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Au Québec, le tarif des actes des médecins en début de carrière est pondéré en fonction du besoin en médecins dans leur zone d’exercice (avec Anne-Laure Samson), Le Monde, 12 mai 2024.

L’existence de déserts médicaux est une difficulté à laquelle sont confrontés la très grande majorité des systèmes de santé dans le monde. Cette difficulté est directement liée au fait que la relation patient-médecin fonctionne selon les règles d’un marché fortement administré, où les prix ne sont pas libres de s’ajuster. La fameuse loi de l’offre et de la demande à laquelle on associe souvent les économistes s’applique en effet tout autant à la médecine qu’à d’autres sphères de l’économie : sur un marché libre, la sur-abondance de médecins conduirait à une baisse de leurs tarifs (et à une augmentation de la demande de soins) tandis que les déserts médicaux seraient des zones dans lesquels les tarifs des consultations augmenteraient fortement sous la pression du manque de médecins (conduisant à une diminution de la demande de soins). A mesure que de nouveaux médecins s’installeraient dans ces zones en raison de leur attrait financier, les tarifs baisseraient jusqu’à ce que la répartition des médecins ait permis de retrouver un équilibre entre la demande de soins qui émane des patients et l’offre de soins disponible localement. Selon ces principes, le tarif des consultations jouerait ainsi spontanément un rôle de tableau de bord des besoins de médecins sur le territoire, et attirerait les médecins dans les zones où les besoins sont les plus forts.

 

Ce raisonnement souligne également les effets pervers de ce mécanisme de marché appliqué aux soins de santé : la variation de la demande de soins qui suit celle des tarifs se traduirait concrètement par une consommation de soins, et donc un niveau de santé, inégale suivant les zones d’habitation, et l’accès au soin lui-même deviendrait fortement lié au niveau de revenu. Ces raisons expliquent que les tarifs des consultations médicales soient fixés au niveau national par une négociation entre les représentants des médecins et l’organisme payeur de soins, l’assurance-maladie.

 

Les négociations quant à la prochaine convention médicale, dans lesquelles la revalorisation du tarif des consultations tient une place centrale, sont actuellement en cours. C’est l’occasion de réfléchir au rôle de la rémunération des médecins dans le pilotage de l’offre de soins sur le territoire français. Et l’expérience québécoise peut être une source d’inspiration utile.

 

Face à un mode de rémunération des médecins identique à celui de la France (le paiement à l’acte) et confronté aux mêmes difficultés de raréfaction de l’offre de soins dans certaines régions, le gouvernement du Québec s’est doté d’une politique de rémunération des actes différenciée. Concrètement, le tarif des actes des médecins en début de carrière est pondéré en fonction du besoin en médecins dans leur zone d’exercice : les tarifs des actes réalisés par les médecins exerçant dans les zones sous denses sont plus élevés, alors que ces mêmes actes sont moins bien rémunérés lorsque les médecins exercent dans des zones très densément dotées en médecins.   

 

Cette mesure est similaire dans son principe aux « zones de revitalisation rurale » (ZRR) créées en France en 1995 et qui permettent aux médecins nouvellement installés de bénéficier d’une exonération d’impôt pleine pendant leurs cinq premières années d’exercice, puis dégressive pendant les trois années suivantes. Cet avantage financier a permis d’augmenter significativement le nombre de médecins installés en zone rurale – signe que les médecins réagissent positivement aux incitations financières à l’installation dans des zones sous denses.

 

Pour autant, un tel dispositif est très couteux pour les finances publiques. Surtout, il ne joue que de manière très imparfaite le rôle de tableau de bord habituellement dévolu au prix sur un marché. Plutôt que d’attirer vers les zones rurales les seuls médecins qui, en l’absence de telle mesure, se seraient installés dans les zones très denses, ce surcroit de rémunération induit une mobilité des médecins vers les zones ciblées qui est indifférenciée en termes de provenance géographique. C’est sur ces deux aspects que la rémunération différenciée mise en place au Québec est particulièrement intéressante, et courageuse. Outre une rémunération bonifiée des actes médicaux dans les zones en déficit de médecins, cette mesure inclut également une rémunération moins que proportionnelle dans les zones où la densité de médecins est particulièrement élevée par rapport à celle de la population. Cette modulation de la rémunération de la pratique médicale peut ainsi se faire à coût constant, et tire son efficacité de ce qu’elle combine un surcroit d’attractivité dans les zones désertifiées à une baisse d’attractivité des zones sur-denses.

 

Bien entendu, les incitations financières ne sont qu’une composante d’une politique globale de renforcement de l’attractivité de l’installation dans les déserts médicaux. Elles sont complémentaires du large éventail de mesures, souvent locales, qui ont prouvé leur efficacité : construction de maisons de santé pluriprofessionnelles, mise à disposition des locaux gratuitement, aide à l’emploi du conjoint, etc. Mais face à des débats lancinants sur les déserts médicaux, l’expérience québécoise offre de nouvelles pistes de réflexion, en cette période de négociations conventionnelles. En augmentant uniquement les tarifs des actes pour les médecins exerçant en zones sous-dotées, et en modulant les tarifs des actes en fonction de la densité médicale, cette négociation conventionnelle est l’occasion de créer un véritable outil de planification à long terme de l’offre de soins sur le territoire. 

[ITW]  Il y a un risque très élevé que la taxe lapin soit contre-productive, Libération.fr, 9 avril 2024.

Taxe « lapin »: les incitations monétaires peuvent s’avérer contre-productives, Le Monde, 17 février 2024.

Les taxes sont certes un outil de financement des collectivités publiques, mais elles constituent également un outil de pilotage particulièrement efficace des décisions qui sont prises par les acteurs de l’économie. La modulation du poids de la fiscalité, alourdie pour certaines activités et allégée pour d’autres, vise en effet à favoriser les décisions conformes à l’objectif poursuivi par le décideur public et à dissuader celles qui le sont moins. La force de la fiscalité est qu’elle crée les conditions pour que ces signaux soient directement suivis d’effet : les variations de prix qui vont de pair avec la modulation des taux de taxe tendent naturellement à décourager les décisions les plus taxées au bénéfice de celles dont la taxation se voit allégée. Loin de constituer une forme de signalétique sociale, de « socio-score », visant à stigmatiser certaines décisions et à en louer d’autres, la fiscalité est ainsi la console de contrôle du décideur public, permettant un pilotage fin des décisions économiques.

 

Lorsqu’une municipalité décide de faire varier le coût du stationnement des véhicules les plus polluants (et/ou qui occupent une place plus importante de l’espace public), il ne s’agit pas, par exemple, de sanctionner les propriétaires de ces véhicules. L’objectif est simplement d’en augmenter le coût d’usage, de telle sorte qu’il devienne plus avantageux de faire des choix d’achat de véhicule qui soient plus conformes aux objectifs de réduction de la pollution et d’utilisation de l’espace public.

 

L’efficacité des taxes, et plus généralement des sanctions financières, tient donc à leur capacité à faire basculer les choix de consommation et de production vers les options qui sont devenues plus avantageuses en raison des variations de prix. Les réflexions actuelles sur la possibilité d’introduire une taxe visant à sanctionner les patients qui n’honorent pas un rendez-vous médical (parfois appelée taxe « lapin ») participent du même raisonnement, et portent sur une mesure qui serait efficace si la sanction modifiait uniquement les conséquences financières de tels comportements. De nombreux travaux de recherche récents montrent cependant que les incitations financières ont des effets inattendus sur les décisions qui comportent une dimension morale, car elles présentent un risque important d’éviction de ces motivations morales au profit de décisions fondées uniquement sur un raisonnement financier.

 

Cette idée a fait son apparition dans la pensée économique à l’occasion d’un intense débat entre le père fondateur des recherches en politiques sociales, Richard Titmus, et les plus fameux économistes des années 70, convaincus que les forces de marché s’appliquaient à toute forme de bien et que l’introduction de récompenses financières pour les dons de sang ne pouvait qu’en accroître l’offre. Titmus était au contraire convaincu qu’une telle mesure serait contre-productive et conduirait à une baisse des dons, car l’introduction de récompenses financières annihilerait l’une des motivations importantes de la décision de se porter volontaire : le sentiment d’avoir fait une bonne action, et la récompense que constituent l’estime de soi et l’estime des autres qui en découlent. Les travaux de recherche qui ont été menés depuis confirment sans ambigüité cette intuition : l’introduction de récompenses financières n’augmente aucunement le volume des dons de sang – et pose des questions qui restent largement débattues sur la qualité des dons attirés par de telles récompenses.

 

Ce phénomène est aujourd’hui bien compris, grâce notamment aux travaux qui combinent l’économie et la psychologie pour comprendre les décisions économiques. Les décisions qui comportent une dimension morale sont fortement influencées par l’idée qu’on se fait de soi-même, et par l’idée que les autres se font de nous, sur la base de nos actes. L’introduction de conséquences financières de ces mêmes actes ne se cumule pas avec ces enjeux moraux : lorsqu’une action procure un bénéfice financier, elle n’est associée à aucune récompense sociale ni à ses propres yeux, ni aux yeux des autres. Faisant disparaitre les conflits moraux associés aux décisions ciblées, les incitations monétaires peuvent donc s’avérer contre-productives et encourager les décisions les plus taxées – qui deviennent des choix économiques couteux plutôt que des attitudes moralement discutables.

 

Un excellent exemple en est fourni par une expérience dont les effets ont été étudiés par Uri Gneezy et Aldo Rustichini (dans un article paru en 2000 dans le volume 29 n°1 du Journal of Legal Studies). Dans un certain nombre d’établissements, une amende a été introduite afin de lutter contre les retards récurrents des parents venant récupérer leurs enfants à leur sortie de la crèche. En comparant les retards entre ces crèches et des établissements dans lesquels cette mesure n’a pas été appliquée, les auteurs ont pu montrer que non seulement l’amende n’a pas permis de limiter les retards mais qu’elle a, au contraire, conduit à une augmentation très nette de ces retards car l’amende était interprétée par les parents comme une garde additionnelle tarifée (‘a fine is a price’, en concluent les auteurs).

