Aorounga, la couronne et la dépression externes (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
L'astroblème d'Aorounga (Ennedi Ouest)
Aorounga, mars 1994,
vu du nord-est en direction du sud-ouest (cliché Armée française, Opération Epervier)
Extrait carte IGN au 1/200.000 NE-34-XX 'Gouro' (altitudes selon Google Earth)
Aorounga, localisation des photographies de cette page sur Google Earth
La structure d'Aorounga est située dans la plaine désertique du Borkou (mais administrativement dans l'Ennedi), à 100 kilomètres au Sud-Est de l'Emi Koussi, 130 kilomètres au Nord de la palmeraie de Faya. Son centre est à 19° 05' 34” Nord et 19° 14' 35” Est. Elle affecte des grès paléozoïques, sub-horizontaux, fins et bien triés, qui, à cet endroit, doivent avoir près de 2000 mètres d'épaisseur. D'abord reconnue sur photographies aériennes, elle avait été cartographiée comme un bombement circulaire faisant apparaître sous les grès à Spirophyton, réputés du Dévonien supérieur, des grès plus anciens (Wacrenier et al., 1958). À la suite d'une étude photogéologique, le problème de son origine était posé et, une origine interne paraissant préférable, elle était classée comme une structure annulaire résultant d'une intrusion magmatique (Roland N.W., 1976). Il a fallu attendre une date récente pour que des échantillons, prélevés dans sa couronne interne par Eric Goachet, révèlent la présence de quartz "choqués" permettant de placer cette structure parmi les astroblèmes (Becq-Giraudon et al., 1991).
En mars 1994, une mission franco-tchadienne (Pierre Vincent, université de Clermont-Ferrand, Alain Beauvilain, université de Paris X et CNAR, Ali Hamit Moutaye, DRGM) a pu effectuer une coupe nord-sud de l'ensemble, incluant la zone centrale qui n'avait pas été atteinte auparavant. L'exploitation des matériaux recueillis a permis de reconnaître les grandes lignes de l'organisation de cet astroblème, remarquablement conservé, et a confirmé la disposition en dôme structural proposée en 1958 (Vincent P. et al., 1994). Malgré sa profondeur, le cratère originel est resté contenu dans la couverture gréseuse sub-horizontale, sans affecter le substratum précambrien. Le soulèvement du fond du cratère initial, qui suit immédiatement son excavation, fait que la structure dans son ensemble est plus élevée d'une centaine de mètres que le plateau sur lequel elle est établie. C'est là un mécanisme habituel dans les astroblèmes de cette taille.
La structure comprend une zone interne, formée d'un plateau central et d'une couronne interne, séparés par une dépression interne, et une zone externe, formée d'une dépression externe et d'une couronne périphérique.
Photographies 1a et 1b : La retombée de la couronne externe sur les grès sub-horizontaux de la plaine de Kada
(clichés Alain Beauvilain, droits réservés)
Zone externe. Chacun de ses éléments présente des altitudes plus élevées à l'ouest qu'à l'est. La dépression annulaire externe est le trait morphologique le plus marquant. Elle est circulaire avec un diamètre extérieur d'environ 11 kilomètres et une largeur régulière de deux kilomètres. Son altitude est en moyenne de 530 mètres à l'ouest, où elle est jusqu'à 150 mètres plus basse que la couronne externe. Structuralement, c'est un "synclinal-graben" limité par des failles. Les formations gréseuses plongent vers elle de chaque côté avec des pendages qui peuvent atteindre la verticale au pied des remparts.
Photographie 2 : La dépression externe vue du nord-ouest. À droite (= à l'ouest) et au fond (= au sud), la couronne externe, à gauche (= à l'est), la couronne interne (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographie 3 : La dépression externe et la couronne interne vues du pied de la couronne externe
(cliché Alain Beauvilain, droits réservés)
La couronne périphérique est d'une largeur inégale, de 3 à 4 kilomètres, et forme une bordure occidentale d'altitude 680-690 mètres. Les pendages sont variables, généralement dirigés vers l'extérieur. La présence de failles inverses, de plis et de lambeaux discordants, vraisemblablement charriés, traduit une compression avec une poussée vers l'extérieur. C'est une limite tectonique, polylobée, qui doit correspondre à des failles normales plus ou moins incurvées, à pendage vers l'intérieur. Au-delà, les grès sont restés sub-horizontaux.
Photographies 4 et 5 : La dépression externe et la couronne externe vues depuis le nord-ouest
(clichés Alain Beauvilain, droits réservés)
Photographies 6a et 6b : La couronne externe vue depuis la couronne interne. Entre les deux, la dépression externe. Au centre de celle-ci (photo 6a), la voie d'accès empruntée qui se termine par un cordon sableux ('sif') à partir duquel ont été prises les photos 2, 3 et 4. Les dimensions sont telles que les chercheurs (pantalons bleus, Hamit Ali Moutaye), dans les rochers, sont à peine visibles (photo 6b) (clichés Alain Beauvilain, droits réservés)
Zone interne. Elle a un diamètre moyen de 7 kilomètres et se présente comme un cylindre de grès bombé et soulevé, recouvert dans ses parties hautes d'une couche d'éjecta (impactite). Les altitudes des différents éléments sont dans l'ensemble constantes. Le plateau central a une altitude maximum de 678 mètres, inférieure de quelques mètres à la ligne de crêtes de la couronne interne.
