La géochimie-microbiologie des environnements hydrothermaux et /ou volcaniques est un élément important de l'exploration des Origines de la vie qui se focalise sur la recherche de traces de vie plausibles et/ou la synthèse de molécules d'intérêt prébiotique à partir de blocs élémentaires dans les sites hydrothermaux de surface. De ce point de vue, la colonisation minérale en milieu hydrothermal et à proximité des geysers fournit un modèle méthodologiquement intéressant.
Dans le cadre du projet PREBIOVIE nous souhaitons poursuivre la recherche initiée en 2022 grâce à l’AF Origines (MNHN) et qui s’est concrétisée par une mission scientifique en Islande en Juillet 2022 (collaboration Faculty of Life and Environmental Sciences Háskóli Íslands / University of Iceland - Askja, Sturlugata 7, IS-101 Reykjavík). Au cours de cette expédition nous avons, en collaboration avec le Pr. David Deamer (University of California at Santa Cruz, USA) dont la connaissance des principaux sites hydrothermaux de surface est mondialement reconnue, réalisé des prélèvements liquides et solides (roches) sur sites hydro-géothermaux et volcaniques. Ces sites sont comparables à ce que l’on peut considérer aujourd’hui comme modèles proches de « la soupe primitive ».
L’objectif actuel est dans la continuité du programme PREBIOVIE 1, et consiste à développer une vision intégrée des caractéristiques biologiques et minéralogiques d’un sol islandais particulièrement intéressant. Au cours de notre première expédition nous avons caractérisés chacun de nos prélèvements (pH, température, hygrométrie, coordonnées GPS etc.).
La précision de notre travail permettra de déterminer les relations et réactions entre espèces minérales, molécules et « briques » organiques et populations de micro-organismes. La diversité moléculaire et microbienne, est et sera caractérisée au laboratoire pour chaque prélèvement par des approches analytiques et moléculaires (méthodes de chimie analytique -voir ci-dessous-, extraction d’ADN, amplification, clonage, séquençage …).
Les premiers prélèvements (Juillet 2022) permettent de réaliser des études expérimentales, pilotées par M.C. Maurel (ISYEB et Louis Ter-Ovanessian (ISYEB), et de les combiner avec des approches de pointe en modélisation atomistique, portées par A.M. Saitta (IMPMC).
L’ADN extrait à partir des échantillons prélevés en Juillet 2022, de différentes fractions minéralogiques est amplifié par PCR à l’aide d’amorces universelles spécifiques des Eubacteria et des Archeae. Les acides nucléiques sont actuellement en cours de séquençage par Nanopore, technique mise au point par D. Deamer en 2016 et publée dans Nature Biotechnology.
Cette première approche permettra de déterminer si certaines espèces sont spécifiques des fractions minérales. Ces espèces sont-elles connues et présentes dans les sites que nous avons explorés ou sont-elles des CPR (Candidate Phyla radiation), espèces non répertoriées à ce jour dans les banques de données ?
Une étape cruciale dans l’étude des origines de la vie a été́ établie en 1986, quand Walter Gilbert, co-inventeur du séquençage de l'ADN, a proposé́ une hypothèse selon laquelle l'ARN serait la plus ancienne macromolécule biologique. Cette théorie, dite « hypothèse du monde à ARN », permet de s'affranchir du paradoxe de l'œuf et de la poule qui survient lorsqu'on cherche à savoir qui des protéines (catalyseurs) et de l'ADN (information génétique) sont apparus en premier. Dans ce modèle, l'ARN, capable de combiner à la fois les deux types de fonctions, serait le précurseur universel qui aurait permis dans un environnement abiotique (caractérisé par une chimie prébiotique) l'apparition de premières formes vivantes et des sous-systèmes métaboliques. Depuis 35 ans, des efforts importants sont donc consacrés à démontrer l’origine abiotique de l’ARN et de ses briques élémentaires que sont les bases azotées, les nucléosides et nucléotides dans le contexte de la Terre primordiale, c’est-à-dire sans l’intervention de catalyseurs biologiques que sont les enzymes. La recherche à la fois des principaux précurseurs et chemins réactionnels ayant pu conduire à l’émergence « spontanée » de l’ARN est donc un enjeu majeur. Des surfaces minérales, des minéraux argileux jouant le rôle de catalyseurs hétérogènes établissent des liens réciproques entre les mondes minéral et organique et montrent combien la chimie prébiotique doit être étroitement liée au contexte géochimique et aux paramètres climatiques.