 

Il est malheureusement à craindre que la taxe ‘lapin’ produise des effets similaires et conduise les patients non pas à se préoccuper des conséquences de l’annulation intempestive de leurs rendez-vous sur les praticiens, mais au contraire à considérer cette taxe comme le prix d’un simple service marchand. Pour éviter que la mise œuvre de cette taxe ne fasse qu’aggraver la situation contre laquelle elle s’efforce de lutter, il conviendrait, a minima, de prendre le temps d’en évaluer les effets avant d’envisager de la généraliser ; et de prendre soin d’intégrer à la réflexion le rôle trop souvent négligé de la psychologie des comportements économiques.  

Inégalités femmes-hommes : le leurre de la discrimination, Les Echos, 11 aout 2023 (p.6).

La réflexion sur les inégalités entre femmes et hommes sur le marché du travail est imprégnée de l’intuition largement répandue qui consiste à soupçonner l’existence de pratiques discriminatoires dès lors que la proportion de femmes dans certaines professions ou à certains niveaux hiérarchiques est inférieur à ce qu’elles représentent dans la population. Ce réflexe de raisonnement est bien connu des économistes et des psychologues, qui le nomment biais de représentativité : la tendance à raisonner sur la base d’analogies quand il s’agit d’évaluer des probabilités. Ce biais conduit souvent à penser toute forme de déséquilibre entre hommes et femmes comme la manifestation d’une discrimination, quand bien même de nombreuses différences en termes de filières d’éducation, de valeurs ou d’attitudes sont connues du plus grand nombre.


En raison de ce malentendu, nombre de dispositions visant à restaurer l’égalité entre femmes et hommes sur le marché du travail n’ont que peu de chances d’améliorer la situation – et risquent fort, pour certaines d’entre elles, de ne faire que l’empirer. Une étude a été menée récemment en France pour mesurer la discrimination à l’embauche contre les candidatures féminines dans un large éventail de secteurs dont les niveaux de qualification ou  de féminisation sont variables[1]. Comme de très nombreuses études précédentes, les résultats de cette enquête montrent qu’il n’existe pas de biais systématique qui diminuerait les chances qu’une candidature féminine soit convoquée à un entretien d’embauche en comparaison de leur équivalent masculin ; mais montre également un très fort contraste en fonction du secteur d’activité et du niveau de qualification. Bien que ce type de résultat soit connu depuis longtemps, l’idée que les inégalités entre femmes et hommes résultent de discriminations n’en a pas moins la vie dure et reste une constante du débat public. On pourrait s’en contenter et considérer qu’une telle croyance, même erronée, a le mérite de mettre au centre du débat la question évidemment capitale de l’égalité entre les femmes et les hommes.


Des recherches récentes suggèrent au contraire qu’une telle croyance peut avoir des effets délétères sur la trajectoire des femmes sur le marché du travail. Clément Bosquet, Pierre-Phillipe Combes et Cécilia García‐Peñalosa essayent par exemple de comprendre les raisons pour lesquelles la promotion au rang de professeur dans les facultés d’économie des universités françaises (entre 1992 et 2008) est deux fois plus fréquente parmi les enseignants-chercheurs masculins (dont 40% sont professeurs) que féminins (20%)[2]. L’étude montre que les comités nationaux qui décident des promotions n’exercent pas de discrimination contre les universitaires de sexe féminin : lorsqu’elles se présentent au concours, leur probabilité de succès est la même que celle de leurs collègues masculins. Parmi les universitaires qui pourraient prétendre à une promotion, la différence la plus significative est en effet la probabilité de se présenter au concours pour obtenir une promotion, qui est deux fois plus faible à compétence équivalente parmi les femmes. C’est donc la proportion de candidatures féminines, plutôt qu’une évaluation biaisée de leurs mérites, qui explique le déséquilibre observé in fine dans les promotions. La crainte d’être victime des pratiques discriminatoires, même si elle est infondée, est l’une des raisons qui peut expliquer de telles différences : loin de créer les conditions d’un débat sain sur le sujet, la diffusion de la croyance qu’il existe des discriminations est donc un moteur susceptible d’entretenir ces inégalités.


Cette même crainte de pratiques discriminatoires de la part des comités qui décident des promotions n’en a pas moins conduit un certain nombre de pays à imposer une règle de parité minimale dans la formation des comités, à l’université mais aussi dans d’autres domaines d’activité. Les études qui mesurent les effets de tels dispositifs, menées par Manuel Bagues en collaboration avec différents collègues, concluent qu’ils n’augmentent en rien la proportion de femmes lauréates d’une promotion ; il arrive même dans certains domaines que les femmes soient encore plus exigeantes vis-à-vis des candidatures féminines, conduisant à une diminution de leur succès[3].


De tels exemples montrent l’urgence de se doter d’instruments permettant de réaliser un diagnostic précis des domaines où s’exerce la discrimination et de ses déterminants, afin d’y apporter les réponses adaptées. A défaut de telles investigations, les efforts de l’action publique pour promouvoir l’égalité risquent malheureusement de s’apparenter aux purges et saignées du Malade Imaginaire.


[1] Discrimination à l’embauche selon le sexe : les enseignements d’un testing de grande ampleur, Note IPP n°67 ; Y a-t-il de la discrimination à l’embauche selon le sexe parmi les candidatures d’origine maghrébine? , Dares Analyses n°57, octobre 2021.

[2] Bosquet, C., Combes, P. P., & García‐Peñalosa, C. (2019). Gender and promotions: Evidence from academic economists in France. Scandinavian Journal of Economics

[3] Bagues, M., Sylos-Labini, M., Zinovyeva, N., 2017. Does the Gender Composition of Scientific Committees Matter? American Economic Review ; Bagues, M.F., Esteve-Volart, B., 2010. Can Gender Parity Break the Glass Ceiling? Evidence from a Repeated Randomized Experiment. Review of Economic Studies


[ITW] , Fraudes sociale et fiscale : ce que disent les derniers chiffres, L'Express, avril 2023.

[Podcast] Quelles solutions pour plus d’inclusivité en entreprise?, Podcast Points de supsension(s), avril 2022.


[ITW] L’économie comportementale aide à réfléchir aux outils d’intervention publique, La gazette des communes, 5 avril 2022.

La discrimination à l'embauche touche tous les métiers, Challenges, 17 février 2022 (p. 28).

Aussi intenses qu’ils soient, les débats actuels sur l’immigration font complètement l’impasse sur la situation dans laquelle se trouvent les français issus de l’immigration. Les deux sujets sont pourtant intimement liés.

Dans l’étude que nous avons réalisée pour l’Institut des Politiques Publiques avec Thomas Breda, Morgane Laouenan, Roland Rathelot, Mirna Safi et Joyce Sultan en collaboration avec le Ministère du Travail et ISM Corum, les discriminations à l’embauche à l’encontre des personnes issues de l’immigration maghrébine apparaissent à nouveau massives (voir graphique): en 2020, elles ont près de 32 % de chances de moins de franchir la première phase d’un recrutement. Ces chiffres sont obtenus par une méthode qui permet de mesurer l’effet de l’origine perçue à profil identique: après avoir fait les mêmes études, en ayant la même expérience professionnelle et les mêmes compétences, une personne de nationalité française issue de l’immigration maghrébine doit envoyer 1,5 fois plus de CV pour décrocher le même nombre d’entretiens d’embauche.

Ces résultats ne sont pas nouveaux, et confirment ceux obtenus par de nombreuses études antérieures. L’étendue de notre étude est néanmoins inédite en termes de diversité des métiers, de couverture territoriale, et de variété des profils de candidature. Au-delà de la confirmation à grande échelle de ce constat, cette étude permet de dresser un panorama des discriminations à l’embauche qui va à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues.

On pense souvent, d’abord, qu’une baisse du chômage serait suffisante pour lutter contre les discriminations, car les employeurs ne pourraient plus alors se permettre d’appliquer des critères d’origine lors du recrutement. Nos résultats montrent que cette idée est par trop optimiste: la discrimination dans les métiers qui rencontrent des difficultés de recrutement n’est que légèrement plus faible (25% contre 35%), ce qui est cohérent avec les travaux de recherche récents qui montrent que la discrimination résulte moins d’actes conscients et délibérés que de biais implicites souvent inconscients. Surtout, la discrimination est loin, comme on le pense souvent, de ne concerner que les métiers les moins qualifiés. Dans des métiers de cadre qui comportent des fonctions d’encadrement, la pénalité liée à l’origine est encore de 20%. La capacité à trouver un emploi est l’une des principales raisons de s’engager dans des études parfois longues (‘investir en éducation’, disent les économistes). Les conséquences de tels niveaux de discrimination vont donc bien au-delà d’inégalités d’accès au marché du travail, et se traduisent par une remise en cause profonde de l’égalité des chances qui n’est pas sans conséquences sur le parcours de vie des français issus de l’immigration.


[Podcast] Comment facilement éviter l'impôt? Podcast SPAL$H, 34 janvier 2022.

[ITW] Faux passes sanitaires: dans la tête des fraudeurs, Les Echos, 18 janvier 2021.



[ITW] La diversité en entreprise : peut encore mieux faire (avec Saïd Hammouche), Le téléphone sonne, France Inter, 1 décembre 2021. 

Les discriminations à l’embauche minent la cohésion sociale (avec Thomas Breda, Morgane Laouenan, Roland Rathelot, Mirna Safi et Joyce Sultan-Parraud), Libération, 30 novembre 2021 (p. 20).

Si l’immigration occupe une place centrale dans ces premiers mois de campagne, le sujet n’est abordé que sous l’angle du contrôle des flux migratoires et des effets supposés délétères de l’immigration et de la diversité sur la société. D’autres sujets graves, en particulier celui de garantir l’égalité des chances si capitale dans une démocratie, mériteraient une place au moins aussi importante dans les débats récents.

