Les tranchées géantes du Morvan

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Le plus connu des ouvrages de ce type est le « canal du Touron ». Il se situe sur la commune d'Arleuf. L'accès au site est aisé, à partir de la D 177 contre laquelle il s'appuie, à 1 km 112 au nord du hameau de Pasquelins. Il mesure 500 mètres de longueur et 20 à 25 mètres de largeur. Les déblais de la tranchée ont été rejetés de chaque côté. Du haut des talus formés par ces déblais, la profondeur du canal atteint encore 8 à 10 mètres, au centre du dispositif, malgré un comblement partiel inévitable dû à l' érosion des pentes.

Sa construction est traditionnellement attribuée aux Romains qui auraient eu pour objectif de capter les eaux du Haut Morvan afin de les diriger sur Augustodunum. L'ouvrage a été creusé le long d'un axe Nord- Ouest, Sud- Est, sur la ligne de partage des eaux. Deux modestes sources apparaissent au fond de la tranchée et dirigent leur filet d'eau, l'une vers le bassin de Seine par le Touron et l'Yonne, l'autre vers le bassin de la Loire par les ruisseaux d'Anost aboutissant à la rivière de la Celle puis à l'Arroux. Sur l'axe opposé nord - est sud - ouest, le canal se situe à un léger col dont les deux bassins versants atteignent ensemble, 40 hectares. Leurs eaux de ruissellement sont bloquées par les deux talus de déblais. Cette situation rend fort improbable la destination initiale visant à la réalisation d'une réserve d'eau dont la reconstitution après usage, aurait été tributaire du seul apport des deux sources existant actuellement..

L'idée d'une telle utilisation a pris corps par la découverte, à 13 km en aval d'un grand canal gallo - romain captant les eaux de la rivière de la Celle sous le taret, et les amenant jusque sous les murs d'Autun, alors que leur flux naturelles aurait conduit en aval de cette ville. Les vestiges de cet ouvrage sont encore visibles entre Bellevue et les Moreaux, quoiqu'en cours de comblement. Au niveau du captage de la Celle, les bassins versants de cette rivière et de ses affluents sont très vastes. L'apport du canal du Touron apparait bien minime dans l'organisation d'un tel aménagement de récupération des eaux. Son existence n'est pas justifiée par ce projet, mais si elle est antérieure, il n'y avait pas non plus lieu de négliger son apport.

On voit à l'intérieur canal, deux systèmes d'obturation et de vidange, l'un très proche de l'extrémité Sud- Est, en direction d'Autun. ll est difficile d'en dater les vestiges, mais il est probable que ces systèmes ont été utilisés jusqu'à une époque peu lointaine, dans le cadre des opérations de flottage des bûches. A l'état de section cadastral d'Arleuf, en 1838, le propriétaire du« canal» est la société du Commerce de Flottage, à Paris.

Les eaux du« canal» du Touron servaient donc d'apport complémentaire à celles de« l'étang» du Touron, occupant en aval, vers le Nord- Ouest. une étroite et profonde vallée. L'étang du Touron recevait en outre l'appoint de nombreuses sources dirigées, par une suite de canaux, depuis le pied du Mont Moux, notamment les Fontaines Salées (il a été écrit, à tort, que ces sources rejoignaient le « canal » ). Entre « étang » et « canal », une digue de séparation servait de chaussée à une voie protohistorique Bibracte - Alésia. L' existence de cette voie à cet emplacement constitue un argument en faveur d'une datation préromaine du «canal »du Touron.


-Dr BOGROS - A travers le Morvan - édition 1967 - page 248.

-Dr OLIVIER- Le Haut Morvan Romain- 1983 - page 223.

- SHN Autun 20ème bulletin 1907 -PV des séances - page 184.

- C. LORENTZ et J. DE LA COMBLE, SHN Autun 1987 - n° 124 - pages 5 à 20.


A Ourroux en Morvan, entre les hameaux de Courgermain et de Poirot - Dessous, la « tranchée de la Loutière » se présente, dans la forêt, sous l'aspect de deux terrassements successifs creusés le long d'un axe approximativement est - ouest. Le plus grand, vers l'est, mesure environ 120 m de longueur et 22 m de largeur, avec une profondeur de 8 m à son extrémité ouest. Le second, côté ouest, mesure environ 70 m de long, avec une largeur et une profondeur moyennes égales à celle de l'ouvrage précédant. Entre les deux tranchées, il reste une bande de terre de 60 m de longueur dans laquelle sont creusées deux excavations tronconiques, qu'on peut interpréter comme l' amorce de travaux destinés à relier les deux parties de la tranchée. Comme au Touron, on est sur une ligne de partage des eaux, et à un col. De l'extrémité de chaque tranchée sort une source donnant naissance à un ruisseau. Tous deux rejoignent l'Yonne, l'un vers l'Ouest par le ruisseau d'Anxin, l'autre vers l'Est par le ruisseau de la Brouelle, puis l'Oussière. L'espace entre les deux tranchées constitue le col où viennent se croiser plusieurs chemins. Le col est à 560 m, la hauteur Nord est à 597, la hauteur Sud est à 580 m.


