Le Jardin scientifique de N'Djaména

En 1986, la Coopération française, plutôt que de financer dans chaque ministère tchadien un appui aux chercheurs (notamment au moyen de centres de documentation) choisit de s’investir dans un organisme au service de l’ensemble des chercheurs tchadiens, fonctionnaires ou étudiants. Pour l’abriter, elle réhabilite les anciens locaux (logements et bâtiments administratifs) de l’Office de la Recherche scientifique outremer (ORSTOM, aujourd’hui Institut de recherche pour le développement, IRD), construits à partir de 1954 sur un terrain d'environ trois hectares pour abriter en décembre 1958 le Centre ORSTOM, en grande partie détruits par la guerre, et elle y installe le Centre de recherches appliquées (CRA) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique du Tchad. (Une partie des trois hectares, occupée par deux immeubles, est séparée de ce terrain).

Après avoir créé en 1980 la Revue de géographie du Cameroun au sein de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé puis réalisé en 1983 l’Atlas aérien du Cameroun, la sous-direction de l’Enseignement supérieur et de la recherche du Ministère de la Coopération me demande de démissionner du Cameroun en juin 1989, après la soutenance de ma thèse de doctorat d’État en géographie, pour prendre un poste d’assistant technique au CRA avec pour objectifs de créer des éditions et d’animer la vie scientifique.

En dehors des lieux bâtis, le terrain occupé par le CRA était à l’état d’abandon, marqué par les stigmates de la guerre (de nombreux bâtiments en ville étaient également détruits) alors qu’il se situait sur un axe de circulation important menant du centre-ville à l’aéroport (rue de la ‘Gendarmerie’, administrativement l’avenue Jean Tllho, nom oublié de tous, celui d’un général géodésiste, membre de l’Académie des sciences, qui a consacré sa vie scientifique au lac Tchad, aujourd’hui avenue général Daoud Soumaïne).

L’entrée du Jardin en septembre 1995. Marbre rose de Figuil (âge précambrien soit au minimum 570 millions d’années) (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Le docteur Abakar Adoum Haggar, docteur d’État en physique, deuxième directeur du CRA à la suite de la nomination au gouvernement du docteur Ibni Oumar Mahamat Saleh, docteur en mathématiques, et moi projetons de faire de cet espace un jardin public à vocation pédagogique. À partir du constat, d’une part, que dans la ville de N’Djaména et dans un large périmètre autour d’elle la végétation est bien peu diversifiée et qu’hormis l’argile et le sable aucune roche n’est visible et, d’autre part, que la plus grande partie de la population, à commencer par la jeunesse, n’a pas les moyens de voyager, ce jardin reposerait sur un parc arboré constitué d’essences caractéristiques du Tchad et de blocs de roches. L’idée fait son chemin mais il apparaît aux yeux de certains expatriés que ce terrain, qui appartient au domaine de l’État français, comme celui de l’aéroport, est le lieu idéal pour bâtir le lycée français auxquels ils pensent. L’affaire paraît mal engagée et pour la trancher le chef de la Mission de coopération et d’action culturelle, Gérard Lacognata, agrégé de géographie, m’amène à l’exposer au Payeur de France. L’entretien est bref, la conclusion est simplement exprimée par cette étonnante image « puisque votre projet ne mange pas de pain, vous pouvez l’entreprendre ». Je ne pense pas que le Payeur avait en tête que de toute façon un coup de bulldozer raserait le tout pour faire un lycée dont il n’avait visiblement jamais entendu parler.

La première action est de bénéficier d’un bloc rocheux de la carrière de Dandi. Cela paraît simple. Pourtant c’est compliqué car la carrière est en exonération de douane. Il faut donc obtenir une exonération du Ministère des finances. Cela prend quelques jours sauf que pour transporter la roche le camion (de la SATOM) est aussi en exonération de taxe. Il faut donc une seconde exonération. Le directeur du CRA s’occupe de tout et un midi je vois arriver un camion qui va décharger le contenu de sa benne dans ce qui sera le Jardin. C’est une surprise. Le bloc est énorme, une belle rhyolite rouge de forme triangulaire. Le directeur de la carrière a dû lire Astérix et Obélix. C’est formidable. Un autre bloc, quadrangulaire et de couleur crème, est livré en plus. C’est un beau conglomérat issu d’une faille incluse dans la rhyolite.