Dans l’étude que nous avons menée en collaboration avec le Ministère du Travail et ISM Corum, les discriminations à l’embauche à l’encontre des personnes d’origine supposée maghrébine apparaissent à nouveau massives : en 2020, elles ont près de 32 % de chances de moins de franchir la première phase d’un recrutement en comparaison de leurs homologues d’origine supposée française. Ces résultats ne sont pas nouveaux, ils confirment une fois de plus les conclusions déjà obtenues depuis plusieurs décennies par de nombreuses études antérieures. 

Pour mesurer l’ampleur globale des discriminations au travail, nous avons procédé selon l’une des méthodes considérées aujourd’hui comme véritablement probante : l’étude par correspondance, ou testing. Il s’agit de répondre à un grand nombre d’offres d’emploi en utilisant des candidatures fictives portant des prénoms et noms tantôt d’origine maghrébine, tantôt d’origine française. L’hypothèse sous-jacente est que les employeurs forment un jugement sur le groupe de population auquel appartient le candidat à partir de l’identité portée sur la candidature (à consonance maghrébine ou française). 

Afin de distinguer l’effet spécifique de l’origine suggérée par le prénom et le nom, nous avons créé un ensemble de CV dont les contenus sont pour une large part fixes mais suffisamment différents les uns des autres pour ne pas éveiller les soupçons. L’association entre les prénoms et noms des candidats et les CV fait ensuite l’objet d’une rotation systématique d’une offre d’emploi à une autre, de sorte que les candidats de différentes origines ont en moyenne des CV de même qualité.

Les résultats parlent d’eux-mêmes : à CV égal, une personne d’origine suggérée maghrébine est contactée par un employeur un peu plus d’une fois sur cinq, tandis qu’une personne d’origine supposée française est contactée une fois sur trois. Les recruteurs refusent directement les candidatures d’origine supposée maghrébine 20 % plus fréquemment que celles d'origine supposée française, et les ignorent 14 % plus souvent. On ne dispose malheureusement pas de preuves quantifiées sur ce qui se passe ensuite lors de l’entretien d’embauche et il est tout à fait possible qu’une discrimination supplémentaire s’exerce après.

Ces résultats confirment ceux obtenus par plusieurs dizaines d’études qui ont été réalisées en France ces dernières décennies et qui mobilisent ce type de méthodes sur le marché du travail mais aussi sur le marché du logement, sur les plateformes en ligne et dans d’autres types d’interactions sociales. Ils sont aussi conformes avec les conclusions de plusieurs méta-analyses comparatives qui montrent que, en matière de recrutement, le niveau de discrimination selon l’origine est plus élevé en France par rapport à d’autres pays de l’OCDE.

Un enseignement de notre étude est le caractère extrêmement étendu des discriminations liées à l’origine. Nous avons pu mesurer la discrimination au sein de 12 métiers différents, certains nécessitant un faible niveau de qualification, d’autres, au contraire, requérant des niveaux de compétences élevés et parfois également des fonctions d’encadrement. La discrimination à l’embauche est observée dans l’ensemble de ces métiers, à l’exception des directeurs-trices de magasin. Elle est encore plus forte au sein des métiers peu qualifiés. Ces résultats contrastent par exemple avec l’absence observée (par la même méthode) de discrimination moyenne à l’embauche en raison du sexe des candidats, les candidatures féminines étant même favorisées pour certains métiers d’encadrement. 

Si ces conclusions ne sont pas nouvelles, elles sont l’occasion de rappeler les implications que de tels niveaux de discrimination peuvent avoir pour la cohésion de nos sociétés. La discrimination n’est pas seulement condamnable parce qu’illégale et injuste. Elle a aussi des effets persistants sur les personnes discriminées qui subissent ces injustices, effets qui en retour peuvent conforter certains comportements discriminatoires. 

Comment demander à quelqu’un dont les chances de trouver un emploi sont objectivement plus faibles de fournir le même niveau d’effort que les autres pour se former et s’insérer sur le marché du travail ? Les travaux en sciences sociales montrent que les discriminations minent le bien-être et l’estime de soi, détériorent la santé mentale et physique, découragent l’investissement dans le capital humain, réduisent les motivations et les performances, fragilisent le lien de citoyenneté et la participation politique. Tous ces mécanismes créent un cercle vicieux qui, en limitant les possibilités d’intégration des minorités, ne fait qu'alimenter les préjugés et reproduire les stéréotypes à l’origine des comportements discriminatoires. 

A l’échelle de la société, cette dynamique pernicieuse renforce la polarisation et mine la cohésion sociale. La situation durablement défavorisée des populations confrontées à la discrimination alimente un discours de haine d’autant plus propice à l’instrumentalisation politique qu’il conforte les stéréotypes. Il nous apparaît indispensable aujourd’hui de rendre intelligibles et de s'attaquer à ces mécanismes qui contribuent à la sclérose de nos sociétés. Dans la perspective de construire un contre-discours politique qui porte, les difficultés posées par l’immigration doivent être remises en perspective avec la situation à laquelle sont confrontés les français d’origine étrangère. 

Comment les lois modifient-elles la perception des normes : le cas du confinement (avec Max Lobeck, Roberto Galbiati et Emeric Henry), PSE 5-5, octobre 2021

How laws change perceptions of norms: the case of lockdown, PSE 5-5, october 2021.

[ITW] Quels biais cognitifs influencent les levées de fonds des femmes? Challenges, 2 novembre 2021. 


[ITW] Prix Nobel d’économie : le sacre de l’expérimentation? (avec Pierre Cahuc et Xavier d'Hautefeuille), Entendez-vous l'éco, France Culture, 15 octobre 2021.

[ITW] Les initiatives de la rentrée pour soutenir l'arrivée des femmes dans la tech, Challenges, 4 octobre 2021. 

[Podcast] Qu’ont les économistes à dire sur la morale?  (avec Jean-François. Bonnefon), The conversation, 26 aout 2021.

Qui fraude le fisc? (avec Stéphane Luchini et Antoine Malézieux), La vie des idées.fr,  22 juin 2021. 

[ITW]  Sexisme. Pas de discrimination au CV, L’Humanité, 26 mai 2021. 

Comment combiner différents instruments de rémunération pour allier quantité et qualité de l’offre de soins de santé?  (avec Bernard Fortin et Bruce Shearer), PSE 5-5, avril 2021.

How can different remuneration schemes be combined to match quantity and quality in health care provision? PSE 5-5, april 2021.


Lutter contre la fraude fiscale : les leçons de l’économie comportementale, Lettre PSE n°39, juillet 2020.

[ITW] L’expérimentation en laboratoire s’adresse à tous les économistes, et non pas seulement aux économistes comportementaux, PSE « la parole à », fev. 2020.

 Laboratory experiments are for all economists, not just behavioural economists, PSE « a word from», fev. 2020.

Quelles sont les répercussions des politiques destinées à promouvoir la coopération des individus? (avec Roberto Galbiati et Emeric Henry), PSE 5-5, fev. 2019.

 The effect of past enforcement on current cooperation, PSE 5-5, feb. 2019.

Gilets jaunes : La révolte actuelle est une crise de la sclérose de la mobilité sociale, Le Monde.fr, 14 décembre 2018.

Le mouvement des gilets jaunes a pu être interprété par certains observateurs comme la conséquence d’une crise du pouvoir d’achat. Le choc de pouvoir d'achat que représente la réforme de la taxation sur les carburants est certes une étincelle, mais les raisons de l'embrasement actuel sont plus profondes. Les séries de pouvoir d'achat de l'INSEE ne montrent pas de plongeon particulier dans la période récente. Le pouvoir d'achat a connu des chutes importantes en 2008 et en 2012, qui n’ont pas donné lieu à des mouvements sociaux d’ampleur, et l’on n’observe pas d’évolution comparable au cours de l'année écoulée. La crise profonde qui se manifeste par la révolte actuelle est une crise de la sclérose de la mobilité sociale. « La naissance n’est rien où la vertu n’est pas » est une idée fondatrice du contrat social républicain : c’est elle qui scelle le pacte de la démocratie représentative, c'est son effritement qui rend les inégalités insupportables.


D'après un rapport récent de l'OCDE, il faudrait 180 années à un enfant français né dans une famille pauvre pour atteindre le revenu moyen. Or cette crise de la mobilité se double d'une ségrégation de plus en plus intense (attestée par exemple par les travaux d’Eric Maurin) : naître dans une famille pauvre c'est non seulement le rester et promettre à ses enfants un avenir qui n'est guère meilleur, mais c’est aussi être condamné à vivre dans ce que l'on appelle les quartiers – qui ne sont que des zones urbaines dans lesquelles se sont accumulées les difficultés sociales ; être condamné à se scolariser dans des écoles qui, bien malgré elles, ne parviennent plus à former des élèves qui sont de plus en plus homogènes dans leurs handicaps sociaux ; être condamné à entrer dans le versant le plus précaire d'un marché du travail dont la dualité s'est accrue. Ce qui est vrai en bas de la distribution de revenu ne l'est pas moins en haut de l’échelle. Et ces familles aux revenus modestes sont confrontées à un sentiment de dégradation de leurs conditions de vie — un choc négatif de pouvoir d'achat aujourd'hui, la réforme des retraites, de l’assurance chômage ou celle des contrats de travail hier, et probablement demain — décidées par des élites intellectuelles et politiques auxquelles la prédestination tient largement lieu de mérite.


Les travaux d'économie comportementale portant sur les politiques fiscales ont très tôt posé la question du consentement à l'impôt, qui se pose de manière d’autant plus évidente que l’impôt finance les biens publics, dont la consommation est indépendante de la contribution individuelle à leur financement. Depuis toujours, l’absence de consentement se traduit soit par la fraude, soit par la fronde. Or la légitimité de l'impôt, et donc celle des autorités qui décident de leur niveau comme des modalités de leur application, est un facteur déterminant du consentement à l'impôt. En outre, lorsque l'impôt est discriminant (et consiste à appliquer des niveaux de taxation différents à différentes catégories de population, ou à la consommation de différents biens) il n'est perçu comme acceptable qu'à condition qu'il soit justifié sur la base de données factuelles claires.


