L'interview de Sébastien,

Restaurateur passionné de téléphones authentiques des années 1920 à 1980.


Peux-tu te décrire en quelques mots ou une phrase ?

Je suis quelqu’un de passionné et déterminé. Quand je fais quelque chose, je le fais toujours à fond et sans calcul. Quand j’ai une idée, j’ai besoin de la creuser et d’aller jusqu’au bout.


Ton parcours de vie ?

J’ai un parcours un peu particulier, je me destinais à une carrière littéraire ou journalistique.

Quand j’avais 15 ans, je voulais être steward pour travailler dans les avions, ça me faisait rêver. Finalement je n’ai pas pu car je n’étais pas assez grand. Donc je me suis dit « si je ne peux pas travailler dans les avions, je vais me diriger dans le tourisme. » Après mon Bac littéraire, j’ai fait une année de BTS Tourisme. Mais très rapidement, j’ai réalisé que cet univers n’était pas fait pour moi. L’année suivante, je suis retourné à la fac pour faire un DEUG de Lettres. Pour des raisons personnelles, j’ai dû changer de fac et travailler en même temps. Au bout d’un moment, je n’arrivais plus à suivre et j’ai commencé à être moins assidu en cours. Alors comme j’étais déjà sursitaire, j’ai été appelé pour faire mon service militaire. Au bout de trois mois sous les drapeaux, j’ai réussi à me faire réformer. De retour dans la vie civile, la nécessité de gagner ma vie m’a vite ôté le désir de reprendre mes études supérieures. Alors j’ai travaillé comme commercial dans différentes entreprises jusqu’à arriver chez France Télécom (Orange maintenant). J’y suis toujours. Dans ce genre de grandes entreprises, on peut évoluer, se former pour exercer plusieurs métiers. C’est une chance. Aujourd’hui chez Orange, je suis « Responsable éditorial en communication interne ». Ça a du sens avec ma formation initiale qui était plutôt littéraire.


Pourquoi les téléphones ? Et quand ?

C’est plutôt une rencontre accidentelle. J’aime le vintage, les vieux trucs par pure nostalgie qui m’apportent une espèce de réconfort et de fantasme du genre « c’était mieux avant ». J’ai une préférence pour la période qui court des années 60 aux années 80, ces trente glorieuses dorées, un peu magiques dans mon esprit. Je trouve que tout ce qui s’est fait dans cette période était beau. Sur le plan du design, c’est magnifique. Chez moi, j’ai un flipper, un baby-foot. J’ai eu un scooter Lambretta LD 125, une Renault 4CV de 1956…

Bref, il y a 15 ans environ, je me promenais avec ma compagne dans les friperies du Marais (Paris 3ème arrondissement) quand une personne nous donne un flyer pour « Le salon du Vintage » qui se tient à l’espace « Des Blanc Manteaux ». Ni une, ni deux, on y va ! Sur place, je tombe sur un téléphone orange à cadran. Il faut savoir qu’à cette époque, chez moi les murs sont : orange, vert et jaune donc je me dis « ça va super bien se marier avec la déco mais pas juste pour prendre la poussière, je veux aussi m’en servir pour retrouver une sensation. » Les objets, pour moi, sont connectés à des émotions. Mais sur ce salon de marchands, je trouve que les téléphones sont assez chers. Je n’achète pas et me dis que je vais regarder plus tard sur Internet. En effet, j’en trouve sur différents sites, j’en achète un que je reçois mais il ne fonctionne pas. Passés la tristesse et la déception, je me dis que c’est finalement un caprice ce téléphone ! Alors, je le mets de côté pendant 3/4 mois. Et puis ça me reprend, je regarde les prix un peu plus sérieusement en faisant une petite étude de marché. Et un beau téléphone en bel état et qui fonctionne : ça vaut un certain prix qui n’est pas très éloigné des téléphones du « Salon du Vintage », au bout du compte. Alors je vais sur Le bon coin et j’en achète un à un particulier. Je le reçois et il fonctionne bien. Magique.


