Si le projet de digue était mis en œuvre, la destruction prévue de la biodiversité serait considérable. 62 espèces sont inscrites sur une demande de dérogation à leur protection déposée par le Grand Avignon. Les autorités environnementales ne s’y sont pas trompées et ont donné des avis très sévères.
Au delà des seules espèces qu’il est interdit de détruire, SOS Barthelasse en a recensé 174 présentes, et ce chiffre est très loin de représenter la totalité de toutes celles qu’impacteront les travaux (plus d'info sur quelques unes d'entre elles dans la version détaillée ci-dessous).
Malgré le déploiement d’une stratégie de minoration systématique de la gravité des impacts sur la biodiversité le constat est implacable :
Des milliers d’arbres arrachés, des écosystèmes saccagés, des habitats d’espèces détruits, tout ça dans une zone de protection Natura 2000 précisément créée pour éviter ce genre de désastre.
L’Europe méditerranéenne est l’une des régions " sentinelles " du réchauffement climatique. C’est à dire qu’ici, on observe de façon plus évidente les conséquences de l’influence néfaste de l’homme sur le climat. Tout ceci a été mis à jour cette année par le rapport du GIEC d'août 2021, et confirmé par le Congrès mondial de la nature (UICN) en septembre 2021 à Marseille.
Et bien c’est ici même que notre agglomération du Grand Avignon prévoit des travaux qui consistent à faire exactement le contraire des recommandations récentes de toutes les instances environnementales nationales et internationales pour lutter contre ces cascades de perte de biodiversité végétale et animale tant par le nombre que par la diversité.
Malgré quelques légères modifications apportées en 2019 suite aux avis sévères de la MRAe (Mission Régionale d’Autorité Environnementale) et du CNPN (Conseil National de la Protection de la Nature), le projet, en l’état actuel, n’a pas fondamentalement changé :
Il sera très destructeur de la biodiversité.
Il ne respecte pas la séquence ERC (Éviter Réduire Compenser).
Il reste plusieurs espèces protégées pour lesquelles aucune demande de dérogation n’a été faite.
Le corridor de la zone Natura 2000 sera affecté.
Les travaux seront très nuisibles au bon état de conservation de la biodiversité, au point de remettre en jeu la survie de l’écosystème.
La digue prévue par les travaux du Grand Avignon se trouve sur la berge. Celle-ci est actuellement occupée par la ripisylve, dont la richesse en biodiversité a justifié la création de la zone Natura 2000 Rhône aval FR-9301590. Si ce projet était mis en œuvre, la faune et la flore exceptionnelles, tant en importance qu’en diversité, sont donc destinées à disparaître d’ici.
Le projet prévoit non seulement l’arrachage de tous les arbres qui se trouvent sur la digue, mais il prévoit également un enrochement continu de la partie de la berge située sous l’eau sur un linéaire de 3,6 km. Par conséquent tous les habitats des espèces seraient détruits en même temps que la ripisylve ainsi que tous les habitats situés sous l’eau. Parmi ces espèces, faune et flore, certaines sont protégées au niveau local, d’autres au niveau national ou d’autres encore au niveau communautaire.
C’est ce qui explique que ce projet ait nécessité une demande d’autorisation de destruction de pas moins de 62 espèces protégées.
Ce chiffre, bien qu’énorme, est cependant sous-estimé car :
- les inventaires sont incomplets,
- ils n’ont pas été menés partout,
- les durées d’investigation nécessaires n’ont pas été respectées.
Pour résumer, le projet que porte le Grand Avignon aurait pour conséquence immédiate la destruction de plusieurs kilomètres de l’un des derniers grands tronçons intacts du corridor écologique qui relie la Méditerranée à l’Europe du Nord. Les espèces locales qui survivront à la destruction de leur territoire devront aller ailleurs, et le mitage cumulé du corridor impactera immanquablement et durablement le transit des animaux migrateurs.
Le collectif SOS Barthelasse - Sauvons les Arbres a déjà amplement alerté sur ces faits. Vous êtes plus de 20 000 à avoir signé notre pétition. Ensemble, nous refusons un projet d’aménagement fondé sur un quoi-qu’il-en-coûte à la biodiversité.
La zone du projet concerne 25 ha de peupliers, ormes, frênes, chênes, saules, aulnes ...
Pour avoir une idée du nombre d’arbres qui disparaîtraient si le projet du Grand Avignon était mis en œuvre voici trois photos.
La ripisylve de la Barthelasse aujourd'hui. Le projet prévoit l'élimination définitive de tels arbres sur une distance de 4,3 kilomètres.(photo BM. Avignon).
Une image de la dimension des arbres qui sont habituellement replantés quand il y a des travaux d’aménagement. (Le premier arbre du futur quartier Bel Air - Avignon © Radio France - Nina Valette).
La digue au nord de la Barthelasse aujourd'hui, 50 ans après les travaux d'aménagement .... (Photo BM.Avignon)
Qu’ils soient sur la crête de la digue, sur le talus amont (côté Rhône), sur le talus aval (côté Barthelasse) ou encore sur une bande de 5 mètres au pied de chacun des deux talus, le tout multiplié par 4,3 kilomètres : des milliers d’arbres, de toutes tailles, dont de nombreux centenaires, seraient donc arrachés.
Mais il n’y a pas que les arbres qui disparaîtraient. Dessous se trouve une végétation abondante et variée qui borde le Rhône, comme le sureau noir, le cornouiller sanguin, l’aubépine, la ronce, le lierre et son holoparasite l’orobanche du lierre, la vigne sauvage, l’arum, l’œnanthe safranée, et même l’aristoloche à feuilles rondes, bien sûr des tas de champignons et bien d’autres choses encore. Tout cela constitue avec les arbres ce que l’on appelle la ripisylve. Ces espèces végétales composent avec les espèces animales qu’elles abritent des réseaux de dépendances que l’on appelle les écosystèmes.
Tout cela serait anéanti par les travaux.
Parmi les espèces végétales spécifiques il y en a aussi qui vivent immergées dans l’eau comme les cornifles, potamots, vallisnéries, renoncules d’eau, et d’autres qui sont enracinées sous l'eau, mais dont les tiges, les fleurs et les feuilles sont aériennes, salicaires, roseaux, joncs, laiches, rorippes, grandes lysimaques, baldingères, iris faux acore, chanvre d’eau...
Toutes ces plantes, présentes pratiquement tout le long de la rive droite du bras du Rhône d’Avignon, seraient également détruites par les travaux de talutage et d’enrochement.
Sans ces écosystèmes, l’épanouissement et le maintien de la vie deviendraient impossibles. La particularité de la ripisylve, c’est qu’elle se développe de façon naturelle uniquement le long de la zone de transition entre deux grands écosystèmes bien identifiés, celui de la terre et celui de l’eau. Elle a une fonction d’interface entre les deux, mais pas seulement, elle génère aussi un écosystème propre à ce milieu de transition.