La réforme de la fiscalité sur le prix des carburants est discriminante à la fois entre catégories de population, en proportion des usages différenciés de la voiture selon la localisation géographique, et entre biens, puisqu'elle vise à harmoniser à terme le prix à la pompe du diesel et celui de l'essence. Elle a été présentée comme une taxe écologique. Son objectif devrait alors être, d’une part, de modifier les prix relatifs pour renchérir l’essence en comparaison du diesel, ce qui aurait pu se faire sans augmentation du prix global des carburants. A plus long terme, il s’agit d’autre part de réorienter les dépenses d'investissement des ménages en les incitant à privilégier des véhicules moins polluants grâce à une augmentation du coût d’usage des véhicules thermiques ; mais une telle orientation des décisions d’investissement des ménages ne peut se faire que par des signaux-prix lisibles et stables dans le temps, et donc à condition que la taxe absorbe les fluctuations de prix dues à celles du marché du pétrole. Cette réforme a été comprise comme une simple levée de fonds publics plutôt que comme une réforme écologique. Ce malentendu n'est dû ni à un manque de pédagogie de la part du gouvernement, ni à une incapacité à comprendre les réformes de la part du peuple qui est aujourd'hui dans la rue, mais à une crise profonde de l'action et du débat publics nées de l’importance grandissante des déterminismes sociaux. En ne portant l’attention que sur l’évolution du pouvoir d’achat, on regarde le doigt du sage qui montre la lune.

[ITW] L'incroyable couac du prélèvement à la source, Challenges, sep. 2018.

Pour des politiques publiques plus créatives et moins punitives (avec Benoit DeFleurian), Le Monde, 22 déc. 2017 (p.7).

Le Prix Nobel récemment accordé à Richard Thaler, 15 ans après celui attribué à Daniel Kahneman, confirme l’importance des apports de la psychologie comportementale à la compréhension des mécanismes économiques. Mais c’est sans doute moins l’originalité de la pensée de Richard Thaler qui a été récompensée ici que sa contribution à faire sortir l’économie comportementale des couloirs universitaires et à encourager sa mise en pratique par les gouvernements et les entreprises.

Avec son best-seller coécrit en 2008 avec Cass Sustein, Nudge : Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness (Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, Vuibert, 2010), Richard Thaler a donné un écho mondial à l’idée du responsable de la propreté de l’aéroport de Schiphol (coller des autocollants au fond des urinoirs pour inciter les hommes à viser inconsciemment une mouche) et à ses résultats spectaculaires (réduction instantanée de 20 % des coûts de nettoyage des toilettes masculines). Il a ainsi popularisé l’idée que l’économie comportementale pouvait inspirer des interventions à l’efficacité redoutable.

L’histoire veut que ce soit à la lecture de Nudge que le premier ministre britannique David Cameron a décidé de créer la Behavioral Insights Team (BIT). Le président Obama l’a imité en créant la Social and Behavioural Sciences Team (SBST) en 2014. L’économie comportementale est ainsi devenue une arme importante dans le renouvellement des politiques publiques du Royaume-Uni et des Etats Unis en matière, par exemple, de santé, de retraites et d’environnement. Les expériences, puis les résultats, se sont accumulés.

Une définition trop restrictive

L’économie comportementale est ainsi passée de la théorie à la pratique. Elle est désormais scientifiquement reconnue comme un levier efficace, au même titre que l’incitation fiscale, la répression ou les campagnes de communication, dans la mise en œuvre des politiques publiques. Elle a, à son bilan, quelques applications remarquables qui ont changé la donne.

L’une des plus connues, à mettre au crédit de Richard Thaler lui-même, est le plan « Save More Tomorrow » développé aux Etats-Unis : en leur proposant de décider à l’avance d’affecter une partie de leurs futures augmentations à leur plan d’épargne-retraite, il a permis aux pensionnaires d’échapper au « biais du temps présent », ce biais qui nous fait trop souvent privilégier le bénéfice immédiat (dépenser son argent pour se faire plaisir maintenant) plutôt que le bénéfice différé (épargner pour ses vieux jours). Cette approche est utilisée dans des pays toujours plus nombreux ; un rapport récent de l’OCDE en recensait 23.

Pour autant, la lecture détaillée de ce même rapport, qui détaille les initiatives les plus intéressantes, laisse le lecteur sur sa faim. Les exemples ne sont pas si nombreux, et leurs résultats ne sont pas si concluants. La BIT semble partager ce sentiment. Dans son rapport annuel 2017, il évoque les limites atteintes par l’application de l’économie comportementale dans ses formes actuelles et annonce sa volonté de se lancer dans une nouvelle phase de son développement : la création de produits et de services.

Richard Thaler a sans doute enfermé l’économie comportementale dans une définition trop restrictive, centrée sur une vision économique des comportements individuels. Il est temps d’aller au-delà des « nudges » (« coups de pouce ») et de définir une nouvelle approche comportementale.

D’abord en intégrant mieux l’apport de l’ensemble des sciences sociales (l’économie, la psychologie, les sciences du comportement) ; le regard porté sur les ressorts de la décision individuelle n’en sera que plus pertinent, plus riche, et les interventions proposées plus profondes, plus durables.

La faute à l’esprit cartésien ?

Ensuite, en laissant plus de place à la créativité : nombre d’interventions se contentent de répéter des recettes déduites des résultats de la recherche académique, mais cela ne suffira pas pour faire reculer l’obésité dans le monde ou limiter le réflexe du recours à l’automobile dans les grandes villes.

Cette nouvelle approche devra produire des solutions véritablement innovantes et savoir jouer de toutes les cordes qu’offrent les sciences sociales, avec le génie créatif d’un Picasso des politiques publiques.

En France, il n’existe toujours pas à ce jour d’organisme gouvernemental chargé d’éclairer l’élaboration des politiques publiques. Peut-être notre esprit cartésien nous a-t-il détournés dans un premier temps de cette science basée sur l’irrationalité des comportements humains ? Mais il n’aura échappé à personne qu’une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques est arrivée au pouvoir, ouverte à l’innovation et à l’expérimentation, et déterminée à mettre l’efficacité au cœur des politiques publiques.

La France aime plus que tout faire les choses différemment, avec un surcroît d’intuition, de créativité et d’émotion. Les défis ne manquent pas : faire reculer l’usage de la voiture dans nos villes sans recourir à la contrainte ou à la punition ; encourager les Français à mieux manger sans sacrifier le plaisir et le goût ; améliorer la réussite scolaire sans recourir à des réformes coûteuses et forcément polémiques.

Alors soyons créatifs, exploitons les savoirs existants sur le rôle des émotions, de l’ego, de l’inconscient et de tous les leviers psychologiques qui influencent les comportements et imaginons des solutions nouvelles, aussi surprenantes qu’elles seront efficaces.

L’expérimentation comportementale met les interventions publiques et managériales en éprouvette (avec Fabrice Le lec), Les Echos.fr, 30 oct. 2017.

Nouvelle politique publique, nouvelle stratégie commerciale, changement organisationnel à l’intérieur d’une entreprise… Pour aider les décideurs à anticiper l’effet d’une intervention, les économistes sont amenés à faire des hypothèses sur la réaction des individus à un changement. Pour ce faire, ils s’appuient sur la fiction de "l’agent rationnel", l’hypothèse que chacun prend en toutes circonstances la décision la meilleure pour lui-même. Cet outil fournit un cadre d’analyse puissant, qui nourrit la réflexion économique sur l’ensemble du spectre des actions publiques et managériales. Il n’en reste pas moins que ce monstre froid d’égoïsme calculateur est souvent trop réducteur pour fournir des analyses fiables et convaincantes.

Ces méthodes permettent de mesurer finement la conformité des choix effectifs à différentes hypothèses de comportement. Elles prennent la forme de "jeux" (le plus souvent en laboratoire) qui reproduisent une situation économique d’intérêt. On offre cependant aux participants au jeu, tous volontaires, une rémunération réelle, en euros, qui dépend des décisions qui seront prises. L’expérience reproduit ainsi "in vitro" l’environnement économique ou social, et permet d’observer les comportements et réactions des participants à un changement simulé, qui reproduit une mesure publique ou industrielle.

De nouvelles méthodes : reproduire les comportements humains "in vitro"

Afin de dépasser cette limite, les méthodes expérimentales issues des sciences naturelles ont été adaptées à l’étude des comportements humains au cours des trente dernières années. Elles ont récemment été popularisées par l’attribution du "prix Nobel d’économie" à Richard Thaler. Ses travaux insistent sur les interventions paternalistes. Connues sous le terme de "nudge" (coup de pouce), ces interventions exploitent les défauts de rationalité pour orienter les individus dans leurs choix. Le dernier numéro de la Revue économique, consacré aux méthodes expérimentales, montre cependant que la portée des méthodes expérimentales dans l’aide à la décision publique va bien au-delà des interventions paternalistes.

L’évasion fiscale sur la paillasse

Pour étudier l’évasion fiscale, par exemple, on proposera aux participants de réaliser une tâche rémunérée puis de déclarer les montants ainsi réellement gagnés afin qu’ils soient soumis à un impôt expérimental. Cette taxe fait partie du "jeu", et sera utilisée à des fins d’intérêt général – par exemple, reversé à une ONG. Est-ce que les contribuables du laboratoire déclarent leurs revenus plus fidèlement lorsque la probabilité d’un contrôle augmente ? Le font-ils lorsqu’une meilleure information est donnée sur l’usage des fonds collectés ? Ou lorsque les inégalités sont plus grandes ? Autant de questions que ces expériences permettent d’aborder afin d’éclairer la réflexion sur les politiques publiques. 

Le privé sous le microscope : la disposition à payer

Le lancement d’un nouveau produit, le choix d’une tarification, un changement du processus de production ou une réorganisation des équipes de travail sont autant de problèmes quotidiens qui se posent aux entreprises. Comment anticiper la réaction des personnes concernées ? Avant le lancement d’un produit, par exemple, les départements de marketing mènent des enquêtes et des entretiens avec des clients réguliers afin de soumettre les prototypes à l’approbation d’un focus group. Sur cette base, ils estiment la demande potentielle pour le produit final.

