Projet alternatif de confortement de la digue des îles Piot et Barthelasse - mai 2020
Première remarque : L’agglomération du Grand Avignon veut protéger les îles Piot et Barthelasse contre les inondations. Or Pour être désengagée de sa responsabilité en cas de rupture de la digue, (article L562-8 de la Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010), l’Agglomération a l’obligation de concevoir, exploiter et entretenir la digue conformément aux règles édictées par le décret en Conseil d’État n° 2015-526 du 12 mai 2015. Son projet est donc conçu en vue de satisfaire à ces règles. Mais ce projet intègre des mesures de destruction de la biodiversité pourtant protégée par les directives européennes "Habitats"[1] et "Oiseaux"[2] puisque nous sommes ici en zone Natura 2000.
Deuxième remarque : L’État impose à l’agglomération de prendre en charge la protection contre les inondations. En revanche, en ce qui concerne la protection de la biodiversité, l’État lui offre de passer outre par le biais d’une demande de dérogation.
Troisième remarque : La justification du projet est fondée sur des analyses coût-bénéfice et multicritère. Nous avons d’un côté les bénéfices apportés par la protection économique de l’île, et de l’autre des coûts non marchands indirects considérables qui sont induits par la destruction de la biodiversité. Ces derniers coûts ne sont pris en compte ni par l’analyse coût-bénéfice, ni par l’analyse multicritère.
Quatrième remarque : L’État et l’agglomération du Grand Avignon ont parfaitement conscience du risque grave que la destruction de la biodiversité fait courir à l’humanité. Cependant, avec ce projet écocide, ils s’apprêtent à le faire délibérément.
Cinquième remarque : Le projet ne prend pas en compte la modification du risque dû au dérèglement climatique. Au contraire il perpétue le mythe de la digue qui fait disparaître le risque.
La décision à prendre est hautement politique et sera lourde de conséquences pour les générations futures.
Notre collectif SOS BARTHELASSE-SAUVONS LES ARBRES a un projet alternatif. Un projet qui veut créer une rupture avec la logique économique du " toujours plus " en proposant simplement d’optimiser l’existant, pour contribuer au maintien et à la restauration de la biodiversité et non pas à sa destruction.
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[1] Directive 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages
[2] Directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages
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En réalité le projet du Grand Avignon est constitué de trois parties distinctes dont les objectifs sont différents.
LA PREMIÈRE PARTIE concerne l’île Piot et le quartier Bagatelle actuellement protégés contre les crues qui reviennent au plus tous les 10 ans. L’objectif est de protéger les habitations également contre les crues qui reviennent au plus tous les 20 ans. Cette partie aura un impact sur l’élévation du niveau du Rhône en crue.
LA DEUXIÈME PARTIE, plus importante, concerne la Barthelasse rurale. L’objectif est de protéger l’activité d’agriculture intensive contre les crues à faible retour. Elle aura un impact très sévère sur la biodiversité.
LA TROISIÈME ENFIN, rive gauche, au lieu dit du "Quai des Allemands" est une compensation des effets négatifs de l’élévation du niveau du Rhône en crue due à la première partie. Elle aura aussi pour conséquence un impact sur la biodiversité.
1 ÎLE PIOT ET QUARTIER BAGATELLE
Le collectif SOS BARTHELASSE–SAUVONS LES ARBRES est en accord avec le projet conçu par le Grand Avignon pour ce qui concerne sa partie île Piot-quartier Bagatelle sous réserve que celle-ci fasse l’objet d’un traitement séparé, tant sur le plan du financement que sur celui de la phase travaux.
De plus nous proposons d’y ajouter les quatre éléments ci-dessous :
1.1 Une description détaillée des mesures de compensation, notamment pour les arbres arrachés,
pour le re-haussement du chemin de la Traille ET pour la reconstruction du muret de Bagatelle.
1.2 Un complément d’études environnementales,
notamment pour l’impact de la phase chantier.
1.3 La description détaillée de la mise en œuvre de la gestion, de la surveillance et de l’entretien à long terme des ouvrages de protection et, plus globalement, du bon fonctionnement du système d’endiguement jusqu’aux niveaux de protection retenus.
1.4 La mise en place d’un contrôle du suivi chantier, i
ntégrant la participation des associations environnementales et des collectifs citoyens.
Cette partie du projet doit aussi être traitée de façon autonome tant sur le plan du financement que sur celui de la phase travaux, et ne devra être mise en œuvre que lorsque la partie île Piot et quartier Bagatelle sera achevée.