Déjà riche des espèces des deux écosystèmes, elle abrite de surcroît des espèces spécifiques qui ne peuvent vivre qu’ici. C’est pourquoi lorsqu’on détruit la ripisylve, on détruit certaines plantes mais aussi certains habitats indispensables à la vie de nombreuses espèces, et ça, c’est irréparable. Ceci n’est expliqué nulle part dans le projet de digue de la Barthelasse.
Par exemple dans le cas des herbiers de plantes aquatiques cités plus haut, qui sont constitutifs de l’habitat des larves de libellules, le projet prévoit le remplacement des sédiments enlevés des hauts fonds. Mais il n'est nulle part fait mention de la façon dont on compte recréer les herbiers d’hydrophytes, ni du temps que cela prendra.
Pour palier cette catastrophe, deux types de compensations ont été imaginés par les porteurs du projet. D’un côté, replanter de jeunes arbres ailleurs, et de l’autre, planter des boutures de saules serrées les unes contre les autres, en ligne, au pied de la berge. En aucun cas ces solutions ne suffiraient à recréer l’écosystème perdu.
Pour replanter, le Grand Avignon s’engage à trouver une ou plusieurs autres zones de superficie totale équivalente : "Dans l’idéal sur l’île de la Barthelasse et à défaut au bord du Rhône, entre la retenue d’Avignon (amont Barthelasse) et la confluence de la Durance". Cet engagement est pour le moins curieux puisqu’au bord du Rhône entre le barrage d’Avignon et la Durance, tout le long, court déjà une digue CNR qui ne tolère aucune plantation.
Ne reste donc que l’option "dans l’idéal", c’est à dire sur la Barthelasse, mais alors ces arbres ne seraient pas replantés au bord Rhône. Par conséquent sans la contiguïté du Rhône et dans un écosystème différent, ces jeunes arbres ne reconstitueraient jamais celui de la ripisylve détruite.
Le rôle des compensations se réduirait donc à dédommager une perte d’ambiance coulée verte, selon l’expression du Grand Avignon. Celui-ci écrit dans son mémoire en réponse à la MRAe et au CNPN "Le changement paysager sera radical du fait de la disparition de la ripisylve" et il propose donc de planter des arbres en arrière de la digue qui "participeront à la reconstitution de l’ambiance « coulée verte » de bord de fleuve".
Masquer la destruction de la vie par une illusion de vie
ne remplace pas la vie, ni ne la compense.
La zone Natura 2000, répertorie dans la ripisylve de la Barthelasse plusieurs types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont:
- Forêt riveraine des niveaux inférieurs à Saule blanc (Forêts-galeries à Salix alba et Populus alba (92A0).
- Forêts mixtes à Quercus robur, Ulmus laevis, Ulmus minor, Fraxinus excelsior ou Fraxinus angustifolia, riveraines des grands fleuves (Ulmenion minoris) (91F0).
- Rivières des étages planitiaire à montagnard avec végétation du Ranunculion fluitantis et du Callitricho-Batrachion (3260).
La principale préconisation de gestion pour l’habitat 92A0 est de le laisser évoluer naturellement pour une maturation des boisements. Toute perturbation (détérioration, exploitation, travaux...) au sein de ces milieux est à limiter, les grands projets devront se rendre «conformes» ou «compatibles» avec lui.
Le Grand Avignon prévoit exactement le contraire :
"Ce sont près de 35 000 m2 de végétation arbustive/arborée sur le talus amont de la digue s’étalant de la section 1 à la section 5, ainsi que sur le Quai des Allemands qui seront supprimés".
Ce qui est dramatique, c’est que pour ce que l’on nomme les "types d’habitats naturels" la directive européenne n’est pas contraignante, comme elle peut l’être sur la question de la destruction des espèces. C’est ce qui explique que les projets d’aménagement n’accordent d’importance qu’aux espèces protégées.
C’est pourquoi, dans ce projet, il est fait grand cas de Vallisneria spiralis, celle-là même pour qui l’on a spécialement concocté une audacieuse "ligne de bouées avec barrage filtrant".
Des chênes pubescents sont aussi l’objet d’une attention particulière, mais uniquement parce-qu’ils abritent une espèce de coléoptère très protégée : le grand capricorne…
Résultat, nous avons un projet qui consiste en la suppression démesurée de tout un ensemble de végétation luxuriante aux fonctions écologiques irremplaçables (constitution d'écosystèmes complexes et très diversifiés, et apport trophique capital pour le développement et le maintien de l’ensemble de l’hydrosystème), mais à côté de cela, en gage d’écoblanchiment, un petit dispositif aquatique serait mis en place et quelques chênes pédonculés seraient déplacés avant les travaux ?
Ceci est insensé.
Autre absurdité concernant la gestion d'un problème écologique majeur : la question des espèces exotiques envahissantes (EEE). Ce sont des espèces pionnières, c’est à dire qu’elles s’installent en priorité quand les milieux se rétrécissent ou se dégradent. Il est aujourd’hui reconnu que l’un des premiers facteurs de leur expansion est le défrichement.
Le DOCOB (document d’objectifs) de la zone Natura 2000 "Rhône aval" le signale : "D’une manière générale, les perturbations favorisent l’implantation des végétations exotiques envahissantes contre lesquelles il sera difficile voire impossible de lutter par la suite". Pour la Barthelasse la bataille est en voie d’être perdue pour au moins 3 espèces : faux indigo, jussie et ambroisie.
Encore une fois, les porteurs du projet Barthelasse vont faire ce qu’il ne faut pas et ils le disent : "L’apport de remblais sur le site pourrait être à l’origine de l’introduction d’espèces végétales au caractère envahissant pouvant influer sur la dynamique de revégétalisation des emprises du projet après travaux vers une banalisation des milieux".
Cet aveu confirme que le fondement du projet consiste à remplacer une forêt alluviale par une digue définitivement débarrassée de sa végétation, ce qui sera préjudiciable à tout point de vue pour l’écosystème.
Salicaire
Renoncule aquatique
L’impact du projet serait extrêmement néfaste sur les oiseaux. Le meilleur moyen de s’en rendre compte est de considérer les espèces qui figurent sur la liste de la demande de dérogation fournie par le Grand Avignon (voir annexe en fin de page) dans le but d’obtenir l’autorisation de détruire ces espèces ainsi que leurs habitats.
Pas moins de 30 espèces protégées d’oiseaux y sont inscrites. Ce chiffre est déjà conséquent en soi. C’est un bon indicateur de la richesse écologique du site et par conséquent de l’ampleur des dégâts que le projet du Grand Avignon infligerait aux oiseaux. Mais il est très loin d’en refléter la totalité.