L'ARN est constitué d'un enchaînement de quelques dizaines à quelques milliers de nucléotides. Les ARNs sont aujourd’hui connus pour posséder un grand nombre de bases non-canoniques (différentes des bases canoniques A, U, G, C). Ainsi l’Uracile est fréquemment thiolée en position 2 ou en position 4 (formation d’un thiocarbonyle), jouant un rôle majeur dans la structure en particulier des ARNs de transfert. L’Uracile thiolée en présence des roches soufrées et de soufre natif du site de Seltún (Krýsuvík, Islande) est en voie d’analyses chimiques par spectroscopies IR et RMN. En parallèle, M. Saitta simulera les étapes du profil réactionnel le plus favorable par modélisation numérique ab initio.
Les échantillons liquides collectés sont envoyés à des laboratoires conventionnés pour l’analyse des eaux atypiques soufrées, ce qui permettra d’élucider divers paramètres associés aux sites étudiés (Seltún et Hveravellir), teneur en oxygène, température, turbidité, etc.
Les intermédiaires prébiotiques plausibles et les éventuels blocs biomoléculaires sont aussi analysés au laboratoire grâce à une méthodologie développée pour les intermédiaires de synthèse de l’uracile (voies de synthèse des pyrimidines) (Ter-Ovanessian et al., 2021, Sc. Reports). En parallèle, les approches de modélisation ab initio permettront une compréhension microscopique détaillée et approfondie des mécanismes réactionnels en jeu, ainsi que la caractérisation du rôle joué par les conditions géochimiques – température, pression, surfaces minérales – pour ces synthèses.
Des inserts minéralogiques, parfaitement caractérisés suite à notre première expédition (PREBIOVIE 1) et préalablement stérilisés et porteurs de « briques prébiotiques », seront disposés sur sites lors de notre prochaine expédition pour des durées variables (48h, 72h, 1 semaine) puis analysés après ce contact in situ. Les demandes d’autorisations sont en cours.
Les échantillons solides de lave collectés à Thingvellir et sur le volcan Fagradalsfjall (actuellement de nouveau en éruption depuis août 2022) ont pu être analysés par RMN du solide (31P), spectroscopie ATR-IR et par DRX, ce qui a permis d’identifier les phases cristallines de ces échantillons en majorité amorphe et d’émettre quelques hypothèses quant à la réactivité de ces laves, similaires à celles qui auraient été émises aux origines de la vie et auraient pu être en contact avec les premières briques du vivant.
Ces activités de recherche suscitent l’intérêt de plusieurs laboratoires qui souhaitent collaborer à ce projet. Ainsi le LRS (SU/CNRS- Jean-François Lambert), fournit d’ores et déjà l’accès à toutes les méthodes d’analyses chimiques dont ils disposent ; le laboratoire de Samuel Marre (Supercritical Fluids Group ICMCB-CNRS-Univ. Bordeaux) spécialiste des études géothermales a manifesté son intérêt dans le développement futur de ce projet grâce aux méthodes microfluidiques à l’œuvre dans son laboratoire.
Enfin, un projet de médiatisation de l’expédition est en cours avec le Service audiovisuel du MNHN, concrétisé notamment par la production d’un court-métrage scientifique à destination du grand public.
Juillet 2022: https://drive.google.com/file/d/1BlDxdfHxkx5gg9TnJwnbNOF57ukB3l9d/view?usp=share_link