Cette procédure ne mesure cependant que des intentions d’achat, et ne fournit pas d’information sur leur traduction en achat effectif. L’économie expérimentale permet de mesurer, en plus des évaluations purement déclaratives, les dispositions à payer pour le produit, qui est vraisemblablement un meilleur indicateur de la demande potentielle. Ces méthodes ont été appliquées avec succès dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’automobile afin d’évaluer la valeur associée à certaines caractéristiques ou options.

Une méthode scientifique, et non un arbitrage

L’expérimentation permet ainsi de tester un vaste éventail d’interventions avant qu’elles ne soient mises en œuvre à grande échelle. Elle permet d’éviter les errements les plus flagrants et d’ajuster le contenu des interventions envisagées afin qu’elles atteignent au mieux leurs objectifs. L’expérimentation ne reste cependant qu’une méthode empirique, qui a vocation à décrire ce qui se passe, mais ne vise pas à établir ce qui devrait être.

Ces questions normatives, qui interrogent la légitimité des objectifs poursuivis et des moyens mobilisés pour les atteindre, relèvent du processus de délibération collective et de la prise de décision politique. Les méthodes expérimentales ne permettent rien de plus que de s’accorder sur l’efficacité de certaines mesures par rapport à certains objectifs. Ce faisant, elles peuvent néanmoins contribuer à libérer le débat public de ces questions pour qu’il puisse se porter sur la légitimité des fins et des moyens.

[ITW] Un profil type de l’évadé fiscal ? Xerfi Canal, 10 oct. 2017.

Prendre de bonnes décisions au sein d’un groupe : un problème de coordination ? (avec Nobuyuki Hanaki, Stéphane Luchini et Adam Zylbersztejn) PSE 5-5, oct. 2017.

 Good decision making in groups: is coordination a problem? PSE 5-5, oct. 2017.

Richard Thaler, promoteur du « paternalisme libéral » (avec Samuel Ferey et Yannick Gabuthy), Le Monde.fr, 13 octobre 2017.

Si le visage du dernier récipiendaire du « prix Nobel d’économie », Richard Thaler, vous est familier c’est soit que vous êtes un économiste ouvert aux approches aventureuses, soit que vous êtes cinéphile et avez retenu sa brève apparition dans le film The Big Short (apparition durant laquelle il explique à Selena Gomez les mécanismes de la crise financière). Richard Thaler a largement contribué à l’approche dite comportementale en économie, qui vise à pallier les insuffisances prédictives de la métaphore de l’homo-economicus (cet être capable de prendre des décisions toujours logiques et parfaitement adaptées aux objectifs qu’il souhaite atteindre). Ces développements conduisent à repenser radicalement la contribution des sciences économiques à l’aide à la décision publique.

Prenons l’exemple des décisions d’épargne. L’épargne consiste à reporter une partie de son revenu vers le futur, diminuant ainsi le pouvoir d’achat immédiat au profit de la consommation à venir. Dans l’analyse de cet arbitrage, l’approche économique traditionnelle suppose que les agents prennent des décisions cohérentes dans le temps : la manière dont un homo-economicus compare ses possibilités de consommation entre aujourd’hui et demain devrait être identique à la comparaison qu’il opère entre demain et après-demain. Cette « rationalité » implique que chacun est en pleine capacité de prendre les décisions les meilleures pour lui-même et constitue l’un des arguments les plus forts en faveur des politiques libérales : chaque membre de la société doit disposer de la plus grande liberté décisionnelle possible dans la mesure où il est le mieux à même de savoir ce qui est bénéfique pour lui.

En matière d’épargne, l’approche comportementale a néanmoins montré que l’hypothèse de cohérence temporelle décrit mal les décisions d’allocation observées sur le terrain. Homer economicus, le pendant charnel du décideur hypothétique de l’approche traditionnelle en économie, semble avoir une « préférence pour le présent » : beaucoup de personnes préfèrent recevoir 100 euros aujourd’hui plutôt que 101 euros demain, alors même qu’elles se déclarent prêtes à attendre pour obtenir une somme plus élevée s’il leur ait demandé de se prononcer aujourd’hui quant aux choix qu’elles souhaiteraient faire entre demain et après-demain. Un tel comportement peut amener à prendre des décisions de consommation à l’instant présent qui seront regrettées dans le futur. Ce constat pourrait conduire à favoriser des politiques paternalistes : la puissance publique doit contraindre les comportements (par exemple en rendant l’épargne obligatoire) puisque la liberté décisionnelle des agents économiques conduit à des situations regrettables. Mais ce serait substituer une nouvelle imperfection – celle de la puissance publique – à celle que l’on voulait résoudre – celle des individus. La réussite des politiques paternalistes est en effet elle-même soumise à une exigence forte, à savoir la capacité de l’autorité en charge de la mise en œuvre de ces politiques de recueillir toute l’information nécessaire sur les situations individuelles pour décider des orientations souhaitables.

Les travaux de Thaler définissent une troisième voie entre liberté des acteurs et interventionnisme, le paternalisme libéral. Plutôt que d’imposer, il s’agit de tenir compte des fondements psychologiques du comportement qui rendent caduque l’hypothèse selon laquelle la liberté décisionnelle conduit à l’optimalité des décisions individuelles. Appliqué à l’épargne, les travaux de Thaler ont par exemple montré que la règle par défaut d’adhésion des employés américains au programme d’épargne retraite de leur entreprise constituait un outil efficace pour contrecarrer les effets de la préférence pour le présent : le simple passage d’une exclusion par défaut à une adhésion par défaut lors du recrutement conduit à une augmentation considérable des montants épargnés par les salariés. Cette intervention est à la fois paternaliste, puisqu’elle infléchit les décisions individuelles dans une direction considérée comme souhaitable, et libérale, puisque la décision d’épargne relève de la volonté individuelle.

Cette règle d’adhésion par défaut est un exemple de l’outil d’intervention privilégié du paternalisme libéral, les « nudges », des coups de pouce qui exploitent les déterminants psychologiques des comportements afin d’influencer les décisions. Cette approche ouvre un vaste champ de modalités nouvelles d’interventions publiques : des interventions subtiles, souvent peu coûteuses car agissant sur les ressorts psychologiques de la prise de décision mais aux conséquences potentiellement importantes. Si l’on peut regretter que la force de l’idée et le talent de ses initiateurs aient conduit à élargir la terminologie jusqu’à lui faire perdre l’essentiel de sa signification (la notion courante de nudge faire désormais référence à toute intervention qui s’appuie sur les déterminants psychologiques des comportements), l’intérêt d’une approche comportementale des interventions publiques a été bien compris dans nombre de pays occidentaux. L’administration de David Cameron s’est ainsi dotée d’une « behavioral team », et la présidence Obama  s’est appuyée sur la « nudge brigade » pour élaborer de nouvelles interventions en matière de tabagisme, de lutte contre l’obésité ou encore d’efficacité énergétique.

En France, cette approche n’a été exploitée que de manière éparse et localisée. On la reconnaît dans le changement récent de réglementation s’appliquant au don d’organe, par lequel toute personne devient donneuse par défaut – sauf à exprimer son désaccord – plutôt que non-donneuse – sauf à exprimer son accord. Dans la même optique, le Ministère de la Transition écologique et solidaire a mis en œuvre ces préconisations lorsqu’il a décidé d’activer par défaut l’option d’impression recto-verso au sein de ses services, conformément à la circulaire du 3 décembre 2008 relative à l'exemplarité de l'État au regard du développement durable. Cependant, la réflexion globale et systématique sur la portée de l’approche comportementale de l’élaboration des politiques publiques reste encore confinée à des initiatives privées et associatives : on ne peut que souhaiter que la décision du comité Nobel encourage à combler cette lacune dans l’élaboration de nos politiques publiques.

Quel est le rôle de la formation des couples dans l'évolution du partage des tâches entre conjoints au cours des 20 dernières années ? PSE 5-5, juin 2017.

Household labour supply and the marriage market in the UK, 1991-2008, PSE 5-5, june 2017.

Les électeurs sont-ils plus sincères lorsqu’ils votent sous serment ? (avec Alexander James, Stéphane Luchini et Jason F. Shogren) PSE 5-5, avril 2015.

Are voters more sincere when they decide under oath ? PSE 5-5, april 2015.

Sommes-nous prêts pour la numérisation de l’économie? (avec Jérôme Hergueux) Le Cercle-Les Echos, 25 septembre 2015.

La secrétaire d’Etat chargée du numérique, Axelle Lemaire, a voulu donner une forme nouvelle à son projet de loi sur le numérique, en rendant le texte disponible en ligne afin d’inviter le public à le commenter, l’amender et l’améliorer. Le temps où les professeurs interdisaient aux lycéens le recours à l’encyclopédie collaborative Wikipédia semble bien loin, quand son modèle inspire désormais jusqu’aux démarches ministérielles.  


Associé à la loi dite « Macron II », le texte d’Axelle Lemaire a notamment pour ambition de libérer les énergies d’une population française jugée prête à embrasser l’économie numérique.

 

Mais les conditions sont-elles véritablement réunies pour une numérisation à grande échelle de l’économie française ? La croissance exponentielle des échanges dématérialisés sur Internet – des sites d’enchères en ligne à ceux qui permettent le travail à distance, en passant par l’émergence de l’économie collaborative basée sur le partage des ressources et des connaissances – pose ainsi une question fondamentale: celle de la confiance.


Que les échanges soient ou non numériques, la confiance est un rouage essentiel du fonctionnement d’une économie marchande. Selon les mots du sociologue allemand Georges Simmel: « sans la confiance des hommes les uns envers les autres, la société toute entière se disloquerait; rares en effet sont les relations uniquement fondées sur ce que chacun sait de façon démontrable de l'autre, et rares celles qui dureraient un tant soit peu, si la foi n'était pas aussi forte, et souvent même plus forte, que les preuves rationnelles. » Or le numérique est potentiellement vulnérable de ce point de vue, car les échanges, qu’ils soient économiques ou sociaux, y sont caractérisés par un degré d’opacité et d’anonymat, réel ou ressenti, que l’on ne retrouve que rarement dans le monde dit « réel ».