En effet, ce sont au total 85 espèces d'oiseaux qui fréquentent le site et seraient lourdement impactées par ce projet, parmi lesquelles 52 espèces s'y reproduisent et bénéficient d'une protection en France, c'est à dire près du double de celles de la liste du Grand Avignon.
Et encore faut-il souligner qu'en se limitant aux espèces nicheuses, cette demande de dérogation est très restrictive. La vallée du Rhône représente en effet l’un des principaux couloirs migratoires européen pour les oiseaux, et ce sont ainsi 18 autres espèces protégées en France, qui utilisent le site pour s'y reposer et s'y nourrir au cours de leur migration ou hivernage, qui seraient impactées par le projet. En plus de leur protection nationale, 13 d'entre elles sont par ailleurs protégées par la convention de Bonn, relative aux espèces migratrices menacées, signée par la France en 1990.
C’est le cas, par exemple, de la sterne pierregarin, une habituée fidèle de la Barthelasse, qui, au cours de ses voyages migratoires, pêche sur les hauts-fonds riches en poissons. Elle figure aussi sur la liste rouge des espèces menacées en Région PACA.
La sterne pierregarin (Georges Olioso 2009)
Autre exemple des non-sens de cette liste de dérogation : la tourterelle des bois n’y figure pas. Certes c’est un migrateur chassable. Mais le déclin de cette espèce est l’un des plus rapides en Europe de l’Ouest. En France les effectifs ont diminué de 50 % entre 2001 et 2019, selon le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC). Elle figure sur la liste rouge UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) des nicheurs en France. Il en reste actuellement un couple qui niche sur la Barthelasse. La tourterelle des bois a besoin de la présence d’eau, particulièrement pendant les épisodes de sécheresse estivale en Provence. C’est pourquoi elle privilégie les forêt situées sur les berges où de surcroît elle trouve la plupart de sa nourriture.
Des études récentes montrent qu’outre la chasse, la destruction et la modification de ses habitats d'alimentation sont parmi les principaux facteurs menaçant sa population.
La Commission européenne a adressé à la France un avis motivé en 2020 pour ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires à la préservation et à la restauration des habitats de cette tourterelle. Le Conseil d’État a déposé un recours contre l’arrêté ministériel autorisant sa chasse en 2020/2021. Suite à cela, la France s’est engagée le 15 juillet dernier à suspendre la chasse de la tourterelle pour la saison 2021-2022.
Alors que faut-il de plus pour faire comprendre qu’à Avignon, vouloir détruire plus de quatre kilomètres de ripisylve déjà largement amputée, serait le meilleur moyen de faire en sorte que ce dernier couple ne revienne jamais nicher au printemps, et ainsi rayer définitivement la tourterelle de bois de la liste des hôtes de la Barthelasse ?
La tourterelle des bois (30 millions d’amis 2021)
A toutes ces espèces qui payeront le prix fort si ces travaux sont mis en œuvre, le projet se contente d'offrir une proposition d’un genre nouveau : " La stratégie de compensation par cortèges " [1]. Cette locution masque un simple calcul de ratio.
[1] " Etant donné le nombre important d’espèces protégées concernées par le projet la réflexion sur la compensation n’a pas été menée espèce par espèce, mais par cortèges d’espèces ayant les mêmes besoins écologiques ".
Le projet de digue du Grand Avignon programme un enrochement de toute la partie immergée de la rive sur 3,6 kilomètres. Pour réaliser ces travaux il serait nécessaire de décaisser toutes les alluvions qui se sont déposées en pied de berge. Ces alluvions sont constituées de sédiments fins qui se sont accumulés jusqu’à former d’importants bancs sablonneux qui affleurent à la surface. À ces endroits, les hauteurs d’eau sont très faibles, donc le courant l’est aussi et la température de l’eau est assez élevée. Les arbres de la ripisylve offrent l’ombre et leurs abondantes feuilles mortes se décomposent sur ces hauts fonds, apportant ainsi une biomasse importante. Tout ceci est propice au développement d’une flore et d’une faune spécifique. Les libellules sont nombreuses ici tant par le nombre que par la variété. 18 espèces sont recensées.
Elles disparaîtraient toutes, si les enrochements étaient effectués.
Pour compenser cette catastrophe, le projet prévoit de re-déposer des sédiments dans le Rhône une fois les enrochements rapportés. En aucun cas ceci ne suffirait à remplacer les sédiments retirés, car il faut de nombreuses années pour espérer recréer une hypothétique richesse équivalente du milieu. Aujourd’hui, les invertébrés et les larves enfouies foisonnent dans ces sédiments et les plantes aquatiques couvrent la surface de l’eau. Les larves des libellules ont besoin de toutes ces proies pendant deux mois à cinq ans pour se développer. Pour les mues, elles ont besoin du chevelu racinaire des grands arbres qui auront alors été arrachés. Pour se reproduire, les libellules adultes ont besoin de la partie flottante de plantes aquatiques suffisamment développées. Tout cela fait beaucoup d’hypothèses de réussite de reconstitution des cohortes. Ajoutons à cela que la végétation luxuriante de la berge aura été remplacée par de l’herbe régulièrement tondue et de maigres fascines de saules, ce qui constituera un biotope totalement différent.
Parmi les 18 espèces présentes actuellement sur le tracé des travaux, trois ont d’ores et déjà un avenir fragile : la cordulie à corps fin, le gomphe de graslin et le gomphe à pattes jaunes. Ces trois libellules vivent exclusivement dans les grandes rivières de plaine bordées des rares ripisylves non encore impactées par les aménagements des berges. Toutes trois sont classées à l’annexe IV de la directive européenne " Habitats ". Il s’impose donc à l’État de prendre les mesures nécessaires à leur protection stricte et notamment d’interdire leur destruction.
Elles figurent sur la demande de dérogation pour la destruction des espèces incluse dans le projet porté par le Grand Avignon.
Les travaux d’enrochement de ce bras du Rhône n'a pas fait l'objet d'aménagements CNR, il est donc l’un des derniers ayant conservé une naturalité qui soit encore relativement favorable à ces 3 libellules. Si ce projet était mis en œuvre, cela porterait un coup fatal à leur population locale, alors que la zone Natura 2000 a précisément été créée pour les en prévenir et assurer leur survie.
La cordulie à corps fin
(photo Vallée du Loir de Vaas à Bazouges)
Toutes les espèces de chauves-souris sont protégées par différentes conventions et lois.
En Europe : La Convention de Bonn ; La Convention de Berne ; L’Accord EUROBATS ; La Directive européenne Habitats-Faune-Flore.
En France : La loi de protection de la nature de 1976 ; L’Arrêté ministériel du 23 Avril 2007 : "Sont interdits sur tout le territoire métropolitain et en tout temps : la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des chauves-souris dans le milieu naturel".
