Textes produits dans le cadre de l'Atelier «Au fil des sons» (Printemps des Poètes)

Ces textes, produits dans le cadre du Printemps des Poètes ont été écrits dans des scéances d'écoute active.

Cinq séquences sonores d'une durée maximale de deux minutes étaient proposées à l'écoute; toutes étaient relatives à des ambiances représentatives de milieux sonores typiques de la Haute Provence : un troupeau de brebis en plein champ, une ambiance du marché de Digne au printemps, des «bugadières» lavant le linge au lavoir de La Javie et échangeant en provençal, l'arrivée du Train des Pignes en gare d'Annot.

Chaque séquence a donné lieu à des écoutes successives, avant et pendant le temps de l'écriture. La consigne consistait à s'immerger dans l'ambiance sonore et à tirer de l'écoute des évocations propres à nourrir le travail d'écriture dont le thème imposé était la lettre d'amour.

Ce travail expérimental permet aux participants de tester des conditions et des consignes d'écriture originales.

Plus largement, il s'inscrit dans une recherche portant sur les relations Écoute/Écriture; cet axe de recherche est un élément important pour la Pédagogie du Sonore que propose notre association.

Le 17 mars 2007 à Auzet :

"Mon Amour,

Ce matin, j'étais sur la place du marché. C'était grouillé de monde. Il y avait une boîte à musique qui me rendait mélancolique. Nostalgique de notre amour. J'imaginais que tu étais au milieu de la foule, que je te perdais en elle. «Emporté par la foule... Je lutte et je me débats» chantait Piaf. «Dis, quand reviendras-tu?» fredonnait Barbara. Mais j'ai de la patience. Je sais que la terre est ronde et quoi qu'il arrive tu reviendras. Je te retrouverai au milieu de la foule, te chercherai du regard, reconnaîtrai une de tes odeurs, j'entendrai ta voix, oui, ta douce voix qui fleure bon le thym et le romarin du Midi. Elle est celle qui me rassure. Elle est celle qui me sussure, celle qui dure au fond de mon cœur, de mon oreille. Entendre ne serait-ce qu'un soupir ou un mot de toi. Un cri sur la place du marché. C'est TOI ! c'est MOI ! c'est NOUS !"

*

"Mon Amour,

J'arrive à l'instant même, je me rapproche petit à petit de la gare. Mon cœur palpite de plus en plus fort. Je ne me sens plus, tellement tu m'as manqué. J'espère que tu m'attends. Ce voyage était trop long, insupportable, j'ai l'impression que mon cœur va exploser, je sens que je vais crier, hurler de toutes mes forces. Envie de sauter du train. Ça y est je vais dérailler, si ce n'est pas déjà fait. Je sens la vapeur de la locomotive monter en moi. Je chauffe, jje... mais il est temps que je me calme, que je m'arrête, que je souffle, que je respire un bon coup. Et je pourrais repartir de plus belle, comme un train qui s'arrête en chemein et reprend vers une destination... inconnue. Le train sifflera trois fois et mon cœur ne cessera jamais de battre pour toi.

JE T'AIME"

Sonia Zalachas

* * *

"Je voulais t'envoyer une carte sonore, mon courrier d'aujourd'hui sera donc poly-sons, entends par là bien sûr, composé de multiples sons. Si le soleil parlait, il volerait les mots de la langue d'Oc tant ils sont chauds, colorés et chantants comme les oiseaux, les cigales, les criquets. Écoute le linge claquer sur la planche à savon, la chanson du lavoir et les bavardages des lavandières de Provence. Si tu étais ici, nous pourrions partager de ce pays de lumière le bonheur d'exister, mais tu as choisi, toi mon amie d'enfance, la paix du Carmel dans les brumes du nord. Je respecte ton choix. Je souhaite seulement du fond du cœur que tu ne passes pas à côté de la vie."

*

"Je suis dans ce train qui m'éloigne de toi,

Je voulais te revoir une drenière fois,

Quand je t'ai pris la main, quand je t'ai embrassée,

Tu n'as pas réagi, tu es restée glacée.

Je t'ai chuchoté à l'oreille, je t'aime,

Tu as tourné la tête et je suis restée blême.

Dans ce train qui me berce, je pleure mon chagrin,

Les images défilent et un lourd poids m'étreint;

Bientôt le terminus, bientôt l'arrêt final,

Mais pourquoi donc maman me faire autant de mal ?"

Annie Cèbe

* * *

"Mon amour,

Je t'écris de cette petite gare des oiseaux.