Nous passons aussitôt à l’étape suivante. Le directeur du CRA obtient du maire de la ville, le Président Lol Mahamat Choua (chef de l’État du 29 avril au 3 septembre 1979), un camion-benne pour aller jusque dans la région de Pala prélever un tronc d’arbre fossile. Aucun problème d’intendance, tout est réglé d’avance. Des fûts de carburant sont même dans la benne et le chauffeur et son motor-boy seront d’une courtoisie et d’une ponctualité remarquables. Le voyage est néanmoins très ‘pittoresque’.

  Le maire de N’Djaména, le Président Lol Mahamat Choua, intervenant dans le film ‘La ceinture verte de N’Djaména’ en 1991, une coproduction CNAR - TVTchad. Le 24 juillet 2001, en présence du directeur du CNAR, le crâne de Toumaï, Sahelanthropus tchadensis, lui est présenté à son domicile (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Faute alors de route goudronnée au Tchad pour rejoindre Pala nous passons par le Cameroun, d’autant que je projette de faire quelques acquisitions supplémentaires sur le chemin. Ainsi au passage à Waza je tente d’obtenir un bloc rocheux à la carrière. Elle est toujours en activité et en ce début d’après-midi le personnel est encore sur place. Un ‘menhir’ de granite gris, un bloc avec un filon de basalte et quelques petits blocs nous sont offerts et placés dans le camion. Plus loin le camion est naturellement arrêté à la barrière de gendarmerie de Mora. Comme je le précède, je suis amené à donner le contenu de la benne. J’annonce « des pierres ». Le gendarme de service décide alors de saisir le camion et nous roulons en convoi jusqu’au poste où, à la question de son chef sur le contenu de la benne, le gendarme déclare « de la bière ». Nous sommes fin avril, il fait déjà très chaud. Dans l’instant le chef se hisse dans la benne avant d’éclater de rire et de nous libérer. Le soir nous sommes à Figuil pour passer la nuit chez Pierre Roccaglia et son usine de chaux et de débitage de blocs de marbre. Nous ne nous étions jamais rencontrés lors de mes onze années au Cameroun. Déçu de ne pas avoir fourni le marbre nécessaire à la construction du siège de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) à N’Djaména, alors que les textes réglementaires auraient dû lui accorder le marché et que son marbre est d’une qualité comparable au célèbre marbre de Carrare (Italie) utilisé pour la BEAC, Roccaglia est néanmoins enthousiaste pour nous donner quatre blocs de marbre : une belle lame blanche veinée vert-bleu, une autre lame blanche veinée rose, un bloc rose et un bloc parfaitement blanc (ces lames sont en quelque sorte les talons issus du débitage de très gros rochers). Ma demande a dû donner à Roccaglia quelques idées car par la suite je verrai que de tels blocs de marbre seront placés en quelques endroits de la ville de Garoua.

Le lendemain, en fin de matinée, nous rentrons au Tchad par le poste de douane de Léré. Nous ne sommes pas seuls et cela prend quelque temps. Au bout d’un moment un quadragénaire, qui tournait depuis quelques minutes autour du camion, vient à ma rencontre. Il se présente ‘Permettez-moi en tant qu’ancien ministre de vous demander ce qu’un expatrié fait là, allant du Cameroun au Tchad, avec une benne appartenant à la ville de N’Djaména ?’. Je lui présente le projet. Mon nom lui rappelle le baccalauréat national que j’avais présidé en décembre 1980 à Sarh et dont j’avais annoncé les résultats sur la radio nationale de l’époque, celle de la Gendarmerie. Sa conclusion reste gravée dans ma mémoire « Vous avez de la chance. Vous travaillez avec Abakar Adoum Haggar, une jambe en moins, une tête en plus ». Cette chance j’en ai bénéficié longtemps dans mon travail puis de toute son amitié jusqu’à son décès subite ce 22 novembre 2022.