Ces mammifères volants sont très protégés entre autres raisons parce que leur taux de reproduction est faible. Les chauves-souris n’ont qu’un seul petit par an, et de plus, leur taux de mortalité est très élevé durant leur premier mois de vie.
En France, c’est en région sud que subsiste le plus grand nombre d’espèces et d’individus.
Toutes les espèces de chauves-souris qui fréquentent la ripisylve de la Barthelasse sont génériquement associées aux forêts et à la présence d’eau. Si ces chauves-souris ont choisi la ripisylve de la Barthelasse, c’est qu’elles y ont trouvé tout ce qui correspond aux besoins clefs pour leur cycle vital : gîte de reproduction, de repos ou d’hibernation, alimentation et abreuvement, routes de déplacement, rencontre et parade.
Les chauves-souris sont intimement liées aux ripisylves. Elles sont les meilleurs bio-indicateurs de la richesse et du bon état de conservation de celle-ci (Étude RipiMed – 2018) :
- niveau de productivité en insectes proies,
- profondeur du boisement,
- degré de sénescence du boisement,
- degré de connectivité et fonctionnalité du corridor écologique,
Malheureusement, les ripisylves sont en voie de disparition. En région sud, en forte régression depuis les années 1950, elles représentent aujourd’hui moins de 1.6 % du territoire (Groupe Chiroptères de Provence – GCP 2018).
Trop souvent réduites à un liseré végétal le long des cours d’eau elles figurent comme "quasi menacées" sur la liste rouge UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
La première des menaces qui pèsent sur elles est l’artificialisation des berges, dont le dernier avatar est "la restauration des systèmes d’endiguement accentuée par le transfert récent de la compétence GEMAPI*" (Étude RipiMed – 2018).
Ceci est, au pied de la lettre, le cas du projet d’aménagement de la digue de la Barthelasse.
*GEMAPI = Gestion des Milieux Aquatiques et Prévention des Inondations
Sur les treize espèces de chauves-souris qui fréquentent la ripisylve de la Barthelasse, quatre manquent à la demande de dérogation présentée par le projet de digue du Grand Avignon ; toutes quatre ont un enjeu de conservation régional PACA "fort" à "très fort".
Nous pouvons affirmer que l’arrachage de tous les arbres situés sur la berge ainsi que la réduction de la végétation aux seules espèces herbacées et à des fascines de saule porteront un coup fatal à la ripisylve et donc à toutes les chauves souris qui en sont partie prenante.
À ce jour, aucune étude scientifique ne montre que des compensations, quelles qu’elles soient, seraient en mesure de réparer un tel préjudice.
Par contre voici des paroles de scientifiques :
- "Les espèces qui sont menacées par la destruction de leurs habitats hébergent deux fois plus de virus zoonotiques que les espèces menacées par des facteurs indépendant de l’activité humaine" [1].
- "La déforestation et la fragmentation des habitats naturels engendre un stress chez les chauves-souris, qui provoque un affaiblissement de leur système immunitaire .../... Tous ces événements sont propices à une explosion de l’excrétion virale, qui favorise la transmission des pathogènes à d’autre espèces animales, y compris aux humains. Cette hypothèse a été vérifiée par deux excellentes études publiées par une équipe australienne sur l’émergence du virus Hendra" [2].
Le Grand Avignon à qui échut ce projet de digue en 2018 en même temps que le transfert de la GEMAPI, a diligenté par la suite des études environnementales complémentaires. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il demande une enquête d’utilité publique sur un projet qui chassera tous les chiroptères de la ripisylve de la Barthelasse. S’il était mis en œuvre, nos élus auraient ainsi participé activement et en toute responsabilité à leur disparition.
[1] Christine Johnson "global shifts in mammalian population trends reveal predictors of virus spillover risk " Proceedings of the royal society B, 8 avril 2020. Étude de l’école vétérinaire de l’université de Davis en Californie, citée par Marie-Monique Robin dans " La fabrique des pandémies " Ed. la découverte fev- 2021.
[2] Professeur Gaël Darren Maganga, virologue gabonais et chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches médicales de Franceville, Gabon. Cité par par Marie-Monique Robin dans " La fabrique des pandémies " Ed. la découverte fev- 2021.
Image du film de Tanguy Stoecklé, tourné dans le parc naturel de Camargue et dans une grotte du Gardon.
Des neuf espèces sauvages de mammifères observées sur l’île de la Barthelasse, quatre sont protégées sur le territoire national par l’article 2 de l’arrêté ministériel du 23 avril 2007. La destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos sont donc interdites pour autant qu’elles remettent en cause le bon accomplissement de leurs cycles biologiques.
Trois de ces quatre espèces sont très présentes sur les berges situées dans le périmètre du projet de digue.
Bien qu’il ne soit pas menacé de disparition en France, il y est protégé depuis quarante ans parce que les populations s’amenuisent et ses habitats sont de plus en plus fragmentés.
Ici, sur la Barthelasse, les grands arbres de la ripisylve lui servent pour se déplacer, pour stocker sa nourriture et construire son nid.
On a peu de chiffres ici, mais leur nombre s’amenuise indéniablement dans d’autres régions de France. Lui aussi est intégralement protégé au titre de l'article L411-1 du code de l'environnement. Il est donc interdit de les détruire, capturer, mutiler, ou simplement de les perturber.
La première menace dont le hérisson est victime c’est l’activité agricole intensive. Ce qui explique l’accélération de son exode rural et donc l’isolement des noyaux de peuplement.
Sous les arbres de la Barthelasse il reste à la campagne, il trouve gîte, couvert et même baignades, ce dont il ne se prive jamais.
Tout le monde le connaît, c’est un rescapé de la disparition en France. Il est, quant à lui, très fortement protégé par les annexes II et IV de la directive européenne " Habitats ".
Plusieurs familles habitent sur le linéaire des travaux de la digue. Le projet prévoit de les expulser, de détruire leurs gîtes puis de compenser par la construction de terriers artificiels constitués de canalisations en béton.
Plan de coupe des gîtes prévus pour les castors, issu du projet déposé par le Grand Avignon.
Aucune garantie n’est donnée sur le retour des castors sur la Barthelasse, puisque la construction du gîte est pour eux une activité de conservation vitale et que l’enrochement prévu leur interdira de le faire à partir de l’eau.
Le projet prévoit aussi, pour leur fournir de la nourriture, d’installer des fascines de saule après l’arrachage de tous les arbres de la berge. Effectivement, les castors se nourrissent de l’écorce des saules, mais d’autre arbres également, et d’autre part, ils ont aussi besoin de débiter des grands arbres ce que ne deviendront jamais les saules en fascines.
La quatrième espèce de mammifères protégée, la loutre, était chassée par l’homme pour sa fourrure très convoitée. Elle avait bel et bien disparu de France à l’exception du massif central. Depuis que sa chasse est interdite (1972) elle reconquiert de nouveaux cours d’eau en passant par le Rhône, même jusqu’à Sisteron sur la Durance.