2
.1 Partie Barthelasse Nord
Mis à part une petite section au lieu dit "les cabanes" (du PK 234,8 au PK 235,4) la digue est ici largement en retrait et dégage un segonnal[3] important. Les impacts du projet sur la biodiversité sont donc moins déterminants dans la mesure où la ripisylve est éloignée de la digue.
Ceci est propice à la mise en place de mesures de réduction et de compensation qui seront pertinentes au regard des destructions d’habitats et d’espèces.
Ce n’est pas pour autant un blanc-seing pour enfreindre la logique de la séquence ERC[4]. Partout ou une mesure d’évitement est possible, il faut lui donner la priorité.
SOS BARTHELASSE–SAUVONS LES ARBRES suggère d’engager des mesures compensatoires ayant pour objectif non pas une simple équivalence à la perte causée par le projet mais un gain écologique par rapport à la situation d’origine :
2.1.1 Sanctuariser à l’état naturel toutes les parties encore non cultivées situées entre la digue et le fleuve pour laisser de la profondeur à la ripisylve.
2.1.2 Mettre en place sur cet espace des solutions fondées sur la nature (SFN)[5] par la restauration d’une zone humide dans le segonnal. Ce site est exceptionnel puisque c’est le dernier endroit sur le territoire de l’Agglomération du Grand Avignon où le Rhône n’est pas encore strictement corseté dans son lit mineur. Les 800 000 m³ de sédiments, qui depuis 1865, se sont déposés au lieu-dit des casiers du Château[6], sont également propices au développement des grands arbres. Cet espace offre l’opportunité de développer un projet ambitieux et exemplaire de création de milieux riches en biodiversité.
2.1.3 Ces aménagements seraient conçus pour durer aussi longtemps que l'impact. Pour cela ils seraient accompagnés par des mesures de gestion conservatoire pour garantir le maintien de la qualité environnementale des milieux.
2.1.4 Pour la partie du lieu-dit "les Cabanes", la configuration est la même que pour la partie "Barthelasse Sud" traitée plus loin. La ripisylve rescapée est étroite et les travaux de consolidation de la digue ne doivent en aucun cas se faire au détriment de celle-ci. Nous proposons donc de ne pas arracher d’arbres, et il ne s’agirait pas ici d’une option, mais d’une obligation. Des solutions techniques alternatives sont possibles. Le grand Avignon en a fait la preuve en les proposant, mais de façon optionnelle, au lieu dit "Mas Saint Jean" et pour la partie "Projette Est".
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[3] Ségonnal : Zone inondable entre la berge naturelle et la digue.
[4] Séquence ERC : Éviter, Réduire, Compenser l’impact (dans cet ordre de priorité). Code de l’environnement.
[5] Solutions fondées sur la nature (SFN) : solutions qui valorisent le rôle des écosystèmes dans les programmes d’adaptation aux effets du changement climatique et qui privilégient le génie écologique par rapport au génie civil .
[6] Casiers Girardon : structures d’enrochements immergés aménagés au XIXème siècle près du château de la Barthelasse.
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.2 Partie Barthelasse Sud
Deux scénarios possibles permettraient d’éviter la destruction de la biodiversité sur les 3,8 km où la digue occupe la berge sans segonnal.
Ce scénario a notre faveur. Non seulement ses impacts environnementaux seraient bien moindres, mais il présenterait deux autres avantages : d’abord il s
erait le moins cher et d’autre part il permettrait de considérer l’ouvrage non plus comme une digue classée, mais comme un remblai routier.
Voici les six mesures que nous proposons :
2.2.1.1 Comme prévu par le projet du Grand Avignon : nivellement à 6,60m du profil en long et renforcement de la crête de surverse[7] là où c’est nécessaire.
2.2.1.2 Création d’un ouvrage de ressuyage[8] conséquent pour évacuer l’eau à la décrue, prévue aussi par le projet du Grand Avignon.
2.2.1.3 L’ouvrage actuellement en place ne présente pas de danger manifeste sur sa partie rectiligne, il peut être conservé tel quel. Le seul extrados[9] présent (au Mas Saint Jean, PK 239,7) comporte un point faible avéré. Ce point faible doit être renforcé contre l’érosion latérale.