  • Dr BOGROS - A travers le Morvan - 3ème édition 1967- page 247.

- DEVOUCOUX - Mémoires de 1a Société Académique du Nivernais - t XXXVI - 1934 -page 91

- Abbé CHARRAUL T - Dans l'omble du Morvan- édition 1987- page 185.

- Dr OLIVIER - le Haut Morvan Romain- 1983- pages 226 et 234.


Sur la commune de Champeau près de Saulieu, un peu au Nord de la limite communale entre Champeau et Alligny en Morvan, et à 900 m au sud de Pierre Billard, on rencontre, au plan cadastral de 1971, un lieu dit« Es Fossés». C'est une tranchée au milieu des bois. Elle mesure environ 125 m de longueur, 20 à 25 m de largeur à son sommet, 5 à 8 m de profondeur vers le centre. Son profil est triangulaire. Ses déblais ont été reportés sur le seul côté Nord formant talus. La tranchée a été creusée sur un axe Ouest - Nord - Ouest, Est - Sud - Est, en ligne de crête et de partage des eaux : vers l'Ouest, le Cousin, qui prend sa source à la Fontaine du Pré de la Croix, affluent de l'Yonne puis de la Seine ; vers l'Est, le Temin, qui prend sa source près de l'église de St Léger de Fourches, à 1SOO m., affluent de l'Arroux puis de la Loire. Cet ouvrage de terrassement est, semble-t-il, inédit. Nous l'avons découvert en prospection, sur indice toponymique.

A Moux. le Camp des Moutelles. entre le village de Moux et le lac des Settons, au Nord de la bifurcation D 121 - D 193, est indiqué, sur la carte I.G.N. au 1/25000ème de Montsauche « ancien camp gallo - romain ». Le site est aujourd'hui bien difficile à appréhender. Il a été perturbé par une décharge d'ordures et par une plantation de résineux, après égalisation des sols. On distingue, sur la bordure Nord, la tranchée, en fort déblai, de l'ancienne ligne de chemin de fer Château Chinon- Saulieu Elle a utilisé, et sans doute modifié la tranchée initiale, car la caractéristique première du site était bien cette tranchée. Elle est citée par l'abbé BAUDIAU qui y a vu« les restes de fossés formant une castramètation ». Le site est connu depuis fort longtemps : on l'appelait, en 1426, « le Champs des Gaulois >> (cf BULLIOT). Là encore, on est sur une ligne de partage des eaux : vers l'Ouest, le lac des Settons, la Cure, la Seine ; vers l 'Est, le ruisseau de Chazelles, le Temin, l'Arroux, la Loire.

- Abbé BAUDIAU - le Morvan II, page 5-6.

- BULLIOT-MSE XXVII- 1899- page 31, et Système défensif des Romains - 1886 - page 79

(il reconnaissait, dans le camp des Moutelles, « un grand vallum dont la

disposition ne ressemblait à aucun des autres travaux romains de nos contrées » ).

- Dr OLIVIER : Haut Morvan Romain- 1983 - pages 136 et 240.


Entre Glux et Fachin, la «tranchée des Mittets >> avait été, selon la légende, creusée par des fées en forêt de Chalençon, dans le but de faire passer les eaux d'un versant à l'autre. Nous n'avons pu la retrouver. Le propriétaire des lieux, Monsieur de VERCLOS, depuis décédé, ignorait l'existence d'un tel ouvrage. Et pourtant, le« Fossey du Mitay » est mentionné au terrier de Glenne en 1670 comme repère de bornage des terres de la seigneurie. Cette tranchée était située sur une ligne de partage des eaux ; au pied Est de la forêt de Chalançon coule l'Yonne (bassin de la Seine). Au pied Ouest, une source captée en bordure de la voie romaine de Bibracte à Château Chinon, donne naissance au ruisseau de Faulin, affluent de la Dragne (bassin de la Loire). Mais cette source apparait en fait beaucoup plus haut, presque en ligne de crête, sous les « Roches de Suize » amas de quartz laiteux à géodes. Dès lors, le tracé permettant de rejoindre l ' Yonne n'est pas difficile à retrouver : dans cette direction Nord - Ouest, Sud - Est, un peu après les Roches de Suize, un thalveg prend naissance, et dans ce thalveg apparait un peu plus bas une autre source près de la ferme ruinée des Frisés, en direction de l'Yonne. Le col à franchir est à la cote 790. C'est dans ce secteur que se trouvait probablement le fossé des Mittets, que les travaux forestiers ont peut - être fait disparaitre.

- Abbé BAUDIAU - le Morvan I - page 360.

- BULLIOT- Mission et culte de St Martin- MSE XIX - 1891 - pages 78, 79

(le Dr BOGROS, dans son ouvrage « A travers le Morvan » évoque la même légende pour la « tranchée de la Loutière ».

  • Dr OLIVIER- Haut Morvan Romain- 1983 -pages 104 à 106 et 226.