Aujourd’hui, elle figure comme quasi menacée (NT) sur la liste rouge UICN européenne, elle est donc, comme le castor, fortement protégée par les annexes III et IV de la directive " habitats ". Mais à un degré bien supérieur, puisque le préfet n’a pas le droit d’accorder de dérogation, seul le ministre peut le faire. C’est une espèce phare de la protection des animaux sauvages européens dans leur milieu naturel.
Paradoxalement, pour le projet du Grand Avignon, la loutre n’est pas un sujet. Pour elle, il ne demande pas de dérogation, et ce, au seul prétexte que "les berges du Rhône au niveau de la zone d’étude ne correspondent probablement qu’à une zone de transit pour l’espèce". L’argument avancé est hypothétique et bien ténu pour justifier d’une décision aussi lourde de conséquences.
Il est difficile de mettre en évidence la présence de cet animal discret, d’autant plus que :
- le domaine vital d’une loutre est d’environ dix à trente kilomètres.
- la présence de plusieurs gîtes répartis sur ce domaine est primordiale.
- la loutre s’y repose le jour et chasse essentiellement la nuit.
- ses gîtes sont très rudimentaires et difficilement détectables.
Pourtant des indices de sa présence ont encore été mis en évidence juste en amont et en aval de la zone des travaux prévus sur la Barthelasse.
Ainsi la question se pose du fondement réel de cette décision de ne pas retenir l’espèce la plus protégée comme une population pérenne locale.
Serait-ce pour éviter d’avoir à considérer l’impact des travaux à son encontre et d’avoir à dépendre d’une décision ministérielle ?
Loutre d'Europe
On dénombre ici seize espèces, dont dix reptiles et six amphibiens.
Ce qui est incroyable c’est que, non seulement elles sont toutes protégées en France, mais que de plus ces seize espèces représentent la totalité des espèces de reptiles et amphibiens que l’on peut trouver réparties dans les plaines méditerranéennes de notre région. Elles se trouvent toutes ici en raison de la présence d’eau et de la richesse en proies. Qu’est-ce d’autre qu’une preuve supplémentaire de l’exceptionnelle luxuriance de la biodiversité de la ripisylve de la Barthelasse ?
Ce qui est le plus atterrant c’est que, dans le projet du Grand Avignon, elles figurent toutes sur la demande de dérogation pour pouvoir les détruire [1].
Le dernier rapport du GIEC vient de tomber, le 9 août 2021. L’un des phénomènes les plus marquants est l’accroissement rapide et généralisé de l’assèchement en Europe méditerranéenne. Les zones humides se rétrécissent et disparaissent entraînant à leur tour une cascade de perte de biodiversité végétale et animale tant par le nombre que par la diversité. Mais ici à Avignon, on s’apprête à rayer de la carte plusieurs kilomètres de l’une des dernières ripisyles fonctionnelles pour la biodiversité.
Pour illustrer ce chapitre, nous choisissons deux espèces.
- Le triton palmé, parce qu’en basse vallée du Rhône nous sommes à la limite de son aire de répartition géographique. Il est donc peu répandu ici, et la destruction de la ripisylve aura pour lui un impact considérable.
- Le pélodyte ponctué parce qu’il n’en reste qu’une quarantaine de couples dans le Vaucluse et qu’il a été sélectionné comme un marqueur prioritaire pour les Trames Vertes et Bleues en PACA.
[1] Notons que la liste de demande de dérogation déposée par le Grand Avignon est incomplète car appuyée sur un arrêté qui a été abrogé le 12 février 2021, et qu’elle doit être, de toute façon, revue et corrigée.
Triton palmé (Johann Launay)
Pélodyte ponctué (J.C Tempier)
On trouve sur la Barthelasse des quantités d'espèces d'insectes, on se demande pourquoi seulement quatre d’entre elles figurent sur la demande de dérogation du projet de digue porté par le Grand Avignon : trois libellules et un coléoptère, le grand capricorne.
La première des réponses est que l’état actuel de la connaissance des insectes de notre planète ne concerne qu’une petite partie d’entre eux. Il y en aurait un million d’espèces, et les scientifiques pensent que nous n'en avons même pas encore découvert la moitié.
Même les listes rouges UICN qui servent de base scientifique cohérente aux listes d’espèces à protéger ne répertorient à ce jour qu’une très petite minorité des insectes en danger, pour la simple raison que le travail à faire est monumental.
Tout ceci devrait nous inciter à un peu d’humilité et de sagesse. Et pour commencer, nous devrions éviter de résumer la menace qui pèse sur les animaux à la seule considération d’une liste de demande administrative de dérogation. En effet, si l’on considère l’étendue de notre ignorance, une telle démarche risquerait d’être à l’origine de dégâts importants et irréversibles. Nous ferions mieux de tenir compte de savoirs maîtrisés, à commencer par ce principe : "La préservation de toutes les espèces passe nécessairement par celle des milieux où elles vivent".
Ce serait le seul coléoptère de la Barthelasse à être menacé par le projet de digue du Grand Avignon ?
Sur 11000 espèces de coléoptères en France, environ 900 sont liées aux végétaux vivants et/ou au bois mort ou en décomposition. L’UICN considère depuis 2016 qu’environ 10 % d’entre elles sont menacées (dont le grand capricorne). Si le Grand Avignon fait détruire la ripisylve, c’est à dire leur milieu de vie, que deviendraient toutes les autres espèces dont on ne possède à ce jour aucune évaluation ? Le principe de précaution s’impose.
Pour illustrer cet argument, nous devons évoquer la funeste obnubilation des porteurs du projet ITER à ne considérer que les seuls aspects réglementaires de la protection de la biodiversité. Pour faire avaler la pilule du saccage de la forêt pubescente des chênes verts de Cadarache, en 2006, ils ont taillé et déplacé de gros arbres abritant des espèces protégées dont des grands capricornes. Malgré les prodiges d’ingénierie qui furent mis en œuvre pour ce faire, ces arbres sont aujourd’hui morts, avec toutes les espèces vivantes qu’ils hébergeaient, juste à proximité de la chênaie... dont il ne reste rien.
Pour le grand capricorne de la Barthelasse, c’est exactement la même mesure de compensation qui est prévue.
En prenant connaissance dans le détail du projet de digue porté par le grand Avignon, on se rend compte que même certaines espèces protégées, en réalité ne le sont pas.
Par exemple l’écaille chinée, ce magnifique papillon que l’on voit assez souvent dans la ripisylve de la Barthelasse est considérée comme prioritaire sur l’annexe II de la Directive européenne Habitat – Faune – Flore. Pourtant il ne figure pas sur la demande de dérogation du projet, en pleine zone Natura 2000.