Après une nuit chez le sous-préfet de Léré nous reprenons la route et trouvons sans aucune difficulté la forêt pétrifiée de Pala. Comment s’y prendre ? Les blocs sont énormes.

La forêt pétrifiée de Pala en avril 1991 (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Laissant là la benne je file à l’usine de la COTONTCHAD de Pala. Aucune difficulté, le nom du directeur du CRA est manifestement un sésame. Je reviens à la ‘forêt’ avec un camion-grue. Il va être midi. Deux ‘billes de bois’ sont choisies et mises dans la benne.

Chargement d'un tronc fossile dans la benne par le camion-grue de la Cotontchad (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Le soir nous sommes à Maroua. Aucune chance pour que le camion soit pillé durant la nuit, les éléments de la ‘marchandise’ pèsent de quelques centaines de kilogrammes à plusieurs tonnes. Toutefois le lendemain il faut pouvoir quitter Maroua. Au contrôle de police à la sortie de la ville le camion est bloqué. En dehors de sa carte d’identité le chauffeur n’a aucun papier, ni carte grise, ni assurance, ni ordre de mission. Dans l’esprit d’un agent je ne suis qu’un trafiquant et le camion est volé. Un attroupement se forme. Les avis sont exprimés à haute voix, peu flatteurs pour le Tchad et ses responsables. Au cours de mon long séjour au Cameroun, sans jamais céder sur les principes, j’ai appris la patience. Après une bonne heure, je sors un cahier pour relever les insultes et prendre le nom des témoins. Ils fuient. Un chef arrive, consulte mes papiers, mon ordre de mission officiel et la route est ouverte.

Le lendemain, la benne est déchargée à côté du menhir de la carrière de Dandi dans ce Jardin qui prend forme dans nos têtes. Des photographies de ce voyage sont offertes à Gérard Lacognata qui les dispose pour de longs mois sur la table basse du petit salon qu’il a installé dans son bureau.

Avril 1991, les roches sont livrées (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Et maintenant que faire ? Le terrain est argileux, les blocs sont lourds. Ils vont inévitablement s’enfoncer à chaque saison des pluies. La ville de N’Djaména est à nouveau sollicitée pour nous faire une digue sableuse sur lesquelles les roches seront disposées. Récupérés sur un chantier, des plaques de béton et des barres de fer la maintiendront côté cheminement. J'habite sur place. Je m’y attèle les après-midis. Le tout va être nivelé par un grader de la ville et, en novembre 1991, un engin de levage tout-terrain de l’opération militaire française Épervier installe les blocs à leur emplacement définitif. Cette mise en place, rendue délicate par les risques de cassure des troncs fossilisés, des blocs de marbre et de ryolithe en raison de leurs dimensions et de zones de fissures a parfaitement réussi.
Trente plus tard, ces roches sont toujours là.  

L’un des deux troncs fossiles de Pala. Datant de la fin du Mésozoïque (ou Ère secondaire). Ces troncs de conifères, cyprès et araucarias, auraient entre 95 et 66 millions d’années (photographie Alain Beauvilain, droits réservés). (pour en savoir plus : ‘Pages d’histoire naturelle de la terre tchadienne).

D’autres roches sont rapportées à l’occasion de missions. En début 1992 d’une mission au Cameroun je ramène de très belles orgues volcaniques, un basalte bien noir et bien bulleux de la montagne de Mbéba (arrondissement de Guider, près de la frontière du Nigéria). En juin 1997, à l’occasion de l’assemblée générale des actionnaires des BGT (les Brasseries et glacières du Tchad, société qui offre des boissons à tous ceux qui assistent aux Vendredis de la recherche), le PDG des Brasseries du Cameroun, André Siaka, un polytechnicien, vient visiter le jardin à l’occasion de la pause de mi-journée. Évidemment il fait très chaud et bien que ce soit l’heure du repas, le visiteur marque un vif intérêt qui se traduit par de multiples questions. La visite dure deux bonnes heures. En conclusion, promesse est faite de recevoir de belles orgues basaltiques de Bandjoun, son lieu de naissance en pays Bamiléké, et promesse aussi est faite de fournir les missions paléontologiques en eau de Tanguy, l’eau de source du Mont Cameroun. Quelques semaines plus tard un camion arrive de Douala, livre de belles orgues et une grande quantité de cartons d’eau. Promesse renouvelée chaque année et jusqu’à ma dernière mission dans le Djourab en mars 2022, l’eau de Tangui sera disponible, autant que de besoin, pour tous les participants aux missions de terrain. Point intéressant, les bouteilles vides serviront à l’emballage des fossiles avant d’être remises dans les cartons d’origine, assurant aux fossiles une protection très efficace.

