Les contes des arts martiaux




Le Maître des Trois Pics

Chang San Fong, le maître des Trois Pics, avait une haute stature, un corps élancé et une constitution robuste qui lui donnaient un air redoutable. Son visage, à la fois rond et carré, orné d'une barbe hérissée comme une forêt de hallebardes. Un chignon épais trônait au sommet de son crâne. Si son allure était impressionante, son regard exprimait cependant une douce tranquilité, avec une lueur de bonté.

Il portait été comme hiver la même tunique fabriquée dans une seule pièce de bambous tressés et il tenait le plus souvent un chasse-mouche fait d'une crinière de cheval.

Assoiffé de connaissance, il passa la plus grande partie de sa vie à pérgriner sur les pentes des monts Sen-Tchouan, Chansi et Houé-Pé. Il visita ainsi les hauts lieux du Taoïsme, allant d'un monastère à l'autre, séjournant dans des sanctuaires et des temples que les pentes escarpées de la montagne rendaient difficilement accessibles. Il fut très tôt initié par les Maîtres taoïstes à la pratique de la méditation. Partout où il passait il étudiait les livres sacrés et il interrogeait sans relâche sur les mystères de l'Univers.

Un jour, alors qu'il méditait déjà en silence depuis des heures, il entendit un chant merveilleux, surnaturel... Observant autour de lui, il aperçut sur la branche d'un arbre un oiseau qui fixait attentivement le sol. Au pied de l'arbre un serpent dressait sa tête vers le ciel. Les regards de l'oiseau et du reptile se rencontraient, s'affrontaient... Soudain, l'oiseau fondit sur le serpent en poussant des cris perçants et entreprit de l'attaquer avec de furieux coups de bec. Le serpent, ondulant et fluide, esquiva habilement les violentes attaques de son agresseur. Ce dernier, épuisé par ses efforts inefficaces regagna sa branche pour reprendre des forces. Puis, il repartit à l'assaut. Le serpent continua sa danse circulaire qui se mua peu à peu en une spirale d'énergie tourbillonnante, insaisissable.

La légende nous dit que Chang San Fong s'inspira de cette vision fonder le Wu-Tang-Paï, le style de "la main souple" qui, façonné par des générations de Taoïstes, devint le le Taï chi chuan.

C'est pourquoi les mouvements du taï chi n'ont  ni début ni fin. Ils se déroulent souplement comme le fil de soie d'un cocon et ils s'écoulent sans interruption comme les eaux du fleuve Yan-Tsé.




Le coeur de saule

Le médecin Shirobei Akayama était parti en Chine pour étudier la médecine, l'acupuncture et quelques prises de Shuai-Chiao, la lutte chinoise.

De retour au Japon, il s'installe près de Nagasaki et se met à enseigner ce qu'il avait appris. Pour lutter contre la maladie il emploie de puissants remèdes. Dans sa pratique de la lutte il utilise beaucoup de force. Mais devant une maladie délicate ou trop forte, ses remèdes sont sans effets. Contre un adversaire trop puissant, ses techniques restent inefficaces. Un  à un ses élèves l'abandonnent. Shirobei, découragé, remet en question les principes de sa méthode. Pour y voir plus claire, il décide de se retirer dans un petit temple et de s'imposer une méditation de cent jours.

Pendant ces heures de méditations il bute contre la même question, sans pouvoir y répondre : "opposer la force à la force n'est pas une solution car la force est battue par une force plus forte. Alors comment-faire ?"

Ors, un matin, dans le jardin du temple où il se promène, alors qu'il neige, il reçoit enfin la réponse tant attendue : après avoir entendu les craquements d'une branche de cerisier qui cassa net sous le poids de la neige, il aperçoit un saule au bord de la rivière. Les branches souples du saule ployent sous la neige jusqu'à ce qu'elles se libèrent de leur fardeau. Elles reprennent alors leur place intactes.

Cette vision illumine Shirobei. Il redécouvre les grands principes du Tao. Les sentences de Lao-Tseu lui reviennent en tête :

        Qui se plie sera redressé

        Qui s'incline restera entier

        Rien n'est plus souple que l'eau

        Mais pour vaincre le dur et le rigide

        rien ne le surpasse

        La rigidité conduit à la mort

        La souplesse conduit à la vie

Le médecin de Nagasaki réforme complètement son enseignement qui prend alors le nom de Yoshinryu, l'école du coeur de saule, l'art de la souplesse, qu'il apprendra à de nombreux élèves.


Extraits de "LES CONTES DES ARTS MARTIAUX" de Pascal Fauliot présenté par Michel Random. Collections spiritualités vivantes. Albin Michel. Extraits