L'astroblème de Gweni-Fada (Ennedi Ouest)

Photographie 1 : Le cœur du complexe central vu du sud (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Gwéni-Fada, mars 1994, vue oblique du sud vers le nord (cliché Armée française, Opération Epervier).

Ngweni-Fada, la moitié nord en vue verticale (d'après un assemblage de photographies IGN)

Agrandissement d'un extrait carte IGN au 1/200.000 'Fada' (altitudes selon Google Earth).

Emplacement des photographies

Cette deuxième structure est située à 320 kilomètres au sud-est d'Aorounga (17° 24' 39” Nord, 21° 45' 10” Est). Elle n'est qu'à 30 kilomètres au nord-est de la palmeraie de Fada. Elle a été appelée "structure de Gweni-Fada" par référence au nom du petit oued qui draine l'ouest de sa dépression externe et qui est un affluent de l'enneri Dougouro, oued important qui prend naissance bien en amont et qui draine l'est de cette dépression.
La présence d'une seconde structure circulaire au Tchad, dans l'Ennedi, avait été suggérée à Alain Beauvilain initialement par l'examen d'une image satellite Landsat, puis confirmée par des photographies aériennes obliques prises en mars 1994 par un avion de l'opération "Epervier" (Armée de l'Air française). L'étude ultérieure à l'IGN Saint Mandé en septembre 1994 de photographies aériennes verticales lui fournissait suffisamment d'arguments en faveur de l'hypothèse d'un cratère d'impact pour justifier une reconnaissance sur le terrain. Une mission franco-tchadienne (Pierre Vincent, Alain et Najia Beauvilain), effectuée au cours du mois de mars 1995, a confirmé l'interprétation météoritique. Malheureusement cette mission de trois semaines ne put accéder à l'impact que pendant trois jours en raison de problème d'accès à la pose de mines liée à une revendication locale sur le chemin d'accès direct depuis Fada. 

La structure de Gweni-Fada est située dans les grès sub-horizontaux à Spirophyton, attribués au Dévonien supérieur (Wacrenier P. et al., 1958). Son diamètre est de 22 à 23 kilomètres. Elle est caractérisée principalement par sa dissymétrie et par l'importance du soulèvement de la zone centrale. Du point de vue structural et morphologique, elle comprend deux parties bien distinctes : une zone interne complexe au relief tourmenté et une zone externe plus régulièrement déformée.
La zone externe est formée d'une dépression entourant la zone centrale et d'une couronne périphérique. La dépression externe a la forme d'un croissant qui encercle la zone interne sur les trois-quarts de sa périphérie. Son diamètre est de près de 20 kilomètres et sa largeur maximum, au nord, de 4 kilomètres. Elle est très encaissée puisque son altitude moyenne est de 650 mètres alors que la ligne de crêtes de la couronne externe dépasse les 800 mètres. La limite externe de la dépression est une faille.
Au nord et au nord-ouest, une rampe de plus de 150 mètres de dénivelé longe le pied de la falaise sur 5 kilomètres. Elle représente la surface structurale des grès effondrés dans la dépression, avec des pendages internes compris entre 40 et 60°. Ailleurs, quelques panneaux de taille plus modeste attestent que cette disposition est celle de toute la dépression.

Photographie 2 : La couronne périphérique au nord (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Au sud, la limite externe est plus confuse et plus irrégulière. L'emplacement de la dépression y est occupé par une succession de terrasses, formées par des panneaux étroits et plus ou moins basculés, localement plissés, et serrés les uns contre les autres. La discordance des directions indique qu'ils sont venus buter sur le relief de la zone centrale, déjà déformée. Il semble que cette disposition inhabituelle puisse s'expliquer par un glissement tardif dans la dépression d'une partie de la couronne périphérique ; celle-ci devait être préalablement découpée 'en marches d'escalier' par des failles parallèles, comme on peut l'observer à la limite nord. Ce glissement de terrain s'est produit là où le flanc de la structure est le plus élevé puisque l'altitude y dépasse nettement 900 mètres.

La couronne périphérique est formée de grès à pendages faibles dirigés vers l'extérieur, s'atténuant rapidement en s'éloignant de la dépression. La limite externe de la zone déformée n'est pas évidente. Au nord, une faille observée, parallèle à celle de la dépression, découpe une 'marche d'escalier' de 1 à 2 kilomètres de large. La limite de la structure y a été placée provisoirement, donnant un diamètre minimum de 14 kilomètres. Une seconde faille semble exister au-delà mais elle n'a pu être contrôlée sur le terrain. Le diamètre réel pourrait donc être sensiblement supérieur à cette valeur, de l'ordre de 16 kilomètres.