Mais qui dit jardin dit eau et jardinier. Nous recherchons de l’eau gratuite et un jardinier lui aussi gratuit. Le directeur prend contact avec la Délégation de la Communauté européenne pour solliciter le don d’une station de pompage solaire. Le FED (Fonds européen de développement) finance alors de telles stations mais là encore aucune à proximité de la ville. Celle demandée servira donc de démonstration pour les habitants. Le financement est rapidement accordé et les travaux entrepris. 

Réalisation du forage devant les bureaux du CNAR (photographie Alain Beauvilain, droits réservés). 

Il faut aussi pouvoir stocker l’eau. Une citerne d’un camion réformé de l’armée tchadienne fera l’affaire. Nous souhaitons la décorer avec des paysages du Tchad. Un jeune artiste peintre le fera gracieusement. C’est Markoza, le patron du ‘Palais des beaux-arts’. L’œuvre est une fresque d’une suite de paysages qui débute, sur la face de la citerne tournée vers le nord, par une scène allant des volcans du Tibesti aux dunes du Djourab, se poursuit sur la face latérale par le lac Tchad et s’achève sur la face tournée vers le sud par une scène reliant les rochers d’Hadjer el Khamis (‘Les cinq pierres’) aux cases obus du Pays Mousgoum. L’ensemble est particulièrement réussi.

La citerne, réservoir du forage solaire, début août 1994 (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Pour le jardinier, le Programme alimentaire mondial est sollicité. C’est l’époque du ‘Food for work’, ‘nourriture contre travail’. Le projet est accepté et notre jardinier, Mahamat Adoum, sera payé en sacs de riz et en conserves de maquereaux d’origine japonaise. C’est aussi un message à ceux qui critiquent la vente de telles boîtes dans les ‘alimentations’ de la ville. Le jardinier a bien le droit de varier son alimentation et d’avoir quelques espèces en échange de son travail. Après un séjour dans un garage au Nigeria, Mahamat sera employé par le CNAR pour être mis comme chauffeur, mécanicien et cuisinier au service du projet de la Coopération française ‘Appui aux recherches paléontologiques’ que je dirige. Après dix-huit missions dans le désert, Mahamat sera le 19 juillet 2001 à TM266 l’un des co-auteurs de la mise au jour de Toumaï, Sahelanthropus tchadensis, avant de trouver au tamisage en mars 2002 un fragment de mandibule attribuée à Sahelanthropus à TM292.

Le Jardin en mars 1992 (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Pour les plantes la sélection va être progressive. Alors que l’abattage des arbres est interdit en ville, en 1993 les bûcherons de la FAO viendront supprimer la plupart des arbres apportés par la colonisation (neems -Azadirachta indica, bel arbre originaire d’Inde, et eucalyptus, originaire d’Australie) car nous voulons les remplacer par des arbres locaux tous semés en graines : caroubiers, tamarinier, différents acacias, dattiers, doums, …. À la pointe du Jardin, au Rond-point du Trésor (ex ‘carrefour des Bœufs’), les beaux caïlcédrats (Khaya senegalensis, ‘mourraye’) sont conservés tout comme à l’intérieur du jardin un Acacia albida (arbre si précieux pour entretenir la fertilité des champs et nourrir le bétail, fournissant gousses et branches en saison sèche alors qu’il perd son feuillage en saison des pluies laissant ainsi les rayons du Soleil atteindre les cultures), un jujubier (Ziziphus spina Christi, ‘nabak’, ainsi dénommé car ses branches auraient servi à former la couronne du Christ le jour de sa crucifixion) et un Balanites aegyptiaca (‘hidjilidj’, dont la gaine est oléifère, arbre très fréquent en zone sahélienne).