Alors, à quel point avons-nous réellement confiance dans le numérique? C’est à cette question que nous avons cherché à répondre en observant les décisions de plusieurs centaines de participants dans un jeu simple: une personne reçoit 10 pièces de 1 euro, et peut transmettre tout ou partie de cette somme à une autre, qui lui est totalement inconnue. A chaque fois qu’1 euro est transmis ce sont en fait 3 euros, et plus un seul, que le chercheur remet à cette deuxième personne. Sans que rien ne l’y oblige, celui-ci peut alors décider de renvoyer tout ou partie du montant reçu (qui peut donc atteindre jusqu’à 30 euros) à son généreux bienfaiteur.


Aussi simple soit-il, ce jeu reflète toute l’importance de la confiance dans le fonctionnement d’une économie car la confiance est ce qui permet aux individus de rentrer dans des rapports d’échange mutuellement bénéfiques. A l’image d’une transaction commerciale qui se fait dans l’intérêt de l’acheteur comme du vendeur, la confiance entre deux participants permet de tripler la valeur des fonds qu’ils pourraient ensuite se partager. Mais le jeu reflète aussi la complexité de la mise en œuvre de la confiance, car elle nécessite que chacun agisse à l’encontre de son intérêt personnel immédiat: rien n’empêche ni la seconde personne d’empocher l’ensemble de ce bénéfice, ni la première de conserver l'intégralité de la somme initiale par crainte d'un tel comportement. Dans ce cas, l’opportunité de « créer de la valeur » est manquée. 

Dans notre étude, les personnes qui participent à ce jeu sont séparées en deux échantillons de taille égale. Dans le premier échantillon, les participants sont réunis par groupes de 20 dans une salle physique, tandis que dans le second, ils interagissent depuis leur domicile via une plate-forme Internet. De manière surprenante, nous avons constaté que les gens qui participent via Internet – alors même qu’ils ne peuvent se voir et ne connaissent rien les uns des autres – font preuve de plus de confiance réciproque que leurs homologues réunis dans une salle. Ils décident ainsi de renvoyer à leur bienfaiteur une fraction plus importante de ce qu’ils ont reçu du fait de la confiance, elle-même plus importante, qui leur avait été initialement accordée. A une époque où la participation aux réseaux sociaux numériques de grande envergure devient massive, ces résultats suggèrent que les interactions dématérialisées via Internet ne s’opposent plus forcément à l’instauration de relations de confiance entre les individus.

 

Alors sommes-nous prêts pour la numérisation de l’économie? Nos participants, eux, ont voté…

[ITW] Les expériences en sciences sociales, émission spéciale « nuit des chercheurs » de RadioCampus, 25 septembre 2015.

Internet : plus de confiance ? (avec Jérôme Hergueux) PSE 5-5, septembre 2015

Social Preferences in the online laboratory : A randomized Experiment, PSE 5-5, september 2015.


Grèce : jeu paternaliste pour un horizon drachmatique ? (avec Angela Sutan et Adam Zylbersztejn), La Tribune.fr, 1er juillet 2015.

Dans son discours du 27 juin, Yanis Varoufakis a rappelé que la proposition faite à la Grèce par l'Eurogroupe était une offre à prendre ou à laisser. Face à ce type d'offre, en forme d'ultimatum, les deux issues possibles sont soit l'acceptation de la proposition par le receveur de l'offre, et donc la réalisation des « gains », soit le rejet, et un gain nul pour les deux parties.

Varoufakis a rejeté l'offre, mais s'en est remis au peuple pour que ce rejet soit réel. Le 5 juillet, les Grecs devront donc répondre par référendum si oui ou non ils acceptent les mesures proposées par l'Eurogroupe. En procédant de la sorte, le jeu de l'ultimatum dont les Grecs étaient prisonniers a été transformé en deux autres jeux simultanés : d'une part un jeu de coordination, et d'autre part un jeu de dictateur.

Varoufakis est un économiste avisé. Il fait usage, par son acte, de nouveaux résultats issus du courant de paternalisme léger, qui vise à pousser les individus à atteindre un optimum social par des « coups de pouces » qui canalisent leur comportement sans contraindre leurs choix.

Double jeu

Expliquons-nous. D'un côté, les jeux de coordination visent à étudier les situations économiques, comme celle de la Grèce, dans lesquelles les décisions isolées et égoïstes des individus qui composent une société conduisent à des résultats inférieurs à ce qui serait collectivement possible si les décisions étaient coordonnées.

Ces problèmes naissent de l'absence de lien entre les individus lors de la prise de décision. Ainsi, un instrument souvent proposé pour restaurer l'efficacité dans ce type de situation est d'offrir la possibilité aux personnes impliquées d'échanger de l'information, à travers une communication qui précède leur prise de décision. Par exemple, en organisant un référendum dans lequel les citoyens prennent des engagements en choisissant une option ou une autre.

D'un autre côté, un jeu dit « du dictateur » est un jeu dans lequel une personne prend une décision de don « gratuit ». Ce jeu offre la possibilité aux individus qui prennent une décision de donner sans contrepartie, de s'engager à des efforts supplémentaires, avec ou sans engagement préalable. Les citoyens grecs sont soumis à ce type de choix : voter équivaut à s'engager sans attendre que les efforts, dans un sens ou un autre, soient remerciés.

Mais cet engagement n'est pas nécessairement efficace. Qu'on vote « oui » ou « non » dans un referendum, il s'agit juste d'une parole et quelle qu'elle soit, elle n'obligera pas les citoyens à la suivre. Ils peuvent par exemple voter « oui » mais cela ne les empêchera pas quelques mois plus tard de ressortir dans la rue et se plaindre des mesures mises en place.

Choix sans retour : comment rendre cet engagement efficace ?

Dans un article récent (1), Nicolas Jacquemet, Adam Zylbersztejn et leurs collègues avancent l'hypothèse que le succès de la communication provient de sa crédibilité : égoïstement, les individus n'auraient aucune raison de se tenir à leur parole, quand bien même le sort de tous en serait-il amélioré, sauf s'ils ont pris l'engagement de dire la vérité. L'utilisation du mécanisme d'engagement permettrait ainsi dans un référendum de restaurer la crédibilité de la communication et d'améliorer la situation de l'ensemble de la société.

Ceci est vrai pour des situations de contribution aux biens communs, comme par exemple dans le cas de la Grèce : tous les individus s'engageraient à contribuer à éponger une dette qui, dans ce cas précis, n'est pas essentiellement publique, mais provient de la décision de gouvernements précédents de fusionner une grande dette privée (des établissements bancaires) et une (pas si grande) dette de l'état.

Mais le vote du 5 juillet n'est pas qu'un jeu de coordination ; c'est aussi un jeu du don, ou un engagement à donner, sans mesurer, et sans retour. Dans ce sens, dans un autre article récent (2), Angela Sutan et ses collègues montrent que les engagements de don ne sont efficaces que lorsqu'ils sont irrévocables, en plus d'être crédibles, et correspondent donc à un engagement sans possibilité de retour.

C'est le choix qu'est offert au peuple grec, et il ne correspond pas à un retour à la drachme. Il correspond à une prise en main paternaliste qui, en dehors du cas de la Grèce, est du même ordre que les efforts de solidarité, par exemple en matière de responsabilité sociale ou d'environnement.


(1) Nicolas Jacquemet, Stéphane Luchini, Jason Shogren et Adam Zylbersztejn "Coordination with Communication under Oath", Document de travail du Greqam.

(2) Gilles Grolleau, Guillermo Mateu, Angela Sutan et Radu Vranceanu "Facta non verba: en experiment on pledging and giving", Cahiers de l'ESSEC.

[ITW] Seniors sans emploi : idées et système D pour rebondir, L’expansion, avril 2015.

[ITW] L’esprit d’équipe, miroir aux alouettes,  Le Monde, 21 février 2015.

Jeune diplômé maghrébin cherche boulot désespérément, Courrier de l’Atlas, février 2015.

Quand l’engagement vient au secours de la coordination (avec Stéphane Luchini, Jason F. Shogren et Adam Zylbersztejn), PSE 5-5, 18 décembre 2014

When commitment rescues coordination, PSE 5-5, december 2014. 

Les discriminations se portent bien en France (collectif), Mediapart, 15 avril 2014.

Les discriminations liées à l’origine, au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’état de santé ou au handicap persistent dans le domaine de l’emploi, de l’éducation ou du logement, preuve que les politiques engagées depuis le début des années 2000 ne sont pas suffisantes. Aucune solution évidente n’est disponible mais des réponses existent et il est plus que temps de les mettre en œuvre, relèvent six chercheurs spécialistes des inégalités.

Près de 15 ans après le lancement d’une politique de lutte contre les discriminations, un numéro spécial de la revue Economie et Statistique vient une nouvelle fois confirmer la persistance des discriminations. L’originalité de ce numéro est de compiler des études sur les discriminations liées à l’origine, au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’état de santé ou au handicap, dans le domaine de l’emploi, de l’éducation ou du logement. Hasard de calendrier, cette parution programmée de longue date intervient dans le contexte d’une résurgence des partis d’extrême droite lors des élections municipales.

Que nous enseigne ce recueil ? Premièrement, et malgré les campagnes d’information, les formations et le renforcement de l’arsenal judiciaire contre les discriminations, le sexe, l’origine, l’orientation sexuelle ou l’état de santé affectent significativement les chances d’obtenir un emploi, un bon salaire ou un logement. Ainsi, dans les études expérimentales (testing) utilisant de faux CV, les recruteurs rappellent plus volontiers un candidat au nom français qu’un candidat identique portant un nom d’origine étrangère, à même niveau de qualification. De même, l’accès au logement social est plus long pour les ménages d’origine non européenne sans qu’il soit possible de l’expliquer autrement que par une pénalité liée à leur origine. On savait que les femmes obtenaient des rémunérations plus faibles que les hommes à travail égal ; les travaux récents suggèrent que les hommes homosexuels subiraient également une pénalité salariale. Comment dès lors expliquer que les discriminations perdurent alors qu’il n’y a plus d’équivoque sur leur existence ? Pire encore, nous semblons nous être habitués à la récurrence des témoignages et résultats d’études.