Et là je me dis : pourquoi l’un fonctionne et pas l’autre ? J’ai besoin de comprendre. En bidouillant, en cherchant et en réfléchissant, j’arrive à le faire fonctionner. Je suis super content, et je décide avec l’argent du téléphone restauré d’en acheter un autre un peu plus ancien. Et m’aperçois que c’est un peu différent mais que, globalement, ça se comporte de la même façon. Et puis je commence à vendre sur Le bon coin et mes premiers clients me suggèrent d’ouvrir un site Internet.

À partir de ce moment-là, je me fais remarquer par des journalistes, des professionnels qui organisent des salons, et des sociétés de production qui recherchent des accessoires pour le cinéma.

Tout s’accélère : je commence à participer à des salons car à cette époque-là, je suis le seul à proposer des téléphones restaurés qui fonctionnent. Et puis je trouve le système - que je n’invente pas - qui permet d’utiliser le téléphone sur les box Internet.


Où trouves-tu les téléphones ?

En brocante, en vide grenier ou sur Internet. Il y a énormément de vieux trucs chez les gens, on ne se l’imagine pas. Ces téléphones ont été produits en masse. Au fil des années, des millions d’entre eux ont été mis à la casse. Mais il en reste encore beaucoup qui dorment en attendant que je leur mette la main dessus.


As-tu des dons parfois ?

Oui cela arrive, généralement après un passage en télévision. Enfin, ce sont parfois des dons mais plus souvent des propositions de vente !


Quelle est ta clientèle ?

Extrêmement variée et elle a beaucoup évolué. Au début, je proposais plein de téléphones différents. La diversité des styles, des époques et des provenances me plaisait, j’achetais des modèles français, allemands, anglais, espagnols, italiens, américains même. Et depuis 4 ou 5 ans, la demande du grand public s’est standardisée avec une préférence très marquée pour les modèles français : le « Socotel S63 », le modèle « U43 » et le « 1924 » à colonne. Ce sont les modèles que les gens ont majoritairement connu alors l’effet « nostalgie » fonctionne très bien. Chez les jeunes, c’est le côté ludique et savoureusement désuet de l’objet qui fonctionnent pour une déco un peu décalée car ils n’utilisent plus vraiment le téléphone fixe.

Les collectionneurs, eux, savent ce qu’ils veulent et consacrent un budget spécifique à leurs recherches. J’ai vendu des téléphones à des prix que je n’aurais pas imaginé. Mais la rareté de l’objet fait son prix. En 10 ans, j’ai trouvé des spécimens de téléphones que certains musées n’ont pas !

N’oublions pas la catégorie des clients « responsables » qui s’inscrivent dans un mouvement plus global de la société : ils veulent de moins en moins consommer des produits dont l’obsolescence programmée a un impact négatif sur la planète et se tournent vers des produits robustes et réparables pour éviter de polluer. De plus en plus de grandes entreprises s’inscrivent d’ailleurs dans cette tendance en communiquant sur leurs politiques de responsabilité sociale.

Moins nombreux, les clients électrosensibles (intolérants aux champs électromagnétiques) me sollicitent puisque l’utilisation de la technologie sans fil est incompatible avec leur santé.

Et pour finir, les personnes âgées composent aussi une petite partie de ma clientèle. A partir d’un certain âge, les téléphones modernes sont trop complexes pour elles et pas assez fiables. Ce sont donc leurs enfants ou petits-enfants qui achètent pour eux ces téléphones simples et robustes qu’ils connaissent et qui les rassurent.


Ce côté écologique, tu l’as mis en avant dans ton site pour toucher plus de clients ou c’était déjà une façon de penser ?

Effectivement, ça fait partie de ma façon de penser. Avant, j’habitais devant une déchèterie, je récupérais des téléphones et tout ce dont je n’avais plus besoin, je le remettais en déchèterie. Je n’utilise que des pièces d’époque, je ne refabrique rien. Mon activité est donc quasiment neutre en carbone.


Que t’apporte cette passion dans ta vie ?