Sur les autres limites extérieures sont placées dès 1991 des plantes de systèmes défensifs végétaux précoloniaux qui se rencontrent au Tchad et au Nord du Cameroun :
- différentes euphorbes, au latex allergisant, Euphorbia unispina, E. desmondii et Euphorbia kamerunica, celle-ci à partir de boutures ramenées d’une mission à Jos car elle doit son nom à l’ancien Cameroun britannique intégré au Nigeria en 1960 ;

- Adenium obesum (‘asnala’, rosier du désert, mais aussi appelé localement 'pied d’éléphant' qui lui est Beaucarnea recurvata), dont le latex est un toxique cardiaque très violent servant autrefois à empoisonner les flèches et rendant périlleux le franchissement de ses haies ;

- divers figuiers de barbarie (Opuntia, ‘tin choké’) dont la diversité sert à montrer la diversité au sein de la famille des Opuntia.

Le taux de reprise des boutures a été de 100% et en deux ans une clôture efficace est constituée.

Du côté du Trésor public (aujourd’hui avenue Joseph Yodoyman), quatre Ceiba pentandra (‘roum’, faux kapokier) ont été semés en mai 1991 et atteignaient quatre mètres un an plus tard. Trois autres ont alors été semés. La taille gigantesque et la croissance incroyablement rapide de cet arbre font qu’il se rencontre dans certains villages le long du delta du Chari, où il permet de localiser de loin les villages, ou, dans le passé, en ont fait un arbre refuge dans la région de Kim ou, dans le sud du Cameroun, par la jonction de ses immenses contreforts, ont permis de former de monumentales palissades vivantes servant de fortifications (les murs vivants du pays Yambassa).

Ceiba pentandra, arbre refuge dans la région de Kim, tel que décrit par Gustav Nachtigal (Le Tour du monde, 1872, Voyage du Bornou au Baguirmi, page 393, dessin d’Yvan Pranishnikoff).

Dès mai 1991, une palmeraie diversifiée est semée au niveau de l’entrée du Jardin : des dattiers (Phoenix dactylophera, ‘tamour’), bien alignés pour montrer qu’il s’agit d’une plante cultivée, des rôniers (Borassus aethiopum, ‘déleb’) et des doum (Hyphaene thebaïca, ‘dôm’) dans un semi désordre et, dans l’intérieur du Jardin, une première collection d’arbres : deux anacardiers ou pommier-cajou (Anacardium occidentale, demblatir), trois tamariniers (Tamarindus indica, ‘ardeb’), trois nérés (Parkia biglobosa ; ‘karoub’), deux Acacia nilotica (‘garat’), trois Acacia senegal (‘kitir’, le vrai gommier). Une deuxième collection est semée en juin 1992 : Kigelia africana (le ‘saucissonnier’), dont la tête sera coupée deux années de suite pour freiner un développement trop rapide, trois baobabs (Adansonia digitata, ‘kouka’, un troisième en juin 1993), un Sclerocarrya birrea (‘hemet’) et deux Vitex doniana (um dugulgu), deux Parkinsonia et un Leucenia.

Une végétation aquatique spontanée (Ipomeae et Papyrus) se développe dans une mare tandis que sur ses bordures ont été plantés des bananiers et de la canne à sucre. Au nord de la mare, des figuiers locaux ou sélectionnés ont été bouturés en juillet 1993.

Pour réussir leur belle croissance, un système de diguettes est mis en place à chaque saison des pluies pour retenir ce don du ciel qu’est l’eau. Toutefois, le développement attendu des arbres obligera à ne conserver que le spécimen le plus beau. Il s’agit pour la plupart d’arbres dont le plein développement sera atteint dans deux à trois décennies. 