Photographie 7 : La couronne interne vue au nord-ouest depuis la dépression externe (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographies 8a, 8b et 8c : La dépression interne. Vue depuis le plateau central (8a) et vues vers le plateau central 8b et 8c).
(clichés Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographie 9 : Le plateau central (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographie 10 : Le plateau central, vue en direction de la dépression externe.
À droite dans les rochers, les chercheurs sont à peine visibles (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographie 11 : La couronne interne au sud (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Photographies 12a, 12b et 12c : la retombée sud de la couronne interne. Vues d'est en ouest de part et d'autre du grand 'sif'
(clichés Alain Beauvilain droits réservés).
Photographie 13 : au sud, la couronne externe vue depuis le grand 'sif' (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
Le plateau central a subi le soulèvement le plus important. En effet ses grès, morphologiquement différents, sont plus anciens que les autres. Ils datent vraisemblablement du Dévonien inférieur alors que ceux de la couronne interne sont du Dévonien supérieur, daté par des fossiles (Spirophyton). La dépression interne, plus basse de 50 à 60 mètres, n'est pas un graben : l'érosion des niveaux moins résistants de la base du Dévonien supérieur semble avoir joué un rôle essentiel dans sa formation.
Les impactites, dont il reste des millions de tonnes, forment une couche qui a dû être continue initialement. Elles ennoient les irrégularités de ce qui était le fond du 'transient crater' et peuvent même se canaliser localement. Dans la couronne interne, elles débutent par une brèche à éléments décimétriques. Par contre, sur le plateau central, une 'suévite' à grain fin, avec de petits débris lithiques et du verre, repose directement sur les grès. Au contact, ceux-ci sont rubéfiés par 'cuisson', comme sous une coulée de lave. Il est clair sur le terrain que ces éjectas ne sont pas des retombées aériennes mais se sont comportés comme des écoulements de haute température, à la manière des coulées pyroclastiques volcaniques.
Une brèche (ci-dessus) et une formation bulleuse dans une impactite (ci-dessous) (cliché Alain Beauvilain, droits réservés).
L'érosion éolienne joue dans les impactites en façonnant des 'nids d'abeilles' (ci-dessus) ou de faux 'shatter cones' (ci-dessous)
(clichés Alain Beauvilain, droits réservés).
Dans l'état actuel de son étude, l'astroblème d'Aorounga peut être défini comme un cratère réajusté, d'au moins15 kilomètres de diamètre moyen, avec un 'peak ring' (la couronne interne) bien développé, et un plateau central. Il est possible qu'une érosion plus poussée des impactites du plateau central ferait apparaître un relief irrégulier, plus proche morphologiquement du pic central classique d'autres structures.
L'élargissement du cratère initial s'est fait, par glissements gravitaires centripètes de la couronne périphérique, le long de surfaces de glissement incurvées, expliquant la forme festonnée de la limite externe. Le plancher réajusté du 'transient crater' reste largement recouvert par des impactites mises en place par écoulement. Son diamètre peut être estimé à 7 kilomètres et sa profondeur initiale devait être comprise entre 1,4 et 2,1 kilomètres suivant le mode de calcul utilisé. On peut en conclure que le fond du cratère initial devait être proche de la base des grès et donc que le Précambrien est maintenant à une relativement faible profondeur sous la zone interne.
L'étude microscopique confirme la présence d'un métamorphisme de choc, affectant une partie des cristaux de quartz, ainsi qu'une recristallisation fréquente qui l'oblitère. L'érosion éolienne, très active dans cette région, produit dans les matériaux hétérogènes des formes coniques qui simulent des cônes de pression, mais des 'shatter cones' indiscutables n'ont pas été observés.
À cause de sa bonne conservation, la formation de cette structure avait été située dans un Quaternaire récent, au cours du dernier stade pluvial, c'est-à-dire entre 12.000 et 3.500 ans (Becq-Giraudon J.-F. et al., 1991). Cependant l'érosion subie plaidait pour une origine plus ancienne (Vincent P.M. et al., 1994). Les deux méthodes de datation tentées vont dans ce sens mais ne fournissent qu'une limite d'âge supérieure. L'étude des nucléides cosmogéniques produits in situ - 10Be et 26Al - donne le temps d'exposition d'un affleurement aux rayons cosmiques, et donc un âge minimum. Pour une impactite du plateau central, il est de 500.000 ans (Bourlès D.L. et al., 1995). La datation par thermoluminescence des grès «cuits» sous une impactite indique un âge supérieur à 1 million d'années (Miallier et al., 1997). L'âge réel reste donc inconnu pour le moment, mais rien n'empêche qu'il soit supérieur à ce chiffre.
Vincent P.M., Beauvilain A., 1996. Découverte d'un nouveau cratère d'impact météoritique en Afrique : l'astroblème de Gweni-Fada (Ennedi, Sahara du Tchad). C.R. Académie des Sciences, Paris, t. 323, série IIa, pp. 987-997.
Becq-Giraudon J._F., Rouzeau O., Goachet E., Solages S., 1992. Impact hypervéloce d'une météorite géante à l'origine de la dépression circulaire d'Aorounga au Tchad (Afrique). C.R. Académie des Sciences, Paris, t. 315, série II, pp. 83-88.
Bibliographie complète en fin de page de Gwéni-Fada.