2.2.1.4 Préservation de la ripisylve : pas d’arrachage d’arbres. Pas de talutage[10] du versant amont[11].
2.2.1.5 Pas de nouvel enrochement en pied de berge, sauf pour le point faible mentionné ci-dessus au 2.2.1.1. Ces enrochements sont inutiles puisqu’ils ont déjà été réalisés en 1865 : digue longitudinale, épis noyés, chemin de halage et pe
rré maçonné sont toujours présents, intacts. L’étude hydraulique contenue dans le projet du Grand Avignon, page 34, confirme en effet que les risques d’érosion par affouillement en pied de berge sont faibles sur tout le linéaire.
2.2.1.6 Particularité pour l’intrados[12] (Est Projette, du PK 237,5 au PK 238,5) : là non plus, aucun danger manifeste puisque nous sommes dans l'intérieur du méandre, la berge convexe ne se prête pas à l’érosion latérale mais, au contraire, se prête à la sédimentation de bancs alluvionnaires.
Nous proposons d’appliquer à cet endroit la "solution 1 Est Projette" décrite dans le projet du Grand Avignon en y ajoutant des améliorations. Cette solution consiste à remettre en fonction la digue en retrait.
Pour recréer un lit moyen pour le fleuve, nous proposons d’opérer une "reconquête de marge fluviale" comme sait le faire la Compagnie Nationale du Rhône : la zone de l’ancienne lône[13], située entre la digue en retrait et la digue "Girardon", pourrait faire l’objet d’une remise en eau à la hauteur souhaitée en fonction des nécessités hydrauliques.
Un ouvrage de ressuyage approprié existe déjà à cet endroit.
Plusieurs dizaines de milliers de m³ de remblais sauvages illicites ici, en Zone d’Expansion des Crues, pourraient être retirés et même éventuellement servir de compensation pour des remblais nécessaires ailleurs.
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[7] Crête de surverse : bord haut de la digue par-dessus lequel passe le débordement du fleuve.
[8] Ressuyage : asséchement des terres après la crue.
[9] Extrados : partie concave de la berge située à l’extérieur d’un méandre.
[10] Talutage : modification de l’inclinaison de la berge.
[11] Versant amont : côté de la digue qui fait face au fleuve (le versant aval fait face aux terres).
[12] Intrados : partie convexe de la berge située à l’intérieur d’un méandre
[13] Lône : Ancien méandre qui se trouve en retrait du lit principal, alimenté en eau par les crues.
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La plupart des projets de protection contre les inondations visent à protéger des zones d’habitat dense contre des crues majeures. De façon singulière, le projet de la Barthelasse a pour objectif de protéger une zone agricole à habitat dispersé contre des petites crues et de plus au prix d’une catastrophe environnementale.
Nous demandons que soit respecté le principe fort de la défense de la biodiversité inscrit au code de l’environnement : la séquence "Eviter, Réduire, Compenser".
Nous préconisons donc pour ce scénario la solution d’évitement habituellement utilisée par le SYMADREM[14] en aval d’Avignon : Une digue en retrait sur toute la longueur des 3,8 km. Là où on ne pourrait pas faire autrement, elle pourrait éventuellement être accolée au remblai qui sert de route actuellement par une cloison sol-ciment pour l’étanchéité et la prévention des renards hydrauliques[15].
2.2.3 POUR LES DEUX SCENARIOS
Enfin quel que soit le scénario retenu, deux mesures d’accompagnement s’imposent dans tous les cas :
les citoyens doivent être associés au suivi de l’élaboration du projet en amont du dépôt du dossier pour l’Enquête d’Utilité Publique
la règle de transparence totale des cahiers des charges et des appels d’offre doit être adoptée.
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[14] SYMADREM : opérateur du Plan Rhône entre Vallabrègues et la mer.
[15] Renard hydraulique : phénomène d’érosion régressive qui accroît la dimension d’une petite brèche dans la digue.
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Le projet du Grand Avignon prévoit la suppression du quai des Allemands, sur la rive gauche le long de la route touristique du Dr Pons (D225). C’est une mesure destinée à compenser la surélévation de 50 cm du muret de l’île Piot. Ce décaissement[16] de 25.
000 m³ de remblai aura deux lourdes conséquences :
PREMIÈREMENT un très fort impact environnemental et paysager. Ce quai est le seul endroit de la rive gauche où peut se développer une ripisylve assez large. D’autre part ce quai a engendré la formation de bancs de sédiments fins affleurants qui forment aujourd’hui avec lui un ensemble très riche en biodiversité.