Le deuxième apport des analyses présentées dans ce recueil réside dans la manière dont elles rattachent la question des discriminations à la thématique plus générale des inégalités sociales. Les discriminations ne doivent pas être comprises comme des pratiques individuelles et isolées ; elles s’inscrivent au cœur du fonctionnement de nos institutions. L’école, par exemple, ne parvient pas à alléger le poids des héritages familiaux sur le parcours des élèves ; et la reproduction des inégalités sociales concerne plus encore les descendants d’immigrés qui, dans, l’ensemble sont plus souvent en difficulté scolaire. Ces mécanismes institutionnels de reproduction des inégalités sont intériorisés par les acteurs et déterminent leurs choix de parcours et leurs arbitrages. De plus, le désavantage des uns ne se comprend qu’en référence aux avantages des autres. Si Mohamed est invité quatre fois moins souvent que Louis à un entretien d’embauche, est-ce parce que les employeurs favorisent Louis ou qu'ils défavorisent Mohamed ? La nuance est subtile, mais réfléchir aux préférences qui amènent à privilégier certains profils –les hommes blancs hétérosexuels entre 30 et 50 ans– complète l’analyse des discriminations et permet d’aller au-delà d’une vision en termes de préjugés à l’encontre des groupes minoritaires.

C’est là le troisième enseignement de ces travaux : la multiplicité des domaines et des critères où s’observent les discriminations souligne que les politiques engagées depuis le début des années 2000 ne sont pas suffisantes. La mobilisation des pouvoirs publics dans le champ du handicap et celui de l’égalité entre les femmes et les hommes s'est traduite par d’importantes avancées juridiques et la mise en place d’actions politiques concrètes. En revanche, alors que les travaux soulignent la spécificité de la question ethnique, il n'existe pas de politique spécifique pour lutter contre les inégalités dues à l'origine.

Sur ce terrain plus que sur les autres, l'insuffisance de l'action publique est étroitement liée aux lacunes des dispositifs de mesure. Ainsi, l'origine immigrée n'est toujours pas repérable dans le recensement de la population ou les statistiques d'entreprise. Les grandes enquêtes, qui contiennent des informations sur l'origine des parents, ne permettent de décrire la situation des minorités ethniques que de manière partielle et imparfaite. Les travaux réunis dans ce numéro spécial d'Economie et Statistique ne doivent ainsi pas faire oublier les limites de la statistique publique sur la mesure des discriminations. Au-delà du désir de connaissance du phénomène discriminatoire, la mesure des discriminations doit d’abord servir d’outil de calibration et de suivi des politiques publiques. Quatre ans après le rapport du Comité pour la mesure de la diversité et l'évaluation des discriminations (Comedd), sur ce plan comme sur d’autres, l’action contre les discriminations n’a pas beaucoup avancé. Aucune solution évidente n’est disponible à ce jour, et chaque motif de discrimination, chaque champ de la vie sociale ou elle s’exerce, appellent des mesures qui leurs sont propres. Mais aussi spécifiques soient-elles, des réponses existent et il est plus que temps de les mettre en œuvre. 

Discrimination à l’embauche et entre-soi (avec Anthony Edo), La vie des idées.fr, 18 février 2014. 

Utiliser ou cacher ce que l’on sait ? Une étude expérimentale de jeux répétés (avec Frédéric Koessler), Le cercle - Les échos, janvier 2014

[ITW] La dure question du CV anonyme, Redondir n°209, p. 47, Décembre 2013-Janvier 2014.


[ITW] Hiring discrimination : lessons from an economic study, Radio France Internationale, 8 aout 2013.

[ITW] Emploi: pourquoi les immigrés issus de pays à majorité musulmane sont-ils discriminés? (avec Marie-Anne Valfort), PSE Newsletter n°15, octobre 2013.

La réforme de la rémunération des médecins au Canada : choix, incitation et effort au travail  (avec Bernard Fortin et Bruce Shearer), CLSRN: Marché du travail en revue, septembre 2013

Reform in Physician Remuneration in Canada: Choice, Incentives and Work Effort, CLSRN Labour Market Matters, september 2013. 

[ITW] Il existe des instruments inexploités pour restaurer l'égalité des chances, Le Monde, 27 mai 2013.

Les gens déclarent-ils plus honnêtement leurs préférences après avoir fait le serment de dire la vérité ? (avec Robert-Vincent Joulé, Stéphane Luchini et Jason F. Shogren), Lettre de la chaire santé n°13, avril 2013.

Beaucoup de politiques publiques investissent dans la production de biens dits « non-marchands », car  leur consommation ne résulte pas d'un échange sur un marché régulé par la loi de l'offre et de la demande. C'est le cas de la mise en place de nouveaux traitements médicaux, des dispositifs permettant de diminuer la pollution de l'air, d'améliorer la qualité de l'eau, etc. 

Ces politiques nécessitent d'évaluer le montant d'investissement souhaité par la collectivité, et donc de mesurer la satisfaction que les bénéficiaires retireraient de l'existence de ces biens.

Pour connaître les préférences individuelles à l'égard de la décision envisagée, la technique la plus courante est de recourir à des enquêtes. Elles consistent à demander directement à des individus composant un échantillon représentatif de la population combien ils seraient prêts à payer pour bénéficier d'une politique publique particulière. Cette « disposition à payer » est interprétée comme une mesure de la satisfaction individuelle associée à la mise en œuvre de la politique envisagée. Mais cette approche, appelée « méthode d'évaluation contingente », comporte une difficulté : la politique publique est évaluée alors qu'elle n'est pas réalisée. De ce fait, les personnes sont placées dans une situation hypothétique et leurs réponses ne sont que des intentions. 

Une critique récurrente de cette méthode d'évaluation est que les dispositions à payer ainsi obtenues sont surestimées car les individus ne doivent pas véritablement assumer les conséquences financière de leurs réponses. L'écart entre les intentions et ce que les personnes paieraient effectivement dans la réalité est appelé « biais hypothétique ». A l’inverse, dans les cas où l'évaluation fait effectivement intervenir les conséquences financières pour les individus, on observe un problème symétrique : certaines personnes déclarent des valeurs nulles ou très faibles par refus de participation à la procédure, sans rapport avec leurs véritables préférences (voir la Lettre de la Chaire Santé n°10).

Comprendre les mécanismes de formation de ces biais est d'une importance cruciale pour la pertinence des politiques publiques fondées sur des méthodes d'évaluation contingente. 

Nicolas Jacquemet et ses co-auteurs s'appuient sur des résultats en psychologie sociale pour étudier une procédure consistant à introduire un serment avant l’exercice d’évaluation contingente proprement dit. L’étude consiste à comparer les préférences déclarées des individus selon que leur a été, ou non, proposé de signer un engagement à « dire la vérité » au cours de l'expérience. De nombreux travaux en psychologie sociale montrent que, lorsqu'elles sont librement consenties, de telles procédures de serment réduisent les risques d'obtenir des déclarations erronées. Cet effet passe par un mécanisme d'engagement : les actions des individus au cours de l'expérience sont influencées par leur volonté d'agir conformément à leur engagement initial d'honnêteté. 

Nicolas Jacquemet et ses co-auteurs montrent que cette procédure de serment est efficace contre les deux types de biais évoqués précédemment. Lors d'évaluations hypothétiques, d’une part, les préférences individuelles déclarées sont plus faibles lorsque les participants se sont préalablement engagés à être honnêtes. D’autre part, les valeurs déclarées proches de zéro sont également moins nombreuses dans les évaluations ayant des conséquences financières pour les participants. Le serment permet donc à la fois une baisse de la surestimation liée au biais hypothétique et une réduction du risque de déclarations sous-estimées.

Ces résultats suggèrent que la mise en œuvre de procédures engageantes permet d’améliorer l’efficacité des études d’évaluation contingente : elles incitent les individus à prendre en compte les conséquences financières de leurs décisions, tout en évitant d’exercer une pression trop forte sur leur participation à la procédure.

Pollution de l'air, traitements médicaux : comment le décideur public doit-il évaluer les préférences individuelles des citoyens (avec Robert-Vincent Joulé, Stéphane Luchini et Jason F. Shogren), Lettre de la chaire santé n°10, mai 2012.

Nombre de politiques publiques consistent à investir dans la production de biens dits non-marchands (tels que la diminution de la pollution de l'air, l’amélioration de la qualité de l'eau, la mise en place de nouveaux traitements médicaux ou la construction de parcs publics) au sens où leur prix n’est pas fixé par la loi de l’offre et de la demande. Ces politiques publiques nécessitent donc d’évaluer par d’autres moyens le montant qu’il est collectivement souhaitable d’investir dans ces biens. Une façon d’évaluer ce montant consiste à s’appuyer sur la satisfaction que retirerait la population de l’existence de ces biens, c’est-à-dire les préférences individuelles à l’égard du bien.

 

Pour ce faire, l’analyse économique a développé des méthodes d'enquête consistant à demander directement à des individus appartenant à un échantillon représentatif combien ils seraient prêts à payer pour bénéficier d'une politique publique particulière. En pratique, ces méthodes d'évaluation consistent à demander à un échantillon de personnes combien elles seraient prêtes à payer pour bénéficier d'une politique publique, comme la comme la mise en place d'un nouveau traitement médical ou la préservation d'un site naturel. Cette « disposition à payer » déclarée est considérée comme une mesure de la satisfaction individuelle associée à la mise en oeuvre de la politique publique considérée. Mais parce que la politique publique est évaluée alors qu'elle n'est pas réalisée, les personnes sont placées dans une situation hypothétique, et les réponses obtenues ne sont que des intentions.