Photographie 3 : La couronne périphérique à l'endroit où l'enneri Dougouro quitte la structure (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Photographie 4 : A l'est, la couronne périphérique et la dépression externe occupée par l'enneri Dougouro (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Le complexe central a un diamètre qui atteint 10 kilomètres. Il tranche vigoureusement sur la zone externe par son relief tourmenté, chaotique, sans ordre apparent. Son contour est très irrégulier avec des caps rocheux et des baies ensablées ouvertes sur la dépression. Il approche les 1.000 mètres d'altitude, soit 200 mètres au-dessus de l'altitude moyenne de la couronne externe.

Photographies 6 et 7: Le complexe central vu du nord (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Photographies 8 et 9 : Le complexe central vu du surd (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Photographie 10 : Le cœur du complexe central vu du sud (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Photographie 11 : Le complexe central vu du nord et trois des participants à la mission : Pierre Vincent, le guide et le chauffeur du Projet minier de la Direction des recherches géologiques et minières, qui a fourni le véhicule (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

La présence d'un métamorphisme de choc confirme que la structure de Gweni-Fada, comme cela avait été pressenti au vu de son aspect morphologique, est un cratère résultant de l'impact d'un astéroïde hypervéloce. Il se classe dans la catégorie des "cratères complexes", c'est-à-dire ceux dont le cratère d'excavation initial a été modifié structuralement par la résurgence du plancher et élargi par le glissement centripète des flancs. Il est entièrement contenu dans des grès et cette nature des roches-cibles doit expliquer certaines de ses particularités.
L'impact ne s'est pas produit sur une surface horizontale. Les grès paléozoïques de l'Ennedi, qui forment la bordure sud du bassin sédimentaire de Koufra, ont un léger pendage vers le Nord. Plus important que ce pendage général était la présence d'un plateau au sud du futur emplacement de l'impact. Ce relief semble responsable des glissements de terrain tardifs qui ont donné les terrasses comblant la partie sud de la dépression externe. Une explication comparable a été proposée ailleurs, par exemple pour le cratère King sur la face cachée de la Lune (fig. 2.10, in Melosh H.J., 1989). Si cette interprétation se confirmait, la dissymétrie morphologique de la structure ne correspondrait qu'en partie à une dissymétrie structurale initiale.
L'âge de Gweni-Fada n'est pas connu actuellement. L'érosion des impactites éjectées à l'extérieur des remparts montre qu'elle est relativement ancienne. À l'intérieur, l'absence de matériaux fondus à l'affleurement semble aller dans le même sens mais deux remarques doivent être faites. D'une part, dans les cratères jeunes présentant une zone centrale élevée, on observe que les ejecta ont tendance à s'écouler vers l'extérieur de la partie soulevée: elles pourraient ici s'être rassemblées dans la dépression périphérique maintenant comblée par les sédiments. D'autre part, quand les roches-cibles contiennent de l'eau, la proportion de matériaux éjectés hors des remparts, sous forme de mélanges fluidifiés, est nettement plus importante (Kieffer S.W. et Simonds C.H., 1980) : c'est l'explication pour les larges 'remparts-craters' de Mars (Melosh H.J., 1989). Or les grès paléozoïques de l'Ennedi sont des formations qui, même sous le climat désertique actuel, contiennent d'importantes nappes aquifères (Schneider J.-L., 1989). Compte tenu de ces remarques et en raison de la bonne conservation de ses formes, cet astroblème doit être nettement plus jeune que les formations dévoniennes qui le contiennent mais plus ancien que celui d'Aorounga à en juger par l'absence d'impactite dans la zone centrale.

En conclusion.
Aorounga et Gweni-Fada sont deux grands cratères d'impact météoritiques, de diamètre comparable compte tenu de l'incertitude qui subsiste sur leurs dimensions exactes. Il n'y a en Afrique que trois astroblèmes de taille supérieure - Morokweng (diamètre de 70 kilomètres) et de Vredefort (diamètre de 300 kilomètres) en Afrique du Sud, et de Highbury (diamètre de 20 kilomètres) au Zimbabwe. Ces trois structures étant précambriennes, les cratères tchadiens sont les plus grands actuellement connus en Afrique dans le Phanérozoïque.

Photographies 12 et 13 : dalles d'empreintes fossilifères (photographies Alain Beauvilain, droits réservés).

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