Profond comme un soupir, le souffle du train qui arrive soulage mon cœur d'autant qu'il se rapproche. Le sifflet déchire l'azur dans un ultime cri. Douleur ou plaisir ? Je ne saurais dire. J'ai tressailli de toi. Ton dernier soubresaut dans l'orgasme, ton corps sous le mien sont encore si présents. Le marchepied, je l'aurai au vol. Ici ce vieux train à vapeur ne fait que ralentir. Comme l'ont fait nos vies avec ces quelques jours volés au quotidien. Aussi haletants, aussi brûlants que cette locomotive. Je quitte ce quai de pierre et de bois pour rejoindre le monde. Nos souffles s'y retrouveront un jour. L'air que nous respirons n'est qu'une vaste salade de respirations. Mes atomes reconnaîtront les tiens et je t'embrasserai encore. Tu sentiras l'odeur âcre du charbon, la vapeur grasse, l'huile chaude des bielles. Tu sentiras les pignes de pin ouvertes au soleil comme ta vulve gonflée. Tu entendras le sifflet des oiseaux et tu te souviendras.

Je te quitte mon amour. N'oublie jamais qu'à chaque inspir je t'embrasse tendrement."

*

"Oh ma rousse, ma pointillée de feu,

J'entends en bas sur la place les vieilles au lavoir. J'entends madame Burle qui tape sur nos draps. Elle cause en provençal, je n'y comprends pas trois mots. J'entends aussi les bruits d'eau, d'une eau qui s'écoule blanchâtre par le trop-plein, dans la rigole creusée à même la pierre, pour disparaître sous terre par la grille d'égoût. Cette eau porte les reliefs de nos folles étreintes. Ces draps qu'elle malmène de ses mains de vieilles ont été notre nid de tendresse. Elle les bat comme si nos cris avaient été de trop, comme si nos râles avaient appelé le malin.

Oh ma roussette, ma doucette, ces draps j'aurais voulu les garder, m'y enfouir le museau pour me baigner de toi, encore. Je ne me laverai pas ce matin, ni demain, ni plus jamais. Je veux garder ce cadeau de ton parfum, tes phéronomes-phénomènes, ton incendie nocturne. Je n'en veux pas à madame Burle. Pour elle, être heureuse c'est être propre et que les autres le soient. Je ne t'en veux pas non plus, ma rouquine, tu as taché ma vie de rouge, je ne me détacherai plus de toi.

Henry Poulain

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13 avril 200

Je ne savais pas jusqu'à cet instant à quel point ton amour me ferait aimer la solitude.

J'y entre à présent comme dans un cocon, ouvert sur le monde et doux à être.

Sentiment nouveau de plénitude, bonheur de cet instant tressé de mille sonorités, baigné de lumière.

Tu n'es pas là mais je vibre de ta peau sur ma peau.

Tu n'es pas là mais je résonne de tout ton corps dilaté dans la mien.

Qui suis-je ?

Un écho, un rythme accordé à l'instant. Merci

Adèle

*

14 avril 2000

Aujourd'hui, le soleil m'a tiré du lit tôt ce matin. C'était gai de sortir avec la fraîcheur mainale. J'ai musardé dans les ruelles du village, toute émue du silence seulement piqueté de chants d'oiseaux, un gazouillis de soleil-printemps.Tu sais, toute cette étendue de calme et de douceur laisse toute la place au bonheur de te sentir là, proche. Un volet a claqué, je me suis retournée rêvant de t'apercevoir à la fenêtre. Un homme en bleu de travail ouvrait les volets. J'ai poursuivi mon chemin jusqu'au lavoir. Le soleil y faisait d'immenses flaques qui jouaient du tam-tam sur l'eau. Je suis restée longtemps à écouter les jeux de lumière. Puis, une vieille avec un baquet de linge est arrivée, suivie d'une autre, puis de quelques autres encore... Elles se tenaient debout leur baquet sous le bras parlant haut et fort. Des grandes gerbes de rires éclaboussaient la charpente. Pas pressées de s'installer, elles avaient le temps. Enfin, l'une d'entre elles a posé son paquet de linge, a sorti le savon et s'est attelée à pétrir, frotter, tordre à grosses mains les cotonnades. C'était le signal. Elles s'y sont toutes mises avec de grands gestes larges tandis que les mots fusaient de leur bouche édentée. Elles s'apostrophaient en provençal entre deux coups de battoir à voix pleine de joies femelles et frissonnantes de complicité sauvage. Il courait dans l'odeur du savon des libertés trempées au feu du désir, de la mort et de cette magnifique passion qui roule la vie par-delà la peine. Brassée, malaxée, frictionnée, étrillée par cette force malicieuse et charnelle, je devenais un peu plus vivante, un peu plus femme aussi. Mon amour pour toi, pour cette vie qui me traverse s'agrandissait à la démesure de l'eau vibrante de tendresses féminines.

Adèle

Marianne Grand

* * *

Chère chose

J'ai bien reçu ta lettre du train de ton indifférence.

Et moi là sur ce quai

Ultime coup de sifflet

Le cœur envahit de certitudes

Mais en retard comme d'habitude.

*

Je revois encore

Chignon tiré, mèches échappées

Mains rougies. Corsage plein

et toi petite

qui lamine mon cœur

avec le battoir du malheur.

*

Où est mon aire glapit l'aigle

Où est ma mère bêle la brebis

Où est passé ce foutu chien peste le berger

et toi où es-tu passé ?

Serait-ce le loup qui t'a emporté ?

P. Leventoux