Pour assurer le maintien des populations de ce papillon, il est toujours préconisé de maintenir la végétation le long des cours d’eau et surtout d’éviter les interventions radicales.
Paradoxalement, le projet du Grand Avignon, lui, prévoit carrément d’arracher 3 à 4 kilomètres d’arbres et de rabattre toute la végétation. Adieu la ripisylve, adieu l’écaille chinée !
Cet autre papillon que l’on appelle communément la diane, est strictement protégé par l'arrêté du 23 avril 2007, article 2 en référence au code de l’environnement (R. 411-1 à R. 412-7).
Il ne figure pas non plus sur la demande de dérogation. Pourquoi ? Parce-que les inventaires consultés par les bureaux d’études chargés du projet du Grand Avignon ne mentionnent pas ce papillon à cet endroit précis. La diane étant recensée dans le Vaucluse un peu plus loin alentour, on aurait pu imaginer que la présence ici de son espèce hôte, l’aristoloche à feuilles rondes, aurait suffi, par prudence élémentaire, à l’ajouter à la demande de dérogation. Et bien non ! On doit se contenter de savoir qu’au cours des trois demi-journées d’inventaires supplémentaires qui ont été commandées par le Grand Avignon, le naturaliste mandaté n’a vu, entre autres, aucune diane.
Comme l’écaille chinée, si le projet se réalise, la diane, pourtant dûment protégée en France, passera elle aussi en perte et profit.
Ils sont tout petits et très légers, à la surface de l’eau ou dans l’air, leur vie adulte est extrêmement brève, de quelques heures à quelques jours selon les espèces ; quand ils apparaissent c’est en nuages denses attirés par la lumière ; ce sont les éphémères.
Ils sont la base de la chaîne alimentaire, ils sont la proie d’un grand nombre d’animaux qui consomment aussi bien les larves que les adultes : libellules, punaises d’eau, poissons, oiseaux ou encore chauves-souris...
Le risque de disparition des éphémères est évalué à 22 % des 142 espèces recensés sur le territoire métropolitain. Les principales pressions qui pèsent sur ces espèces et leurs habitats sont identifiées : construction de digues, de barrages, aménagement et entretien des berges, dragage des fonds...
La destruction des bancs de sédiments sablonneux qui affleurent le long des rives de la Barthelasse portera un coup fatal aux éphémères et donc à toute la suite de la chaîne alimentaire, dite chaîne trophique, dont tous les maillons sont indispensables.
Le dernier maillon de la chaîne trophique c’est l’Homme ...
Ecaille chinée (Kriss de Niort)
Ephémère (Philippe Bullot)
Pour comprendre le désintérêt pour la biodiversité affiché par les porteurs du projet de digue de la Barthelasse, il suffit de prendre l’exemple des poissons. Depuis ses premières ébauches dans les années 90 le projet n’a jamais considéré les poissons comme un enjeu réel.
C’est l’avis cinglant du CNPN, qui lancera l’alerte le 25 mars 2019 :
"Malgré une destruction de la ripisylve et les travaux d’enrochement, aucun inventaire piscicole n’a été réalisé".
Le 5 et le 6 juillet suivants, le Grand Avignon commandera enfin, à un bureau d’études, un inventaire " poissons " pour les 8 kilomètres de linéaire concernés. Un naturaliste se rendra sur la berge 2 journées en septembre.
En décembre 2019 : le Grand Avignon rend son mémoire en réponse dans lequel il mentionne une étude de la CNR qui recense l’ADN de 35 espèces de poissons dans le bras d’Avignon, avec ce commentaire :
" le diagnostic de 2011 présenté dans les dossiers réglementaires reste valable", et de citer 8 espèces de poissons protégées dont une seule, l’anguille, mériterait un intérêt.
Le message est clair :
- il y a un dossier,
- il est réglementaire,
- il n’y a qu’un poisson intéressant,
- point final.
En quelques lignes, on passe de 35 espèces à une seule. Voilà comment est traité l’impact sur la biodiversité d’un projet qui, en zone Natura 2000, en Trame Bleue, consiste à arracher tous les arbres de la berge, raser toute sa végétation, enrocher toute sa partie immergée et recalibrer tous ses talus.
Ce qui est consternant, c’est de mettre en parallèle cette méthode avec les préconisations du ministère de la transition écologique. Face au déclin des poissons, celui ci appelle à la mobilisation de l’ensemble des partenaires impliqués dans la gestion des milieux aquatiques pour restaurer leurs habitats, et il écrit :
"la directive-cadre sur l’eau a été lancée, sur le constat que nous étions allés trop loin dans l’artificialisation des cours d’eau, leur endiguement et leur segmentation, dans les pollutions et dans les prélèvements" (Cours d’eau et poissons migrateurs amphihalins - 7 mai 2019).
Et le Grand Avignon va faire quoi? Avant même de restaurer quoi que ce soit, il va accroître l’artificialisation du fleuve. Autrement dit, il va s’enferrer dans l’erreur passée. Ce sera donc le meilleur moyen d’accélérer le déclin en cours des poissons, y compris de l’anguille, bien entendu. Mais ce n’est pas un souci pour lui puisque le secteur n’est "pas connu pour constituer un enjeu particulier" (Étude d’impact environnemental 2017. p86). Il n’est pas surprenant qu’avec ce genre d’arguments personne ne soit porté à en connaître d’avantage.
Se pose alors la question : pourquoi en sommes-nous en arrivés là ?
Au delà de la communication environnementale de l’État, regardons l’objectif de la stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs (Stranapomi - 14 décembre 2010 ). Celle ci vise à "préserver et restaurer les principales espèces amphihalines en s’efforçant de concilier ses actions avec les activités économiques associées".
Or la plupart des projets d’aménagement de cours d’eau, comme celui de la Barthelasse, sont motivés par la recherche d’un développement économique. Il n’est donc pas étonnant que ce soit la biodiversité, et non pas l’activité économique, qu’ils considèrent, au mieux, comme la donnée "associée", au pire comme un faux-semblant.
Ajoutons à cela une inclination immodérée pour les solutions artificielles et pour les technologies dites innovantes (échelles à poissons, réintroduction d’espèces, etc). Ces pratiques pourraient alors durer jusqu’à ce que le point de non retour soit atteint, c’est à dire, quand toutes les espèces aquatiques auront disparu, anguille comprise.
Nb : Dans l’expertise de terrain sus-nommée, nous constatons des erreurs manifestes d’appréciation de la présence ou non d’herbiers, d’hélophytes ou d’enrochements. De plus aucune frayère ni aucun banc d’alevins ne sont localisés, alors qu’il y en a régulièrement chaque année. Tout ceci nous laisse à penser que les moyens mis en œuvre n’ont pas été suffisants pour porter un jugement valable sur l’importance écologique du site pour les poissons.