Les diguettes début août 1994 (noter le long de la clôture la belle croissance des quatre Ceiba pentandra semés en 1991 -les troncs vert-jaune) (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Il faut aussi que la plupart des plantes ou des roches soit clairement définies, voire leur usage expliqué. J’en rédige les notices et au cours de mes vacances de l’été 1992 les premières pancartes sont gracieusement réalisées par les services techniques des jardins de la ville de Paris après leur avoir signalé que le maire de N’Djaména est un ami du maire de Paris, Jacques Chirac. Un deuxième lot sera fait dans les mêmes conditions à l’été 1993 pour les roches ramenées de la mission au Tibesti avec Pierre Vincent (1927-2014) et Mathieu M’Baïtoudji (1947–2021) de la Direction des mines et de la géologie. 

Dalle d’un ensemble de  roches volcaniques ramenées du Tibesti en 1993 et issues pour la plupart du complexe Toussidé-Trou au Natron-Doon Kinimi (lave du Toussidé, diverses ignimbrites, obsidiennes, basaltes et un rombon-porphyre remarquable par ses cristaux géants de felsdpath (minéralisation qui ne se rencontre sur Terre qu’en trois endroits, Trou au Natron (Tchad), Mont Kenya (Kenya), Mont Erébus (Antarctique), pour le protéger cet échantillon n'est pas indiqué sur la plaque) (photographie du 2 juin 2013 droits réservés). 

Une seconde dalle porte une collection de divers granites (originaire de Ngoura à gros cristaux de felsdpath blanc, originaire de Niellim à gros cristaux de felsdpath rose, de l’Aboutelfane à petits cristaux de feldspath rose, …) et des quartz. Une troisième expose des roches volcaniques dont de beaux échantillons d’orgues basaltiques du pays Bamiléké et deux morceaux d’impactite venus de l’impact de météorite d’Aorounga (Borkou). La quatrième porte des micaschistes à gros grenats de la région du lac Fitri. La collection de divers granites a pour but de montrer que sous un même nom générique existe une importante variété d’aspects.

Enfin, près des palmiers, quatre dalles portent des fossiles ou des empreintes fossilisées. Outre des grès du Tibesti et de l’Ennedi, l’une porte des fossiles communs dans le B.E.T. et datés du Silurien (-444 à -416 millions d’années) dont Harlania enigmatica (pas si énigmatique que cela puisqu’il s’agit des traces fossiles des terriers d’Arthrophycus alleghaniensis. En situation opposée, une autre dalle présente à nouveau des fossiles de 600 millions d’années venus dans des grès du Borkou, dont une belle dalle de Spirophyton (en fait Spirophyton est l'ancien nom d'un ichnogenre ou trace fossile appartenant au Zoophycos), et des ammonites du Maroc. Entre ces deux dalles, les deux du centre portent des fossiles venus de la région de Koro Toro (vertèbre de gros mammifère, fragments de tibia, de dents d’ancêtres de l’éléphant, de défenses, de carapaces de tortues) et ont environ trois millions d’années. Ils sont contemporains d’Abel, l’australopithèque du Bahr el Ghazal (Australopithecus bahrelghazali) mis au jour en janvier 1995.

Dans le même temps le Jardin est rendu plus visible depuis la route. Le directeur invite les sociétés ayant des panneaux publicitaires le long de la route reliant le centre-ville à l’aéroport à les retirer. À notre demande, deux nous sont donnés. L’un sur cette route et l’autre, plus grand et situé sur le carrefour, appartenant à la SONASUT.