Ça me pousse à m’intéresser encore plus aux époques qui sont liées à ces appareils. Non seulement au contexte historique dans lequel ils étaient produits mais aussi aux acteurs économiques comme les fabricants, les opérateurs et les réseaux. Je me suis beaucoup documenté pour enrichir ma culture personnelle et technique. Je ne regarde plus un film ou un documentaire de la même façon. Par exemple, je sais si le documentaire sur la Seconde Guerre mondiale que je regarde a été produit par un allemand ou un français, juste en regardant les téléphones utilisés dans une scène de reconstitution. Cette passion modifie mon regard et mon quotidien. Quand je pars, que ce soit en vacances ou autres, je fais une brocante ou un vide grenier.


Quel retour as-tu des clients quand ils reçoivent leur commande ?

Il n’y a pas toujours de retour.

Mais certains peuvent t’appeler parce qu’ils sont extrêmement émus d’avoir reçu un accessoire qui leur permet d’utiliser le téléphone de leur grand-père ou de leur tante disparue. J’offre à mes clients un petit bout de bonheur. Le téléphone aide à se reconnecter à des choses qui sont très importantes car il dépasse sa simple utilisation pour ce qu’il est.

Certains clients peuvent être insatisfaits. Surtout avec les modèles à colonne des années 1920 car la technologie de cette époque n’était pas aussi performante que celle des années 1950. Nos mobiles et nos téléphones fixes modernes ont déjà beaucoup habitué notre oreille à un son de très haute qualité qui est devenu un mètre étalon. Mais globalement, j’ai de la chance depuis 10 ans, les gens sont très satisfaits.


Un conseil pour une personne qui a envie de se lancer dans un projet de ce type et qui a quelques freins ou peurs ? 

Avoir confiance en soi un minimum. Si on ose se lancer, on n’est pas à l’abri de se faire très plaisir. 

Mais je ne suis peut-être pas le meilleur exemple d’intrépidité. Je n’ai pas calculé, je n’ai pas fait de plans sur la comète. Je suis salarié d’une grande boîte et j’y tiens. Cette activité passion s’adresse à un marché de niche. Je pourrais la développer davantage parce que la demande est forte, j’en suis rendu à un stade où je suis obligé de travailler sur réservation. Mais je ne le fais pas car il faudrait que j’embauche, que j’industrialise les processus de commande et de livraison, que je rentre dans une démarche de marchand et non plus de passionné. Or je ne suis pas un marchand.


Quels sont les endroits ou les personnes qui t’inspirent dans la vie ?

La nature en règle générale, comme la forêt ou la plage. Même si j’aime les gens, je suis assez solitaire et modérément sociable.


Imagine : tu as 80 ans, tu regardes ton parcours, des regrets ?

J’espère que j’aurais plus de remords que de regrets à 80 ans ! Mais je ne me projette pas du tout parce que j’ai 20 ans dans ma tête. Alors dans 20 ans, j’en aurais juste 40.


Tes plaisirs au quotidien ?

L’amitié, l’amour de mes enfants et la santé.


Ton plat préféré ?

Depuis un voyage à Rome, un bon plat de pâtes ! J’aime les choses simples.


Et pour finir quel est ton téléphone préféré ?

Le « U43 » en bakélite, produit à partir de 1943 (d’où son nom) et jusqu’au milieu des années 60/70. C’était le téléphone de mon grand-père. Quand j’arrive à en trouver dans des couleurs rares, c’est magique. Ce n’est pas un téléphone en plastique donc on ne le travaille pas de la même façon pour le restaurer, l’approche n’est pas la même.



Je remercie Sébastien d’avoir pris ce temps pour répondre à mes questions et d’avoir pris la pose.

Ma petite expérience avec mon « Socotel »

Je vous recommande vivement de vivre l’expérience Socotel ou autre modèle car l’émotion que procure cet objet est au-delà du rationnel.

Chaque sonnerie me fait voyager et sourire en entendant un son d’avant… L’écouteur additionnel est un pur plaisir de partage et de moments complices avec la personne qui suit la conversation. C’est sûrement la nostalgie d’une époque révolue qui me fait écrire ces lignes peut-être… le téléphone fixe est le téléphone d’une famille contrairement à nos téléphones portables plus individuels.



"Sébastien Duffaud"

Instagram: @le_telephone_vintage

Email: www.letelephonevintage.com

Yerres, France





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