Anguille
(Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse)
La France a été condamnée trois fois en dix ans par l’Europe pour mauvaise transposition de la directive Habitats Faune Flore (Natura 2000). Notamment parce que le code de l'environnement français considérait la pêche et la chasse comme non perturbantes pour la faune et la flore sauvage.
Onze ans plus tard, c’est toujours la Direction de la Police et du Permis de Chasser qui pilote la séquence ERC au sein de l’OFB (Office Français de la Biodiversité). Par ailleurs, la chasse échappe toujours en France aux procédures réglementaires européennes d’évaluation d’incidences (4 novembre 2020 - Question parlementaire à la commission européenne).
Cet entêtement de la France révèle un affrontement d’importance entre elle et l’UE : la France veut échapper aux règles européennes environnementales qui fixent l’équilibre entre le développement économique et l’effondrement de la biodiversité.
La règle de ce jeu c’est la séquence ERC : son objectif est d’obtenir que les projets d’aménagement du territoire se fassent sans perte de biodiversité aucune. L’ordre hiérarchique de cette séquence doit obligatoirement être suivi par les aménageurs. Il faut d’abord éviter les impacts sur les écosystèmes, puis, seulement si ce n’est pas possible, il faut les réduire, et en dernier recours, si réduire n’est pas possible non plus, on doit les compenser. Seules les mesures " Éviter " garantissent la non atteinte à l’environnement.
Le poids des enjeux est si important que ce mécanisme est source d'un contentieux abondant. La plupart des projets d’aménagement sont motivés par des raisons de développement économique et non pas environnementaux. Nombreux sont donc les projets qui ne respectent pas, ou feignent de respecter la hiérarchie de la séquence ERC. Et ceci est dû à la nature même du concept de compensation.
Pour valider une compensation, il suffit de certifier que la biodiversité restaurée serait supérieure à la biodiversité perdue suite à la mise en œuvre de l’aménagement, puis de dimensionner les surfaces de compensation, en respectant des principes réglementaires d’équivalence. Ces principes ont été échafaudés à partir du postulat d’équivalence qualitative fonctionnelle. Ce concept et les principes auxquels il sert de fondement n’ont jamais fait l’objet de validation scientifique et il n’existe à ce jour aucun outil pour le faire. Est-ce pertinent d’appliquer un tel postulat quand le sort de la biodiversité est en jeu ?
En inscrivant l'objectif de zéro perte nette de biodiversité, dans le code de l'environnement, le législateur a fait d'un slogan une règle de droit. Cette règle laisse supposer une obligation de résultat, visant à maintenir un même niveau de biodiversité ou même un gain. Ceci donne lieu à des confusions parce que, dans le cadre spécial des dérogations à l'interdiction de détruire les espèces protégées, une destruction de biodiversité peut être jugée légalement acceptable, par exemple dans le cas où aucune alternative n’a été jugée satisfaisante. Cette contradiction flagrante est confirmée par ses répercutions dans la jurisprudence, qui ne parvient pas à distinguer l'objectif de zéro perte nette de la législation espèces protégées.
Après trois condamnations par l’EU, la persistance d'un cadre juridique flou et le manque de volonté de l'administration d’y remédier, prouvent qu’il s’agit d’un choix de politique juridique posé par l’État.
Le projet de digue de la Barthelasse n’applique pas la séquence ERC
1 - Il ne respecte pas son ordre hiérarchique :
Aucune solution " zéro destruction nette de la biodiversité " n’a été étudiée alors qu’elles sont possibles, le collectif SOS Barthelasse en propose deux.
2 - les besoins et les réponses de compensation du projet sont mal évalués :
L’analyse de l’état de fonctionnement du milieu est incomplet, et les risques d’échec des mesures d’évitement et de compensation n’ont pas été abordés. Ceci ne permet donc pas de lever l’incertitude écologique.
Les mesures de réduction imaginées pour atténuer les impacts sur les herbiers de hauts fonds sont inadaptées à leur importance et à la puissance du fleuve, et sont sans retour d’expérience.
Les mesures de compensations ne sont pas prévues sur place. La « proximité » géographique, n’étant pas sérieusement définie, est de facto laissée à la seule appréciation d’un porteur de projet juge et partie.
L’équivalence écologique des compensations proposées est uniquement considérée en quantité d’arbres replantés et en création de nouveaux écosystèmes sans garantie aucune de correspondance avec celui qui aura été détruit.
Aucune compensation n’est proposée pour l’éviction des castors de leur habitat, ni pour la destruction de ceux-ci, ni pour l’impossibilité pour ceux-là d’en créer d’autres en raison de la mise en place d’enrochements. La plantation de boutures de saules dont ils pourraient éventuellement se nourrir n’est absolument pas à la hauteur de l’enjeu d’autant plus qu’elle fonctionnerait uniquement dans l’hypothèse, très improbable, de leur retour.
Aucune compensation n’est proposée pour la rupture de continuité du corridor, dans la profondeur de la ripisylve, pour certaines espèces de chiroptères.
Dans la comparaison des avantages et des inconvénients des mesures de compensation, celles-ci ne prennent pas en compte les incidences cumulées.
La séquence ERC n’est pas respectée.
Les mesures prévues ne compensent pas l’incertitude écologique du projet.
Aucune preuve de l’absence de solution alternative d’évitement satisfaisante n’est apportée.
CE PROJET NE DOIT PAS ÊTRE DÉCLARÉ D'UTILITÉ PUBLIQUE
Une vision restrictive des incidences.
Le Grand Avignon, utilise ce genre de phrases : "1,6 ha de l’habitat serait impacté par le projet, soit 0,5 % de l’habitat présent à l’échelle du site Natura 2000. Cette incidence ne sera pas susceptible de remettre en cause les objectifs de conservation du site Natura 2000 pour cet habitat ". Si l’on comprend bien, la destruction d’habitats ne nuirait pas, puisqu’il en reste beaucoup ailleurs.
Au delà de l’indigence de l’argument, il n’est pas difficile de comprendre que si tous les aménageurs procédaient de la même façon, le cumul des impacts de l’ensemble des aménagements finirait inévitablement par réduire à néant la fonction même du corridor écologique.
L’Union Européenne consciente de cette menace, avait prévu, dans le cadre de la directive Habitats, que les incidences d’un projet devraient être évaluées en tenant compte de l’effet cumulé des incidences de tous les autres projets.
Pour contourner cela, le Grand Avignon fait remarquer que :
"La transposition française précise que seuls les projets d’un même maître d’ouvrage ou pétitionnaire sont concernés par la prise en compte des effets cumulatifs d’un projet donné."
Et que :
"La ville d’Avignon ne porte pas d’autres projets portant sur le fleuve Rhône et ses abords"
Et donc que :
"aucun cumul d’incidences n’est donc à attendre à ce niveau."