 

Une critique récurrente de ce type de méthode est que les dispositions à payer ainsi obtenues sont sur-estimées, précisément parce que les individus ne sont pas soumis à des incitations financières, contrairement à ce qui se quand on observe des comportements économiques sur des marchés. L'écart entre les intentions de paiement et ce que les personnes paieraient effectivement dans une situation non hypothétique est appelé le « biais hypothétique ».

 

Cet article évalue l’ampleur et les causes de ce biais hypothétique à l’aide de deux expériences en laboratoire. Ces deux expériences comparent les préférences individuelles révélées par les participants selon que les déclarations ont, ou non, des conséquences financières. La première expérience étudie les préférences individuelles à l’égard d’un bien indéterminé pour lequel les « préférences » sont données aux sujets (expérience dite en valeurs induites), la seconde étudie la disposition à financer des actions de protection de l’environnement.

 

Deux résultats émergent de nos expériences. En premier lieu, le biais hypothétique n’apparaît que dans le cas d’un bien clairement défini, tel que la protection l’environnement, et pas dans l’évaluation d’un bien indéterminé pour lequel les sujets reçoivent leurs préférences de l’analyste. Ce résultat suggère que le biais hypothétique apparaît en raison du processus de formation des préférences (c'est-à-dire  lorsque les individus tentent d'évaluer sous forme monétaire ce que le bien représente à leur yeux) et pas en raison du mécanisme de révélation des préférences (c'est-à-dire sous l’influence du format de la question qui leur est posée).

 

Nous montrons en second lieu que l’apparition d’un biais hypothétique est le résultat de deux phénomènes. Conformément au résultat fréquemment souligné dans d'autres études, le contexte hypothétique conduit les individus à sur-estimer leurs préférences en raison de l’absence de conséquences financières de leurs déclarations. Mais un second phénomène apparaît lorsque les déclarations sont soumises à des conséquences financières dans l'expérience: un certain nombre de personnes déclarent une valeur nulle ou très faible pour le bien, non pas conformément à leurs véritables préférences, mais par refus de participer à la procédure d’évaluation. Ces résultats montrent que le développement de méthodes appropriées de révélation des préférences nécessite de développer des procédures qui certes incitent les individus à prendre en compte les conséquences financières de leurs décisions, mais évitent d’exercer une pression trop forte sur leur participation à la procédure.

[ITW] Les expériences en laboratoire (avec Phillipe Jéhiel), PSE Newsletter n°9, avril 2012.

Discriminations ou dissemblance ? Les subtilités de la différence, La Tribune, 24 avril 2012.

Diverses actualités récentes ont ravivé le débat public sur l’ampleur, la nature et les moyens de lutter contre les discriminations.

La subtilité et la difficulté de cette question tient à la nécessité de distinguer entre ce qui relève de la discrimination et ce qui résulte de la simple disparité entre individus. Diverses aspirations, diverses priorités et diverses habiletés se conjuguent toutes pour donner lieu à une grande variété des choix et des parcours. Au sein de cette diversité, seules les différences subies pour l’unique motif de l’appartenance à une catégorie de population particulière correspondent effectivement à ce qu’il convient d’appeler une discrimination. Il y a discrimination, par exemple, si une femme se trouve dans l’impossibilité d’accéder à un poste de responsabilité alors même qu’un homme identique à elle l’obtiendrait, ou si hommes et femmes tirent une rémunération différente d’activités professionnelles identiques – c’est à dire toutes choses égales par ailleurs. Mais la seule existence d’un écart important de salaires moyens entre hommes et femmes n’atteste pas plus de l’existence de discriminations que la présence de fumeurs sur un trottoir ne prouve leur goût du grand air.

Une fois circonscrite aux seules inégalités de traitement qui visent les membres de différents groupes de population (hommes/femmes ; minorités ethniques, etc.), la discrimination peut être le résultat de deux phénomènes.

Le premier tient à l’information : le seul fait d’appartenir à un groupe est une source de renseignements sur les caractéristiques de chacun des membres du groupe – les hommes, par exemple, sont en moyenne plus enclins à sacrifier leurs principes moraux à leur intérêt financier, c’est pourquoi certaines villes luttent contre la corruption en renforçant la présence des femmes dans les forces de police.[1] La discrimination correspond dans ce cas à un outil statistique, destiné à pallier le manque d’information: dis-moi à qui tu ressembles et je te dirai (à peu près) qui tu es.

La seconde motivation possible de comportements discriminatoires est une pure question de préférence : les différences de traitement sont dans ce cas le simple (et terrible) reflet de l’attitude, à l’égard des membres de ces groupes, de celui qui est en charge des décisions – cette explication recouvre ainsi les comportements racistes, misogynes ou … misandriques.

Ces deux causes possibles recouvrent ce que le sens commun associe à la discrimination : une inégalité de traitement préjudiciable parce que fondée sur des différences visibles et illégitimes au regard des qualités objectives des personnes concernées. Mais en raison de cette subtilité de définition, la discrimination reste très difficile à mesurer : loin d’attribuer tous les écarts à des contraintes de nature discriminatoire, une approche appropriée de cette question doit pouvoir faire la part entre ce qui relève d’une inégalité de traitement authentique, et ce qui tient à la variété naturelle des choix et des situations.

C’est cette difficulté que tentent de surmonter les expériences dites de testing, qui s’intéressent aux résultats obtenus par deux individus aussi proches que possible l’un de l’autre à l’exception notable de leur appartenance à des catégories de population distinctes. Toutes les études de ce type  concluent à une forte discrimination à l’encontre des minorités ethniques – conduisant à une différence de l’ordre de 30% à 40% dans le taux de convocation à un entretien d’embauche.

Mais le résultat le plus étonnant reste peut-être que cette différence mesurée est sensiblement la même quel que soit le pays considéré et quelle que soit l’origine ethnique incluse dans l’étude. Une interprétation possible de ce résultat est que ce n’est pas en raison de leur appartenance à une minorité ethnique que certaines personnes sont traitées de façon discriminatoire, mais du seul fait qu’ils n’appartiennent pas au groupe majoritaire. Afin de creuser cette idée, une étude récente[2] s’intéresse à la discrimination à l’embauche qui affecte des candidatures dont les noms sont sans ambigüité à consonance étrangère, mais dont l’origine ethnique n’est pas clairement identifiée par les employeurs. Deux résultats émergent: les candidatures à consonance étrangère sont fortement discriminées, et elles le sont dans la même mesure que les candidatures dont le nom évoque une minorité ethnique clairement identifiée : toutes obtiennent en moyenne 40% de moins de convocations à un entretien d’embauche en comparaison de candidatures à consonance anglo-saxonne. Ce résultat atteste que la discrimination raciale est en partie fondée sur une défiance à l’égard de l’autre en général, qui et quel qu’il soit ; non en raison de ce qui le rend différent mais du simple fait de sa dissemblance.


[1] Voir à ce sujet l’étude de A. Swamy, S. Knack, Y. Lee, et O. Azfar, « Gender and corruption »,  Journal of Development Economics, 2001, 64, 25-55, ainsi que la critique proposée par H.E. Sung, H.-E. « Fairer Sex or Fairer System? Gender and Corruption Revisited » Social Forces, 2003, 82, 703-723.


2] Les résultats discutés ici sont présentés dans l’article de N. Jacquemet et C. Yannelis « Indiscriminate Discrimination : A Correspondence Test for Ethnic Homophily in the Chicago Labor Market », 2011, Document de travail du CES n° 11-13.

CV anonyme : attention aux contre-sens ! Le Monde.fr, 6 septembre 2011.

Le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, Yazid Sabeg, a récemment annoncé l’abandon du projet de rendre obligatoire l’anonymat des CV (Le Monde du 25 aout, p.13). Cette décision est en partie motivée par les résultats d’une expérimentation menée par Pôle emploi, qui tend à relativiser l’efficacité d’une telle mesure.

Cette étude montre que les noms et les origines sociales qui leurs sont associées sont utilisés par les employeurs pour interpréter les signaux négatifs contenus dans les CV. De ce fait, lorsque le CV d’un candidat issu de l’immigration est rendu anonyme, ses probabilités de convocation à un entretien d’embauche sont plus faibles, parce qu’il subit de plein fouet les carences de son parcours professionnel.

Ces résultats sont importants et intéressants, mais ils sont loin de faire le tour de la question des discriminations raciales à l’embauche. Toutes les études disponibles (en France, mais aussi dans bien d’autres économies occidentales) montrent que la probabilité d’embauche est inférieure de 30% à 40% pour un candidat dont le nom est à consonance étrangère. Ces études sont réalisées à CV identique, et c’est bien là qu’est toute la différence : lorsque leurs formations, leurs parcours professionnels et donc leurs compétences telles qu’elles apparaissent dans un CV sont comparables, les candidats dont le nom est à consonance étrangère sont fortement désavantagés sur le marché du travail. Ce désavantage-ci ne peut qu’être rééquilibré par l’anonymat des candidatures puisqu’il fait disparaître tout possibilité d’identification du postulant.

La question ouverte et à laquelle l’étude de Pole emploi ne permet pas (et ne prétend pas) trancher est donc de savoir comment ces effets positifs de l’anonymat se comparent aux effets négatifs liés au manque d’indulgence vis à vis de parcours professionnels de facto très différents. Une politique globale de promotion de l’égalité des chances devrait au demeurant viser à éliminer ces différences. Ne subsisterait plus, alors, que la discrimination fondée sur l’origine ethnique  contre laquelle la règle d’anonymat est parfaitement adaptée.

Au delà de cette question particulière, ce débat montre les limites de l’usage de l’expérimentation pour éclairer les décisions publiques lorsque celles-ci s’inscrivent dans un calendrier court. La recherche scientifique se nourrit de la répétition et du renouvellement des expériences. C’est sur cette base qu’elle peut éclairer la décision publique. S’il l’on ne peut que se réjouir de la prise de conscience progressive de cette nécessité, ce dialogue ne sera pas arrivé à maturité tant que la pratique de l’expérimentation restera isolée et mise au service de décisions rapides plutôt que pertinentes.

Analyse économique de la relation corrupteurs-corrompus, Actes des rencontres économiques de l'IGPDE, octobre 2007.