mitigation des risques. Ceci pèse sur le coût des projets, accentué par des retards administratifs et de construction. In fine, le taux de matérialisation des projets est particulièrement bas – mais ceux qui sortent de terre sont assurés d’être des succès.

« In fine, le taux de matérialisation des projets est particulièrement bas – mais ceux qui sortent de terre sont assurés d’être des succès. »

Un deuxième obstacle réside dans le coût d'entrée sur le marché, demandant adaptabilité et flexibilité des opérateurs comme des investisseurs. Les acteurs panafricains deviennent de plus en plus pertinents dans ce contexte. Par ailleurs, particulièrement dans les destinations secondaires, une approche innovante du développement de produit et l'implantation d'opérateurs internationaux sont nécessaires pour augmenter le volume de clientèles potentielles. Or en l'absence d'incitations politiques, relatives en particulier à l’accès au foncier, aux infrastructures urbaines et de base, et au coût de l’aérien pour le client final, les opérateurs internationaux hésiteront à s'implanter.

Enfin, la formation de la main-d'œuvre dans le tourisme et l'hôtellerie demeure un défi, surtout dans les pays qui se sont récemment positionnés sur ce secteur, notamment en Afrique de l'Ouest. Le manque d'appétence pour ces métiers et les limites des instituts de formation conduisent les opérateurs à former eux-mêmes leur personnel. L'arrivée d'acteurs internationaux offre des perspectives d'amélioration dans les années à venir.

Les pays africains anglophones ont souvent été cités en exemple pour leur dynamisme dans le secteur du tourisme, mais de plus en plus de pays francophones, notamment en Afrique de l'Ouest, cherchent à se démarquer. D'après vous, quels sont les pays de cette sphère africaine francophone qui se distinguent le plus dans ce domaine ?

Ninon Lamothe : Les pays d’Afrique de l’Ouest francophone qui se distinguent à mon sens sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin, qui jouissent tous trois de la stabilité politique et sécuritaire indispensable au développement du secteur touristique, ainsi que d’un littoral attractif.

« Les pays d’Afrique de l’Ouest francophone qui se distinguent à mon sens sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Bénin, qui jouissent tous trois de la stabilité politique et sécuritaire indispensable au développement du secteur touristique, ainsi que d’un littoral attractif. »

Le Sénégal, destination touristique historique portée par ses plages, un riche patrimoine historique, naturel et religieux et les valeurs d'hospitalité de la culture "Teranga", accueille des clientèles internationales depuis la fin des années 1970. Initialement européenne et de loisirs, sa clientèle touristique s'est diversifiée au fil des années, incluant désormais le tourisme d'affaires, favorisé par le dynamisme économique, en particulier à Dakar. Les investissements majeurs d'acteurs hôteliers internationaux soulignent l’attrait continu du Sénégal, y compris en dehors de la capitale. Autre fait marquant, le récent défilé de la maison de haute couture Chanel à Dakar en 2022 illustre un positionnement sur le volet culturel et créatif, et l'intérêt croissant que suscite la destination Afrique de l’Ouest à l'échelle mondiale.

La Côte d’Ivoire est aussi une destination ayant le vent en poupe, avec beaucoup de projets hôteliers, particulièrement axés sur le segment des clientèles d’affaires et MICE. Abidjan, la métropole économique, se profile comme un hub sous-régional du tourisme d’affaires, renforcé par l'ouverture du Parc des Expositions et Palais des Congrès. La croissance économique soutenue et la tenue régulière d'événements internationaux d'envergure contribuent à cette dynamique. L'intérieur du pays, avec des projets hôteliers haut de gamme à Assinie, attire l'attention d'investisseurs locaux et panafricains, stimulés par l'excitation entourant la CAN 2023 et le développement des infrastructures routières, dont la route Côtière Abidjan-Grand Béréby ou le corridor Abidjan-Lagos.

Le Bénin, quant à lui, adopte une approche stratégique ambitieuse avec le tourisme comme pilier central de sa vision de développement, "Bénin Révélé". Cette stratégie englobe divers segments, du tourisme balnéaire à Avlékété au tourisme de mémoire à Ouidah, en passant par le tourisme culturel mettant en avant le vaudou, le tourisme d’affaires à Cotonou et, à terme, le tourisme animalier dans la région de la Pendjari. Cette diversité dans l'offre touristique vise à attirer une variété de clientèles, aussi bien du Nigéria voisin que des autres pays de la sous-région, d'Europe et d'Amérique du Nord. Les initiatives actuellement déployées, combinées à l'annonce récente de l'ouverture d'un Club Med à Avlékété en 2025, renforcent la confiance des investisseurs et opérateurs, déjà stimulée par l'engagement politique affirmé au plus haut niveau.

Comment évaluez-vous la place du secteur touristique au sein du projet de la Zone de libre-échange continentale africaine, dont l'objectif est de créer un marché unique à l'échelle du continent ?

Ninon Lamothe : La libre circulation des biens et des personnes est au cœur de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), visant à dynamiser le commerce intra-africain. Le secteur touristique, pivot économique majeur, peut jouer un rôle clé dans la réalisation de ces objectifs.

La ZLECAf pourrait faciliter les investissements dans le tourisme en réduisant les barrières commerciales et en favorisant une circulation plus fluide des capitaux, des biens et des services. Cette impulsion encouragerait les investissements dans les infrastructures touristiques, stimulant la croissance sectorielle.

« La ZLECAf pourrait faciliter les investissements dans le tourisme en réduisant les barrières commerciales et en favorisant une circulation plus fluide des capitaux, des biens et des services. »

La promotion du commerce et de la coopération régionale au sein de la ZLECAf pourrait améliorer la connectivité continentale, notamment dans les transports aériens et terrestres, bénéficiant ainsi au tourisme intra-africain. En favorisant la coopération régionale, la ZLECAf pourrait également inciter à des partenariats entre pays africains dans le domaine du tourisme, créant des circuits touristiques régionaux et promouvant conjointement des destinations. La question cruciale des visas, en pleine évolution en ce moment, serait également adressée.

L'harmonisation des normes touristiques à l'échelle continentale, comme la standardisation des services hôteliers, pourrait rehausser la qualité et la compétitivité du secteur touristique africain sur la scène mondiale.

En adoptant une vision continentale, l'élaboration de stratégies et politiques de tourisme durable serait facilitée, apportant des avantages tant aux économies locales qu'à l'environnement.




                                                                                                                                                          Publié le 15/11/2023