Ici au moins les choses sont claires. Le grand Avignon veut mettre en œuvre son projet, il le revendique sans hésiter, et va même jusqu’à nous indiquer la source de son bon droit : la non application par la France de la directive européenne de protection de la biodiversité, celle là même pour laquelle la France a déjà été condamnée trois fois.
En réalité, le projet de digue de la Barthelasse, s’il était mis en œuvre, affecterait de manière significative le site Natura 2000 Rhône aval, en conjugaison avec tous les autres projets qui l’affectent déjà ou l’affecteront bientôt. En effet, la destruction de plus de 4 kilomètres de l’écotone de la ripisylve viendrait s’ajouter aux très nombreux tronçons déjà détruits ou réduits à leur plus simple expression.
Un corridor n’a de signification qu’avec les différents lieux qu’il relie et qu’il préserve de l’enclavement. Cette unité de sens est indivisible. L’évaluation des incidences cumulées doit donc être appropriée à cette unité de sens.
La question que le porteur de ce projet devrait se poser, est : est-ce que les incidences de mon projet, ajoutées à celles de l’ensemble de ceux qui concernent le même corridor, ne condamne pas à terme sa fonction de liaison écologique entre la Méditerranée et l’Europe du Nord.
Un autre aspect de la non-prise en compte des incidences cumulées est également inquiétant.
Les travaux d’enrochement de la partie immergée de la berge prévus dans le projet nécessitent un décaissement préalable des hauts fonds. Ces haut fonds sont composés de sédiments alluvionnaires fins qui se sont essentiellement déposés depuis que ce bras du Rhône a été court-circuité en 1973. Or cette période correspond à celle du plein rendement de l’usine Tredi de retraitement des PCB [1], située en amont à Saint Vulbas. Les analyses de la présence de PCB dans les sédiments en aval de cette usine ont été largement médiatisés, et depuis, la remise en suspension de ces sédiments est strictement réglementée, personne ne peut donc feindre de l’ignorer.
Le cumul de la remise en suspension des sédiments sur les 3,6 kilomètres d’enrochements prévus sera important. Pourtant le projet n’en tient pas compte dans les impacts environnementaux (ni dans le coût du projet d’ailleurs). De surcroît, pour avoir une idée juste du désastre écologique que ces travaux d’enrochement infligeraient au biotope de tout le golfe du Lion, il faudrait ajouter le cumul des PCB déjà partis à la mer et de tous ceux qui les rejoindront bientôt.
Un troisième aspect de la non prise en compte des incidences cumulées concerne les impacts indirects de la destruction de la ripisylve sur les humains.
Dans l’évaluation des incidences permanentes du projet, il manque la plupart des impacts indirects de la destruction de la ripisylve. Notamment tout ce qui concerne la dégradation du bien commun que sont les multiples services écosystémiques. Par exemple la perte de la fonction de filtration des nitrates, la raréfaction des auxiliaires de l’agriculture, la multiplication et la diversification des pathogènes et des zoonoses, la disparition des relations culturelle, récréative et spirituelle avec la Nature, etc.
Bien sûr, ces impacts sont difficiles à quantifier. Non seulement en raison de vastes lacunes de connaissances, mais aussi lorsque les méthodologies choisies sont essentiellement arithmétiques, économiques, voire marchandes.
Mais ce qui passe aussi au travers des mailles de l’évaluation, c’est le cumul de ces impacts indirects sur la durée d’une vie d’humain, c’est à dire sur deux ou trois générations.
Si l’on tenait compte ce fait, on pourrait alors poser des questions comme : quelle vie auront nos enfants et petits enfants si nous détruisons la ripisylve de la Barthelasse avec toutes les espèces qu’elle abrite ?
Contrairement à ce que dit le grand Avignon, son projet aura des incidences significatives sur les objectifs de conservation des habitats et populations d’espèces d’intérêt communautaire ayant justifié la désignation de la ZSC « Rhône aval ».
En effet,
Il sera très destructeur de la biodiversité au point de remettre en jeu la survie de l’écosystème.
Il ne respecte pas la séquence ERC.
Les inventaires sont insuffisants.
Les impacts sont systématiquement minimisés.
Il reste plusieurs espèces protégées pour lesquelles aucune demande de dérogation n’a été faite.
Le corridor de la zone Natura 2000 sera affecté.
Les incidences cumulées ne sont pas prises en compte.
Dans son projet, le Grand Avignon présente un algorithme de faisabilité (schéma ci-dessous : chemin A). Nous l’avons modifié pour montrer les conséquences d’un niveau d’incidence significatif à l’échelle du site Natura 2000 (chemin B).
[1] PCB : polychlorobiphényles. Trés dangereux toxiques, perturbateurs endocriniens y compris à faible dose, ubiquitaires et persistants (demi-vie de 1 siècle à 3 millénaires), contaminants bioaccumulables, cancérogènes… Transmissibles directement à l’homme via les poissons. le sang des français contient beaucoup plus de PCB que celui des Allemands. 3,6 % des femmes en âge de procréer présentent une concentration en PCB totaux supérieure au seuil de 700 ng/g de lipides défini par l’Afssa, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. (Source : Wikipédia)
L’algorithme de faisabilité : compte tenu de l’obsolescence du projet dans son état actuel, la version A présentée par le Grand Avignon devrait être remplacée par la version B.
À ce sujet, un communiqué de la Commission Européenne vient de publier en novembre 2021 un algorithme qui invalide celui du Grand Avignon et renforce la validité de la solution proposée par SOS Barthelasse - Sauvons les Arbres (en rouge ci-dessous).
15 novembre 2021 - Évaluation des plans et projets relatifs aux sites Natura 2000 - Guide de conseils méthodologiques de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de la directive «Habitats» 92/43/CEE.
Le Commissariat Général au Développement Durable, CGEDD, constate qu’une évaluation sur quatre aboutit en France à une tendance au déclin de la biodiversité, et que les écosystèmes aquatiques et humides (zones humides, lacs et cours d’eau) comptent parmi les moins bien conservés.
En région Sud, en forte régression depuis les années 1950, les ripisylves représentent aujourd’hui moins de 1.6 % du territoire.
Le 10 septembre 2021, le Congrès mondial de la nature de l’UICN réuni à Marseille déclarait que :
- l’humanité a atteint un point de bascule.
- les systèmes existants ne fonctionnent pas.
- la «réussite» économique ne saurait plus se faire aux dépens de la nature.
Le Congrès appelle les gouvernements à mettre un terme aux subventions néfastes pour la nature.
"Si nous voulons assurer l'avenir de la vie sur Terre, nous devons mettre un terme aux pertes de biodiversité d'ici 2030".
Au même moment, le Grand Avignon présente à l’enquête d’utilité publique, un projet d’aménagement dont l’effet principal sera la destruction de la biodiversité tant à court qu’à long terme.