A Brion, le Crot Pitois (Crot : creux) est un ouvrage de terrassement à peu près disparu, le long de la voie romaine d'Autun à Feurs, au pied Sud du Mont Dru. Au XIXème siècle, c'était une tranchée longue de 164 mètres dont les déblais, rejetés d'un seul côté, formaient un talus large de 17 mètres à la base et haut de 3 mètres. Selon BULLIOT, le« vallum » était large de 20 mètres et profond de 15, mais probablement à partir du sommet du talus. La tranchée a été creusée à un col, sur un axe Ouest - Est Sur les deux versants, les eaux vont à l'Arroux, à l'Est à hauteur d'Ornez, à l'Ouest sur Laizy. Le site est coupé par la D 222. A l'Est, on ne voit plus rien, des maisons ont été construites. A l'Ouest, on voit encore une vaste tranchée bourbeuse sous une couverture végétale dense. Elle sert de réceptacle depuis des décennies à tous les détritus et déchets de matériaux. des environs et aura certainement disparu dans quelques années. La carte géologique situe juste à côté un indice de quartz, fluorine, barytine, sur leucogranite. BULLIOT a interprété cette tranchée comme un ouvrage de défense gallo - romain. L'architecte ROIDOT en a dressé les plans, conservés à la Société Eduenne.

- BULLIOT - Système défensif- 1856 -page 94. - Autun ancien et moderne- Bibliothèque de la S.E. ll - pages 58 et 64.


Probablement à Fachin, un « Camp des Bagnards » ou « Tranchée des Russes » a laissé quelques souvenirs très vagues, qui n'ont pas permis de situer le monument La dénomination de « bagnards » et de « russes » pourrait évoquer une occupation du site par des prisonniers, mais certainement dans des temps anciens.

Selon le Dr OLIVIER, c'était une« sorte de vallum parallèle à la route» ... La route est la même que celle qui voisinait la tranchée des Mittets, c'est à dire la route romaine venant des abords de Bibracte et allant sur Chateau Chinon, par Fachin Les repères retenus par le Dr OLIVIER placeraient cette tranchée au Nord de Fachin, entre la Come et la forêt de Chaux.

-Dr OLIVIER- Haut Morvan Romain- page 104 (nous n'indiquons ce site que pour mémoire, étant donné son imprécision géographique).

Quelles conclusions peut - on tirer de la comparaison de ces différents sites ?

1 -Leur ancienneté : bien que l'on n'ait jamais de datation sûre, l'absence de souvenirs et de documents écrits, palliée par des légendes et traditions , quelquefois la présence de mobilier archéologique dans l'environnement conduisent à leur attribuer une grande antiquité:

- protohistorique ou gallo- romaine pour le canal du Touron (un silex taillé néolithique sur une voie d'accès);

- protohistorique pour la tranchée de la Loutière ;

-« gauloise » pour le camp des Moutelles ;

- gallo - romaine pour la tranchée des Mittets et pour le Crot Pitois, l'environnement de ce dernier étant très riche en vestiges d'occupation gallo- romaine.


2- Leur objet : pour le Touron et les Mittets, il s'agirait d'un canal. Pour la Loutière, le camp des Moutelles et le Crot Pitois, les archéologues y ont vu (ou du moins supposé) des systèmes de défenses.

3- Leurs dimensions: de 125 à 500 mètres de longueur, de 20 à 25 mètres de largeur, de 5 à 15 mètres de profondeur.

4- Leur proximité d'une importante voie protohistorique ou gallo- romaine : voie Bibracte- Alésia pour le canal du Touron et le camp des Moutelles, voie Chateau Chinon - Lormes pour la tranchée de la Loutière, voie Chateau Chinon - Saulieu pour Les Fossés, voie Bibracte- Château Chinon pour le Fossé des Mittets, voie Autun- Feurs pour le Crot Pitois.

5 - Leur situation géographique et géologique : tous les sites retenus se trouvent à des cols, sur une ligne de partage des eaux. Tous sont en terrain d'ige primaire, plus spécialement granitiques, et tous sont tracés selon des axes variant entre Ouest et Nord Ouest d'une part, Est et Sud Est d'autre part. Cette direction est celle de toutes les failles jalonnées par des filons quartzeux très minéralisés en Morvan (J. BEAUJEU - GARNIER : le Morvan et sa bordure- 1951- pages 60- 61).

Toutes ces remarques nous conduisent à voir dans ces différents ouvrages, non pas des canaux(encore que certains- le Touron entre autres - aient été utilisés comme tels) ni des éléments de structure défensives (considérer la tranchée de la Loutière comme la défense d'un éperon barré, ne résiste pas à une simple visite des lieux:) mais des vestiges d'exploitations minières protohistorique. On peut être tenté de les rapprocher des aurières répertoriées et fouillées en Limousin (B. CAUUET - Les mines d'or gauloises en Limousin. Limoges- 1995). Reste bien sûr à retrouver maintenant des traces de minéralisation aurifère et un mobilier archéologique pertinent.

Roland Niaux

1999

NB : Le pdf de l'article est complété par deux photos de terrain.