Si le quai est détruit, le fleuve reprendra les sédiments, et, jusqu’au premier des quatre tenons d’Avignon[17], les bancs disparaîtront et tous les habitats et espèces indigènes avec eux. De plus, pour de nombreuses espèces migratrices, ces hauts fonds constituent aussi un des rares espace de repos et d’alimentation disponibles sur ce bras du Rhône.
DEUXIÈMEMENT un problème se pose avec le déplacement des sédiments dans lesquels sont actuellement confinés des PCB[18] déversés dans le Rhône dans les années 1980 par l’usine de retraitement Tredi à Saint Vulbas. La remise en suspension de ces sédiments pollués est interdite. Des protocoles très stricts et coûteux sont obligatoires en cas de travaux, or ils ne sont pas prévus par le projet du Grand Avignon. Les PCB s’accumulent tout au long de la chaîne alimentaire, ils sont très dangereux pour toutes les espèces y compris directement pour l’Homme.
Pour ces raisons nous considérons que l’étude d’impact n’a pas été faite sérieusement à cet endroit. Nous considérons aussi que les investigations pour trouver des compensations ailleurs ne sont pas suffisantes.
Le collectif SOS BARTHELASSE–SAUVONS LES ARBRES suggère trois
mesures.
3.1 En premier lieu des études complémentaires. À la fois environnementales et hydrauliques. Par exemple on pourrait envisager une complémentarité avec la remise en eau de l’intrados "Est Projette" que nous avons évoquée plus haut au 3.2.1.6. Ou même avec l’île de la Motte - dans le Gard mais dans la communauté d’agglomération du Grand Avignon - qui comporte un large segonnal de plusieurs hectares non cultivé et remblayé au début des années 70 par la CNR.
3.2 Dans un second temps nous proposons d’examiner une solution d’évitement mixte. Ceci dans la mesure où un décaissement moins profond du quai des Allemands permettrait une surélévation moindre, mais acceptable, du muret de l’île Piot.
3.3 Dans le cas où le décaissement total du quai des Allemands, et donc la disparition des affleurements sédimentaires, serait pourtant retenu, il faudrait trouver des solutions de compensation garantissant une équivalence de la nature du milieu impacté et qui se trouve à proximité de celui-ci. Ceci sera malcommode puisque le seul espace qui s’y prête est le ségonnal des casiers du Château. Or il est déjà occupé soit par la ripisylve soit par des vergers.
Autrement dit, pour que les habitants de l’île Piot bénéficient d’une protection contre les crues vingtenales en plus des décennales, la seule alternative serait de choisir entre détruire le biotope du quai des Allemands ou perdre des terres agricoles. La question devra être posée clairement dans ces termes.
Attendu que la zone à protéger n’est pas une zone densément urbanisée ni une zone d'infrastructures majeures ; attendu que nous sommes déjà entrés dans la "6ème extinction des espèces", SOS BARTHELASSE–SAUVONS LES ARBRES exclut qu’une amélioration de la protection des biens et des personnes se fasse au prix de la destruction de la ripisylve et de la biodiversité.
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[16] Décaissement : action d’enlever une couche de terre ou de berge.
[17] Tenons d’Avignon : épis d’enrochements aujourd’hui noyés en amont du quai de la Ligne.
[18] PCB : polluants organiques organochlorés conçus par la firme Monsanto utilisés dans les transformateurs électriques.
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4 DE LA PROTECTION CONTRE L'ALÉA À LA RÉDUCTION DE LA VULNERABILITÉ
Nous proposons que le reste des crédits prévus mais non utilisés soit attribué directement :
4.1 d’une part aux habitants des zones concernées pour les aider à rendre à nouveau leurs maisons moins vulnérables aux inondations supérieures à l’aléa Q10 (crues décennales, cote maxi 6,60m) ;
4.2 d’autre part aux agriculteurs des sols concernés pour les aider à continuer d’adapter leurs cultures aux inondations et à l’évolution climatique ;
4.3 enfin au développement d’une culture de résilience face aux risques majeurs. Cette sensibilisation s’adresserait aux personnes directement concernées, les habitants des deux îles, et, par des programmes d’éducation spécifiques, aux écoles, collèges, lycées et facultés de tout le Grand Avignon.
Avec ces derniers points, l’utilisation des crédits publics participerait ainsi à terme à la diminution du coût des sinistres répétés.