Le panneau situé sur l’avenue Jean Tilho, aujourd’hui avenue général Daoud Soumaine, lors de l’arrivée d’un hôte de marque
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Le panneau donné par la SONASUT sur le carrefour alors dit ‘des bœufs’ aujourd’hui Rond-point du Trésor
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Reste une ultime étape, toute symbolique, l’inauguration du Jardin a eu lieu le vendredi 17 avril 1992 à 10 heures avec la réception de la station de pompage solaire. À l'appel du Président Lol Mahamat Choa, Président d'honneur de l'Association des Amis du Jardin scientifique de N'Djaména, de monsieur Tagui Guelbeye, secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche scientifique, Président de la dite Association, de monsieur Ibni Oumar Mahamat Saleh, ministre du Plan et de la Coopération (et premier directeur du Centre de recherches appliquées), vice-président de l'Association, l'inauguration s'est faite en présence de monsieur Mahamat Malloum Kadre, ministre du Commerce et de l'Industrie, madame Mariam Mahamat Nour, secrétaire d'État aux Finances, de messieurs Moadjidibaye Titingar, secrétaire d'État au Plan et à la Coopération, Yves Aubin de la Messuzière, ambassadeur de France, de messieurs l'ambassadeur d'Algérie et Emmanuel Dierck de Casterlé, coordonnateur résident du P.N.U.D. et de son adjoint Olivier Nanaivondrambola, du chargé d'affaires de la République populaire de Chine, de Richar Dalrymple, responsable adjoint des opérations du Programme alimentaire mondial, de messieurs Pillet, de la Communauté économique europénne, et Le Vouedec de la Mission française de Coopération et d'Action culturelle ainsi que de nombreux directeurs généraux de ministères, sans omettre les reporters de TéléTchad et RadioTchad. (Discours du Président Lol Mahamat Choua).
Le même jour à 16 heures s'est tenu un Vendredi de la Recherche avec une conférence-débat 'L'énergie solaire : ses applications et ses possibilités de développement au Tchad' sous la présidence de monsieur Mahamat Habib Doutoum, ministre des Mines, de l'Énergie et des Ressources en Eau et présentée par messieurs Abdel-Hamid Mahamat Ali Marouf, directeur adjoint chargé de l'Energie à la Direction du Pétrole, des Énergies nouvelles et renouvelables à ce ministère, Oumara Mahamat, chef de la Cellule Programme solaire / FED de l'O.N.H.P.V et Babikir Korom, Directeur général de la société B.O.K qui a installé la station de pompage. Une exposition de matériel solaire a ensuite été ouverte en permanence pour un mois, notamment au profit des groupes scolaires.

Les invités devant le panneau explicatif des panneaux solaires. Reconnaissables au centre, le ministre de l’enseignement supérieur Tagui Guelbeye, son excellence l’ambassadeur de France Yves Aubin de la Messuzière et le Président Lol Mahamat Choa (photographie droits réservés).

De gauche à droite messieurs Tagui Guelbeye, Moadjidibaye Titingar, madame Mariam Mahamat Nour, messieurs Lol Mahamat Choua, Pillet, Alain Beauvilain et Yves Aubin de la Messuzière (photographie droits réservés).

Consacrant un important article aux activités du CNAR, la revue Marchés tropicaux et méditerranéens fait du Jardin sa couverture de son numéro du 13 novembre 1992. 

À l’occasion Symposium international de Géophysique (GEO - DEV 92) 'Géophysique et développement',
les géologues viennent prendre la pose dans le Jardin le 26 février 1992 (photographies Alain Beauvilain, droits réservés).

Dès 1992, des enseignants y amènent leurs élèves pour leurs cours de sciences naturelles (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Au fil des années (ici en janvier 1997), les plantes se sont bien développées. Le Jardin est définitivement établi
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

C’est dans ce cadre que, brièvement directeur du CNAR, le docteur Hassan Taïsso Mackaye, devenu ministre de l’Enseignement supérieur, choisit en janvier 2013 de présenter ses vœux (copie d'écran). 

Toutefois, cette photographie du 2 juin 2013 montre que les plantes, plus ou moins spontanées, sont devenues envahissantes
mais les roches sont encore toujours en place (photographie droits réservés). 

En mars 2023, quelque peu modifié (les orgues basaltiques sont éparses), le Jardin est trentenaire.
C’est un point de stabilité dans une ville à la croissance exponentielle et dans un quartier considérablement remodelé (photographie droits réservés)

C’est un beau succès.
Un grand merci à ceux qui en ont assuré la pérennité.

Octobre 2023, baobab, Kigelia et palmiers doum poursuivent leur beau développement.

Curieusement en octobre 2023 la partie censée être la moins vulnérable, les roches, apparaît victime des aménagements et de dégradations.